Un pas dans ma direction. Des aiguilles régulières ricochant contre le verre du cadre. Un sourcil haussé. Un regard inquisiteur. Un souffle rapide. Court. Un cœur comprimé. Le mien.

─ Avec moi ?

Ma salive glisse le long de mon œsophage ; mon air la suit dans ma trachée. Un clignement de yeux. Deux clignements de yeux. Trois, puis quatre. Mais rien qu'une seconde envolée. Le temps s'étend. Le temps paraît long.

Elle jette un regard par-dessus son épaule puis encre une fois de plus ses yeux dans les miens.

─ Je termine dans trois heures et demie.

Puis ses pas s'enchaînent dans la direction opposée. Ses hanches basculent, à droite, à gauche ; mes yeux les suivent. Et, prenant soudainement conscience de ses mots, de sa proposition implicite, un sourire vient déformer mes lèvres.

─ T'es la plus forte, Beverly, chuchoté-je à mon égard.

Un dernier trait sur le papier froissé de mon muffin, et je relève la tête. Ma jambe rencontre le sol au rythme des secondes qui font écho dans le magasin, grâce à l'énorme pendule. Mes yeux s'y accrochent : déjà trois heures écoulées. Rien qu'une petite demie heure me sépare d'un tête à tête avec ma dulcinée. La chance me sourit.

Un léger bruit de sonnette retentit dans l'enseigne, alors qu'un énième sourire aux lèvres je me hâte de savoir qui vient de passer le pas de la porte. Mon sourire se fend presqu'instantanément. Il est là. Lui. Cet être que je hais du plus profond de mon âme, de qui la vie me provoque le plus grand désarroi. Il avance, souriant. Son maigre corps s'approche d'elle. Il lui vole un baiser. Tout mon corps se met à trembler. Mes mains forment des poings.

Je veux l'étriper, sentir son pouls s'affaiblir au creux de mes doigts jusqu'à complètement s'éteindre.

Je veux le voir s'éteindre, lui.

Je veux voir son âme quitter sa maigre enveloppe corporelle.

Cette voix me parle, elle me susurre ces beaux mots. Beverly, c'est à toi d'accomplir son destin, fais-le, pour toi, pour elle, pour vous...