#24 Hibernation, révélation

Le lendemain, Colin ne vint pas en cours. Il n'osait probablement pas me regarder en face, ce que je pouvais comprendre. Moi-même, je ne me supportais plus. Si je me sentais toujours aussi mal, je n'en voulais plus à Colin cette fois, mais à moi-même. Je me trouvais pathétique, d'avoir chouiné ainsi. Et pour quoi ?

Colin n'avait pas de comptes à me rendre.

J'étais celui qui lui courrait après, qui le pressait, sans jamais lui demander son avis. Et puis, j'avais toujours de l'espoir : après tout, je ne l'avais pas écouté hier, mais n'avait-il pas dit que j'étais important pour lui ? À défaut d'un amoureux, un meilleur ami... Je pourrai m'en contenter. Pour le moment.

Pour une fois dans ma vie, j'ignorais quoi faire. Il me semblait que mes propres sentiments étaient flous, imprécis, à la fois par leur intensité, et leur fragilité. J'aimais Colin, ça j'en étais certain. Mais c'était bien la seule certitude que je possédais à ce jour. Tout le reste n'était que questionnements, hésitations qui ne me quittaient jamais, et je sentais que si je perdais de vue l'évidence simple de mon amour pour Colin, je me perdrais dans un désarroi terrifiant, qui m'éloignerait de tout.

Colin ne se montra pas de la journée. Dans l'après-midi, l'arrivée de Léanne me soulagea d'un poids énorme, et j'accueillis la jeune fille avec un sourire immense. J'hésitais, cependant, à me confier à elle. Et si elle s'en fichait ? Après tout, rien ne me garantissait qu'elle serait là pour moi...

« Abruti. Elle t'a bien aidé avant, non ? »

Je m'en voulu immédiatement d'être aussi pessimiste. Léanne s'installa à côté de moi, et je me souvins alors d'un détail... Important. Heureux de trouver de quoi me changer les idées, je me tournai vers elle en souriant.

« Dis donc, Léanne... Tu n'as pas quelque chose à me dire ? »

Elle me regarda, surprise.

« De quoi tu parles ? »

J'articulai le mot « Emilio » sans le prononcer, et ses yeux s'éclairèrent lorsqu'elle comprit. Un rire nerveux prit place sur ses lèvres, et je me penchai un peu plus vers elle, impatient. Après tout, elle était partie si vite hier soir, et avec tellement d'assurance...

« Eh bien, quand je suis partie, j'ai appelé Emilio. Je lui ai dit ses quatre vérités, tout ce que je voulais lui dire depuis des années... je t'avoue que c'est parti tout seul. Je n'ai pas vraiment réfléchi.

— Et ? demandai-je.

— Et alors, il n'a rien répondu, et a raccroché. »

Mon visage afficha une surprise que je n'avais absolument pas besoin de feindre, et je poussai un grognement d'incompréhension. Mais qu'est-ce qu'il lui prenait, à ce con ? Il ne pouvait pas faire les choses correctement ?

« Je vais lui dire deux mot, il va voir...

— Pas la peine, il n'est pas là aujourd'hui. Mais ce n'est pas grave, parce que... Notre professeur principal m'a officiellement chargée de lui apporter les cours qu'il aura manqué. »

Je ne pu m'empêcher de rire à cela. Léanne s'arrangeait toujours pour que la situation lui convienne, et ça ne m'étonnait pas d'elle. J'étais heureux de savoir que son plan se déroulait correctement pour l'instant. Et puis, je trouvais amusant que nous soyons tous les deux dans cette situation : déterminés à réaliser notre amour, et nos victimes absentes toutes les deux.

« Bon, dis-moi toi aussi. Tu as pensé à ce que tu feras pour ton anniversaire ? Ça arrive bientôt, tu sais.

— C'est vrai, confirmai-je. Je pense faire comme d'habitude. J'invite deux trois personnes en particulier, et les autres viennent s'ils veulent. En général, je fais juste une fête chez Milo, ce gars est pété de ronds et ses parents ne sont jamais là. »

Léanne fronça les sourcils, perplexe.

« C'est vraiment ce que tu veux faire pour ton anniversaire ? »

J'haussai les épaules. Mon anniversaire ne m'avait jamais réellement importé.

« Je m'en fiche un peu. Une fête, c'est facile à organiser, il faut du monde, de l'alcool, une piscine, et tout roule. Je préfère ça, c'est plus simple. Mais cette année, j'ai des V.I.P ! Colin, Emilio, et toi. Je vous veux tous, vous vous débrouillez. »

Léanne gloussa et accepta, bien que je devinasse que la perspective d'une grande fête l'inquiétait. Elle ne m'avait pas l'air de quelqu'un qui appréciait boire à outrance et se mêler à une foule complètement déchaînée... Mais il était hors de question que je subisse ça tout seul. Sa présence rendrait la chose beaucoup plus supportable. Il en allait de même pour Emilio et... Colin.

Penser à mon anniversaire tout proche me permit de ne pas m'apitoyer trop sur mon sort. Colin revint en cours le lendemain, mais je n'osais pas encore lui parler, et ce fut Léanne qui se dévolu à aller lui adresser la parole. J'appris donc que mon ami s'était absenté à cause de soucis dans sa famille, problèmes qui se poursuivirent dans le temps, car il ne vint que rarement en cours durant les deux semaines suivantes. Les rares fois où il fut là, je n'eus que peu d'occasions de lui parler, car il ne faisait que me fuir. Léanne était la seule à pouvoir l'approcher, cependant cette tête de mule refusait de répondre à ses questions...

Son éloignement contribua largement à la baisse de moral fulgurante qui me terrassa. Je n'allais en cours que pour rassurer mon beau-père, mais n'avais plus le cœur à rien. Léanne m'épaulait comme elle le pouvait, malgré le fait que je m'étais refermé comme une huître. J'étais complètement anéanti par l'absence de Colin dans ma vie.

Même le fait que Léanne parvint à reconquérir Emilio, ne réussit pas à me faire sourire. Progressivement, mon état inquiéta de plus en plus de monde. Après tout, moi qui souriais sans cesse, n'avais plus fait fonctionner mes zygomatiques depuis plus d'une semaine. Cependant, me retrouver assailli de questions n'aida pas vraiment à ma déprime. Résultat des courses : en plus de mon apathie, je devins exécrable.

Un jeudi, j'abandonnai et rentrai chez moi au moment d'arriver au lycée. Keith était déjà parti au boulot, je fus donc libre de m'enfermer dans ma chambre. Dans le but de tromper mon ennui, je feuilletai un livre d'astronomie : Colin avait réussi à m'intriguer, mais je me rendis rapidement compte que je ne lisais pas.

Colin obsédait tant mes pensées, que je me mis à parcourir nos échanges SMS. Et, tandis que je lisais d'un œil morne les messages, l'un d'eux m'interpella. « Étais-je Kamia », c'était ce que Colin m'avait envoyé un jour. A l'époque, je ne m'y étais pas attardé... Mais en le relisant aujourd'hui, il me paraissait évident.

C'était encore l'une de ses anagrammes.

L'espoir pointa le bout de son nez alors que je me levai pour m'asseoir à mon bureau. Colin n'était pas du genre à dire les choses à la légère, et j'étais certain que cette anagramme n'était pas anodine. Mais que voulait-il dire ? Il fallait à tout prix que je le déchiffre, car j'étais certain que ces mots si étranges étaient la clé qui me mènerait à Colin.

J'écumai alors tous les sites internet pouvant m'aider, me mis à lister toutes les possibilités. Ma concentration fut, pour une fois, constante, et je ne m'arrêtai que lorsque mon téléphone sonna. Je décrochai, les yeux rivés sur ma feuille.

« Isaak ? C'est Keith. Ton lycée m'a informé de ton absence... Tout va bien ? »

Entendre la voix de mon beau-père me fit esquisser un sourire.

« Oui, oui... J'ai mal dormi hier, et j'ai préféré rester à la maison. Désolé, je le referai plus.

— Très bien, surtout reposes-toi, alors. Et, Isaak ?

— Oui ?

—Je t'aimes mon grand. »

Je déglutis, et reposai mon regard sur la feuille. Soudain, je me figeai.

« Keith ? Je te rappelle plus tard. »

Je me saisis de mon stylo après avoir raccroché, et griffonnai ce qui me paraissait maintenant comme une évidence. Cela ne pouvait être autre chose, et ne prenait sens que de cette manière. Fébrile, j'inscrivis la réponse, et la contemplai.

« Je t'aime, Isaak. »

Je fus pris d'un vertige énorme, foudroyant, et il me sembla que mon monde se désagrégeait dans son entièreté, pour se reformer autour de cette nouvelle vérité, devenue centre de mon existence. La pensée que Colin avait pu m'avouer cela il y a si longtemps m'attrista et me réjouit en même temps, avec tant d'intensité que j'hésitais entre le rire et les pleurs.

C'eut l'avantage de me sortir définitivement de ma torpeur. Je me levai si brusquement que ma chaise se renversa, et me précipitai dans le salon. J'enfilai chaussures et manteau, puis refermai la porte de l'appartement derrière moi. Dans la rue, je marchai vite, couru presque. Je me résolus à mi-chemin à prendre un bus, et arrivai chez Colin peu de temps après.

Je toquai frénétiquement à sa porte, appelant son nom. Il me sembla qu'un temps interminable s'écoula avant que le loquet ne s'enclenche, et que la porte ne soit ouverte par Lisa Millers. Je baissai la main et me confondis en excuses, pour avoir martelé sa porte comme un dégénéré.

« Ce n'est pas grave, Isaak, me rassura-t-elle avec un sourire.

— Je suis désolé... Colin n'est pas là ?

— Non, il est parti hier avec son père pour visiter des écoles d'ingénierie aérospatiale à Washington. Tu sais qu'il rêve de travailler à la NASA ?

— Oui, je sais... Est-ce que vous savez quand il rentrera ?

— Oh, je pense qu'il sera rentré vendredi. »

Vendredi. C'était le jour de mon anniversaire. Je dissimulai mon soulagement et remerciai Lisa, qui me gratifia comme d'habitude d'une étreinte douce.

Je décidai de rentrer chez moi, et pris une douche immédiatement. L'eau coula abondamment sur mon visage et éloigna les dernières traces de ma mélancolie. Je demeurais longtemps sous la douche, le visage levé. Puis, quand je fus satisfait, j'éteignis l'eau et m'extirpai de la cabine, me postant devant le miroir de la salle de bain. Je m'effrayais presque : mes cernes étaient profonds et sombres, mon regard n'avait plus cette étincelle si caractéristique.

Je m'en voulu immédiatement, pour m'être laissé aller de cette manière. Se mettre dans des états pareils pour une peine de cœur me paraissait tellement ridicule !

« Faut que tu te bouges. » m'ordonnai-je à moi-même.

Gagné par une détermination nouvelle, j'entrepris de raser mon début de barbe, puis partis me rhabiller. Je n'avais pas spécialement envie de retourner en cours, mais je fis l'effort de me préparer. Avant toute chose, je devais des excuses à Léanne. J'étais complètement passé à côté de sa joie, ne m'était pas réjoui avec elle, par pure jalousie : je n'avais pas supporté qu'elle parvienne à sortir avec Tristan, alors qu'il me semblait pédaler dans le vide avec Colin.

Mais désormais, je voulais me rattraper. Il fallait qu'elle me raconte tout dans les moindres détails, car j'étais très surpris qu'elle soit parvenue à faire plier mon ami. A mesure que je m'habillais dans ma chambre, je sentis les regrets m'étreindre, et c'est le cœur lourd que je quittai l'appartement. Ce faisant, je composai le numéro de Léanne et me dirigeai jusqu'à mon arrêt de bus.

La sonnerie retentit longtemps, mais elle ne décrocha pas. Je vérifiai l'heure, et constatai qu'elle était encore en cours. Tant pis, je l'attendrai au lycée. J'y arrivai enfin et courus presque à l'intérieur du bâtiment, jusqu'à la salle où j'aurai normalement dû me trouver. Il me fallut attendre une demi-heure avant que la sonnerie ne résonne et que les élèves se précipitent dans les couloirs, marée humaine informe et bruyante que je ne pus éviter que de justesse, et me collant au mur.

J'aperçus enfin Léanne qui sortait, seule.

« Léanne ! » l'appelai-je.

Elle me repéra et la surprise se peignit sur son visage. Elle me rejoignit, les mains dans les poches, et me toisa de haut en bas.

« Tu es sorti de l'hibernation ?

— Ouais... et je voulais m'excuser. »

Ses yeux s'écarquillèrent, elle tenta en vain de dissimiler son sourire rieur avec sa main.

« Tu t'excuse de plus en plus souvent », expliqua-t-elle, et je fis la moue.

Un malheureux la bouscula, et elle fit mine de lui donner un coup de pieds, marmonnant une insulte. Je ris à mon tour, et observai les derniers élèves qui traversaient les couloirs. Une idée me traversa soudainement l'esprit, comme un lièvre élancé à toute vitesse, et pour ne pas l'oublier, je décidai de la suivre.  Avant que Léanne ne doive partir, je pris sa main et m'élançai en direction de la sortie.

« Qu'est-ce que tu fais ? s'exclama-t-elle.

— On va à la plage !

— Pardon ? »

Je ne lui laissai pas l'occasion de m'échapper. Une fois à l'extérieur je m'arrêtai, le temps de reprendre notre souffle, et Léanne s'effondra au sol dans un soupir.

« Préviens avant de me faire courir un marathon... » me reprocha-t-elle.

Je m'en voulus immédiatement. Les problèmes d'anorexie de Léanne étaient peut-être sur la voie de la guérison, il n'empêchait pas qu'elle était toujours affaiblie par la sous-nutrition. Déjà qu'elle ne semblait pas très sportive d'ordinaire... Avec un sourire d'excuse je me penchai vers elle et lui tendit une main.

« Tu veux grimper sur mon dos, le temps qu'on rejoigne le métro ? »

Elle sourit et se releva avec mon aide, puis acquiesça rapidement. Je la fis grimper avec facilité, et fus rassuré de la sentir plus lourde qu'avant. J'ajustai ma prise sous ses genoux puis me mis en marche. Nous rejoignîmes la station de métro la plus proche, et Léanne accepta de m'acheter un ticket : j'avais oublié de prendre mes affaires, et ne possédais que mon téléphone. En quelques minutes nous fûmes assis dans un wagon en direction de Coney Island. Je n'avais ni organisation, ni serviette, ni maillot de bain... Non, j'étais uniquement armé de ma détermination, et mon impulsivité. Parfois, il fallait se laisser surprendre.

En posant mon regard sur l'extérieur qui défilait derrière la vitre, je me surpris à souhaiter que ce voyage soit le premier d'une série d'aventures que, pour la première fois, je voulais vivre à quatre. 


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top