trente-cinq
Le silence est pesant, Nadejda ne peut soutenir les regards plus longtemps. Elle baisse aussitôt les yeux sur ses pieds qui paraissent soudainement bien plus intéressants à observer.
Et le silence laisse place à des murmures frénétiques parcourant cette cohorte de journalistes après que la traduction soit parvenue à leurs oreilles, tout comme le public qui semble être pris d'une agitation soudaine. Mais Nadejda n'ose pas regarder Charles dont l'effarement tire les traits de son visage et décroche sa mâchoire qui est sur le point de tomber, elle se contente de bredouiller :
- Je pense que j'ai été capable de gagner tout ce que je voulais, je ne veux plus me mesurer à d'autres patineuses en compétition. Je ne ressens plus ce besoin de me comparer pour savoir ce que je vaux, je l'ai déjà prouvé. J'ai grandi, j'ai changé, il y a des combats plus importants à mener.
Elle déglutit difficilement tandis que sa voix s'effrite sans qu'elle ne puisse la contrôler. Ses genoux n'arrêtent pas de s'entrechoquer entre eux, elle grimace encore une nouvelle fois.
- De nombreuses personnes ont déclaré que je n'aurais pas gagné sans les entraîneurs russes. C'est peut-être vrai pour ce qui concerne les titres majeurs, mais je ne le saurai jamais et c'est pour cela que je veux permettre à d'autres patineuses d'accomplir ce que j'ai fait, avec des méthodes d'entraînement moins intensives, continue-t-elle. Avant d'aider les autres, il faut s'aimer soi-même et je ne suis pas encore dans le meilleur de ma forme. J'ai encore des problèmes à m'accepter comme je suis mais je promets à toutes les patineuses ukrainiennes que je reviendrai. Je ne quitte pas ce monde définitivement, j'essaierai d'apprendre ce que j'ai appris à d'autres. C'est la continuité de ma carrière, il n'y a aucun doute là-dessus.
Elle s'arrête un instant pour chercher ses mots et aucun journaliste ne s'interpose pour lui poser plus de questions. Elle en est soulagée puisqu'elle continue d'une voix tremblante :
- Certains diront que j'ai gagné mes précédents titres grâce à la Russie, j'ai été entraînée par des russes et c'est peut-être les meilleurs dans le domaine du patinage artistique. Laissons-les parler, laissons raconter ce qu'ils veulent mais je n'ai jamais cessé de représenter l'Ukraine en compétions. Peut-être que je ne suis plus dans mon pays actuellement, ça n'empêche pas que je suis activement ce qui se passe. Mon frère était dans le Donbass. Je suis née près de la zone d'exclusion de Tchernobyl et je n'ai jamais cessé d'aimer mon pays, demain je gagnerai cette dernière médaille pour prouver que nous sommes bien de la nation des cosaques, conclut-elle.
Elle termine par une célèbre phrase de l'hymne ukrainien et Nadejda s'éclipse aussitôt en ravalant ses sanglots. Un poids titanesque quitte ses épaules pourtant elle évite soigneusement le monégasque et le canadien en retournant immédiatement aux vestiaires pour se changer, elle ne souhaite que se débarrasser de sa tenue d'entraînement.
Nadejda s'installe sur un banc dans les vestiaires vides de toute présence. Seuls ses sanglots s'échappent de ses lèvres lorsqu'elle retire ses patins. Le soulagement se mélange à la tristesse et elle ne saurait décrire ce qu'elle ressent, tout est paradoxe par la décision qu'elle vient enfin d'annoncer après plusieurs mois de réflexion, les deux dernières semaines n'ont fait que conforter sa décision.
Son téléphone ne cesse de vibrer dans son sac et Nadejda s'empresse de le couper pour ne pas voir les messages se succèdent sur son écran après cette annonce mouvementée. Les portes du vestiaires s'ouvrent sur plusieurs patineuses suivies de leurs entraîneuses, il s'agit de juniors et leurs yeux se posent sur Nadejda.
Elle essuie précipitamment ses larmes en se redressant pour leur offrir un sourire sincère, tout en rangeant ses patins dans son sac qu'elle s'empresse de récupérer. Elle enfile des chaussures avec rapidité avant de quitter la pièce, elle se prépare à affronter la tempête à l'extérieur.
Pourtant arrivée à leur hauteur, aucun des deux hommes ne parle. Elle ne saurait décrire les émotions sur leurs visages, elle ne saurait décrire leur avis sur la question et tout le chemin du retour jusqu'à l'hôtel se fait dans une tension palpable.
Nadejda aurait cru que Brian parlerait avant qu'ils ne se séparent pour rejoindre leur chambre. Elle aurait sans doute préférer pour éviter à ses pensées de bouillonner. A la place, elle observe Charles refermer la porte derrière eux, il s'appuie aussitôt sur cette dernière en soupirant.
- Je n'ai que deux questions, avoue-t-il d'une voix pateuse. Est-ce que tu regrettes ?
Elle secoue la tête face aux yeux larmoyants du pilote plongé dans l'incompréhension la plus totale par cette décision inattendue.
- Depuis... depuis quand est-ce que tu t'es décidée ? Car je sais que ce n'est pas un sur un coup de tête, je sais que tu as réfléchi, précise-t-il en se doutant qu'elle ne doit pas connaître l'expression utilisée précédemment.
- Après le grand-prix d'Italie, avoue Nadia.
Et le visage du pilote se décompose un peu plus, il aurait dû parier. Il aurait dû s'en douter et il n'en faut pas plus pour que sa tête se pose dans ses mains. Il explose en sanglots tandis que la brune se contente de l'étreindre, elle sait qu'il a compris. Il ne fait que confirmer en murmurant d'une voix brisée :
- Pourquoi... pourquoi...
- Tu mérites de sauter dans le vide pour attraper tes rêves. Tu mérites de le faire sans avoir peur que personne ne soit présent pour te rattraper, murmure Nadia.
Et l'étreinte du pilote ne fait que se renforcer lorsqu'elle réutilise les mots qu'il avait utilisés des mois plus tôt en revenant du circuit français, complètement détruit par son erreur. La brune dépose ses lèvres sur sa joue toit en retirant les mains de son visage, il n'a pas besoin de se cacher.
Et leurs lèvres se joignent avec force, comme une promesse, d'être toujours présent pour l'être aimé.
Et encore une fois, Nadejda s'est sacrifiée.
Sans une once de regrets.
Le lendemain s'effectue sa transformation lorsqu'elle se prépare. Commence sa transition dans une tout autre dimension lorsqu'elle s'échauffe. Nadejda ne ressent que cette étincelle venant réchauffer son corps et recoller son cœur déchiré en deux.
Un triple axel avec facilité.
Les deux parties d'elle-même se rejoignent dès les premiers pas. Elle se sent soulagée d'un énorme poids, elle se sent réparée comme si des milliers de pansements venaient de se coller sur son cœur brisé pour arrêter les saignements.
Et personne ne pourra te la prendre.
Nadejda comprend ce que disait le monégasque lorsqu'il parlait de liberté. Moscou ne lui a pas pris ça, c'est simplement elle qui l'avait perdue. Elle vient de la retrouver, elle a cette certitude.
Son poing s'élève dans le ciel pour mettre fin à des années de calvaire et Nadejda comprend ce qu'elle aurait dû comprendre des années plus tôt. Elle vient de sortir de la prison que sont les enfers. Et une pluie de fleurs, de peluches tombent sur la patinoire. Il n'y a qu'elle au milieu d'elle.
C'est une renaissance.
Le retour tant espéré de l'espérance.
L'école moscovite n'a jamais pris ce bout d'elle-même.
C'était simplement elle qui s'était égarée en chemin. C'était simplement elle qui s'était perdue dans sa quête de gloire.
Dans les mémoires, son prénom inscrit.
Pour l'histoire, c'était écrit.
on ne s'enflamme pas, c'est loin d'être terminé puisqu'il reste un deuxième prénom à inscrire dans les mémoires :))
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