trente-deux

Deux semaines sont passées, la douleur à sa cheville s'est évaporée et la saison de Charles s'est terminée. Il est vice-champion, laissant un goût amer, ce titre est marqué par la déception. Il aurait pu avoir plus, il aurait dû et Nadejda essaye de convaincre le monégasque que son heure viendra.

De son côté, c'est l'hécatombe à quelques jours du Grand Prix ISU d'Espoo auquel elle participe. La patineuse ne veut que se qualifier pour la finale ISU se déroulant sur les terres italiennes, à Turin. Elle enchaîne les entraînements, elle enchaîne les chutes sur les triples axels mais Nadejda n'abandonne pas.

Ce n'est pas dans sa nature.

Pourtant son moral descend au plus bas en se réveillant. Ses yeux fixent son portable vibrant sur la table de chevet, elle prend garde à ne pas réveiller Charles en l'attrapant. Ses yeux cliquent sur le lien contenu dans le message de son ami ukrainien.

Nadejda déglutit en parcourant l'article envoyé par Maxim. Ses yeux se gorgent instantanément d'eau sous l'effet de l'humiliation. Elle a l'impression que son nom est affiché en grand et qu'il est bafoué devant le monde entier.

Elle retire doucement la main de Charles posée sur sa hanche et sans un mot, elle s'extirpe du lit. L'ukrainienne contient difficilement ses larmes tandis qu'elle s'habille machinalement d'une tenue de sport, elle laisse ses patins derrière elle, ne gardant que des chaussures de courses.

Et Nadejda court au milieu de cette nuit noire, le soleil ne s'est pas levé et elle ne s'arrête pas de courir dans ce froid hivernal. Ses poumons brûlent à chaque inspiration glacée, ses pieds avancent machinalement. Elle ne compte plus les kilomètres, elle ne voit pas le temps défiler sous ses yeux, ni l'horizon pointer le bout de son nez.

Elle court simplement jusqu'à en perdre l'haleine. Sa respiration s'entrecoupe, son cerveau doit probablement manquer d'oxygène et Nadejda ne pense plus à ce qu'elle vient de lire. Elle ne pense qu'à la douleur qu'elle ressent dans ses jambes endolories par les courbatures qu'elle perçoit déjà.

"Diana Tchaïkovskaïa, entraîneuse honorée de Russie, a déclaré que son ancienne élève Nadejda Ivanova n'aurait jamais obtenu son titre olympique sans l'entraînement de son équipe.

Elle déclare par ailleurs que "cette médaille d'or olympique obtenue sous les couleurs de l'Ukraine n'est rien d'autre qu'un énième titre appartenant officieusement à la Russie comme le montre ces dernières performances".

En effet, l'ukrainienne s'est classée quatrième lors du Trophée de France, en l'absence notable des patineuses russes et bielorusses, suspendues en raison de l'invasion russe de l'Ukraine."

Ces mots ne quittent plus les pensées de Nadejda malgré qu'elle ait tout fait pour essayer de les chasser. Elle finit par s'arrêter à bout de souffle, elle regagne l'appartement du monégasque à bout de souffle. Elle y passe la majeure partie de son temps, surtout depuis que Charles lui a laissé une paire des clés.

Elle soupire, courbaturée, en se dirigeant vers la douche, abandonnant ses chaussures sur la route. Elle a besoin de se laver pour retirer la couche de sueur perlant sur sa peau, ses jambes ne cessent de trembler et elle a effroyablement mal aux pieds.

- Où est-ce que tu étais ?

Elle sursaute à l'attente de cette voix suave, elle se retourne pour faire face à Charles appuyé contre l'encadrement de la porte. Ses yeux clairs sont rivés vers elle, ils essayent de sonder la moindre de ses pensées mais la patineuse reste de marbre.

- Je suis partie courir, murmure-t-elle tout bas.

- Tu es partie courir, répète-t-il pour encaisser.

Il se pince les lèvres et Nadejda ne saurait dire ce qui le contrarie autant pour qu'il se tienne ainsi, les bras croisés sur son torse. Elle a l'impression d'avoir eu un comportement déplacé et Charles soulève d'une voix étonnement calme :

- Tu t'es réveillée avant six heures, il est presque dix heures.

- J'ai couru, répète Nadia en s'agaçant.

- Tu te prépares pour un marathon ?

Elle ne répond rien. Nadejda entre dans la salle de bain suivie par le monégasque. Elle n'apprécie pas vraiment le ton qu'il emploie même s'il essaye de ne pas la brusquer. Elle n'aime pas les insinuations qu'il transmet, elle retire ses chaussettes avec agacement en sentant son regard clair suivre le moindre de ses faits et gestes.

- J'aimerai me déshabiller, avoue-t-elle d'un accent slave.

- Désolé, balbutie Charles en se tournant aussitôt pour ne pas la regarder.

Nadejda a suffisamment confiance pour savoir qu'il ne regardera pas. Elle retire rapidement ses vêtements qu'elle laisse égarer au sol, sans s'en préoccuper. Elle se glisse sous la douche brûlante tandis que Charles déclare d'une voix forte pour couvrir le ruissellement de l'eau :

- J'ai lu l'article.

L'Ukrainienne ferme les yeux en soupirant, elle s'apprête à faire l'ignorante. Elle s'apprête à dire qu'elle ne sait pas de quel article il parle mais les larmes se mettent à couler sur ses joues sans qu'elle ne puisse les retenir.

- Carla me l'a envoyé, elle l'a reçu de la part de ton frère qui en a eu connaissance grâce à Maxim, explique-t-il. Et je me doute que Maxim te l'a envoyé et que tu as tout lu.

Elle déglutit, elle coupe rapidement l'eau en frottant ses yeux larmoyants. Elle renifle péniblement en s'enroulant dans une serviette, ses pieds nus se retrouvent sur le carrelage chauffant de la pièce, elle reste quelques secondes à observer le monégasque. Elle essuie encore des larmes, son cœur poignardé par des centaines de lames.

Il se tient toujours de dos, les yeux rivés sur la porte de la salle de bain et Nadejda s'en veut immédiatement d'avoir couru toute la matinée en sachant que ces actes blessent profondément le monégasque. Elle en avait besoin pour évacuer sa colère grandissante depuis que ses yeux se sont posés sur cet article.

Une autre humiliation.

Probablement celle de trop. Elle explose en sanglots, sans pouvoir contenir ses émotions qui ne font que déborder depuis le début de la matinée, depuis qu'elle s'est réveillée avec ce lien internet dans ses messages.

- Je la déteste, balbutie-t-elle tandis que les bras de Charles se referment sur son corps frêle.

Elle ne cesse de sangloter, Charles se contente d'être à ses côtés. Son corps tremble, il en veut au monde entier qu'elle se retrouve dans cet état, plus particulièrement à cette femme qu'il n'a jamais vu mais dont l'estime est quasiment nulle. Il n'éprouve qu'un dédain profond pour cette femme nommée Tchaïkovskaïa.

- J'ai eu le titre aux mondiaux sans eux, avoue-t-elle.

- Nadia.

Ses mains se posent sur ses épaules dénudées, elle relève son regard vers lui. Ce dernier n'est plus humide, il est tranchant et Charles aperçoit la transformation qui se produit. Il est estomaqué par cette étincelle qu'il voit soudainement briller dans ses pupilles dilatées.

La force de vivre.

Elle n'avait pas disparu, elle avait simplement perdu de son éclat. Elle vient de s'embraser de nouveau, il suffisait d'un souffle, d'un renouveau, d'une autre philosophie tout autant différente que Charles ne mesure que maintenant lorsqu'elle déclare :

- Ça sera avec notre méthode que je gagnerai.

Nadejda se détache de ses bras, ne lui laissant pas le temps de placer un seul mot. Elle essuie ses larmes d'un geste de la main et elle se dirige vers leur chambre. Elle réapparaît quelques minutes plus tard, entièrement séchée et habillée, comme s'il ne s'était rien passé.

Le monégasque reste estomaqué en rejoignant la cuisine. Il l'observe ouvrir le frigidaire pour en sortir un yaourt et des fruits comme si ce geste était naturel, elle questionne en tirant sa chaise :

- Tu ne déjeunes pas ?

- Je... si, balbutie-t-il en s'asseyant à son tour.

Il comprend à la vue de son regard sombre qu'elle ne souhaite plus en parler et elle s'empresse de disparaître pour aller préparer ses affaires. Le départ pour la Finlande s'effectue dans la soirée afin d'arriver quelques jours en avance pour cette compétition.

Le pilote l'observe faire sans rien dire, il l'observe plier ses tenues qu'elle a du faire changer. Ces dernières ne lui allaient plus, elle se sentait un peu trop à l'étroite dans les tissus pailletés. Ses yeux s'attardent sur l'unique paire de patin qu'elle glisse dans son sac.

- J'ai quelque chose pour toi, avoue-t-il.

Elle relève les yeux vers lui et sans un mot, le monégasque lui désigne un tiroir de la commode qu'elle ouvre. Nadejda fronce les sourcils en attrapant une boîte qu'elle s'empresse d'ouvrir. Son cœur s'arrête en observant son contenu, ses yeux sombres se relèvent immédiatement vers le monégasque.

- C'est la même paire que...

- Oui.

Nadejda fixe de nouveau la paire de patin. Elle est identique à celle dont la lame s'est brisée à son entraînement aux jeux olympiques, il s'agit du même modèle, des mêmes couleurs et elle retrouve les mêmes personnalisations sur les lames.

- Comment est-ce que tu as su ?

- Brian est attentif, il était là-bas ce jour-là.

Et Nadejda comprend que le monégasque a tout fait pour retrouver des photographies de ses patins pour les personnaliser à l'identique et il ajoute avec un petit sourire :

- J'espère qu'ils te porteront chance, même si tu n'en as pas besoin.

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