trente-sept

Nadejda reste silencieuse dans l'arrière du garage, ses bras sont croisés sur sa petite poitrine. Elle se tient droite, les pieds fermement ancrés dans le sol comme si elle allait s'enraciner ici. Ses yeux sont fixés sur l'une des voitures rouges où se trouve le monégasque et seules ses lèvres pincées témoignent de son anxiété grandissante.

Les essais hivernaux ont été éprouvants. Elle a tout observé de près, elle a accompagné Charles dans la majorité de ses déplacements à l'usine de Maranello. L'équipe italienne ne saurait dire sa position par rapport aux autres écuries et surtout par rapport à la RedBull qui reste l'écurie majeure prétendant au titre.

Elle a assisté à tout, ou presque. Elle a seulement raté le camp d'entraînement d'avant saison dans le massif montagneux italien mais elle n'a manqué aucun des appels de Charles lorsqu'il se trouvait dans Les Dolomites.

Elle est impliquée, dire qu'elle est anxieuse serait un euphémisme pour ce début de saison. Elle est presque plus anxieuse que Charles en ce début de saison, même si elle ne montre rien et qu'elle essaye de le rassurer par tous les moyens.

Elle croise le regard clair de Charles tandis que ce dernier apparaît dans le garage, suivi de près par son ingénieur montrant qu'ils viennent tout juste de terminer la dernière réunion stratégique avant le début des qualifications. Il s'approche aussitôt d'elle pour la prévenir :

- Je vais me préparer.

Nadejda acquiesce. Il est attentionné, il est prévenant mais elle aimerait tellement qu'il ne s'occupe pas d'elle, qu'il ne tienne pas rigueur de sa présence en s'inquiétant. C'est une chose qu'elle faisait aisément sur la glace, elle ne s'occupait que très peu de Charles quand ce dernier l'accompagnait, préférant se centrer sur elle-même.

Elle accompagne le pilote jusque dans une pièce pour l'aider à ses préparer et il explique rapidement la stratégie adoptée. Nadejda comprend un peu la différence entre les pneumatiques utilisés même si elle ne comprend pas toutes les subtilités résultant de ses choix. Elle se contente d'écouter le monégasque, il vide son sac et cela suffit à diminuer son anxiété croissante.

- Je vais pisser et j'y vais, précise-t-il en ayant besoin d'énumérer le moindre de ses gestes.

Charles s'éclipse une nouvelle fois et lorsqu'il réapparaît, il est enfin prêt. L'ukrainienne l'accompagne jusqu'au garage, elle l'observe depuis la zone réservée aux invités. Il se glisse à l'intérieur de sa monoplace aidé par les mécaniciens. Nadejda a l'impression que la tension au sein de l'écurie s'accroît d'un bond quand les deux monoplaces s'élancent en piste.

Avant de le début de la dernière phase des qualifications, elle constate que Charles s'éclipse de sa monoplace avec agilité. Ses sourcils se froncent lorsqu'il s'approche aussitôt de l'ukrainienne en retirant son casque qu'il s'empresse d'abandonner sur une table. Il retire ses gants aussitôt qu'il donne à Nadejda, il continue de se débarrasser de ses affaires en disant précipitamment :

- Je dois aller pisser.

Déjà ses doigts s'agrippent à sa fermeture éclaire pour descendre sa combinaison sur ses hanches. Nadejda n'a pas le temps d'esquisser le moindre mouvement que le monégasque a déjà disparu accompagné par un mécanicien. Elle n'a pas eu le temps de rétorquer qu'il devrait rester dans sa monoplace et qu'il devrait se concentrer pour la dernière phase des qualifications.

Il réapparaît un peu plus détendu au bout de quelques minutes. Nadejda ne dit rien, elle l'aide simplement à attacher la jugulaire de son casque. Elle offre un sourire encourageant au jeune homme l'observant à travers sa visière relevée. Il récupère ses gants, il retourne vers sa monoplace pour prendre la troisième place des qualifications.

- Charles, murmure-t-elle lorsqu'il réapparaît à sa hauteur pour l'étreindre doucement.

Leurs regards se croisent et le monégasque comprend ce qu'elle sous-entend. Elle n'a pas besoin de l'exprimer, elle meurt de faim et il le remarque bien. Elle n'a rien mangé depuis le début de la journée, depuis qu'ils ont quitté l'hôtel pour se rendre sur le circuit.

En arrivant dans leur chambre, Nadejda engloutit deux yaourts tandis que le pilote se précipite à la douche. Il est épuisé lorsqu'il regagne son lit rapidement suivi par l'ukrainienne qui se blottit contre lui. Les minutes s'écoulent et comme à leur habitude, ils ne disent rien.

- Il y a les championnats du monde de patinage dans deux semaines, murmure-t-elle soudainement en se doutant qu'il ne dort point.

Les pensées de Charles s'arrêtent brutalement, il ne pense plus au premier virage seulement aux propos de la brune. Ses sourcils se froncent immédiatement tandis qu'elle précise :

- C'est au Japon, il y aura Maxim mais je ne vais pas y aller. Je vais juste regarder à la télévision.

- Tu sais que tu peux...

- Non, coupe-t-elle d'une voix sèche. Je n'ai pas envie et je veux rester avec toi.

Elle est soulagée que Charles n'insiste pas, elle n'a pas envie d'y retourner. Elle ne souhaite pas se replonger dans ce monde dans l'immédiat ou du moins, pas dans un évènement aussi médiatisé que les championnats du monde, alors qu'elle détient encore le titre.

Le lendemain, elle observe Charles prendre un meilleur départ sur l'un de ses concurrents. Il le double avec facilité prenant la seconde place de la course. Elle applaudit à tout rompre sans se douter que Charles se fait rattraper dès le vingt-sixième tour.

Et le pire survient.

Sa monoplace d'un rouge flamboyant finit par perdre de la puissance. Elle s'arrête, inerte sur le côté de la piste et son cœur se serre en voyant Charles s'extirper de cette dernière. Il retire immédiatement son casque pour boire, ses yeux clairs évitent les caméras en détournant la tête.

Nadejda patiente quelques minutes en étant appuyée contre le mur du fin fond de ce garage. Elle l'aperçoit enfin à l'opposé du garage. Il vient tout juste d'arriver, son casque est de nouveau sur son crane. La visière rabattue montre qu'il ne veut aucune discussion lorsqu'il passe devant quelques mécaniciens.

Il retire ses gants en contenant sa colère, Nadejda ne voit qu'elle dans chacun de ses pas tandis qu'il s'approche d'elle, bousculant presque un membre de son équipe sur son passage. Elle ne distingue pas son regard clair mais elle s'empresse de le suivre jusqu'à sa salle réservée.

A peine la porte refermée et son casque enlevé, les premiers sanglots s'échappent de la barrière de ses lèvres. Le cœur de Nadejda se serre lorsqu'elle aperçoit qu'il contient ses larmes à travers ses yeux brillants. Elle ne peut s'empêcher de se glisser dans ses bras pour une étreinte puissante malgré sa petite taille, elle essaye d'être à la hauteur comme il a pu l'être pour elle.

- Merci, murmure-t-il tout bas.

Elle n'a pas le temps de rétorquer qu'il n'est pas obligé de la remercier qu'une voix s'exclame à travers la porte en italien en même temps qu'un coup est donné à cette dernière :

- Charles, interview !

Un soupir lui échappe tandis que ses lèvres se déposent rapidement sur la joue de l'ukrainienne avant qu'il ne s'éloigne. Il retire sa combinaison pour revêtir son éternel polo rouge et une casquette, il lance un dernier regard à Nadejda avant de refermer la porte derrière lui.

Elle prend de nouveau appui sur le mur, attendant son retour. Ses pensées se mélangent entre tristesse et déception. Ses yeux se perdent sur le casque du monégasque et un sourire triste étire ses lèvres en apercevant le minuscule symbole à l'arrière de son casque.

Il s'agit d'un dessin minimaliste où l'on distingue vaguement une silhouette se tenir sur des patins, effectuant une pirouette Biellmann. La couleur est jaune contraste parfaitement avec le rouge flamboyant et elle déglutit comme la première fois que Charles lui a présenté son casque.

Et quand Charles réapparaît, son regard clair montre qu'il ne souhaite pas s'attarder sur ce circuit. Le retour vers la Principauté s'effectue dans un silence étourdissant, Nadejda a l'impression de mourir intérieurement face au mutisme du jeune homme.

Habituellement, elle aime ce silence. Elle se contente de sa présence mais aujourd'hui tout cela semble étouffant. Elle comprend finalement ce qu'il ressentait lors de la saison passée, elle en mesure seulement l'importance de toute cette pression qui pèse sur ses épaules.

- Je te pose à la patinoire ?

Nadejda acquiesce. Il a besoin d'être seul. Il s'agit des seuls mots qu'il parvient à prononcer et sa voix reste éraillée. Elle le remercie d'un baiser lorsqu'il s'arrête devant le complexe sportif et juste avant de s'extirper de sa voiture, son regard clair questionne s'il doit venir la rechercher.

- Vingt-deux heures ? propose-t-elle.

- Attends-moi à l'intérieur je viendrai te chercher, conclut Charles en sachant pertinemment qu'elle ne verra pas le temps passer.

Nadejda referme la portière et son moteur rugit quand la voiture s'éloigne. Elle pénètre à l'intérieur du complexe, elle récupère ses affaires délaissées dans un casier fermé à clés. Elle enfile ses patins offerts par le monégasque et elle s'approche de la glace en démêlant les fils ses écouteurs quand soudainement elle entend :

- Réception sur le patin gauche et pensez à la symétrie ! Les bras doivent être symétriques !

Elle relève la tête en pensant être seule, elle s'approche encore afin d'apercevoir la patinoire déserte, enfin presque. L'entraîneur canadien se tient accompagné de deux jeunes filles. L'une d'elle se redresse tout juste d'une chute tandis que son amie s'élance à son tour pour chuter à son tour sur un double axel avec les bras en l'air.

Nadejda grimace.

Elle s'approche un peu plus retirant ses protège-lames et l'ukrainienne se laisse glisser sur la surface plane. Elle les observe de loin, ne souhaitant pas se faire remarquer. Son regard est rivé sur le moindre de leurs mouvements qu'elle analyse avec précaution.

Un rictus douloureux étire ses lèvres lorsqu'une nouvelle chute se produit et elle croise finalement le regard du Brian Orser qui hausse les épaules. Il paraît dépité par les échecs qu'elles enchaînent et Nadejda se doutent que les chutes durent depuis le début de leur séance. Il est près de vingt-et-une heures et leur séance aurait déjà du être terminée.

- Nadia va vous montrer, Nadia !

L'ukrainienne s'approche de l'entraîneur en arquant un sourcil sous les yeux écarquillés des deux patineuses qui ne l'ont pas vu arriver. Elle n'est pas à l'aise devant les deux plus jeunes, encore moins par ce retournement de situation qu'elle n'avait pas prévu.

- Je ne suis pas échauffée et...

- Il s'agit d'un double axel bras en l'air, murmure Brian.

Elle acquiesce simplement et sans un mot, elle s'éloigne légèrement pour prendre un peu de vitesse. Elle prend appui sur les griffes de son patin gauche, elle s'élance pour venir effectuer deux rotations et demie avant de se réceptionner sans plus de cérémonie, dans une facilité déconcertante.

- C'est votre première fois avec bras en l'air ?

- Elles ont réussi en hors glace.

- Vous êtres trop concentrées sur vos bras et vous en oubliez la synchronisation de votre appui, murmure-t-elle tout bas. Vous dérapez sur le carré de départ, c'est un waxel et ça se termine souvent par une chute.

Les deux patineuses restent bouche-bée et Nadejda se reprend aussitôt. Ses propos étaient un peu trop crus alors elle temporise en ajoutant :

- Mais tout le monde dérape légèrement sur les doubles ou les triples axels... même moi.

Elle n'aperçoit pas le petit sourire venu étirer les lèvres du canadien, ni que les jeunes filles l'observent avec attention. Elles réessayent plusieurs fois avant de réussir sous le regard fier de Nadejda qui n'a pas raté une miette de ces minuscules exploits.

Elle ne voit pas le temps passer avant d'apercevoir un bonnet rouge marcher le long de la patinoire. Charles fait le tour pour arriver à sa hauteur, il salue le canadien d'une poignée de main. Il échange quelques mots avec ce dernier tandis que Nadejda continue de donner quelques conseils pour améliorer ce saut.

- Je suis le seul idiot à ne pas savoir faire de double axel, soulève Charles appuyé sur le rebord.

- Un double axel bras en l'air, corrige Nadejda.

Il offre un faible sourire à l'ukrainienne tandis qu'elle quitte la glace pour l'étreindre signifiant qu'ils pourront partir. Elle questionne en s'éloignant à ses côtés :

- Est-ce que tu as mangé ?

- Non, je t'attendais.

Et Nadejda sourit.

je poste le chapitre le plus éclaté de toute cette fic, voilà mais au moins je vais pouvoir continuer la suite maintenant que j'ai mon chapitre de transition ...

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