sept

Personne ne parle sur le trajet du retour, pas même Nadejda qui jette des coups d'œil sur son téléphone. Elle attend des réponses de son frère Alexandre, elle n'a aucune nouvelle depuis leur dernier échange coupé brutalement. Ses parents n'ont pas eu de nouvelles de leurs côtés et Nadia s'inquiète.

Elle a l'estomac noué, elle craint de n'avoir aucun appétit pour avaler un peu de nourriture avant d'aller se coucher. Elle repose son téléphone sur ses genoux et reporte son regard sur les passagers de la voiture, ils sont silencieux.

Ils ne savent pas quoi dire pour la rassurer face à la situation actuelle, il n'y a probablement aucun mot, c'est une lourde croix à porter autour du cou et Nadejda ne leur en tient pas rigueur.

Elle observe le monégasque conduire depuis la banquette arrière. Il paraît troublé depuis tout ce temps mais Nadejda ne comprend pas vraiment, peut-être que la vue de son corps a choqué sa pudeur. Elle évite de trop y penser, elle a d'autres chats à fouetter que de se préoccuper des états d'âme d'un garçon pudique.

La voiture finit par s'arrêter devant la maison de Carla, cette dernière descend immédiatement accompagné de son copain, emportant avec eux leurs achats. Nadejda ouvre sa portière avec lenteur.

Elle a besoin de marcher.

Elle a besoin d'évacuer.

Sinon elle va imploser de l'intérieur.

Comme l'explosion d'un second réacteur.

Nadejda quitte le véhicule sur ses jambes frêles, elle ne se sent pas très bien et elle préfère ne pas rentrer tout de suite.

- Je vais faire un tour, murmure l'ukrainienne.

Les sourcils de Carla se froncent tandis qu'elle observe la patineuse, pesant le pour et le contre de la laisser seule. Elle finit par céder face au regard d'Arthur et elle souffle simplement :

- La porte d'entrée ne sera pas verrouillée.

Nadejda la remercie d'un sourire tandis qu'ils disparaissent à intérieur de la maison, embarquant avec eux les achats effectués précédemment. Nadejda se tourne vers le monégasque restant à l'intérieur de sa belle voiture, il n'est pas encore parti.

Et sans un mot, Nadejda l'observe quitter sa voiture. Il verrouille son véhicule sous le regard réprobateur de la patineuse qui comprend qu'il va l'accompagner, il hausse les épaules et se justifie :

- Tu pourrais te perdre, on ne sait jamais.

Un faible sourire étire ses lèvres dévoilant des fossettes sur ses joues, jusqu'alors cachées. Nadejda ne rajoute rien, elle connaît la ville comme sa poche mais peut-être qu'un peu de compagnie silencieuse ne lui fera pas de mal.

Ils déambulent sans un mot dans les rues de la principauté, grimpant vers les hauteurs du Rocher. Nadejda tient le coup et durant toute cette ascension silencieuse, ses pensées s'apaisent sous le soleil plongeant. Elle finit par s'assoir face à la mer s'étendant devant elle, elle retire ses chaussures pour soulager ses pieds douloureux.

Nadia retire ses chaussettes pour jeter un coup d'œil à ces derniers. Elle hausse les épaules face au monégasque qui grimace à sa place en voyant ses orteils jonchés de pansements. Une cicatrice béante traverse la plante de son pied et Nadejda s'explique simplement :

- C'était mon premier triple axel sur glace, j'ai raté la réception. Mon patin gauche s'est planté juste ici.

Nadejda n'ajoute rien, elle n'explique pas que Diana Tchaïkovskaïa lui a demandé de sauter le lendemain de sa chute jusqu'à se réceptionner correctement. La patineuse n'explique pas les nombreuses tentatives ratées alors que des points de sutures étaient présents sur l'entièreté de son pied et que la douleur était insurmontable.

A la place, Nadejda replace simplement un pansement pour protéger une ampoule et elle remet ses chaussettes pour ne pas attraper froid. Elle reporte son regard vers la mer méditerranéenne, ses pensées fracassent son crâne une nouvelle fois.

- Je n'ai pas de nouvelles de mon frère Sacha, avoue-t-elle la gorge nouée.

Elle n'est même pas sûre que le monégasque l'ait entendu, sa voix n'était qu'un murmure. Pourtant, Charles s'assoit à ses côtés après avoir donner un coup dans un petit caillou, pour l'envoyer valser au loin.

- Il est dans le Donbass, il s'est engagé dans l'armée juste avant Noël, ajoute Nadia.

Il ne répond rien et se contente de fixer l'horizon. Peut-être qu'il ne sait pas quoi ajouter comme les autres monégasques face à cette situation, et Nadejda ne peut continuer par peur de l'embêter. Elle soupire profondément en se passant une main sur le visage, puis elle tourne la tête vers le monégasque. Charles ne regarde plus la mer, il l'observe de ses yeux bleutés et Nadejda comprend qu'il ne fait que l'écouter, il attend simplement qu'elle veuille bien continuer de raconter son histoire.

- Je m'endors en pensant à tous les mouvements que je fais dans mes programmes et je me lève tous les matins en ne pensant qu'au patinage, murmure-t-elle. Ces quatre dernières années, je n'ai pensé qu'aux jeux olympiques. Je n'ai pensé qu'à cette médaille d'or que j'ai raté, et maintenant que je l'ai, j'ai peur de ne plus me savoir pourquoi je me lève chaque jour.

Elle s'arrête un instant pour reprendre sa respiration et le monégasque est submergé par cette facilité qu'elle possède de parler sa langue, sans faire une seule erreur. Son accent slave est doux et Charles ne s'arrête plus de l'écouter, il se perd dans son regard chocolat tandis qu'elle continue :

- Je n'ai plus rien à gagner. Il ne reste que ma famille pour laquelle vivre et peut-être que demain matin, je vais me réveiller en apprenant que j'ai perdu mon frère. À quoi, ça sert de continuer ?

Charles déglutit, il n'a pas les réponses. Il les cherche depuis des années, alors comment pourrait-il rassurer la jeune femme se tenant devant lui, alors qu'il ressent la même chose.

Pourquoi continuer ?

Charles le fait pour sa famille, et peut-être qu'il cherche à inscrire son prénom quelque part dans l'histoire du monde automobile, c'est l'une de ses plus grandes motivations.

- Tu dois continuer pour toi, pour ta passion, souffle-t-il. Il te reste encore des titres à ajouter à ton étagère.

Nadejda hausse les épaules, elle n'est pas convaincue par ce qu'il se passera par la suite, après avoir conquis d'autres titres et que sa carrière sera terminée, elle répond simplement :

- Il me reste moins de deux saisons avant la date.

Le monégasque tourne la tête vers la patineuse, les sourcils froncés. Il n'est pas sûr de saisir le sens de ses paroles, il s'apprête à la questionner mais Nadejda le devance en expliquant l'effroyable comme une fatalité.

- La date d'expiration, murmure Nadia. Ma carrière va s'arrêter et c'est inéluctable.

- Tu parles bien français, soulève Charles.

Et la brune esquisse un sourire en sa direction en comprenant qu'il ne sait pas quoi ajouter mais Nadejda ne lui en veut pas. Elle sait qu'il baigne dans le sport automobile, il doit comprendre ce qu'elle dit et cela lui suffit.

- Je commence à avoir froid, déclare-t-il en se levant. Pas toi ?

- Je vis à Moscou, Charles.

Il rit et Nadejda déglutit en comprenant qu'elle n'y retournera jamais, qu'elle ne se réveillera plus dans cette chambre qu'elle partage avec Anna. Il y a toutes ces affaires là-bas et le monégasque constate son trouble, il s'excuse de sa maladresse.

- Ce n'est rien, je suis juste Ukrainienne, dit-elle.

Sa voix sonne comme une fatalité, ce n'est qu'une habitude de s'excuser pour ce mauvais sort. Celui d'être née à Korosten, dans cette zone hautement contaminée, Nadejda a appris à s'excuser depuis son enfance pour n'être qu'un enfant de Tchernobyl, elle s'excuse désormais d'être ukrainienne.

- Ce n'est pas ta faute, et je ne pense pas que tu doives t'excuser de l'être, souligne Charles.

- J'ai choisi de représenter l'Ukraine, plutôt que la Russie pour ma sœur. Le jaune était sa couleur préférée, murmure-t-elle d'un sourire triste.

- C'est vrai que c'est une belle couleur, surenchérit le monégasque.

Il sait que ce n'est pas la seule explication, il n'attend aucune autre justification pouvant lui briser un peu plus le cœur. Le monégasque se contente de s'engager dans le chemin pour redescendre du Rocher après que Nadejda ait remis ses chaussures sur ses pieds abîmés par sa passion.

Il devrait dire vocation.

Car, jamais, il ne se serait mis dans un tel état pour une simple passion, jamais il ne risquerait sa vie et sa santé comme elle le fait, pour une simple passion. Pourtant c'est ce qu'il fait tous les week-ends en montant de sa monoplace, et Charles est persuadé que le patinage est bien plus qu'une passion ainsi que le sport automobile à ses yeux.

C'est toute sa vie.

Et il ne peut que comprendre cette notion de sacrifice, il ne pourra jamais la contredire et Charles comprend ce que disait Carla, elles sont toutes comme elles. Les pilotes sont tous comme lui lorsqu'ils recherchent l'adrénaline à la limite du point de corde à chaque virage.

Charles l'observe rentrer chez elle, Nadejda lui esquisse un faible sourire pour le remercier d'être resté à ses côtés, de l'avoir écouté et quand elle rallume son téléphone pour guetter un quelconque message de son frère aîné, il n'y a rien excepté un appel de Maxim.

Nadejda le rappelle, il décroche immédiatement et elle l'écoute durant de longues minutes. Il est toujours en Suisse avec ses entraîneurs et sa partenaire. Maxim est soulagé de ne pas être en Ukraine quand la guerre à éclater, sinon il n'aurait jamais pu passer la frontière, il aurait dû être mobilisé après le décret de la loi martiale approuvée par la Rada, le parlement ukrainien.

Il explique que tous les hommes âgés de dix-huit à soixante ans seront mobilisés suite à la promotion de la loi martiale. Maxim finit par soupirer en confiant que son petit frère, Viktor, vient d'être mobilisé, l'armée est venue le chercher pour l'engager, il va être envoyé à Marioupol, cette ville stratégique au sud de l'Ukraine en raison de son port, dans le Donetsk.

- Même si vous n'êtes plus ensembles avec Viktor, je tenais à te le dire, conclut le patineur.

Il finit par raccrocher, laissant Nadejda seule, en se demandant ce qu'il se passe à des milliers de kilomètres de la principauté. Elle n'ose pas allumer la télévision pour s'informer.

Elle est terrifiée.

je vous invite à regarder la vidéo tout en haut de ce chapitre si vous avez le courage, elle est assez longue mais dénonce la réalité :((

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