#19 Le début de la fin


La première étape de mon plan était simple : j'allais observer, plus particulièrement observer ses réactions lorsque je le provoquais. Léanne m'avait dit qu'il ne semblait pas m'en vouloir, notre relation devait donc demeurer inchangée. S'il ne m'ignorait pas, la situation était grandement simplifiée pour moi !

Ainsi, je revins le lendemain en cours avec une confiance qui devait paraître comique puisqu'on me fit plusieurs fois la remarque que je gonflais le torse bien plus que nécessaire. En retrouvant Colin ce matin, mon cœur s'allégea presque immédiatement, pourtant une partie de moi demeura inquiète. Le trouble qui s'était installé en moi depuis l'infirmerie ne semblait pas vouloir partir, malgré tous mes efforts.

C'était comme si mon cœur tentait d'assimiler un corps étranger, ce sentiment d'amour que je n'avais jamais ressenti avant, ou du moins pas avec cette intensité. Et l'assimilation forcée rendait le tout terriblement douloureux.

Heureusement, Léanne avait accepté de m'aider. Aussi, au moment où je me sentis flancher, elle se chargea d'appeler Colin pour qu'il me rejoigne devant le lycée. Après être descendu du bus, il nous remarqua et se rapprocha tranquillement, le visage si impassible que je ressentis une colère sourde, accompagné d'un désir furieux de déformer cette impassibilité.

« Salut Colin ! » l'accueillit Léanne avec énergie. 

Il inclina la tête dans sa direction sans répondre, comme s'il lui suffisait seulement de considérer sa présence, et après ça se tourna immédiatement vers moi.

« Tu n'étais pas là hier, fit-il remarquer. Tu étais malade ?

— Euh, je... bafouillai-je, embêté. Oui, je me sentais mal, j'ai préféré dormir. Désolé je ne t'ai pas prévenu que tu mangerais seul. Ça a dû te manquer !

— Pas vraiment. »

Sur ces mots encourageants il nous dépassa et entra dans le bâtiment où nous avions cours. Je restai muet un instant, puis grognai, emboîtant le pas à Colin sous le rire bruyant de Léanne. J'entrai dans la salle de classe et pris place d'autorité à côté de celui qui me fascinait tant. J'accusai en silence son regard réprobateur et continuais de sourire doucement, lui jetant de temps en temps un regard en coin.

Le cours commença sans encombre et je me tins sage, si étrangement silencieux que Colin ne put s'empêcher de m'observer quelques fois, sans doute surpris. Je prétendis ne rien voir, retenant mon sourire de s'agrandir.

À un moment donné cependant je ne pus résister, et en remarquant que sa main droite était posée sur son genou, je la pris dans la mienne le plus doucement possible, effleurai son pouce du mien. Il ne tarda pas à tourner son visage vers moi, incrédule, et je lui souris doucement. Je priai silencieusement pour qu'il ne retire pas sa main, et il sembla hésiter, sans pour autant oser bouger.

« Isaak, concentrez-vous sur votre cours, pas sur votre voisin. »

La voix du professeur nous surprit et Colin retira précipitamment sa main pour se reconcentrer sur le cours, les joues doucement rougies. Je murmurai une insulte et me détournai, terriblement déçu. Tout allait si bien !

La journée se répéta de la même manière. Je multipliai les moments de rapprochements, profitai de la pétrification de Colin chaque fois. J'ignorais pourquoi il réagissait comme cela, mais ça contribuait à me donner de l'espoir, me provoquait mille joies vertigineuses.

Jamais il ne me demanda d'arrêter, jamais je ne lui parlai plus intimement. Nous étions toujours comme ça : nous préférions vivre, demeurer incompris, plutôt que de mettre des mots sur mes agissements et ses réactions. C'était la source de beaucoup d'incompréhensions, de quiproquos, mais ça ne changerait certainement jamais.

En résumé, cette situation durerait jusqu'à ce que Colin craque.

En fin de journée nous rejoignîmes Emilio devant le lycée, et je fus surpris de constater la présence de Léanne. Elle attendit que j'arrive pour s'approcher, accorda un regard gêné à Emilio, puis croisa son bras avec le mien.

« Dites-moi les garçons, ça vous dérange si je participe à votre petit cours du soir ? Je n'ai pas envie de rentrer chez moi...

— Pourquoi ? demandai-je immédiatement.

— Je me suis encore disputée avec ma mère ce matin. Je voudrais rentrer le plus tard possible.

— Moi je m'en fiche, déclarai-je, Colin ça te dérange pas ?

— Pas vraiment, non. »

Emilio resta silencieux et je lui lançai discrètement un regard sceptique. Il haussa les épaules, l'air de dire « Je m'en fous », et nous emboîta le pas.

Sa morosité habituelle commençait à sérieusement m'agacer.

Nous prîmes le bus afin d'aller chez Colin, et cette fois sa mère nous accueillit avec une gaieté qui me mit du baume au cœur. Je résistai à l'envie de discuter avec elle et suivis Colin dans sa chambre. Nous nous installâmes à nos places habituelles, autour de la petite table basse qu'il avait disposée pour faire cours.

Je remarquai avec plaisir la présence du livre que j'avais offert à Colin sur les constellations, posé sur le lit.

Au bout de seulement une demi-heure de cours, Emilio se leva. Il nous expliqua que sa petite amie l'attendait, suscitant une incrédulité générale, enfin du moins la mienne. Colin ne leva même pas les yeux de l'exercice qu'il lisait, et Léanne resta soigneusement silencieuse, prétendant l'indifférence. Colin balaya les excuses de mon ami d'un geste de la main et Emilio s'éclipsa de la chambre, libérant la pièce de sa présence imposante. Chaque jour qui passait, je m'apitoyais sur notre différence de taille. Une fois Emilio parti, je me tournai vers les deux autres. À mon regard, Colin devina certainement que j'avais renoncé à travailler, parce que je le vis jurer à mi-voix et se redresser.

« Vous saviez qu'il a une copine ? Quelqu'un l'a vue ? demandai-je.

— Je l'ai vue. Une espèce de cruche qui rit comme une hyène. Il doit certainement apprécier son bonnet D. »

Léanne et moi nous tournâmes comme un seul homme vers Colin. Plus encore que la description qu'il nous avait fait de la mystérieuse copine, c'était le fait qu'il y ait porté de l'intérêt qui me sidéra. Je plissai les yeux, pointai mon index vers lui.

« Depuis quand tu t'intéresses à ceux qui sont hors de cette chambre ? » lui demandai-je, méfiant. 

Il haussa les épaules avec négligence.

« Je sais pas, tu m'as dit de m'intéresser à nos amis... Je pensais qu'Emilio était un ami, du moins le tiens. Même si je ne vois vraiment pas pourquoi. »

Je lui souris, attendrit, et me penchai au-dessus de la table pour lui tapoter gentiment la tête. Il était d'une honnêteté parfois si touchante, comme un enfant... J'avais envie de le prendre dans mes bras.

« Retiens-toi ou tu vas te manger une main dans la figure »

« Pas étonnant qu'elle soit une cruche, compte tenu de ses fréquentations, lâcha Léanne, et je ricanai, parce que je savais très bien que cela me visait. 

— Je ne vois vraiment pas le rapport, s'étonna Colin. fréquentation n'a aucune incidence sur l'intelligence, c'est complètement stupide de penser que...

— Colin, Colin ! Elle plaisantait, pas la peine de la prendre au sérieux, m'empressai-je de lui expliquer.

— De toute façon, on s'en fiche de cette fille, renchérit Léanne sans doute pour changer de sujet.

— Je ne crois pas non... on dirait plutôt que tu... »

La réponse de Colin s'évanouit progressivement à mesure qu'il remarqua mes signes derrière Léanne pour lui signifier de se taire. J'aimais Colin d'un amour infini... Mais bon dieu, parfois il pouvait se montrer tellement bête. Le fait que Léanne avait encore des sentiments pour Emilio était évident, du moins pour moi, tout comme le fait qu'elle cherchât à le cacher. Même si je trouvais ça très étrange, il était évident qu'elle n'apprécierait pas la nouvelle petite-amie...

« Bon. On reprend ? »

Je souris, pas étonné pour un sou de voir Colin s'impatienter. Nous retournâmes travailler, Léanne près de nous plongée dans un livre. Au fur et à mesure que le temps avançait, je me retrouvais à me rapprocher de Colin, profitant d'une proximité justifiée par ce qu'on faisait. Sans même qu'il ne s'en rende compte j'avais terminé juste à côté de lui, et lorsqu'il se plongea dans la correction de mon exercice, je profitai de sa concentration pour déposer ma tête contre son épaule.

« Va-t-en, murmura-t-il finalement.

— Pas envie », répliquai-je.

Il n'insista pas et je souris, fermant mes paupières. Finalement nous abandonnâmes à nouveau le cours et je me laissai aller contre Colin, profitant du contact de son corps, de sa chaleur, son odeur si agréable. Ma paix intérieure se retrouva cependant brisée quand Léanne ferma bruyamment son livre et se leva, récupérant ses affaires.

« Je m'en vais, j'aime pas tenir la chandelle », indiqua-t-elle simplement.

Nous la regardâmes tout deux quitter la pièce et lorsque la porte claqua je me redressai tout doucement, appréhendant la réaction de Colin. Il ne prononça pas un mot, se contenta de se décaler et me regarder.

« Je peux t'embrasser ? demandai-je presque avec timidité.

— Non. »

La réponse avait le mérite d'être claire.

« Pourquoi ?

— Comment ça, « pourquoi » ?

— Tu n'as pas envie de m'embrasser ?

— Ce n'est pas la question, Isaak. »

Moi, je trouvais que c'était exactement la question. Je savais déjà que Colin ne détestait pas lorsque je l'embrassais, j'en avais pour preuve ses réactions physiques. Non, le problème se trouvait autre part, dans son esprit ordonné, je sentais que quelque chose ne tournait pas rond. Son refus ne pouvait être qu'une manière de prendre de la distance avec la situation, pour résoudre ce qu'il devait voir comme un problème.

Sauf que je ne voulais pas qu'il le résolve, ce problème. Parce qu'il me permettait de passer ses défenses, de voir une facette du brun qu'il cachait au monde entier. À l'image de cette fois dans les toilettes du lycée, lorsque j'avais enlacé un adolescent en pleurs, terriblement fragile.

Je savais d'ores et déjà que pour atteindre mon objectif, je devais percer les défenses de Colin. Et pour ça, rien de mieux que d'y aller comme un bourrin.

« Colin, repris-je, tu te souviens de ce que je t'ai dit dans l'infirmerie ?

— ... Non.

— Ah ! Tu vois que ça t'arrive de mentir, m'exclamai-je, victorieux. Je suis persuadé que ton cerveau si incroyable s'en rappelle. »

Colin fit la moue, sans doute vexé d'être pris sur le fait. Mon sourire moqueur s'adoucit pour éviter de l'énerver, et ma main se leva jusqu'à ses cheveux, la pulpe de mes doigts effleurant ses mèches bouclées.

« Tout ce que je t'ai dit je le pensais, repris-je. Et j'ai envie qu'on en parle. Que quelque chose se passe. Explique-moi Colin, explique-moi pourquoi tu me rejette sans me fuir, pourquoi Léanne me dit que tu me cherches quand je suis pas là... Tu dis que je joue avec toi, mais j'ai le sentiment que c'est tout l'inverse.

— Je ne te crois pas.

— Tu ne me crois pas, ou tu ne veux pas me croire ? »

Son obstination me blessait, bien plus que je ne l'aurai voulu. Ma main retomba avec mollesse, s'échoua sur mes genoux. J'avais beau avoir conscience que Colin niait pour se protéger, son obstination à refuser ce que je lui disais me désespérait. Je me retrouvais impuissant, relégué au rang d'un vil menteur alors que je n'avais certainement jamais été aussi honnête de toute ma vie.

« Colin, s'il-te-plaît... »

Je tendis ma main à nouveau, mais il s'écarta, évitant soigneusement mon regard. Mon cœur se serra un peu plus et je mordillai ma lèvre inférieure, les yeux au bord des larmes. C'était la première fois qu'un rejet m'attristait autant.

« Qu'est-ce que je dois faire pour que tu me croies ? demandai-je finalement, la voix cassée. Tu ne crois ni ce que je dis, ni ce que je fais Colin ! Pourquoi ? Pourquoi tu refuses de comprendre que je t'aime, putain ? Arrête de fuir et parle-moi une bonne fois pour toutes, c'est insupportable ! »

Je ne devrais pas m'emporter, je le savais, et je m'attendais à ce que Colin me frappe, ou s'en aille. Il n'était bon qu'à ça de toute façon. Il ne se confrontait à rien, ne faisait que s'enfuir ou nier. Une colère sourde s'insinua petit à petit et mon visage se déforma alors que des larmes coulaient désormais sur mes joues.

Je me jetai sur lui, attrapai ses poignets pour le plaquer au sol. Il ne cria même pas, se contenta de me lancer un regard effrayé, et j'eus l'impression de devenir un monstre à ses yeux.

« Alors que tout ce que je veux, c'est le chérir. »

« Colin, putain ! Parle ! Parle-moi ! »

J'avais le sentiment de devenir le spectateur impuissant de ma colère tandis que je serrais les poignets de Colin dans mes mains. Je m'en voulais de lui faire du mal, mais plus encore je lui en voulais de garder le silence. Je ne remarquai même pas que désormais, Colin pleurait à chaudes larmes. Ce n'est que lorsque je l'entendis hoqueter un prénom que je me figeai.

Ce prénom, ce n'était pas le mien.

« Arrête... Chris, arr-arrête... »

Je me redressai sur les genoux, le regard fixé sur le vide.

« Qui est Chris ? » demandai-je d'une voix blanche. Colin sembla se reprendre car il ouvrit les yeux et toute la détresse du monde put se lire sur son visage. Immédiatement, il cessa de pleurer.

— C-C'est... euh...

— Qui est Chris, Colin ? Ce n'est pas moi. Pourquoi tu penses à lui ? »

Mon désarroi devait me rendre faible parce qu'il se défit sans mal de mon étreinte et s'éloigna de moi. Nous nous tenions tout deux assis, silencieux, dans un état d'hébétement mutuel. Finalement, j'entendis sa voix briser le calme lourd de la chambre :

« Chris, c'est un garçon que j'ai connu au collège. »

Je me rappelai alors ses pleurs dans les toilettes, le fait qu'il avait évoqué quelque chose qui était advenu au collège. Avait-ce un lien avec ce Chris ? Que lui avait-il fait ? À une certaine pensée, mon sang se glaça dans mes veines.

« Il... J'étais amoureux de lui. C'était la première fois que je m'intéressais à autre chose qu'à mes études. Je ne sais pas comment il l'a appris, mais en tout cas... ça ne lui a pas plu. Il m'a tabassé, toute la classe à finit par l'imiter. J'ai dû changer de collège parce que je n'osais même plus me rendre en cours. »

Je l'écoutais en silence, toute ma colère soudainement retombée.

« Isaak, je... Je suis désolé si je t'ai blessé. Mais je me suis juré de ne jamais recommencer... Je n'ai jamais rien obtenu de bon dans l'amour.

— C'est complètement stupide, répondis-je. Colin, tu ne peux pas passer ta vie à fuir à cause d'un connard. Tu le sais, que je ne suis pas comme lui, non ? En tout cas, pas avec toi. T'as pas le droit de me rejeter pour ça, c'est injuste. » 

Sur ces mots je me relevai en silence sous ses yeux toujours baignés de larmes. Je récupérai mes affaires, le regard grave, et au moment de quitter la chambre, je me tournai vers lui.

« J'ai décidé d'être honnête envers moi-même, alors je ne m'arrêterai pas tant que tu continueras à te comporter comme un con. »

Sans attendre de réponse je m'en allai, remerciai Lisa de m'avoir accueilli, et quittai la maison. Au lieu de prendre un bus, je décidai de marcher, la fraîcheur de la soirée ne m'atteignant pas. Je ne songeai à rien, et à tout à la fois. À Colin, son histoire, Chris, ma tristesse, mon impuissance.

J'avais envie de frapper Chris. De frapper Colin. Et de me frapper moi-même.

« Isaak, tu es rentré ? »

Je ne répondis pas à Keith, rejoignit ma chambre en silence. Mon corps se laissa tomber lourdement sur mon lit, qui était désormais mon confident le plus intime, et j'y déversai les dernières larmes qui n'avaient pas encore coulées.

« T'es vraiment cruel, Colin », murmurai-je en fixant mon plafond. J'allumai les guirlandes de ma chambre, me réfugiant dans les myriades d'étoiles qui parcouraient mes murs. 

Pour la première fois, j'étais celui qui avait fui. Cependant, j'avais le sentiment d'avoir obtenu quelque chose de Colin aujourd'hui : j'avais obtenu des explications, quelque chose qui expliquait son comportement. En cela, j'étais heureux. Parce que désormais mon ennemi avait un nom, le déni de Colin avait un sens.

Tout était éclairé d'une lumière nouvelle, quelque chose de terriblement rassurant pour moi malgré la tristesse qui enserrait toujours mon cœur.

Désormais, seul sa peur me séparait de Colin. 

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Helloooo tout le monde ! Comme d'habitude, j'espère que vous avez aimé ce chapitre, même s'il est un peu lourd en émotions, mais il en faut de toute façon haha ~ 

Je vous fait de gros bisous ~~

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