trente-et-un
Charles entend des applaudissements dans la vaste salle, ses épaules sont soulagées d'un poids immense pourtant et lorsque ses paupières s'ouvrent de nouveau, il grimace aussitôt.
Son cœur se serre en apercevant la patineuse se relever rapidement pour reprendre son programme après cette chute. Il aperçoit qu'elle se pince la lèvre inférieure, pour contenir la douleur qu'elle doit ressentir après que son corps ait heurté la glace aussi dure que du béton armé.
Mais cette douleur semble passer inaperçue pour le public qui est plus que ravi de revoir une patineuse de ce niveau, malgré une chute sur un triple axel. Elle est la seule à le tenter, elle est la seule à essayer. Charles n'avait pas mesuré l'importance de l'écart entre Nadejda et les autres patineuses jusqu'à aujourd'hui.
Son patinage est différent, ses mouvements sont rapides, ses pirouettes sont souples, ses sauts ne sont que de la pure maîtrise technique. Pourtant, Nadejda n'est même pas au meilleure de sa forme. Il le sait, il le voit tout comme son coach. Toutefois, elle garde une aisance remarquable.
- La différence est...
- C'est le patinage russe, reconnaît Brian Orseren détournant rapidement le regard vers le monégasque. Elle n'est pas à son niveau habituel sinon elle prendrai la première place sans contestation.
- La chute...
- Elle sera quatrième, conclut l'entraîneur. Il y a une déduction pour la chute, elle n'a pas non plus les points du saut et je pense qu'elle a une gêne à la cheville car certaines combinaisons de pas sont ratées.
Il grimace en continuant d'observer son élève qui termine son programme. Charles déglutit en observant les derniers pas de Nadejda qui retient sa douleur jusqu'au bout lorsqu'elle termine une autre pirouette sous un tonnerre d'applaudissements.
Nadejda salue le public d'un sourire forcé, elle ne récupère aucun bouquet de fleurs lancé depuis les tribunes sur la glace. Elle n'a pas la force. Dès qu'elle quitte la glace, elle s'approche immédiatement de son entraîneur qui l'observe attentivement sans une once d'animosité. Son regard rempli de bienveillance l'encourage à parler et Nadejda avoue en baissant les yeux :
- Je sais que ce n'était pas prévu mais...
- Est-ce que tu regrettes ?
Elle secoue la tête avec un air enfantin et le canadien presse doucement son épaule pour la rassurer. Il ne peut pas lui en tenir rigueur, il dépose simplement sa veste sur ses épaules afin qu'elle n'attrape pas froid.
- Au moins, tu auras essayé. La prochaine fois, nous y arriverons, conclut-il.
Ses yeux finissent par se poser sur la cheville gauche de l'athlète qui grimace en suivant son regard. Elle s'appuie à peine sur cette dernière, elle se pince les lèvres pour retenir des larmes de douleur lorsqu'elle effectue quelques pas pour récupérer ses protège-lames sous les regards suspicieux des deux hommes.
Elle se dirige vers la zone réservée à l'annonce des résultats. Elle prend place sur l'un des fauteuils, face aux caméras. Ses lèvres sont pincées tandis que le canadien s'installe à ses côtés. Son bras entoure ses épaules dans un geste réconfortant lorsque son score s'affiche.
Nadejda n'est pas surprise.
Elle n'est que quatrième sur le cumulé des deux épreuves, Nadejda déglutit. Elle n'est pas déçue, simplement perdue face à son score qui est bien loin du record du monde qu'elle détient encore. Souvenirs d'une sombre époque où personne ne pouvait l'atteindre.
- Nadia, tu n'es pas obligée d'y aller, assure le canadien lorsqu'elle se dirige vers la zone de presse.
La patineuse l'ignore en arrivant dans toute cette cohorte de journalistes. Ils l'entourent aussitôt malgré les barrières de séparation. Sa cheville lui fait mal tandis qu'elle se fait arrêter par des francophones.
- Est-ce que vous avez un traducteur ?
Le journaliste français acquiesce et Nadejda déclare qu'elle parlera dans sa langue natale pour que son pays puisse comprendre ce qu'elle dit, cela semble important. Elle intimide à son interlocuteur de commencer, elle l'écoute attentivement questionner :
- Vous avez semblé... différente... si je peux dire sur ce programme, qu'est-ce qui a changé durant cette absence ?
- C'est la première fois que je patine sans un orteil cassé depuis six ans, commence-t-elle. C'est également la première fois que je patine sans des douleurs dans le bas du dos, j'ai pu reposer et revenir au meilleure de ma forme.
- Alors, peut-on dire que cette blessure au genou a été bénéfique ?
Nadejda détourne le regard sous le poids du mensonge, ses lèvres se pinces tandis qu'elle est plongée dans une profonde réflexion. Elle aperçoit vaguement son visage projeté sur les écrans géants de la patinoire, elle pense à ses parents. Elle pense à son frère. Elle pense à la vérité qu'elle ne fait que cacher, qu'elle craint de s'avouer depuis toutes ces années.
- Ce n'était pas une blessure au genou, bredouille-t-elle. J'ai été hospitalisée pour des troubles alimentaires, la vérité est je suis anorexique.
La patineuse plante son regard dans celui du journaliste qui déglutit, comme ses homologues l'entourant. Nadejda comprend l'ampleur de sa propre situation à travers leur stupéfaction, elle continue d'une voix éraillée :
- J'ai passé les six dernières années de ma vie à être affamée, à ne me nourrir que de nutriments en poudres, à ne pas boire durant les compétitions. Mais pour gagner des titres, il faut savoir se sacrifier, repousser les limites et c'est ce que je fais. C'est ce que j'ai encore fait aujourd'hui en chutant sur mon triple axel. Je devrais probablement m'excuser au près de mon entraîneur pour l'avoir fait, et je devrais m'en vouloir de ne pas avoir fait un double axel comme convenu. Mais je ne regrette pas car j'aurais tout tenté.
Elle s'arrête un instant face au regard ému du journaliste, son regard se déporte une nouvelle fois. Il s'arrête sur sa droite où se tient Charles qui l'attend patiemment, ses lèvres sont pincées et même si elle ne parle pas le français, elle ne doute pas qu'il ait compris ce qu'elle vient de dire.
- Je... je ne pense pas être guérie, peut-être que ça va mieux aujourd'hui et peut-être que demain sera différent mais il est certain, que je ne m'arrêterai pas ainsi.
Sa voix s'étrangle sous le dernier mot, ses yeux sombres balayent une nouvelle fois les journalistes présents autour d'elle et aucun ne trouve une question à ajouter à ses propos brisés.
Nadejda en profite pour s'éclipser, elle referme la fermeture de sa veste pour ne pas attraper froid. Elle s'arrête près du monégasque qui l'attire dans une douce étreinte le temps qu'elle reprenne le dessus sur ses émotions en ébullition.
Puis sans rien ajouter, elle s'installe en tribunes aux côtés de Charles emmitouflé dans un blouson. Seuls quelques mèches de cheveux s'échappent du bonnet qu'il porte dans ce froid hivernal tandis qu'ils observent les couples de patineurs défiler sous leurs yeux.
- Tiens, murmure une voix.
Nadejda se tourne vers le canadien qui vient s'installer à leurs côtés, une poche de glace à la main qu'il d'empresse de donner à la brune. Elle avait presque oublié la douleur lançant sa cheville, une autre habitude moscovite refait surface lorsque les blessures ne comptaient pas. Elle supporte la douleur si bien qu'elle ne sent pratiquement rien, ce que s'empresse de souligner le caandien légèrement inquiet :
- Il faudra faire une radio pour s'assurer que ce n'est pas cassé.
- Non.
La voix de Nadejda est glaciale, sans équivoque, si bien que le canadien n'ose pas intervenir. Seul Charles entrouve les lèvres pour parler afin de la rassurer qu'il s'agit juste d'un protocole de vérification mais Nadejda le devance en murmurant tout bas :
- A Korosten, les examens radiologiques... on les évite. Il paraît que ça rajoute de la radiation, avoue-t-elle tout bas. Les médecins disent qu'on en a déjà bien assez comme ça.
Charles croise le regard de l'entraîneur, ils ne trouvent rien à ajouter tandis que la brune continue de fixer le programme d'un couple italien sur la glace. Elle ne paraît pas déboussolée au contraire des deux hommes qui mettent un peu plus de temps à encaisser la dure réalité de ses propos.
ça va, je ne vous fais pas trop attendre :(
merci pour les 20K ici, cette fiction signifie beaucoup pour moi <3<3
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