vingt-quatre
- Katia m'avait prévenue que je serais un peu déçue, je pense que j'imaginais cette ville différemment, souffle-t-elle sur le trajet du retour.
Les sourcils de Charles se froncent à l'entente du prénom de la sœur de l'ukrainienne, qu'il n'a entendu qu'une seule. Il ne savait pas que sa famille était venue à Paris auparavant, son incompréhension se dissipe quand Nadejda précise :
- Je parle de Katerina, la copine de Pierre.
- Excuse-moi je n'avais pas compris que c'était Kate.
- C'est étrange que le surnom soit Kate, murmure-t-elle. En slave, c'est Katia.
- Comme Sacha pour Alexandre ou Alexandra ?
La patineuse acquiesce et Charles comprend que sa sœur s'appelait en réalité Katerina. Ses lèvres se pincent, il est à court de mots en comprennent les raisons pour lesquelles la patineuse était troublée en rencontrant sa semblable.
Elle le remercie une nouvelle fois en arrivant sur la principauté avec son nouveau passeport, Charles ne peut s'empêcher de sourire lorsqu'elle dépose un timide bisous sur sa joue avant de quitter son véhicule pour rentrer chez elle. Elle rajoute avant de fermer la portière :
- Bonne chance pour les deux prochaines courses, même si tu n'en as pas besoin.
Et les fossettes du monégasque se creusent un peu plus. Il est heureux pendant un instant même si cela ne durera pas bien longtemps.
Il fait un autre tour de montagnes russes après l'Autriche où il se croyait sur les toits du monde, Charles tombe bien bas. Une plongée aux enfers dont il n'est pas sûr de se remettre, il ne s'attendait pas à craquer face à la pression.
Cri démesuré.
Cri du cœur écorché.
Cri d'une âme déchirée.
Charles en a presque mal aux cordes vocales. Il vient de perdre l'arrière train de sa monoplace, il vient de heurter le mur à la réaccélération.
Pourtant le choc n'est rien comparé à la douleur qu'il ressent à l'intérieur de lui.
Il se sent fébrile.
Il n'est pas invincible.
Sa colère ne fait que s'accroître quand il ne parvient pas à enclencher la marche arrière. Elle se mélange à la déception, venant meurtrir son corps. Il en veut au monde entier mais surtout contre lui.
Il n'est pas assez bon, il ne sera pas champion cette saison.
Il vient de subir une autre humiliation.
Et cette fois-ci, il n'a personne à tenir pour responsable. Personne ne peut le dédouaner de son erreur qu'il vient de commettre et Charles aurait aimé, cette fois-ci, que son erreur ne soit pas la sienne, mais celle de son équipe.
Il ne supporte pas la pression.
Pourtant, Charles est convaincu que rien de tout cela ne serait arrivé si son équipe ne s'était pas enfoncée dans un bourbier sans nom. Les erreurs sont nombreuses, elles ne proviennent pas que du monégasque.
En s'extirpant de sa monoplace, Charles pense à son nom bafoué dans la presse italienne. Il pense aux critiques des commentateurs et il pense au championnat qui vient de s'éloigner d'un bond.
Il ne parvient pas à ravaler sa frustration.
Charles n'a jamais été aussi bon depuis le début de sa carrière, pourtant tout s'effondre à la moindre erreur. Il reste désabusé durant un moment assis sur les abords du circuit.
Ses larmes se contiennent difficilement. Il ne souhaite parler à personne pourtant il n'a pas le choix. Il ne peut fuir ses lourdes responsabilités en se présentant à la presse. L'impression de porter le poids du monde sur ses épaules n'est rien comparé à la douleur qu'il ressent à l'intérieur lui.
Sa voix est tremblante lorsqu'il explique ce dur constat. Il ne mérite pas de gagner le championnat en commettant de tels erreurs, les dégâts sont conséquents. L'écart s'est creusé si bien que Charles sait qu'il sera impossible à combler.
Il se confond en excuses en rejoignant son garage, il s'excuse auprès des membres de son équipe que ce soient les stratégistes, les ingénieurs et les mécaniciens. Certains pressent son épaule pour le rassurer mais cela le suffit pas à le consoler.
Charles finit par s'enfermer dans la salle qui lui est attribuée, les premiers sanglots s'échappent de ses lèvres. Son corps est secoué et comme à chaque fois deux bras l'encerclent et comme à chaque fois, Charles est soulagé par cette étreinte.
Il a l'impression de partager sa peine, de soulager sa douleur dans les bras de Charlotte. Elle ne le comprend pas mais elle est l'une des seules personnes extérieures à la situation. Elle est la seule, à cet instant précis, qui n'est pas concernée par ses résultats décevants et ses échecs cuisants.
- J'ai l'autorisation de Mattia, murmure-t-elle. Ils n'ont plus besoin de toi.
Et Charles comprend lorsqu'elle évoque le nom de Mattia Binotto, le responsable de l'équipe. Il comprend qu'il n'a pas d'autres réunions stratégiques et qu'il n'a pas d'autres obligations à remplir. Il en est soulagé, il est soulagé que la monégasque soit allée discuter avec le patron, chose qu'il aurait été incapable de faire dans son état.
Charles se redresse en essuyant ses larmes, il renifle profondément en commençant à s'activer. Il range les affaires traînant dans sa pièce attitrée, il soupire de soulagement en constatant qu'il est aidé pour ne rien oublier.
Il se tourne vers la monégasque qui acquiesce assurant que personne n'aura connaissance des larmes qui ont pu rouler sur son visage. Elle assure que son affliction ne se distingue pas et Charles est soulagé quand elle attrape sa main dans la sienne pour affronter la tempête à l'extérieur.
Quitter le circuit est difficile, encore plus après une débâcle monumentale.
Charles conduit jusqu'à la principauté en étant absent, il ne parle pas durant le trajet. Seule la musique résonne pour couvrir ce silence irrévocable et les battements de son cœur effroyables.
Et comme à chaque fois, le pilote remercie Charlotte lorsqu'il s'arrête devant chez elle. Et dès qu'elle referme sa portière, les larmes surviennent sans que Charles ne puisse les contrôler. Il aimerait arrêter de pleurer, il aimerait être tellement plus fort que tout ce qu'il montre.
Il conduit par instinct, sa voiture s'arrête sur un parking désert. Sa portière claque lorsqu'il quitte son véhicule pour passer la porte du complexe, ce dernier est toujours ouvert à cette heure tardive mais ça ne le surprend guère.
Ses yeux clairs embués de larmes se posent sur la seule personne qui peut réellement le comprendre. Elle ne l'a pas encore aperçu bien trop plongée dans les mouvements qu'elle effectue avec grâce au milieu de cette patinoire. Elle ne l'a pas encore entendu sangloter, bien trop absorbée par la musique résonnant dans ses oreilles.
Seul le bruit de ses patins recouvre les sanglots du monégasque tandis qu'il l'observe. Il se demande depuis combien de temps elle se trouve sur cette surface plane, à effectuer des mouvements qu'elle est la seule à détenir le secret pour les réaliser à la perfection.
Nadejda finit par l'apercevoir du coin de l'œil à la réception d'un saut simple, ses sourcils se froncent en le voyant appuyer contre le rebord de la patinoire. Elle ne pensait pas le revoir si tôt, peut-être que la journée est passée bien vite en étant restée sur la glace mais les larmes qu'elle aperçoit sur ses joues l'interpellent.
Il ne faut que quelques pas gracieux pour qu'elle le rejoigne. Elle délaisse ses écouteurs, elle quitte la glace pour rejoindre la moquette antidérapante, la gorge nouée par la vision s'étendant sous ses yeux. La patineuse n'a jamais vu un regard aussi déchiré et aussi douloureux à contempler.
Et sans attendre, ses bras entourent le bassin du monégasque. Sa tête vient immédiatement se loger dans son cou tandis que ses hoquets ne cessent pas. Charles est soulagé de sentir la patineuse contre lui, elle tente de lui rendre maladroitement son étreinte.
Il n'a pas besoin d'expliquer.
Il n'a pas besoin de parler, il sait qu'elle a déjà compris que tout est terminé.
Il sait qu'elle comprend ce qu'il ressent comme personne d'autre parce que Charles et Nadia se ressemblent bien plus qu'ils ne veulent bien l'admettre.
- Ça fait mal, bredouille-t-il.
Charles veut crever pour que la douleur s'atténue. Il veut mourir pour que toute la peine du monde disparaisse de ses épaules, il comprend qu'il s'est forgé d'espoirs inespérés pour un trophée.
- Tout le monde a des rêves, tu as le tien, j'ai le mien, murmure sa voix étranglée. Mais il faut parfois se rendre à l'évidence, ils sont inaccessibles ou beaucoup trop lointains pour être attrapés sans sauter dans le vide.
Et Nadejda aimerait tellement trouver les justes mots pour effacer ses douloureux maux.
ce chapitre fait très très mal...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top