#28 Espoir & Anagramme

Lorsque je m'éveillai à nouveau, une lumière vive agressa mes paupières, que je refermai rapidement. J'avais l'impression qu'un marteau cherchait à enfoncer un clou dans mon crâne, mais lorsque je voulus bouger pour me soustraire à cette douleur, j'échouai lamentablement. J'ignorai si c'était à cause de l'apathie dans mes membres, ou de la lourde couverture qui me clouait au lit. Petit à petit, mes sens me revinrent, et lorsque je rouvris les yeux, j'évitai l'éblouissement.

Ma première pensée, fut que je ne comprenais pas ce que je foutais dans un hôpital. La seconde, fut que Colin n'était pas à côté de moi. Avais-je rêvé sa présence ? Je priai tous les dieux pour que ce ne soit pas le cas. Il était venu, j'en étais certain. Je l'avais senti contre moi, j'avais entendu sa voix. Cela ne pouvait pas être un songe.

« Vous êtes de retour parmi nous, jeune homme ? »

La voix qui résonna dans la chambre me fit sursauter, et je tournai la tête vers une infirmière, qui venait d'entrer. Pris de court, je me redressai trop vite et fus pris de vertiges. Rapidement, elle me força à me rallonger, et utilisa une télécommande pour redresser le dossier du lit.

« Vous avez fait peur à tout le monde », me reprocha-t-elle.

Je lui jetai un regard perplexe. Je n'avais quasiment pas de souvenirs de la veille, hormis celui de Colin. Qu'avais-je fait pour terminer ici ? Je ne me remémorais que de mes sentiments du moment : beaucoup de douleur et de tristesse. Une image de ma mère me revint, et je frissonnai. Merde, je ne me souvenais plus si j'avais simplement rêvé.

« Que... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? » demandai-je.

Je constatai que ma voix était terriblement cassée. L'infirmière m'offrit un regard compatissant et déposa sur le plateau qui jouxtait mon lit, un verre d'eau. Je le bus avec avidité, me trouvant assoiffé.

« Vous êtes arrivé cette nuit, complètement intoxiqué à un mélange de drogue hallucinogène, et d'alcool. Nous avons stabilisé votre état, en vous administrant des calmants. Vous risquez de vous sentir encore très fatigué, et je vous déconseille d'essayer de marcher pour le moment. Laissez le temps à votre corps de se remettre. »

J'accusai ce qu'elle me dit en silence, laissant venir à moi quelques vagues souvenirs. Si ce qu'elle me disait était vrai, alors je ne devais pas avoir rêvé la présence de Colin, car je me rappelais qu'il était avec moi dans l'ambulance.

« Colin..., murmurai-je.

— Oh, votre ami vous attend devant la chambre. Il est resté avec vous toute la nuit. » m'informa-t-elle.

A ces mots, mon sang ne fit qu'un tour et je me redressai brusquement. Colin était là. Il était resté.

La jeune femme, percevant mon agitation, m'intima de me rallonger, et m'assura qu'elle allait le chercher immédiatement. Elle quitta la chambre et je me retrouvai fébrile, le cœur battant à tout rompre. La porte s'ouvrit peu de temps après, et il me parut que Colin entrait au ralenti. Je le suivis du regard, le souffle coupé. Il s'approcha de mon lit, et prit immédiatement ma main dans les siennes.

« Isaak. Tu te sens mieux ? »

Entendre sa voix provoqua un million de fourmillements dans mon ventre. L'avoir devant moi me mettait complètement en émoi. J'avais tant souffert de son absence, et avait tant espéré de le voir, que désormais, l'émotion me submergeait. J'avais peur d'halluciner à nouveau, peur qu'il ne reparte définitivement.

« C'est bien toi ? gémis-je, les yeux humides.

Il se rapprocha de moi, et s'assit sur mon lit. Son visage était terriblement pâle, et il portait probablement ses vêtements de la veille. Je le trouvai magnifique pourtant, avec ses cheveux désordonnés, et la tempête qui sévissait dans son regard.

« Bien sûr que c'est moi, me dit-il. Arrête de me poser la question.

— C-Comment ça ?

— Tu me le demandais à chaque fois que tu te réveillais, cette nuit.

— Tu étais là ?

— Évidemment. Je suis juste parti me changer chez moi, puis je suis revenu. D'ailleurs... Il va falloir que je rentre un peu chez moi, ce matin. Je n'ai pas dormi de la nuit. »

Mon souffle s'accéléra brutalement et je sentis la panique me gagner à nouveau.

« Tu ne peux pas partir ! m'exclamai-je.

— Isaak, je vais juste dormir un peu et je reviens.

— N-Non, insistai-je. Je t'en supplie, reste ! Ne pars pas Colin, pitié, reste avec moi.

Les battements de mon cœur m'assourdissaient, et j'étais progressivement gagné par la peur à l'idée qu'il ne parte à nouveau. Mes yeux désormais écarquillés tentaient d'accrocher les siens, et ma main était agrippée à la manche de sa veste.

« Isaak, calme-toi, tu...

— Je suis désolé, le coupai-je, tellement désolé pour tout ! Je te promets de ne plus t'embêter, mais je t'en prie Colin, ne me laisse pas... Je ne le referai plus, s'il-te-plaît reste ! »

Je continuai de bafouiller des excuses incompréhensibles, jusqu'à ce que le brun me saisisse par les épaules et me secoue légèrement.

« Isaak ! »

Son éclat eut le mérite de me couper dans mon élan. Son visage s'était durci, et ses mains posées sur mes épaules tentaient désormais de calmer mes tremblements. Il n'y parvint cependant pas, tout comme je ne parvins pas à apaiser ma panique. Je me mis à alterner entre sanglots et gémissements, et le visage de Colin blêmit.

« Isaak ? Isaak, pardonne-moi, j'ai essayé de venir je t'assure... Arrête de pleurer, parle-moi.

— J'ai mal ! lui criai-je. C'est trop douloureux de t'attendre. J-J'y arrive plus, c'est t-trop difficile et... »

Il ne me laissa pas l'occasion de terminer ma plainte, car ses lèvres furent sur les miennes, coupant court à mes pensées. Il n'avait sans doute cherché qu'à me faire taire, mais ses lippes avaient un goût d'espoir et de promesse, et je fondis bientôt contre lui alors que ses bras m'entouraient.

Je faisais probablement un autre rêve, car jamais Colin ne m'embrasserait de lui-même. Pourtant, la sensation de ses lèvres sur les miennes était la plus belle au monde.

Quand il se recula, j'avais toujours le visage baigné de larmes, et les yeux embués. Pourtant je ne pouvais m'empêcher de sourire, mon corps toujours secoué par des sanglots silencieux. Nous nous regardâmes sans prononcer un mot pendant de longues secondes, puis je me jetai dans ses bras.

Il m'accueillit contre lui et me laissa pleurer tout mon saoul. J'évacuai ma peur, et mon soulagement. Colin me laissa m'épancher contre son épaule. Et lorsque je me calmai enfin, il ne dit rien en sentant mon visage se nicher dans son cou. Nous restâmes longtemps ainsi, immobile.

« Si tu savais comme je m'en veux de ne pas être arrivé à temps » m'avoua-t-il enfin.

Je ne dis rien, laissai mon cœur se reconstruire un peu à cette confession.

« Colin, si tout ça pour toi ça ne veut rien dire, s-si tu ne veux pas t'engager... Alors va-t'en, et arrête. Je ne supporterai pas si tu me donnes à nouveau un faux espoir.

— Je t'ai dit exactement la même chose une fois, et tu m'as répondu que tu ne jouais pas. Moi non plus je ne joue pas, Isaak. »

Mon souffle se bloqua alors que j'assimilai peu à peu sa réponse. Je n'osais pourtant y croire : c'était un moment dont je n'avais même jamais rêvé.

« Tu veux dire que... »

Mon air ahuri eut le mérite de le faire doucement rire. Mon esprit demeurait désespérément vide, refusant de me laisser intégrer entièrement le fait que Colin ne me repoussait pas. C'était tout le contraire, en réalité, et j'espérais sincèrement ne pas me tromper.

« Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? lui demandai-je. 

— Je ne sais pas si tu te souviens de l'état dans lequel tu étais quand je suis arrivé, mais ça m'a brisé le cœur, Isaak. Je ne veux plus que tu te retrouves dans cet état à cause de moi.

— Mais... E-Et Chris ?

— Chris fait partie du passé. Avec du recul, ce n'était qu'une amourette de collège... Je ne peux pas rester pétrifié à cause de lui. »

Je séchai mes larmes, le cœur considérablement allégé. Je n'aurai jamais espéré d'obtenir autant de sincérité de la part de Colin, et il dépassait toutes mes attentes si rapidement, que je me sentais étourdi.

« Attends, attends, attends. Est-ce que ça veut dire qu'on peut sortir ensemble ? »

Colin piqua un fard si soudainement que je restai pétrifié. Il détourna le visage, se racla la gorge. Je m'étais penché en avant, attendant avec impatience sa réponse.

« Tu devrais te reposer. Je passerai plus tard. »

Ses mots me firent l'effet d'une douche froide et je voulus le retenir, mais il se leva si vite que ma main se referma sur le vide.

« Colin ! » l'appelai-je.

Il ne m'écouta pas cependant et quitta la chambre comme une fusée. Tout compte fait, toute cette scène ressemblait à un rêve : un rêve incompréhensible et rocambolesque. Pourtant, je ne parvins pas à m'en attrister, et un léger sourire demeura sur mon visage. Peu importe sa fuite, Colin était parvenu à rehausser mon humeur et mes espoirs. Je me sentais incontestablement mieux, et après m'être rallongé, je gloussai doucement en pensant à notre baiser.

Celui-ci, je n'étais pas près de l'oublier.

*

Après le départ de Colin, je reçus la visite tour à tour de Léanne, Emilio, et Keith. Je mimai la déception en voyant le peu de personnes qui s'inquiétaient pour moi, mais déchanta très rapidement, car aucun de mes visiteurs ne m'épargna un interminable sermon. Léanne en particulier s'appliqua à la tâche, et je dus faire semblant de m'évanouir pour qu'elle n'accepte de me laisser en paix.

Puisque je n'étais ni malade ni blessé, et parce que les frais d'hôpital étaient réglés par Keith, je sortis dans la journée. Mon beau-père me ramena en voiture, et j'en profitais pour consulter mon portable, qui m'avait été confisqué à l'hôpital. Sans surprise, j'avais reçu de nombreux messages de Milo, inquiet, et je m'empressai de lui répondre. Après cela, j'envoyai un message à Colin.

« Pourquoi tu t'es enfui ? » lui envoyai-je.

« Je ne me suis pas enfui. » fut sa réponse.

Je ne pus m'empêcher de sourire et tapai ma réponse.

« À d'autres. On se voit demain en cours. »

Je n'attendis pas sa réponse. Une fois arrivé, je remerciai Keith et me servis un bol de céréales dans le placard, puis partis m'enfermer dans ma chambre. Je poussai un soupir de contentement en la voyant : mon petit cocon m'avait manqué. J'allumai toutes les guirlandes, et m'installai dans mon lit.

Je me trouvai dans un étrange sentiment de paix, qui contrastait avec mon état de la veille, et d'ailleurs de ces derniers jours. Colin avait reconstruit tout l'espoir que j'avais progressivement perdu, renouvelant ma motivation à le conquérir. J'eus le désir de rependre ma quête, précédemment arrêtée par ma déprime chronique. J'avais émis l'idée d'utiliser les mêmes techniques que Colin, et j'étais déterminé à gagner suffisamment sa confiance, pour qu'il daigne écouter ses sentiments.

Je me levai du lit, et m'installai à mon bureau. J'entrepris, dans l'heure qui suivit, de rédiger une petite note entièrement en anagrammes. Plus je pratiquais l'exercice, et plus je me rendais compte qu'il me plaisait : composer des anagrammes demandait une concentration que je n'avais, étrangement, pas de mal à fournir.

Le lendemain, je fus l'un des premiers arrivés au lycée. Je n'avais pas beaucoup dormi, rempli d'anticipation. Bien que Keith eût insisté pour que je prenne un ou deux jours de repos – il ne se remettait toujours pas de mon aventure au pays de la drogue – j'avais obstinément refusé, pressé de revoir Colin.

Pourtant, en me plaçant près du portail, je me surpris à ressentir un mélange d'anticipation et d'inquiétude à l'idée de revoir Colin. Pour moi, et pour lui, je l'espérais, cette soirée catastrophique avait tout changé.

Au fur et à mesure que les autres élèves arrivaient, certains venaient me demander mon état. Visiblement, Milo n'avait pas pu garder sa langue dans sa poche, ou bien les retardataires avaient assisté à mon évacuation d'urgence. J'effaçai toutes leurs inquiétudes d'un sourire lumineux, enchaînant plaisanterie sur plaisanterie à propos de ma faible résistance à l'alcool.

Je ne daignai rentrer dans le bâtiment, que lorsque je vis Léanne et Emilio arriver. Tandis que nous marchions, j'avais croisé mon bras avec celui de Léanne.

« Tu m'as l'air d'aller beaucoup mieux, me fit-elle remarquer.

— Je ne vois pas pourquoi tu dis ça », lui répondis-je en gloussant.

Elle haussa un sourcil en souriant, et je ne pus m'empêcher de sourire à nouveau.

« Il t'est arrivé quelque chose en particulier ? me demanda Emilio.

— On peut dire ça, oui... Plus important, vous avez vu Colin ?

— Pas depuis hier », me répondit Léanne.

Puisque je n'avais pas de cours avec lui pendant les deux premières heures, il me fallut attendre la pause pour pouvoir partir à la recherche de Colin. J'eus la présence d'esprit de regarder d'abord au banc Einstein, où il aimait s'installer, et il me fallut contenir ma joie de l'y trouver. Colin était allongé sur le banc, un livre ouvert posé sur son visage, et il semblait dormir.

Je fis de mon mieux pour jubiler en silence et m'approchai avec précaution. Je m'accroupis à ses côtés et l'observai. Son visage n'était pas visible, mais son torse qui se soulevait au rythme de sa respiration était hypnotique, et sa main posée sur son ventre me donnait envie de la prendre dans la mienne.

« Qu'est-ce que tu veux ? » me demanda-t-il soudainement, et je sursautai.

Pris sur le fait, je me redressai en m'écartant, le rouge aux joues. Colin referma son livre et se redressa. Son regard sur moi parut me sonder, et je me frottai le bras, légèrement embarrassé.

« Qu-Qu'est-ce que tu fais là ? le questionnai-je.

— Je préfère passer mes pauses au calme. Les bâtiments sont trop bruyants.

— Tu aurais pu me le dire, lui reprochai-je.

— Tu n'as pas eu de mal à me trouver seul.

— Tu veux dire que tu as fait exprès de venir ici ?

— Absolument pas. »

Sa réponse fut immédiate, mais la gêne lisible sur son visage me prouva que c'était tout le contraire. Un sourire mutin impossible à effacer sur mon visage, je m'assis à ses côtés, et m'amusai à frôler son épaule de la mienne.

« J'ai quelque chose pour toi », l'informai-je.

Il m'observa fouiller dans mon sac. J'en sortis le carré de papier sur lequel j'avais écrit mon anagramme de la vieille, et le lui offris.

« Ne le lis pas quand je suis avec toi », lui demandai-je rapidement, en le voyant le déplier.

Il accepta, et la sonnerie de reprise des cours m'empêcha de lui parler plus longtemps. Contre son gré, je l'accompagnai jusqu'à sa classe. Je pris le risque d'embrasser sa joue avant de le quitter, m'écartai à temps pour éviter un coup, et m'éloignai en riant.

Je ne retrouvai Colin qu'à midi. Il avait eu la décence de me prévenir qu'il ne mangerait pas à la cafétéria, me permettant d'acheter un sandwich. Je rejoignis Colin sur le carré de gazon où nous mangions, parfois. Il était déjà là, installé sur sa veste, sans doute pour ne pas salir son pantalon. Je trouvai la précaution très amusante, et m'assis à ses côtés.

« Tu l'as lu ? demandai-je immédiatement. Qu'est-ce que tu en penses ?

— Tu t'en es bien sorti, pour un débutant. Je t'ai surligné tes erreurs...

— Colin, l'interrompis-je, les sourcils froncés.

— Quoi ?

— Ne fais pas l'aveugle. Cette anagramme était une question, et j'aimerais que tu y répondes. »

Il resta silencieux quelques secondes, et voyant qu'il cherchait un moyen de fuir, je me rapprochai progressivement de lui. Il recula à mesure que je m'avançai, et termina le dos au sol. J'en profitai pour l'emprisonner en le surplombant, chacune de mes mains posées d'un côté de son visage.

« Si tu as la mémoire courte, je peux te la poser à nouveau.

— P-Pas besoin de...

— Est-ce que tu veux sortir avec moi ?

— Non. »

Il détourna le regard et rougit furieusement. Je restai muet au début, surpris par sa réponse si rapide. Et puis je me penchai, pour croiser son regard malgré qu'il l'évitât.

Et alors je sus, je sus que ce « non » n'en était pas un. J'en étais absolument certain. Ce n'était plus une fuite muée par la peur et le déni. C'était autre chose, quelque chose de plus intime, quelque chose d'indéfinissable... Colin baissa son visage, et je me rapprochai, jouant de sa gêne évidente. Je le fixai en silence pendant un long, très long moment, durant lequel je vis ses expressions changer, et pu presque voir les rouages de son cerveau tourner.

Lorsque je décidai enfin de cesser ma torture, je me reculai en souriant et le libérai.

« Très bien. Comme tu veux. »

Il se redressa, les yeux ronds. Il devait probablement être surpris que je n'insiste pas plus, mais je n'avais pas de raison de le faire : j'étais intimement persuadé qu'il finirait par accepter. Ce n'était plus qu'une question de temps, et je l'aurai irrémédiablement à l'usure.

Si nécessaire, je lui ferai mille déclarations, jusqu'à ce que l'un d'elle touche son cœur.

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