quatorze

Nadejda ne voit qu'un exorciste à travers le psychiatre. Il essaye d'exorciser le vieux démon possédant ses pensées. Depuis des années, elle est rongée par le mal. Ce dernier se réfléchit à chaque fois qu'elle pose ses yeux sur son reflet dans le miroir. Elle est effroyablement pâle, elle est effroyablement maigre.

Le démon est puissant, il est ancré profondément.

Et peut-être qu'elle pourra bien y rester en essayant de le chasser. Il l'habite depuis longtemps. Le patinage artistique l'a implanté avec force dans son cerveau, Diana Tchaïkovskaïa n'a fait que nourrir ce démon, sans jamais le rassasier afin qu'il puisse continuer de se développer, laissant Nadia mourir de faim.

Une perfusion est plantée dans son bras gauche. Des bleus s'échouent au niveau du pli de son coude, Nadejda ne fait que retirer l'intraveineuse et les infirmières ne font que la remettre inlassablement, venant charcuter les veines à l'intérieur de son bras.

Elle se retient de l'arracher une nouvelle fois mais elle ne veut plus avoir affaires à ce psychiatre qui l'observe derrière ses lunettes rondes de couleur marron. Il est aussi étrange que la majorité des patients présents dans les couloirs de cet hôpital.

Nadejda a fait le tour de cette chambre à force de l'inspecter dans les moindres détails. Elle pourrait dire le nombre de dalle présente sur le plafond et le nombre de carreaux sur le sol blanc. Il manque un bouquet de pissenlits jaunes posé sur la table de chevet pour reconstituer les éléments à l'identique.

Il y a même cette odeur de désinfectant qui monte facilement au nez, venant picoter ce dernier comme après avoir mangé une cuillère de moutarde. Mais qu'est-ce que Nadejda pourrait savoir de ça ? Elle ne se souvient pas de la dernière fois qu'elle a goûté de la moutarde.

- C'est à toi de jouer, Nadia.

Elle repose son regard sur Carla assise en tailleur sur l'extrémité de son lit. Cette dernière lui désigne la grille du puissance quatre se dressant entre eux, Nadejda attrape un jeton jaune qu'elle glisse dans la grille. Elle est en train de perdre cette manche, ça ne lui fait presque rien.

L'athlète soupire en s'attachant les cheveux en un chignon lâche en observant la blonde gagner la partie. Elle en propose une autre pour passer le temps mais Nadejda décline, elle est fatiguée de devoir faire semblant que ce jeu est plaisant. Il est ennuyant.

- Je ne veux plus jouer à ce jeu, déclare-t-elle. Je ne veux plus rien faire, je veux juste sortir.

Elle croise ses bras sur sa petite poitrine comme pour appuyer ses propos. Carla effectue un sourire triste en comprenant, elle ne peut rien faire pour aider son amie. Elle ne peut pas la forcer à manger le yaourt nature traînant sur sa table de chevet depuis le début de la matinée.

Nadejda ne l'a pas touché, elle ne l'a même pas regardé. Elle reste simplement branchée à cette perfusion pour pouvoir aller aux toilettes toute seule, sans manquer de s'évanouir en se levant de son lit.

Sans un mot la blonde se lève du lit, elle récupère sa veste posée sur une chaise qu'elle enfile d'un geste souple, Nadejda l'observe contrariée qu'elle s'en aille déjà, mais la monégasque dévoile :

- Il est dix-sept heures, c'est la fin des visites mais je reviendrai demain si tu veux.

Nadejda acquiesce, elle ne répondra pas qu'elle a besoin de compagnie. Elle range simplement le jeu dans sa boîte qu'elle tend à Carla pour qu'elle puisse le rendre à l'accueil en repartant. Les deux jeunes femmes se font une dernière étreinte avant que Carla ne s'éclipse, elle referme la porte derrière elle.

Et le silence prend place dans la chambre, Nadejda soupire en s'appuyant contre le mur. Elle tire ses écouteurs qu'elle enfonce dans ses oreilles, elle les branche à son téléphone et la musique de ses programmes défilent dans ses oreilles.

Nadejda connaît par cœur chaque note, chaque pause, chaque intervalle. Elle se perd dans ses pensées s'imaginant sur une étendue blanche, ses pas ne sont que des glissades et elle déglutit en retirant ses écouteurs d'un geste brusque.

Elle reste à fixer le mur blanc face à elle en se demandant si elle trouvera un jour le courage d'appeler son frère et si elle aura la force de goûter ce yaourt nature qui paraît bien trop fade pour être ingurgité. La porte finit par s'ouvrir et Nadejda déclare sèchement à l'infirmière :

- Ça ne sert à rien de me le demander, je n'ai pas mangé ce yaourt.

L'absence de réponse fait que Nadejda tourne la tête vers le seuil de la porte. Sa mâchoire se décroche de surprise, ce n'est ni une infirmière, ni le psychiatre se tenant sous l'encadrement de la porte, simplement le monégasque. Un petit sourire étire ses lèvres tandis qu'il pénètre dans la chambre, Charles s'approche du lit et demande doucement :

- Je peux ?

Nadejda hoche la tête face à son regard clair qui exerce une puissance fascinante sur elle. Il se laisse tomber sur le bord du lit, prenant soin de ne pas écraser les pieds de la patineuse se trouvant non loin de lui.

Ses yeux se posent sur la table de chevet où se trouve exactement le même pot de yaourt que la dernière fois. Il est toujours là depuis un mois et Charles est certain qu'il s'agit d'un nouveau tous les jours et que Nadejda n'y a toujours pas touché.

- Qu'est-ce qu'il a ce yaourt pour mériter autant de colère ?

- Il n'a pas l'air très bon, rétorque Nadejda.

- Est-ce que tu l'as goûté avant de tirer des conclusions sur ce pauvre yaourt ?

- Non, il paraît fade.

Charles dissimule un sourire amusé, cette fille la surprendra toujours par la manière dont elle est sûre d'elle à chaque mot prononcé. Il aimerait avoir cette confiance qu'elle dégage, cette assurance qu'elle possède.

- Tu n'as qu'à demander quelque chose de plus appétissant, suggère Charles.

- Je ne peux pas, murmure Nadia. Je n'ai pas le droit, les médecins disent que je dois manger des aliments simples parce que je n'ai pas une flore intestinale très développée pour digérer correctement.

Nadejda ne se doutait pas que manger toujours la même chose depuis des années allaient avoir d'aussi grandes répercussions sur sa vie. Elle ne pensait pas que des nutriments en poudre pouvaient perturber ses intestins, encore moins que retrouver l'appétit pour d'autres aliments allait être difficile.

Charles tend son bras pour saisir le yaourt et la petite cuillère l'accompagnant sur la table de chevet. Sans un mot, il ouvre l'opercule en plastique et il plante la cuillère à l'intérieur brisant la surface lisse du produit laitier. Il prend une cuillère puis une seconde avant d'avaler, il hausse simplement les épaules en avouant :

- J'en ai connu des pires et j'en ai connu des mieux, on ne va pas se mentir.

Aussitôt, la patineuse lui arrache le petit pot des mains, ainsi que la cuillère. Nadejda ne sait même plus comment tenir cette dernière dans sa main, ayant perdu cette habitude depuis qu'elle ne boit que ses sachets dans un verre d'eau. Elle met la cuillère dans sa bouche, elle déglutit difficilement en grimaçant face au goût se propageant contre son palet.

- Alors ?

- Je ne sais pas, murmure-t-elle. Je ne me souviens pas des derniers yaourt que j'ai mangé, je ne pourrais pas le comparer.

- J'aime bien ceux à la vanille, avoue Charles.

Nadejda acquiesce, peut-être que ces derniers seront meilleurs. Elle se force tout de même à finir le yaourt qu'ils viennent d'entamer, elle ne souhaite pas le jeter à la poubelle en le gaspillant inutilement.

- Ce n'est plus l'heure des visites, remarque-t-elle en reposant sa cuillère sur la table de chevet.

- L'infirmière a eu pitié de moi, ça fait six jours qu'elle ne m'avait pas vu.

- Tu aurais pu attendre demain matin pour venir à la première heure.

- Peut-être bien, mais il faut dire que tu m'as manqué.

Charles esquisse un clin d'œil à la patineuse, elle retient un petit rire face à son air fier qu'il a eu en prononçant ses mots. Ses fossettes apparaissent quand son sourire s'agrandit, dévoilant ses dents blanches.

Pourtant ses yeux rieurs ne brillent pas, il paraît attristé. Nadejda n'est pas idiote, elle a compris les raisons de sa présence. Elle finit par questionner :

- Ça s'est mal passé ?

Un haussement d'épaules s'ensuit et Charles fuit son regard. Nadejda se redresse sur son lit pour s'approcher du jeune homme. Ses bras passent autour de ses épaules tandis qu'elle l'attire dans une étreinte, ses doigts glissent dans ses cheveux bruns qu'elle caresse doucement.

Il n'a pas besoin de parler, Nadejda a compris qu'il a commis des erreurs ayant comme conséquences de ne pas finir sur le podium. De nombreuses fois, la patineuse en a fait, de nombreuses fois, elle a laissé des larmes s'échapper de ses paupières en regrettant ses faux pas.

- Je suis qu'une merde, souffle-t-il.

- Ne dis pas ça.

- Je suis partie à la faute tout seul en glissant sur un vibreur.

Un soupir s'échappe de ses lèvres tandis qu'il resserre son étreinte autour de Nadejda. Il se sent un peu mieux en étant contre elle, il sait qu'elle est une des seules à comprendre ce qu'il ressent réellement. Le goût amer de l'échec.

- Ce n'était qu'une bataille dans la guerre pour le championnat, souffle-t-elle au creux de son oreille.

Et Charles acquiesce, il reste d'autres courses à mener après Imola. Il reste d'autres batailles à gagner, il va y arriver.

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