#17 Crise de larmes, crise veinarde
En arrivant le lendemain au lycée, la majorité de ma motivation avait disparue. J'avais eu la nuit entière pour me rendre compte de mon erreur, de ma stupidité. Ce n'étaient pas cinq ans de volley-ball qui allaient m'aider à vaincre Mike, surtout que je n'avais pas pratiqué depuis des années.
Qui étais-je pour défier Mike comme ça ? Le gars était bâti comme un bulldozer, je ne rivalisais que par la taille !
« Tu veux venger Colin. C'est pour ça que tu le fais. »
Sauf que Colin ne voudrait peut-être pas être vengé. J'étais celui qui avait eu cette idée, qui avait décidé pour lui. Et si ça le gênait d'être vengé par un autre ? Je ne cherchais pas à le ridiculiser...
Arrivé à la pause de midi, j'envisageai même d'aller m'excuser auprès de Mike. Ce qui était complètement con. Mais j'avais beau m'engueuler mentalement, rien n'y faisait. Pourquoi fallait-il que je me mette à réfléchir maintenant ? En temps normal, j'y serais simplement allé, sans me poser de questions.
Je pourrais fuir. Rentrer chez moi. Mais Mike me chercherait certainement les jours suivants, il n'était pas du genre à se contenter d'un forfait.
« Allez Isaak, fais pas ton couillon. »
Je réalisai que j'avais pensé à voix haute quand Colin me jeta un regard ennuyé.
« Désolé, m'excusai-je, j'aime bien parler tout seul.
— Si tu le dis.
— D'ailleurs, je mange pas avec toi ce midi. Mon père, euh... Il a oublié un truc ce matin. Je lui ramène à midi. Je mangerai en chemin, dans le bus. »
Je ne sus pas si Colin crut à ce mensonge minable, mais en tout cas il ne fit pas de commentaire. Midi sonna et je m'éclipsai rapidement. Je ne voulais pas que Colin me suive, même si ce serait complètement stupide de le faire étant donné que je lui avais dit que je ne mangerai pas à ses côtés et que, par conséquent...
« Isaak, tu stresses. »
Avant de m'en rendre compte, j'arrivai sur les lieux du rendez-vous. Mes mains tremblaient, j'étais beaucoup plus nerveux que prévu. Puisque je n'avais rien d'autre à faire, je rangeai mes affaires en lieu sûr, puis me mis à tourner en rond.
Quitte à perdre la bataille, je voulais au moins donner un coup à Mike et lui déclarer : « ça, c'est pour Colin. ». C'était très ringard, mais ça en jetait pas mal.
Enfin, Mike arriva, et seul. Je soupirai, soulagé.
« Bon alors, l'âne du lycée est prêt à se prendre une raclée ? Ça t'apprendra à vouloir me voler ma meuf. »
Sur le coup je fronçai les sourcils, ne comprenant pas de quoi il me parlait. Puis je me rappelai le plan de la veille. Et dire qu'il avait gobé ce que lui avait dit l'âne !
« En fait, c'étaient des conneries, lui avouai-je. Je veux pas me battre pour Mary, les gens aussi cons que moi ne m'intéressent pas. Par contre, je veux venger Colin. »
Je ne savais pas vraiment ce qui m'avait pris. Peut-être que j'avais un fond suicidaire ? En tout cas, c'eût l'effet escompté, et Mike fut sur moi la seconde suivante.
Je vous passerai les détails. Tout ce qu'il fallait savoir, c'était que j'avais réussi à placer ma réplique, mais que je m'étais bien fait casser la gueule.
Enfin, ma vengeance était accomplie. C'était le principal.
Malheureusement, j'avais désormais mal partout, je pissais le sang, et la vidéo de mon humiliation était sans doute déjà envoyée à tous les téléphones de ce lycée. Je souris malgré tout, étalé sur le pavé, les yeux tournés vers le ciel. Après ce qui me sembla être une éternité, j'entendis une voix.
« Isaak ? Oh putain, Isaak ! »
Je n'aurais jamais cru être aussi heureux d'entendre la voix de Léanne. Je gloussai, et l'entendis s'accroupir à côté de moi. J'ouvris mon œil au beurre noir pour la regarder.
« Saluuut Léanne, croassai-je, mes lèvres éclatées me faisant grimacer de douleur.
— On entend parler dans tout le lycée d'un gars qui s'est fait refaire le portrait, mais je n'aurais jamais cru que c'était toi !
— Je suis le seul abruti qui provoque Mike pour de la merde... Allez, maintenant aide-moi à aller à l'infirmerie, j'ai l'impression que ce connard a même défoncé mes bijoux de famille. »
Léanne poussa un gémissement entre le dégoût et la pitié, et m'aida enfin à me relever. En bonne amie, elle récupéra même mes affaires, et m'aida à rejoindre l'infirmerie. Après une rapide discussion avec Mrs Stevens, je m'affalai enfin dans un lit, le corps couvert de pansements et d'hématomes.
« N'en parle pas à Colin », demandai-je à Léanne.
Elle me sourit, tapota mon épaule.
« Très bien. Bon je vais te laisser méditer sur ta connerie. »
Léanne partie, je tournai mon regard vers le plafond, pensif. Et j'attendis. J'attendis que Colin arrive. Ce qui serait stupide : pourquoi viendrait-il ?
Je ne me rendis compte que je m'étais endormi qu'une fois réveillé. Mes yeux s'ouvrirent sur un plafond blanc et je fronçai les sourcils, prenant quelques secondes avant de me souvenir de ce que je faisais ici. Mon visage était complètement endolori, mon œil certainement gonflé, et j'avais le corps couvert d'une couverture et coincé sous une masse qui m'empêchait de lever la jambe.
Une fois que je fus certain qu'il y avait bien quelque chose sur moi je me redressai sur les coudes en bâillant, prêt à virer ce poids dérangeant. Et je m'étais attendu à tout : une pile de couvertures épaisses, mon sac de cours, un chat pelotonné contre mes jambes... mais certainement pas à ça.
Colin. Endormi. À demi allongé sur moi.
Je restai interdit pendant de longues minutes, d'abord parce que je n'arrivais pas à y croire, et ensuite parce qu'il était impensable que je brise ce moment merveilleux. Colin était endormi contre moi, son visage plus paisible que jamais, et je me sentis pris d'un élan de tendresse si fort que j'en eu les larmes aux yeux.
On dit que l'amour est soudain, capricieux inattendu. En 17 ans d'existence, je n'avais jamais aimé personne. Qu'est-ce que l'amour ? Si c'était ce que je ressentais pour Colin, alors j'étais fou amoureux.
J'aurais voulu prolonger ce moment pour un temps infini, mais la vie avec Colin n'était qu'une succession de petits bonheurs écourtés. J'avais eu beau ne pas bouger et retenir mon souffle, mon ami commença bientôt à remuer au-dessus de mes jambes.
Je fermai les yeux et comptai en silence.
Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix...
« Merde. »
Moment brisé.
« Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je, l'air de rien.
— Je me suis endormi, pardon. »
Je ne répondis rien et l'observai avec peut-être trop d'insistance, car il se mit à remuer sur sa chaise, en évitant soigneusement mon regard. Je croisai les bras sur mon torse, m'installai en position assise. Finalement j'osai demander ce qui me chiffonnait depuis le début :
« Qu'est-ce que tu fais là ? »
Il tressaillit, fit semblant de regarder autour de lui. J'étais presque déçu par sa méthode pour cacher sa gêne... je l'avais connu plus subtil.
« J'ai vu la vidéo. »
Je soupirai, soulagé. Ainsi, Léanne ne m'avait pas trahi... Je devais penser à la remercier plus tard.
« Ça ne me dit pas ce que tu fais là », insistai-je.
J'ignorais ce que je recherchais, en le poussant à bout, mais ça ne m'empêchait pas de le faire.
« Je voulais savoir pourquoi tu t'étais battu. »
Devais-je lui avouer ? Je craignais sa réaction, cependant je craignais aussi les regrets. Est-ce que je ne lui devais pas une certaine franchise ?
« J'avais envie de me taper Mary, grommelai-je en fuyant son regard.
— Isaak. »
Je déglutis. Bien sûr qu'il n'y croirait pas, moi-même je trouvais maintenant cette excuse vraiment pourrie. Je faillis ricaner en pensant que Mike devait vraiment avoir un petit-pois à la place de la cervelle, pour y avoir cru.
« T'as raison Sherlock. Je voulais pas me taper Mary. »
Je n'osais pas le regarder, mais je l'entendis soupirer, avec lourdeur.
« Dis-moi la vérité, Isaak. »
Je fronçai les sourcils, agacé. Pourquoi insistait-il autant ? Ce n'était pas comme si je comptais à ses yeux, j'étais tout au plus un parasite. Je ne voulais pas lui avouer la raison de mon passage à tabac par Mike, j'étais certain qu'il allait m'engueuler.
« Pourquoi je te la dirais ? Tu me dis la vérité, toi ? »
— Je ne mens jamais.
— N'importe quoi !
— Je ne mens jamais », répéta-t-il en serrant les dents.
Je me sentis mal, parce que j'avais parfaitement conscience qu'il avait raison. Je n'étais pas furieux parce qu'il me mentait, mais parce qu'il ne me disait rien. Je tombai en arrière en grognant, portant une main à mon front. Merde, ça allait me donner mal au crâne cette histoire...
« Très bien, murmurai-je, abandonnant la partie. Je me suis battu avec Mike pour te venger de ce qu'il t'a fait... À cause d'hier, et des toilettes aussi. »
Il ne dit rien pendant un moment, et je craignis sa réaction. Je sentis son regard parcourir mon corps, certainement s'arrêter sur mes hématomes apparents, mes lèvres blessées, ou mon œil gonflé.
« T'es vraiment qu'un crétin... »
Je me redressai brusquement, ne m'attendant certainement pas à ça. Enfin, je devrais être habitué, Colin m'insultait approximativement une fois par jours. Mais il ne le faisait pas comme ça. Pas avec cette voix...
« Colin ça va ? m'inquiétai-je, les sourcils froncés.
— Tu fais toujours ça... et je me fais tout le temps avoir... »
Il s'était recroquevillé, le visage blotti entre ses bras croisés sur le lit. Je me penchai, effrayé. Est-ce qu'il pleurait ? Je ne voulais pas le faire pleurer...
« Colin, hey, murmurai-je avec le plus de tendresse possible. Tu ne te sens pas bien ? Tu es fatigué ? Parle-moi...
— C'est toi le problème ! » me hurla-t-il finalement.
Je reculai la main que j'avais approchée de lui, blessé.
« Et je peux savoir pourquoi ? demandai-je, la voix un peu plus dure que je l'aurais voulu.
— Tu passes ton temps à te foutre de ma gueule ! Un jour tu es trop gentil, l'autre jour t'es un vrai connard. Vous me prenez tous pour une sorte d'androïde sans âme, mais je suis aussi humain que vous ! J'ai des émotions... Des sentiments...
— C-Colin, je...
— Tais-toi ! Pour une fois dans ta vie Isaak, ferme ta gueule ! »
Note à moi-même du futur : ne venge pas Colin. C'était le plus gros ingrat que tu n'aies jamais rencontré.
La main que j'avais tendue vers lui dans une tentative d'apaisement retourna se serrer contre mon torse et je serrai les dents. J'étais bien plus blessé par ce qu'il disait que je n'aurai dû, je le savais... La mère de Colin m'avait expliqué qu'à force de tout rationaliser, il arrivait à Colin de faire des crises... Elle appelait ça affectueusement des « crises du cœur ». De toute évidence depuis le moment où je l'avais ramené chez lui, celle-ci avait continué.
Colin persistait à dire que j'étais un sujet d'étude passionnant, mais c'était lui qu'il aurait fallu étudier... J'étais peut-être un abruti, mais je n'étais pas aveugle au point de ne pas remarquer à quel point il était fascinant.
Un silence pesant s'installa entre nous deux, Colin gardant les yeux obstinément baissés, et moi mon regard fixé sur un point invisible. Encore une fois, nous étions dans l'incapacité de nous accorder, mais désormais j'avais l'habitude. Colin et moi, nous étions comme deux faces d'une même pièce : peu importe à quel point nous voulions nous rencontrer, c'était impossible. Et lorsque l'on essayait, voilà le résultat.
Nous persistâmes à nous ignorer peut-être pendant plusieurs minutes avant que Colin ne se lève soudainement de son siège, sans doute pour partir. Je serrai mes deux poings sur les draps du lit.
J'avais le sentiment que si nous ne faisions rien, tout se terminerait maintenant. Mais ça ne pouvait pas être la fin, du moins pas pour moi. Colin était devenu la plus douce des drogues à mes yeux, je ne pouvais et ne voulais pas m'en passer.
En mon for intérieur je ris, amère. Mon propre jeu s'était complètement retourné contre moi... C'était la première fois que je devenais accro à la personne que je ciblais, or ç'aurait dû être l'inverse... Malheureusement, j'avais de toute évidence plus besoin de Colin que lui n'avait besoin de moi.
Mon ami contourna le lit et s'apprêtait à quitter la chambre mais je le retins au dernier moment en attrapant son poignet. Il tourna légèrement son visage vers moi, sans pour autant rencontrer mon regard. J'adoucis ma prise sans pour autant le lâcher.
« Je suis désolé, murmurai-je à mi-voix. Ne pars pas Col', s'il-te-plaît. Je... J'ai besoin de toi. »
J'avais appris à mes dépens que mentir à Colin ne faisait qu'aggraver mon cas à chaque fois. Je ne comprenais pas encore complètement pourquoi je sentais que je devais m'excuser, mais cela me semblait être la chose à faire. Je le vis hésiter, se mordiller la lèvre.
Je ne remarquai même pas que je retenais mon souffle, dans l'attente de sa réaction.
« Arrête de me mentir, chouina-t-il presque.
— Je ne mens pas », lui assurai-je.
Petit à petit j'essayais de le rapprocher de moi. J'étais convaincu que tout devait se jouer maintenant. Que ce soit notre présent ou notre futur à tous les deux. Il fallait absolument que je le persuade de ma sincérité, et ce même si je me voilais encore la face moi-même.
J'aurai tout le temps du monde pour une petite auto-introspection, après que je me fus assuré que Colin avait compris mes sentiments.
« S'il-te-plaît Colin, écoute-moi, le suppliai-je.
— Arrête... »
Je continuai pourtant de l'attirer doucement à moi, et quand il fut suffisamment proche, tirai plus fort pour le faire tomber sur le lit. Je savais que son sens de l'équilibre était médiocre, aussi me tomba-t-il facilement dans les bras, et j'enserrai sa taille pour l'empêcher de fuir. Presque aussitôt il se mit à se débattre, mais sa conviction devait être très basse, parce que ses coups étaient tout sauf douloureux.
Maintenant que je l'avais tout contre moi, il n'y avait plus qu'une chose à faire. Je cherchai son regard, pris tendrement son menton entre mes doigts pour l'obliger à me regarder. Ses pupilles vacillèrent et il sembla retenir son souffle.
« Je t'aime. »
Je profitai de ses lèvres entrouvertes pour parcourir les centimètres qui nous séparaient et y sceller les miennes.
Si mes mots ne pouvaient l'atteindre, alors j'espérais que ce baiser prouverait que je ne mentais pas.
Aussi, ce n'eut rien à voir avec les baisers que nous avions échangés. Ce n'était ni un contact volé, ni la satisfaction d'une curiosité. J'essayais de mettre dans ce baiser toute la sincérité dont j'avais privé Colin depuis notre rencontre. Tout ce que je ne lui avais jamais dit, que je n'osais même pas m'avouer.
Je passai doucement ma langue par ses lippes restées figées et vins trouver la sienne. Nos langues se cherchèrent, d'abord timides et hésitantes, puis avec plus d'assurance. Je fermai les yeux et déposai ma main qui tenait son menton sur sa nuque pour approfondir le baiser.
Je sentis avec netteté Colin fondre contre moi, répondre petit à petit à notre baiser. Je dus pourtant y mettre fin avec regret lorsque l'air vint à manquer et reculai doucement. Je baissai la tête, attendant comme un enfant ma punition pour avoir osé l'embrasser à nouveau. Mais Colin ne dit rien.
Il parut hésiter, chercher ses mots, pourtant aucun son ne passa ses lèvres rougies par notre baiser. Toujours silencieux il se leva et je ne l'empêchai pas de partir, cette fois. La porte claqua derrière lui et le silence assourdissant reprit sa place, me laissant sonné et au bord des larmes.
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