vingt-et-un

- J'aurais du le voir, souffle Carla d'une voix étouffée.

L'ukrainienne secoue la tête en restant appuyée contre le sommier du lit à ses côtés. Elle n'est pas douée pour apaiser les pleurs de quelqu'un, elle n'a jamais réussi à le faire depuis qu'elle est petite. Elle se sent mal à l'aise et elle a trop peur d'être maladroite comme elle a pu l'être de nombreuses fois avec Irina ou Anna.

Leurs pleurs étaient fréquents après un échec, après une seconde place ou une troisième. Et Nadejda ne disait que des maladresses en se dressant sur la plus haute marche du podium, tout en disant que les victoires viendraient, quand elles auront plus d'expérience dans la catégorie senior.

Nadejda n'avait que des regards noirs comme seules réponses, alors elle cherche précautionneusement les mots qu'elle va prononcer dans sa deuxième langue et elle finit par dire :

- Tu ne pouvais pas.

- J'aurais du comprendre quand nous sommes allés te voir à Moscou et que les entraînements étaient interdits au public. J'ai toujours pensé que c'était quelque chose pour ne pas faire divulguer les exercices d'entraînement ou pour ne pas te déconcentrer mais.... qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?

Elle ne fait que bredouiller et le cœur de Nadejda se serre face à son regard brisé. Elle comprend qu'elle n'a pas choix que de lui dire toute la vérité qu'elle a caché depuis des années, pour ne pas quitter l'école moscovite où les traitements étaient impitoyables.

Nadejda raconte les heures sur la glace où elle sautait jusqu'à l'épuisement en étant morte de froid par les chutes. Elle raconte les entraînements en salle où Diana demandait un grand écart sans même un échauffement préalable, qu'elle s'approchait pour appuyer sur ses cuisses quand ces dernières ne touchaient pas le sol provoquant des douleurs ligamentaires effroyables.

Nadejda raconte les coups qu'elle recevait à la salle de musculation à chaque fois qu'elle ne maintenait pas une position de gainage. Et que si l'une des trois patineuses craquaient, le temps était doublé par deux, les répétitions des mouvements par trois.

Il y avait Ivan Boresko à six heures, chaque jour, se tenant à la sortie du vestiaires avec son fameux carnet et sa balance qu'il transportait partout avec lui. Il y avait ses mains baladeuses lorsqu'il expliquait ses gestes en accompagnant ses hanches dans un mouvement de rotation.

Nadejda parle de la chorégraphe qui ne voulait pas entendre qu'un tel enchaînement de pas était impossible à effectuer avant un axel et qu'elle n'a jamais modifié un seul de leur programme malgré que ces derniers demandaient beaucoup trop d'endurance.

Nadejda se souvient de son programme lorsqu'elle est rentrée en catégorie senior pour sa première année. La chorégraphe ne mettait aucun élément avant deux minutes sur son programme libre, les sept blocs de sauts étaient disposés en moins de deux minutes à la fin du programme, comme pour achever l'ukrainienne.

Et peut-être que le pire pour Carla, est d'observer que la patineuse ne pleure pas. Elle se contente de raconter les événements d'une voix monotone, détachée de toutes les horreurs qu'elle a pu subir comme si elle n'avait jamais été une victime de leur système d'excellence.

L'ukrainienne parle du dopage avec évidence, montrant que ce dernier était présent à chaque moment, mais pas pour elle, seulement pour les russes qui réussissent à réaliser des quadruples avec plus de facilité, avec des substances illégales dans leurs corps brisés.

Nadejda parle de cette gourde d'eau que Tchaïkovskaïa pouvait lui tendre à la fin d'un échauffement ou d'un entraînement. Cette dernière n'était destinée que pour se rincer la bouche afin de se rafraîchir, sans jamais boire une gorgée d'eau même quand elle mourrait de soif.

Elle parle de cette balance sur laquelle monter avant chaque séance, de l'humiliation qu'elle ressentait à chaque fois que son poids était prononcé à voix haute pour la comparer aux autres filles qui n'avaient pas encore passées la puberté.

Chaque mot lacère un peu plus le cœur de Carla, chaque parole déchire sa poitrine mais ce n'est rien comparé à l'absence d'émotions luisant dans les pupilles de la patineuse. Elle sent toute l'horreur de son état, à travers ses yeux éteints, les témoins d'une nature épuisée qui a lutté vainement contre un mal insaisissable.

- Je ne veux pas que tu en parles à tes parents, continue Nadia. Je ne veux pas qu'ils se sentent coupables de ce qui m'est arrivée.

- Personne n'est coupable à part ceux qui t'ont fait ça.

- Tu ne comprends pas, Carla.

Nadejda se redresse, elle ne pleure pas. Elle ne pleure plus concernant les russes, elle n'a plus de larmes à donner lorsqu'elle se dirige vers la sortie de cette chambre. Ses dernières paroles détruisent la blonde un peu plus quand Nadejda prononce :

- Si c'était à refaire, je le referais.

Et Nadejda disparaît de cette chambre, elle rejoint le monégasque qui l'attend dans l'entrée de la maison. Leurs regards se croisent et Nadejda est soulagée qu'il n'est rien écouté. Mais elle sait qu'il n'est pas idiot et qu'il se doute de tout ce qu'elle a pu connaître à Moscou depuis ses récents aveux.

- Je ne suis pas resté car je n'étais pas sûr d'être prêt à entendre tout ce qu'ils t'ont fait, avoue Charles.

Sa main se lie à la sienne par instinct, elle se sent bien sous ce regard clair qui la détaille avec attention, sans une once de jugement ou de pitié. Il n'ajoute rien, Nadejda l'embarque sur un petit chemin.

Nadejda est soulagée de son silence.

Elle est soulagée de sa présence.

Et comme la dernière fois, ils se laissent porter par ce simence et ils parviennent sur les hauteurs de la principauté. Charles ne pose pas de questions déplacées, il ne questionne pas Nadejda pour savoir si elle a mangé. Il se contente de s'asseoir à ses côtés pour observer la méditerranée.

- Brian est passé, déclare l'ukrainienne. Il veut que je reprenne.

Elle se tourne vers le monégasque pour observer sa réaction, il ne paraît pas surpris ni déstabilisé comme Nadejda a pu l'être en voyant l'entraineur arriver sur le pallier de sa porte.

- Il y a un gala en août, continue-t-elle.

- Est-ce que c'est différent d'une compétition ?

- Il n'y a pas de classement, il n'y a pas de médaille.

Sa voix n'est qu'un souffle et Nadejda ne sait quoi penser de tout ça. Elle ne sait mettre des mots sur ce qu'elle ressent à cet instant précis, il y a cette peur irrémédiable traînant au fond d'elle et il y a cette envie irrésistible de retourner sur la glace.

- J'ai peur de me planter, avoue-t-elle. J'ai peur de me ridiculiser, de ne savoir plus rien faire et...

- Qu'est-ce que tu as à perdre ?

- Je ne sais pas.

- Il n'y a pas de classement, il n'y a pas de podium ce qui veut dire qu'il n'y aura aucun jugement, reprend Charles. Je ne pense pas que Brian veut que tu reprennes pour les compétitions, je pense juste qu'il souhaite que tu retrouves tes sensations, sans te mettre la pression. Il ne pense pas à mal, et je pense que c'est les raisons de sa proposition.

Nadejda acquiesce, elle ne répond rien. Son regard se perd dans le vide, dans l'horizon s'étendant devant elle et elle se sent si minuscule dans ce vaste monde. Elle se demande si elle a déjà été quelqu'un d'important dans ces lieux, est-ce qu'elle aura marqué l'histoire du patinage suffisamment de temps pour y laisser son empreinte ?

- Si j'y vais, est-ce que tu viendras ?

- Seulement si tu le fais pour toi, pas pour ma présence.

- Qu'est-ce que ça change ?

Il soupire en jouant avec ses chevalières qu'il fait glisser le long de ses phalanges, Charles aurait aimé qu'elle comprenne sans qu'il ait besoin de l'expliquer pourtant il murmure :

- Tu dois vivre pour toi, pas pour les autres ou ce qu'ils attendent de toi.

- C'est comme ceux qui n'y arrivent jamais parce qu'ils le font pour leurs parents ?

- Il faut être son propre propulseur, conclut Charles.

Et Nadejda pense qu'elle pourrait réussir à être son réacteur, elle a juste besoin d'un peu d'aide pour démarrer avant que sa puissance ne soit exponentielle, comme des noyaux d'atomes se fissurant pour produire une énergie nucléaire.

Peut-être que bien encadrée, bien aimée, la puissance dégagée par celui-ci ne brisera jamais le socle qu'elle se forge depuis quelques mois.

- Charles, j'aurais besoin d'un nouveau passeport, murmure-t-elle.

Le monégasque comprend et il répond qu'il l'accompagnera à son retour pour s'occuper de tout ça, après les trois prochaines courses où il compte bien gagner.

Mais avant ça, il faut s'entraîner.

hihii le prochain chapitre vous n'êtes pas prêts <3

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