trente-huit

Nadejda se lève au beau milieu de la nuit, quatre heures moins le quart du matin. Elle prend garde à ne pas réveiller le monégasque en s'extirpant du lit, sans un bruit. Ses pas se font discrets sur le parquet, elle s'aventure jusqu'au salon où elle se laisse tomber sur le canapé. Ses mains attrapent l'ordinateur de Charles disposé sur la table basse, elle l'allume et elle ne peut s'empêcher de se relever dans cet attente semblant interminable.

Elle effectue les cents pas tandis que l'ordinateur effectue sa dernière mise à jour. Elle parvient à ouvrir le navigateur pour se connecter au site, mais ce dernier est bloqué depuis la Principauté. Elle déglutit en comprenant qu'elle ne pourra pas regarder le couple ukrainien malgré ses nombreuses tentatives.

Peut-être qu'elle aurait dû y aller.

Voilà son cœur rongé par les regrets.

Elle retourne se glisser dans le lit, les premiers sanglots s'échappent de ses lèvres en pensant à ce qu'elle devra dire à Maxim. Elle devra se justifier sur le fait qu'elle n'a pas vu ses programmes, qu'elle n'a pas souhaité se déplacer à l'autre bout du monde et qu'en plus de cela, elle ne tient pas ses promesses.

Soudainement, elle sent une main se poser sur sa taille et ses sanglots ne font que s'accentuer. Elle ravale son mal-être depuis plusieurs jours et tout se met à imploser à l'intérieur de ses pensées. Elle ne saurait dire depuis quand elle se trouve dans cet état, peut-être depuis que le mois de février est passé et qu'elle s'est rendue compte que cela fait plus d'un an qu'elle est arrivée sur la Principauté.

Un an de guerre.

Pourtant s'est arrêté son calvaire.

Mais les larmes continuent de rouler sur ses joues, ses pleurs ne font que s'accroître sous le moindre contact avec le monégasque qui est maintenant parfaitement réveillé à ses côtés. Il est dérouté, il ne sait plus comment agir si bien que ses mains se posent sur les épaules de la brune afin qu'elle puisse se tourner vers lui.

Et sans attendre, Charles l'enlace avec force. Sa petite poitrine vient se compresser contre son torse mais il ne remarque pas la douleur qui saisait son visage un court instant, face à cette étreinte qui n'est pas violente, mais dont son sein droit souffre terriblement.

- Nadia, dis-moi ce qui ne va pas.

- C'est rien, bredouille-t-elle. Tout va bien.

- T'es une menteuse.

Charles dépose ses lèvres dans son cou comme il a l'habitude de le faire. Il est évident qu'il a cerné le problème en jetant un coup d'œil à l'heure affichée sur le radio réveil. Il se doute qu'elle n'a pas réussi à regarder le programme dont elle parle avec tant d'envie depuis les derniers jours.

Sans un mot, il libère l'ukrainienne toujours en pleurs pour disparaître dans le salon en se frottant les yeux. Nadejda s'en veut de l'avoir réveillé, elle se retrouve seule dans ce vaste lit et elle ne cesse de pleurer comme une enfant qui fait un caprice. Elle a honte de ses réactions parfois timides et enfantines.

Elle voit le pilote réapparaître avec son ordinateur dans les mains. L'écran allumé éblouit son visage avec intensité si bien qu'il est obligé de plisser les yeux. Il demande à la slave d'allumer la lumière, ce qu'elle s'empresse de faire en actionnant la lampe de chevet. Charles s'installe en tailleur avec l'ordinateur sur le lit.

- C'est sur quel site ? questionne-t-il.

Nadejda se redresse pour fixer son écran, elle prononce un nom de chaîne qu'elle finit par taper en voyant l'hésitation du monégasque devant son clavier. Elle lui indique un lien qu'il s'empresse d'ouvrir et il soulève :

- C'est une chaîne russe, il faut activer le VPN sinon c'est bloqué par les restrictions géographiques. Sinon, il y a Eurosport qui transmet ici... je suis abonné...

Il s'arrête tandis que Nadejda l'observe, attendant qu'il continue sa phrase, mais Charles s'abstient dans sa proposition. Il comprend que la patineuse a besoin de regarder ces championnats dans une chaîne slave avec des commentateurs qu'elle connaît. Il s'empresse de renouveler son abonnement VPN et de l'activer.

Elle est déjà hypnotisée par les patineurs qu'elle aperçoit à l'écran, elle réagit à peine quand Charles pose l'écran sur ses genoux. Elle suit attentivement les mouvements de ce couple tout en essuyant ses larmes d'un revers de main avec précipitation. Elle ne pleure plus, elle s'apprête à se lever pour disparaître dans le salon mais Charles l'interrompt doucement :

- Tu peux rester, ça ne me dérange pas et moi aussi j'ai envie de regarder.

Nadejda acquiesce en se rallongeant dans le lit, elle dispose l'ordinateur entre leurs deux corps et elle vient déposer sa tête sur le torse de Charles en le remerciant tout bas. Il monte le son des commentaires et de la musique résonnant.

- C'était juste ça ?

Elle relève son regard sombre vers lui, l'interrogeant sur la raison de sa question qu'elle ne comprend pas dans l'immédiat. Charles n'a pas besoin de préciser, il suffit qu'il essuie une dernière larme présent sur sa joue pour qu'elle comprenne qu'il la questionne sur la présence de ces dernières.

- Oui c'était juste ça.

Et Charles acquiesce, il n'a pas vu son mensonge. Il ne l'a pas distingué.

●●●

Charles récupère son trophée ayant la forme du circuit de la Principauté, il pèse lourd et il le tend à bout de bras vers la foule située en-dessous du podium. Son sourire étire ses lèvres, ses fossettes se dévoilent et il ne peut s'empêcher de passer une main dans ses cheveux pour se recoiffer.

Il est terriblement heureux, encore plus en apercevant Nadejda. Elle est si petite malgré ses talons aux côtés de ses frères, elle applaudit à tout rompre et Charles ne peut détourner le regard de ses yeux pétillants de joie. Il est sur que les siens brillent du même éclat. Il marche sur ses pas.

Charles veut être le premier tout comme elle. Il veut être le premier monégasque à remporter un championnat du monde, plus rien d'autre ne lui suffit pour combler ce besoin vital de prouver qu'il mérite sa place.

Il est soulagé d'obtenir ce trophée tant espéré qu'il pourchasse depuis ses rêves d'enfants. Il est si soulagé qu'il ne peut contenir ses larmes à l'entente de l'hymne monégasque résonnant pour la première fois sur son circuit à domicile.

Il salue une dernière fois le Prince Albert II avant de descendre du podium pour rejoindre ses mécaniciens. Il se noie dans cette euphorie reflétant son abnégation de ces derniers mois où il ne pense que circuit et monoplace, où il ne rêve que du premier virage.

Ses lèvres s'écrasent sur les joues de la brune, un autre combat remporté qu'il ne manque pas de célébrer à ses côtés. Elle lui est précieuse depuis l'année dernière et en voyant un sourire étirer son visage, il mesure la chance qu'il a de l'avoir rencontrée dans son malheur.

- Tu l'avais promis, se souvient-il.

- C'est vrai, avoue Nadia. Je suis fière de toi, tu le mérites vraiment alors profite de cette journée jusqu'au bout.

- À ce soir, alors ?

Nadejda acquiesce en lui offrant un sourire sans égal puis elle le repousse légèrement d'elle pour qu'il puisse rejoindre son équipe. Elle ne souhaite pas qu'il reste à ses côtés, il a d'autres personnes à remercier, il a d'autres personnes avec qui se trouver pour ces festivités. Des personnes qui étaient présentes bien avant elle, elle sourit lorsqu'elle l'aperçoit serrer Pierre dans ses bras.

L'ukrainienne n'apprécie pas particulièrement ce dernier et elle est sûre que tout cela est réciproque, mais elle n'en tient pas rigueur. Elle passe au dessus de cette rancœur qu'il fournit à son égard.

Elle observe encore le monégasque baigner dans les festivités de son équipe avant de regagner leur appartement à pieds. Elle sait pertinemment que Arthur a prévu une soirée avec des amis qu'elle ne connaît pas vraiment et Nadejda ne souhaite pas y aller. Elle ne veut pas s'imposer.

A la place, elle se démaquille devant le miroir, sans s'arrêter de sourire jusqu'à heurter un objet du bout du pieds. Un juron s'échappe de ses lèvres face à la douleur envahissant son orteil et elle baisse les yeux sur l'objet de sa terreur, posé sur le sol.

Cette fois-ci, l'ukrainienne ne peut résister à sa pulsion alors qu'il n'y a personne dans cet appartement pour la retenir. Et peut-être que ce n'est que l'accumulation des précédents évènements qui la pousse à agir.

Elle ne peut résister à son démon qui revient la posséder, qui revient dévorer ses entrailles et la faire tomber sur le champ de bataille.

Ses pieds se glissent sur la surface plane de la balance et en voyant les chiffres apparaître, le cœur de Nadejda est poignardé par une lance. Elle explose en larmes.

Cela fait un an qu'elle est sortie de cet hôpital. Et peut-être que la prochaine fois qu'elle y retournera, elle ne s'en sortira pas.

Comme Katia.

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