AURORE
Je m'appelle Guillaume et depuis quelques jours
Je viens de reprendre la direction du collège.
Cette année je suis en quatrième et j'ai donc quelques repères
Dans ce quartier que chantait Claude Nougaro,
Ce poète jazzy qui avait grandi ici à coté de la cité
Où les frangins de Zebda avaient poussé.
Je l'avais croisée parfois dans la cour,
Assise sur un banc à gratter quelques arpèges.
Moi aussi je jouais un peu de la guitare que m'avait offerte mon père
Et je m'aventurais déjà à quelques solos.
Elle jouait des reprises dont je reconnaissais les sonorités,
Une musique triste et bluesy qui moi aussi m'avait inspirée.
Ses parents avaient emménagé durant l'été dans notre tour.
Ils avaient monté jusqu'au troisième, tel un manège,
Leurs valises et quelques cartons marqués fragile en repère.
Monopolisant l'ascenseur une journée où le soleil chauffait trop,
Elle ne prenait jamais l'escalier comme si elle en était exemptée.
Elle était plus jeune que moi et devait commencer la sixième à la rentrée.
Au loin je l'aperçus pendant que je remontais tranquillou
L'avenue des Minimes jusqu'au passage piéton au bout.
Elle n'avait pas l'air d'oser traverser
Et le sac sur son dos courbé semblait peser.
Les autos, vélos, motos ne cherchaient pas à s'arrêter.
Son comportement en m'approchant m'apparut craintif,
Je tendis la main vers le premier véhicule, en mode un peu agressif
Il nous laissa nous engager arborant un visage peu expressif.
Il repartit sans nous regarder, j'espère un peu honteux !
Elle hocha la tête en ma direction, un geste qui sembla peureux.
Pas comme un signe naturel et joyeux,
Ce petit personnage ne semblait pas heureux.
Bien plus tard enfin, je devais comprendre
Pourquoi il y avait tant à en apprendre,
Tant d'espérance également à attendre
Car la vie avec elle n'avait pas été tendre.
Nous nous séparâmes au premier embranchement
Et je réalisais que je n'avais fait qu'apercevoir
Son visage, caché qu'il était par ses cheveux oranges.
Oui, ma voisine portait des dreadlocks de la couleur du soleil
Ramenées sur le devant tel un rideau de miel,
Comme un écran étrange.
Je voulus lui dire au-revoir
Mais elle me quitta avec empressement.
Plus tard, dans la cour du collège, j'aperçus au loin
Cette chevelure léonine qui semblait se cacher.
Je ne pouvais certainement pas la confondre
Mais quelque chose pourtant me troubla.
Je m'avançai pour une mise au point,
Voir enfin ce qu'il pouvait bien se passer.
Elle était là, seule dans un coin à se morfondre
Et soudain un groupe de garçons l'entoura !
Un geste brusque de la tête, dévoila son visage
Au moment où les garnements s'approchaient d'elle,
Je pus voir ce secret que ses cheveux semblaient cacher.
- Hé, la bigleuse ! Même dans ton coin tu ne peux nous échapper !
- Trop moche la rouquine ! Arrête de loucher !
L'exemple type de moquerie que l'enfance cruelle
Déverse par la bouche des gosses mêmes ceux que l'on dit sages.
La ronde des insultes, le flot de méchanceté
Ne leur suffisant plus alors qu'elle, stoïque, ne répondait pas,
Le plus enragé jugea malin de la pousser dans le dos.
Cela la fit trébucher mais d'un bond je la rattrapai assez tôt.
Quel bonheur pour eux si je n'étais intervenu et qu'elle s'étala !
Mon intervention suffit cependant aux petits sixièmes pour détaler.
La jeune rasta était accablée par les lazzis lointains
Et les grimaces caricaturant son strabisme aigu
Que la petite bande continuait de lui adresser.
Effondrée contre moi comme une petite sœur
Elle déversait ses larmes de colère et de chagrin
Dans mes bras de grand frère nouvellement promus.
Je ne me sentis d'autre choix que de la réconforter.
Cette souffrance infligée par bêtise, torturait mon pauvre cœur !
Je dégainai de ma poche un mouchoir en papier
Et le lui tendis lentement avec circonspection.
Elle, par contre s'en saisit volontiers
Ne manifestant vis-à-vis de moi aucune hésitation
Et après avoir séché rapidement ses larmes,
Elle se hissa sur la pointe des pieds et me claqua un bisou.
Pour montrer qu'elle ne rendait pas les armes ;
Fort, que tout le monde puisse entendre, sur la joue.
D'un seul coup d'un seul j'étais devenu face aux autres, son allié.
Finement joué, pas maladroite finalement la petiote,
De se tourner vers moi et se choisir un chevalier servant
Qui en imposerait aux " merdousets ", parmi les grands.
Elle avait compris qu'ils ne seraient pas très vaillants
Et avait réagi d'instinct mais pas comme une idiote.
Sa tranquillité quotidienne serait assurée tant que nous serions liés.
Sur le coup, je fus un peu surpris mais également assez fier.
Dans la cour, cela n'avait échappé à personne.
Même si elle fut brève, l'altercation avait attiré les regards ;
Celle-ci m'avait projeté en avant de la scène par le plus grand des hasards.
Immédiatement la situation fit le bonheur des bavards,
Et il n'y eut qu'un seul sujet à débattre jusqu'à ce que la cloche sonne :
"Qui c'est ce garçon qu'on ne connaissait pas encore hier ? "
Il faut avouer que j'étais plutôt discret comme adolescent.
Je ne me manifestais pas souvent.
Alors que d'autres préféraient faire du boucan,
Je restais dans mon coin plutôt que faire l'intéressant.
Je n'avais pas d'amis et n'allais pas vers les autres facilement,
Peu de gens avec qui je communiquais de temps en temps.
Mon bon niveau en arts martiaux était connu
Car quelques troisièmes avec qui je pratiquais
Et sans êtres intimes, chaque fois qu'on se croisait
M'adressaient un signe amical qui ne passait pas inaperçu
Et les bruits de couloirs avaient fait de moi un intouchable
Personne ne se serait aventuré, même à me frôler le cartable.
D'un seul coup, nous nous retrouvâmes isolés.
Tels des moineaux un soir de quatorze juillet
Effrayés par les pétards, les courageux agresseurs
Accompagnés par toute la bande des suiveurs
Avaient déserté notre coin de cour et s'étaient tous enfuis.
Moi le timide, je me retrouvais seul avec ma nouvelle amie.
Et oui, car si mon gabarit me mettait hors d'atteinte,
Je n'osais pas m'adresser aux autres de peur d'être rejeté.
Je me réfugiais donc dans un repli systématique,
Je vivais un calvaire pour entrer dans une boutique.
Vous imaginez bien que je n'étais pas un premier de cordée
Même pour acheter une chocolatine, ma peur n'était pas feinte.
Aussi soudainement qu'elle m'avait fait cette bise sonore,
Elle cala sa petite main, dans ma paluche et en souriant
Elle m'entraîna au milieu de cette foule qui me terrorisait.
Comment toi lecteur aurais-tu pu imaginer que j'en tremblais ?
Le grand gaillard qui passait pour un solide combattant,
Guidé par, j'appris son nom plus tard, la petite Aurore !
Par quel don avait-elle deviné mon talon d'Achille
Simple intuition ou avait-elle son réseau d'informateur ?
J'avais essayé de cacher aux collégiens mon secret
En m'isolant dans cette bulle que dès la primaire j'avais créée.
La seule qui avait pu lui vendre la mèche était ma petite sœur
Qui connaissait mes difficultés sociables hors domicile.
- Viens, dis-je soudain !
Je saisis la collégienne vivement par la main,
L'entraîne à l'écart, en tout cas loin.
- Au lieu de te marrer, dis-moi ton prénom au moins !
- Maintenant, dit-elle, nous sommes copains
Et notre amitié, il faut en prendre soin !
- Ton secret sera bien protégé avec moi, c'est promis !
Fais-moi une place, je t'en prie
Dans cette bulle que tu t'es fabriquée, où personne n'est admis.
Ta sœur que je côtoie à l'école de musique, l'as admis.
Ne la gronde pas car je l'ai faite parler par supercherie
Je t'avais remarqué et je voulais que l'on soit amis !
La suite, tu dois t'en douter un peu.
Aurore, cette nouvelle aube à ma vie
M'avait attrapée par la main et par le cœur.
J'ai commencé à penser que nous avions droit au bonheur
Et grâce à cette petite chose qui entre nous a grandi,
Pendant quelques années nous fumes heureux.
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