#29 Poésie et Colingite aiguë

« Tu veux sortir avec moi ?

— Non.

— T'es chiant, Colin. »

Je le dépassai en souriant, laissant mon ami aux prises avec l'immense pile de livres qu'il transportait. Notre quotidien se résumait depuis quelques jours ainsi : nous passion quasiment tout notre temps ensemble, et je lui déclarai ma flamme chaque fois que l'envie me venait. D'une manière tout à fait singulière – nous étions probablement les seuls à fonctionner de cette façon, nous avions construit une habitude : je lui demandais de sortir avec moi, et il refusait.

À des yeux extérieurs, je devais paraître pathétique. Pourtant, je n'avais que rarement été aussi paisible, et heureux. Je connaissais les sentiments de Colin à mon égard, et jamais il ne me donnait l'occasion d'en douter. Colin se révélait, lorsqu'il le voulait bien, être un soutien indéniable. Il m'aidait sans cesse et ne refusait jamais ma compagnie, peu importe le travail qu'il avait à faire.

Nous avions de longues conversations sur le banc Einstein, nous partagions des repas sur le gazon du lycée, et nous nous retrouvions toujours chez lui pour les cours du soir. Désormais, Léanne nous accompagnait, et lorsqu'elle et Emilio partaient, je restais toujours plus longtemps pour profiter du brun.

Pourtant, au bout d'une semaine, l'inévitable se produisit : je voulais plus. Il ne manquait, à Colin et moi, pas grande chose pour être un véritable couple, et c'était de ce pas grand-chose dont j'avais besoin. Je prenais sur moi cependant, car je savais pourquoi Colin me répondait toujours « non ». Son esprit rationnel avait peur de s'engager dans quelque chose dont il n'aurait jamais le contrôle. Avait-il même déjà été dans une véritable relation amoureuse ?

Il était probablement terrifié à l'idée de ne pas parvenir à jouer au couple parfait. Mais ce n'était pas de ça dont je rêvais : tout ce que je voulais, c'était un « oui » de sa part, et la liberté de l'aimer inconditionnellement, sans ambiguïté. Pour cette raison, je passais la deuxième semaine suivant mon anniversaire à le séduire de toutes les manières possibles. Je lui faisais littéralement la cour, chaque jour, et mes idées étaient innombrables.

À la moindre petite occasion, je l'attirais dans un coin et l'embrassais sans honte. Ce qui était différent désormais, était qu'il répondait toujours au baiser, avec une passion qu'il avait des difficultés à contrôler. Il reculait toujours lorsqu'il sentait notre échange devenir incontrôlable, et je le laissais faire, attendrit.

Il avait si peur de se laisser aller, mais l'affection qu'il me démontrait n'en était que plus touchante.

Pour me réconforter lorsque la situation me frustrait, je notais sur un bout de papier tout ce que Colin faisait pour moi, pour me prouver son amour. Il m'attendait chaque matin devant le portail. Il s'appuyait contre moi lorsque nous nous asseyions, me rendait chaque étreinte et chaque baiser, et parfois, je sentais sa main frôler la mienne avec insistance, jusqu'à ce que je ne prenne l'initiative d'entrelacer nos doigts.

Tout ce qu'il manquait à notre relation, c'était ce « oui » décisif, qu'il me refusait encore et toujours.

La sonnerie de reprise des cours retentit, me tirant brutalement de mes pensées, et j'accélérai le pas. Je fus l'un des derniers à entrer dans la salle de classe, et rejoignit Léanne, qui me regardait arriver avec agacement.

« Désolé, j'étais dans mes pensées, lui murmurai-je avec un sourire d'excuse.

— Bien sûr. Tu courrais surtout après Colin. Je refuse d'avoir une mauvaise note à nos travaux groupés parce que tu es en retard, Isaak. Bouge-toi un peu les fesses. »

Je m'excusai à nouveau et nous sortîmes nos affaires, alors que le cours commençait. En classe de littérature, le professeur nous avait demandé d'élaborer un projet commun, qui serait présenté à un concours dont je ne me rappelais plus le nom. En résumé, chaque duo devait composer un recueil de poèmes autour d'un thème de son choix, et le remettre d'ici janvier. Nous avions donc plusieurs mois pour le réaliser, mais Léanne était si emballée par ce devoir, qu'elle m'imposait des séances régulières d'écriture.

Moi qui n'avais jamais écrit de ma vie, me voilà contraint à faire de la poésie.

Je poussai un long soupir et m'étalai sur ma table. Léanne se pencha vers moi pour croiser mon regard, mi-amusée, mi-surprise de mon comportement.

« Allons bon. Je pensais que tu en avais fini avec ta « Colingite aiguë » ? »

Je ne relevai pas sa plaisanterie et tourna mon visage de l'autre côté. Ça n'empêcha pas mon ami de continuer à me parler cependant.

« Hey Isaak, m'interpella-t-elle à nouveau. Quelque chose ne va pas ?

— Rien ne va, gémis-je. Colin me refuse toujours. Il n'a que « Non » à la bouche, « non », « non », « non ». Qu'est-ce que je fais de mal, hein ?

— Vous êtes lourds les gars. Vous comptez conclure le jour de la remise des diplômes ? »

Je grognai de frustration et elle rit doucement, puis me tapota le crâne. Je consentis enfin à lui faire face, le visage toujours appuyé contre mes bras croisés sur la table.

« Isaak, tu ne devrais pas te prendre la tête avec ce détail, reprit-elle. Vous faites déjà tout comme un vrai couple, et tout le lycée vous connaît. Merde, vous vous embrassez, vous vous tenez la main, vous passez tout votre temps ensemble. Et c'est exactement ça, être un couple. Y a pas de cérémonial ou de convenance. L'important, c'est que vous vous aimiez tous les deux, et en ayez conscience. »

Je méditai ses paroles pendant le reste du cours. Ce que Léanne avait dit n'était pas idiot, et me réchauffa un peu le cœur. Pourtant, le problème n'était pas réellement là. J'avais beau nous considérer comme un couple, je n'avais pas l'impression que c'était le cas de Colin, et pour moi, obtenir ce « oui » était primordial. Je voulais qu'il cesse son comportement passif, et accepte pleinement notre relation.

« Tu n'es pas venue avec Emilio, hier soir, fis-je remarquer. Ce sale gosse a cru que les cours du soir étaient optionnels ? Il va se prendre une raclée du prof.

— Il veut se concentrer sur son entraînement. Il a beaucoup de matchs importants qui arrivent, et sa bourse sport-étude dépendra de ses résultats... Or, je le distrais. Du coup, on fait une petite pause, pour lui permettre de se concentrer.

— Et ça ne te dérange pas ? lui demandai-je, les sourcils froncés.

— Si, bien sûr. Mais il a vraiment besoin de cette bourse pour continuer ses études. Sa famille n'aura jamais les moyens de lui payer une université, sinon.

— Ah...

— Tu le connais depuis longtemps, non ? Tu devrais connaître sa famille, me fit-elle remarquer.

Je me redressai en m'étirant, et haussai les épaules.

« Je ne suis jamais allé chez lui, il ne voulait pas. Il me disait qu'on n'aurait pas la place de jouer, et qu'il valait mieux aller chez moi, ou au parc. »

Évidemment, je me fis reprendre par le professeur qui m'intima de me taire. Léanne me jeta un regard amusé, et prit plaisir à souligner mon incompétence en matière de discrétion.

Plus tard, je rejoignis Colin à notre petite cachette. Il était déjà installé, occupé à engloutir dans sa bouche un énorme sandwich fait maison. Les sourcils froncés, je m'assis à côté de lui, et ne le quittai pas des yeux. Après de longues secondes, il arrêta de mâcher et me jeta un regard perplexe.

« Qu'est-ce que tu as ? me demanda-t-il.

— Rien. Je n'ai pas le droit de regarder mon petit-ami manger ? » répondis-je en faisant la moue.

Le résultat fut à la hauteur de mes attentes : il avala de travers et toussa plusieurs fois avant de se reprendre, et de m'offrir une expression de pure incrédulité qui était délicieuse à contempler.

« Depuis quand je suis ton petit-ami ?

— Depuis aujourd'hui. J'ai décidé que maintenant, nous sommes un couple officiel.

— Ça se décide à deux ça, Isaak, me fit-il remarquer.

— Pas quand l'un des deux fait sa tête de mule », rétorquai-je sèchement.

Il s'offusqua, et je faillis sourire lorsque son nez se retroussa de frustration. J'adorais tant cette mimique, mais il me fallait rester concentré.

« Isaak, quand je dis non, c'est non.

— Mais pourquoi, enfin ?! m'emportai-je. C'est toujours non avec toi, Colin ! Tu peux pas assumer tes désirs pour une fois ? Est-ce qu'il faut que je retourne à l'hôpital pour que tu te sortes le balai que t'as dans le cul ?!

— Dis pas de conneries, répliqua-t-il, l'agacement audible dans sa voix.

— Je te l'ai dit la dernière fois : j'en ai assez d'attendre. Et j'en ai assez de ta passivité ! Tes petites attentions sont adorables, mais c'est contradictoire et-et... merde, sois un peu plus clair ! Est-ce que tu m'aimes ?

— C'est pas ce dont il est question...

— Est-ce que. Tu m'aimes ? » répétai-je, plus calme.

Je m'étais considérablement rapproché de lui, insistant, et s'il ne pouvait comprendre à mon visage que j'étais on ne peut plus sérieux, eh bien, il pouvait aller au diable.

« Ou-oui... » bafouilla-t-il, sans doute prit de court.

— Alors sors avec moi !

— N-Non...

— Colin ! » geignis-je.

J'allais me lever, vexé comme un enfant, mais il ne m'en laissa pas l'occasion. Sa main se plaça derrière mon crâne pour m'empêcher de partir et en un instant ses lèvres furent sur les miennes. J'étais tellement surpris que je ne fermai même pas mes paupières, et restai figé. Colin en profita pour m'embrasser tendrement quelques secondes, puis il recula légèrement, son front collé au mien. Nos souffles se mêlèrent et il me sembla que je pouvais respirer à nouveau.

« Je ne peux pas te dire oui. Pas encore. Mais je le ferai. »

Sa voix n'avait été qu'un murmure mais ses mots m'envoutèrent et un long frisson parcourut mon échine. Je fermai les yeux, submergé par l'émotion, et déglutit.

« Tu promets ? lui demandai-je d'une voix faible.

— Je te le promets, me répondit-il en souriant tendrement.

J'osai un faible sourire et lui volai un court baiser.

« Quand vas-tu dire oui ? Demain ? » m'impatientai-je.

Il rit avec sincérité, et secoua la tête. Je fis la moue, croisai les bras sur mon torse.

« Après-demain ? En fin de semaine ? la semaine prochaine ?

— Bientôt Isaak. Bientôt. »

Ce furent ses derniers mots avant qu'une sonnerie de téléphone ne vienne briser ce moment. Il décrocha et s'éloigna un peu. Je ne pus m'empêcher de tendre l'oreille, curieux. Mais sa voix était trop basse pour que je ne l'entende, et cela semblait être une simple conversation avec sa mère. Je repensai alors à ses mots, et à l'espoir fou qu'ils me suscitaient. Colin avait ce pouvoir incroyable de me maintenir la tête hors de l'eau. J'étais sans cesse sur le point de couler, mais chaque fois il m'aidait à remonter, pour ne me laisser qu'un peu de répit.

Et dire que j'étais celui supposé jouer avec lui. « Que tu es naïf », pensai-je.

*

« Tu es sûr que ça ne te dérange pas de m'accompagner ?

— Je n'ai rien à faire cet après-midi, Colin m'a ordonné de le laisser tranquille parce qu'il devait travailler.

— ... Dis donc, tu es un chien ou un humain ? »

Pour toute réponse, j'aboyai, et Léanne éclata de rire. Elle m'avait proposé ce matin de l'accompagner chez Emilio, absent à cause d'un entraînement hors campus. Léanne avait alors décidé de lui apporter tous les cours qu'il manquerait, chez lui. Puisque je n'avais rien d'autre à faire, j'avais accepté, et nous étions actuellement en route pour son appartement.

Puisque nous ne savions tous les deux pas où il habitait, il nous avait fallut chercher illégalement dans le registre des élèves au secrétariat. Ça avait été une aventure aussi rocambolesque que ridicule, et en conséquence de laquelle j'avais écopé d'une retenue pour avoir essayé de séduire la secrétaire de l'administration.

C'était étrange, mais même Keith, qui aurait dû connaître les parents d'Emilio, ignorait leur adresse. Lorsque le bus arriva à notre arrêt nous descendîmes, et rejoignîmes, le nez collé sur le téléphone de Léanne, l'immeuble qu'il nous indiquait. Si on passait outre la dégradation visible de la façade, le bâtiment n'avait rien de particulier, bien qu'il ne correspondît pas vraiment aux standards de Brooklyn. Disons que nous étions loin du loft ou des briques rouges.

« Bon, sonne », dis-je à Léanne une fois arrivé au bon étage.

— Euh... N-non vas-y, fais-le.

— T'es sérieuse ? Me dis pas que tu stresses ?

— U-un peu ? »

Je fis les yeux ronds face à son petit numéro, et haussai les épaules. Probablement était-elle intimidée à l'idée de rencontrer les parents de son petit-ami. Je sonnai finalement, et nous entendîmes un tumulte étonnant avant que la porte ne s'ouvre. Celle-ci révéla une femme certainement dans la cinquantaine, dont la taille impressionnante lui donnait une aura qui m'intimida aussitôt moi-aussi. Malgré tout, elle semblait bienveillante, et souriait de toutes ses dents.

« B-Bonjour, euh... Nous sommes des amis d'Emilio e-et...

Querido, amigos de Emilio están allí !* cria-t-elle vers l'intérieur de l'appartement.

Léanne et moi restâmes interloqués, à la fois par l'usage de l'espagnol, et par notre incapacité à le comprendre. Des pas se firent entendre, et cette fois-ci un véritable colosse dont j'étais certain qu'Emilio tenait la taille, rejoignit sans doute sa femme. Alors qu'elle avait le teint hâlé et les cheveux d'un noir de jais d'Emilio, son père lui avait une tignasse blonde et des yeux noisette. Ses yeux, bien que son visage soit marqué par les rides, étaient emplis de bonté, et je trouvai immédiatement ce couple attendrissant.

« Bonjour les enfants. Emilio n'est pas là, nous informa-t-il.

— Nous ne savons déjà, lui répondit Léanne. Nous venions simplement lui apporter les cours qu'il a manqués aujourd'hui...

— Il n'est pas allé en cours ? s'étonna sa mère, cette fois-ci en anglais.

Léanne et moi nous échangeâmes un regard perplexe.

« Il nous a dit hier qu'il partait en entraînement avec son club de football hors du lycée, les informai-je.

Cette fois, ce fut à eux de se regarder, surpris. Je ne comprenais pas vraiment la situation, mis à part qu'Emilio avait visiblement menti à tout le monde. Finalement, la femme se décala de la porte.

« Entrez, nous allons essayer de comprendre ce qu'il se passe » nous dit-elle.

Son mari acquiesça et nous les suivîmes dans l'appartement, indécis.

« Qu'est-ce qu'Emilio a foutu ? » me chuchota Léanne.

J'haussai les épaules, n'en ayant pas la moindre idée. J'espérais seulement que cet idiot avait simplement oublié de prévenir ses parents.




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* « Chéri, les amis d'Emilio sont là ! »


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