vingt

Nadejda reste dans cette étreinte puissante. Sa tête repose sur son torse et elle se sent à l'aise en étant logée dans ses bras. Elle n'a pas honte de ses aveux, elle est simplement coupable de s'être infligée ça. Elle a sacrifié une part de son innocence pour continuer à patiner, pour se permettre de gagner. Elle s'est brulée l'âme en restant des années sous d'ardentes flammes.

Et pourtant, Nadejda s'excuse pour des choses dont elle n'est pas responsable. Elle n'est pas responsable de son moteur qui est parti en fumée, ruinant pour la quatrième fois de la saison ses espoirs nés d'un départ en pole position.

Comme au grand-prix de Monaco, les lèvres du pilote se déposent sur la peau sensible de son cou et Nadejda comprend qu'il tente de retenir ses larmes et par dessus tout, il montre que cela ne change rien entre eux, malgré qu'ils ne connaissent pas la nature de leur relation.

- Je ne veux pas que tu me regardes différemment, murmure-t-elle d'une voix étouffée contre son torse.

Ces simples mots produisent une réaction, Charles recule afin qu'elle arrête de se cacher contre son polo rouge. Ses mains brûlantes encadrent son visage, elles contrastent avec la pâleur naturelle de sa peau et ses yeux clairs se plantent dans les siens. Nadejda observe les lueurs de ses iris virevolter à travers l'humidité de ses larmes et cette expression dans son regard poignarde son cœur et surtout son âme.

- Ça ne change rien sur la perception que j'ai de toi, souffle-t-il. Je n'ai jamais vu quelqu'un qui se bat autant que toi.

- Tu te trompes.

Son accent slave écorche les mots tandis qu'elle soutient son regard avec insistance. Un lueur de défi brille dans ses pupilles et le monégasque ne met pas longtemps à comprendre qu'elle parle de lui.

Il se pince les lèvres en secouant la tête pour montrer son désaccord, ses mains quittent le visage de l'ukrainienne et ses bras ballants retombent le long de son corps, il murmure en un souffle :

- J'aimerais être fort, Nadia. J'aimerais tellement...

Sa voix s'effrite, il s'arrête pour soupirer profondément. Son regard est attristé alors que Nadejda voudrait simplement le voir briller, elle voudrait voir les petites fossettes se creuser sur ses joues lorsqu'il sourit pourtant il paraît vidé de toute énergie.

- Peut-être que j'aurais du faire un autre sport, un sport où je ne dépends de personne, pas d'une équipe incapable de corriger des problèmes mécaniques. Je n'aurais qu'à me blâmer moi-même pour la moindre erreur, tu dois savoir de quoi je parle, souligne-t-il d'une voix brisée.

Nadejda attrape les mains du jeune homme dans les siennes, elle les presse avec force pour lui transmettre toute la force restante dans son corps épuisé et malmené. Elle n'en a plus besoin pour affronter les tempêtes contrairement à lui où l'orage gronde dans sa tête.

- Ça fait beaucoup d'erreurs qui ne dépendent pas de moi, alors que je ne fais aucun pas de travers. Je suis fatigué d'être un dommage collatéral. Je suis fatigué de devoir toujours sourire, de ne rien dire et d'en payer les frais, conclut Charles.

Nadejda comprend que l'amour qu'il porte pour cette couleur rouge dépasse tout ce qu'elle a pu voir auparavant. Elle ne mesure qu'aujourd'hui l'importance de ce cheval flamboyant de couleur jaune aux yeux du monégasque.

Peut-être est-ce son pissenlit poussant dans les endroits obscurs, qui lui rappellent à la fois les plus beaux et les pires souvenirs de sa vie, peut-être qu'il est lié à cette écurie par un lien plus fort que celui du sang, celui qui fait battre son cœur avec ardeur. Ce même lien qui habitait Nadejda autrefois avant qu'il ne se brise avec douleur.

- Charles, il y a une chose que tu as et que j'ai perdu en rentrant dans l'école moscovite, avoue-t-elle. Il y a quelque chose de merveilleux à la voir briller dans tes yeux, cette passion que tu as.

Elle garde le regard relevé vers lui, elle observe le moindre trait de son visage alors que les yeux clairs de Charles deviennent humides. Elle aimerait aspirer l'eau de ses yeux tout comme la peine qui souille ses veines.

- Promets-moi que tu ne la perdras pas, Charles.

L'ukrainienne se souvient de leur première rencontre sur le bord d'une patinoire. Elle se souvient du regard qu'il a porté sur l'or olympique, un regard désireux et émerveillé avant qu'il ne lui rappelle que personne ne pouvait lui retirer son accomplissement et sa liberté.

Nadejda vient seulement de comprendre le lien étroit entre cette dernière et ce qu'elle a perdu à Moscou. Elle a perdu ce bout d'elle-même, elle s'est déchirée en deux quand les russes ont enlevé sa passion dévorante pour la priver de ses dernières libertés.

Un enchaînement à l'anorexie, à l'agonie lors de tous ces entraînements.

Et Nadejda est convaincue d'avoir quelque chose de précieux, comme une amie d'enfance après une dispute de trop. Mais, elle est désormais convaincue que des amitiés ne disparaissent jamais réellement, les deux partis doivent se rabinocher. Une âme ne peut pas être complète sans sa moitié, et peut-être que Nadejda pourra se retrouver dans intégralité.

- Promets-moi que personne ne t'enlèvera ta passion, c'est la tienne. Promets-le-moi, insiste-t-elle.

Le monégasque déglutit, il n'est pas sûr de réussir à tenir de telles choses. Il se souvient des nombreuses promesses qu'il a fait à ceux qui ne sont que poussières d'étoiles.

- J'ai beaucoup de promesses non tenues, avoue Charles d'une voix triste. Ce n'est pas l'engagement qui me fait peur, j'ai peur de te décevoir.

Nadejda secoue la tête pour assurer que ça ne sera pas le cas, le comprend qu'il ne parle pas seulement de ce qu'elle lui demande mais également d'une promesse qui les concerne tous les deux.

- Et si je perds ça ? Qu'est-ce qu'il se passera ?

- La seule façon de faire c'est de travailler plus que les autres, avoue-t-elle. Et c'est juste trop dur de travailler plus que les autres si tu n'es pas passionné... C'est ça le point.  Ce n'est pas que la passion, c'est un truc magique qui donne des pouvoirs, non.

Elle se souvient du travail supplémentaire qu'elle faisait quand elle était en retard sur Irina et Anna sur son poids, sur les sauts, sur la souplesse. Elle se rappelle de l'effort qu'elle fournissait pour se lever chaque matin sans avoir envie de rejoindre la patineuse et de cette fatigue pesant sur ses épaules frêles.

- C'est juste... que la passion c'est le chemin le plus direct vers le travail et le travail est le chemin le plus direct vers la réussite, avoue-t-elle.

Et peut-être que si elle était passionnée, elle aurait eu la médaille d'or lors de ses premiers jeux olympiques plutôt que d'attendre sa seconde participation. Le monégasque doit sentir son état de perdition puisqu'il dépose son index sous le menton de Nadejda avant de dire :

- Je te le promets.

Son souffle heurte la peau de son visage et Nadejda tressaille. Elle ne fait que des aller-retour entre les yeux clairs du jeune homme et ses lèvres rosées qui l'attirent irrémédiablement depuis qu'il est rentré dans sa chambre.

Sa timidité est bien trop ancrée en elle pour qu'elle ne puisse se laisser aller à ses pulsions, elle se contente de questionner d'une petite voix la raison de sa présence :

- Qu'est-ce tu fais ici ?

- J'avais envie d'aller marcher avec toi, souffle-t-il.

Charles avoue implicitement qu'il ne se sentait pas très bien et que c'est sa façon à lui d'évacuer, de chasser les mauvaises idées de sa tête, de calmer la tempête assiegeant ses pensées. Maintenant, ça va mieux.

- Tu devrais partir si ce n'est le plus cas, murmure-t-elle en rougissant. Et moi, je devrais aller voir Carla.

Elle se pince les lèvres extrêmement embêtée par la situation, elle ne cesse de penser à l'état dans lequel se trouve Carla qu'elle considère comme sa sœur. Charles s'en aperçoit puisqu'il dépose ses mains sur ses épaules frêles et il murmure tout bas :

- Ce n'est pas de ta faute, c'est juste le choc.

- Je devrais aller la voir.

Il acquiesce en étant d'accord avec ses propos mais il ne lâche pas la petite pression qu'il exerce sur ses épaules. Leurs yeux sont attirés, de manière irrévocable, par la bouche de l'autre et Charles ne peux plus se contenir par cette envie pressante d'unir leurs lèvres qu'il souffle d'une voix suave :

- Est-ce que je peux t'embrasser ?

Nadejda ne répond rien, elle se contente de poser ses mains dans la nuque du pilote pour qu'il puisse pencher légèrement. Elle accéde timidement à ses lèvres pour le plus grand soulagement de Charles, qui s'empresse d'approfondir leur échange et il se sent bien, merveilleusement bien.

Et en sentant Nadejda sourire contre ses lèvres, Charles se doute que c'est réciproque.

sans aucun doute mon chapitre préféré <3

faire des discussions est toujours quelque chose où j'ai du mal et pour une fois, j'en suis plutôt fière

j'espère que ce chapitre vous plaît <3

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