quarante-six

Charles a doublé ses heures au simulateur, épatant ses ingénieurs par ses dernières performances. Il transcende la voiture à un autre niveau, bien loin des performances espérées en course. Il emmène sa monoplace aux limites de piste à chaque tour de qualification pour rafler les meilleurs temps.

Et ce travail archarné lui permet de reprendre la tête du championnat avec une longueur de dix points. Il sort enfin la tête de l'eau après de longs mois douloureux où il était éternel second. Seuls quelques éclats lumineux avaient été réalisés en début de saison lorsqu'il a remporté deux victoires inespérées à Monaco et à Barcelone.

Aujourd'hui, Charles remet les pieds dans son appartement qu'il fuit comme la peste depuis le départ de Nadejda. Il évite de revenir sur la Principauté par crainte de la croiser et sa famille a bien compris ses inquiétudes. Il sait que Arthur fait en sorte que le pilote de la Scuderia ne tombe pas sur Carla.

Son appartement est étrange. Il y a des traces de Nadejda partout. Il y a plusieurs yaourts natures dans le frigidaire, des vêtements traînent sur ses étagères. Il y retrouve principalement des tenues d'entraînement, des chaussures de sports et il y retrouve des paires de protège-lames ainsi qu'une veste de la fédération ukrainienne.

Dans la salle de bain, la scène se répète à l'identique. L'évier est entouré de divers produits de maquillage qu'elle a laissé ici à chaque fois qu'elle passait ses journées chez lui. Au fur et à mesure de leur relation, Nadejda s'est mise à délaisser la maison où elle logeait avec Carla et ses parents pour passer la majorité de son temps avec le monégasque.

Charles n'est pas surpris de trouver un trophée de la finale ISU sur son étagère lorsqu'il dispose son propre trophée dans la vitrine. Il a remporté le grand-prix de Monza quelqueq jours plus  tôt et il vient seulement de rentrer de Maranello. Il s'est préparé pour Singapour et ce soir, il partira à l'autre bout du monde.

Avant de préparer sa valise, il ouvre la porte à son petit frère qu'il a vaguement croisé à Maranello durant la semaine qui s'est écoulée. Sans un mot, il le laisse entrer. Arthur s'installe sur son lit en l'observant préparer ses affaires.

- Elle est sortie du bloc ce matin, ils ont retiré tout le sein droit dans sa totalité, ça s'est bien passé selon Carla. Elle était avec elle, il y avait aussi Sacha.

Charles commence par retirer les vêtements sales de son précédent déplacement en se pinçant les lèvres. Il les glisse dans la machine à laver et il revient aussitôt pour remplir sa valise d'autres vêtements. Il les plie et il les range soigneusement à l'intérieur en soupirant.

- Elle a refusé la chirurgie reconstructive, explique Arthur. Elle commence les radiothérapies la semaine prochaine et...

Il s'arrête en voyant bien que son frère ne répond rien. Charles semble complètement détaché de la situation puisqu'il continue de plier inlassablement ses vêtements à la perfection.  Il ne montre rien, c'est ce que pense sa famille pourtant Charles a compris la décision de l'ukrainienne. Il n'a pas tenté de s'y opposer en sachant à quel point elle peut être fière et têtue.

En réalité, Charles est tout simplement perdu.

Il se noie dans le sport automobile pour oublier ce que ça fait d'être seul, d'être à l'agonie. Il a longtemps repoussé cette idée lors de la trêve estivale, il a longtemps repoussé cette fatalité. Un cancer est difficile à combattre et Charles l'a réalisé au moment où l'ukrainienne a exprimé sa peur à haute voix.

Elle ne cesse pas de se battre mais la peur de crever paralyse ses pensées. Elle pense que ça apaisera la peine de Charles en le maintenant à distance, elle manque de discernement et le monégasque ne peut pas lui en vouloir, même s'il se retrouve seul.

Il avait compris à l'instant même où il a croisé son regard après l'annonce du médecin. Il a compris à l'instant même qu'elle le repousserait. Ce n'est pas égoïste. Nadejda ne souhaite qu'une chose, qu'il se donner corps et âme dans le championnat.

- Charles, tonne-t-il. Tu inquiètes maman et tu m'inquiètes aussi.

- Tu n'as pas besoin de t'inquiéter.

- Regarde-moi s'il te plaît.

Charles obtempère pour la plus grande surprise de son frère. Il relève son regard clair, il ne pleure pas. Ses yeux ne sont même pas humides, il n'a aucune expression et le plus jeune sent son cœur se serrer en comprenant ce que ressent Charles. Il s'est détaché de la situation comme l'aurait voulu l'ukrainienne, il s'était donné corps et âme dans cette relation pour la soutenir et tous les deux sont privés de l'autre comme pilier.

Mais Charles n'est pas sur le point de tomber et de se briser par terre. Pour la première fois depuis des mois, il ne s'oublie pas dans cette relation. Il pense à lui dans un premier temps, il s'est focalisé sur la course automobile et le championnat à remporter.

Il donne tout pour sa passion. Ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps malgré le fait que la pression ne fait que s'accroître au fur et à mesure qu'approche la fin de la saison. Il ne reste que huit courses, il a effectué un tiers du parcours.

- Ça va, assure Charles. Je suis prêt pour Singapour.

- Je sais que tu es prêt.

- Il n'y a pas besoin de s'inquiéter dans ce cas, répète-t-il.

C'est ce que tente de se convaincre Charles pour le grand-prix arrivant, pour la fin de ce championnat pour lequel il se bat et surtout pour Nadejda et son état. Il se répète intérieurement que tout s'est bien passé, que la mammectomie est une réussite depuis le début de cette journée, depuis qu'il s'est levée en sachant qu'elle serait au bloc opératoire.

- Il faut que je te pose à l'aéroport de Nice ?

Le pilote de la Scuderia acquiesce en refermant sa valise d'un coup sec. A peine arrivé sur la Principauté, il repart déjà et il est soulagé que son frère l'emmène à l'aéroport. Il n'aura pas besoin d'y aller seul avec ses pensées en ébullition totale.

- J'espère que les parents de Carla n'ont pas fait un gâteau comme l'année dernière.

Les sourcils de Arthur se froncent sous l'effet de l'incompréhension tandis que son frère ouvre la portière pour quitter sa voiture sur le parking de l'aéroport.

- J'espère qu'elle passera un bel anniversaire, conclut Charles.

Il ne laisse aucun temps pour échanger plus longuement avec son frère, il disparaît immédiatement pour prendre son vol jusqu'à destination de Singapour où se déroule un énième grand-prix. Il part encore, il ne reste pas bien longtemps sur le Rocher, là où il ne fait que penser à l'ukrainienne.

Nadejda se trouve dans sa chambre d'hôpital, elle est sortie du bloc opératoire en fin de matinée et depuis, les effets de l'anesthésie commencent à se dissiper. Elle se sent nauséeuse, il s'agit d'une sensation qu'elle connaît bien depuis ses chimiothérapies.

Comme la majorité des fois où elle reste à l'hôpital, il y a Carla et Sacha pour lui tenir compagnie. Ils sont d'un soutien infaillible en l'absence du monégasque, mais une fois qu'ils disparaissent passés la fin des visites et que Nadejda se trouve seule pour dormir, ce n'est plus pareil qu'en l'absence du monégasque.

Elle ne pensait pas que des étreintes viendraient à lui manquer, elle ne pensait pas que les baisers qu'il avait l'habitude de presser dans son cou viendraient à n'être que des souvenirs lointains. Elle ne pensait pas que son absence serait difficile, lui dont la présence était synonyme de silence.

Ses yeux se perdent dans le vide lorsque qu'arrivent dans sa chambre, les parents de Carla avec un gâteau et ses vingt-et-unes bougies. Derrière eux, se tiennent son frère, Carla, quelques personnes de son équipe médicale comme son oncologue et son psychiatre. Ils l'observent tous souffler ses ving-et-une bougies en ce mois de septembre.

Et pour la première fois de sa vie, Nadejda est agréablement soulagée de souffler les bougies de son gâteau d'anniversaire. Elle n'a jamais ressenti ce sentiment auparavant.

Jusqu'à présent, ses anniversaires n'apportaient rien. Elle détestait se voir grandir. Elle détestait voir nombre de son âge augmenter, la rapprochant inexorablement de la date d'expiration. Désormais, cette dernière n'existe plus. Elle a disparu en même temps que la carrière de Nadejda, elle s'est évaporée. Elle a quitté ses pensées.

Une autre idée germe.

Une année de plus au compteur, un autre nombre qui ne cesse d'augmenter au fil des années et Nadejda ne souhaite pas que cette croissance s'arrête. Elle ne souhaite pas que tout s'arrête, elle veut continuer de souffler d'autres bougies. Elle veut que leur nombre augmente.

Nadejda a toujours détesté les nombres. Celui de son poids augmentant sur la balance, celui de ses classements lorsqu'ils étaient différents du premier chiffre. Elle a détesté les nombres mais aujourd'hui, tout est différent.

Elle essuie ses larmes d'un revers de main, elle ne mange pas un morceau du gâteau pourtant elle observe toutes les personnes autour d'elle en prendre un bout. Elle ne peut que constater qu'elle est bien entourée pour la première fois de sa vie. Il ne manque que celui qu'elle a choisi si elle se tire de ses deux maladies.

Et quand tout le monde finit par disparaître, il ne reste qu'une personne à ses côtés. Nadejda comprend qu'elle l'apprécie énormément, elle se souvient des premiers jours où elle était réticente à la venue de l'entraîneur canadien.

- Je ne pensais pas que c'était si lourd, un sein, précise-t-elle.

Leurs regards se croisent et l'ukrainienne retient un rire depuis qu'elle est remontée du bloc opératoire. Elle se fait cette réflexion depuis que les effets de l'anesthésie générale disparaissent et elle n'osait pas le dire à haute voix par peur d'être moquée.

- Et pourtant, c'était un petit sein, rajoute Nadia.

Le seul qui pourrait vraiment confirmer n'est pas présent, mais Nadejda sait depuis toujours qu'elle a une petite poitrine. Il s'agit des conséquences de son retard de croissance liée à son aménorrhée primaire.

- La première chose que je fais en sortant d'ici, c'est un quadruple maintenant que j'ai perdu du poids.

Les yeux du canadien s'écarquillent instantanément sous l'effet de la stupeur et Nadejda finit par éclater de rire face à cette réaction. Elle précise qu'il s'agit d'une blague et elle observe le visage de Brian Orser se relâcher.

Nadejda voulait pas le mettre mal à l'aise avec son humour bancal. Elle ne cherche qu'à dédramatiser la situation et le faut qu'elle de trouve avec des agraphes à la place de son sein droit. Elle est maladroite mais le canadien ne lui en tient pas rigueur, puisqu'un petit sourire vient étirer à son tour ses lèvres.

Il ne pensait pas s'attacher autant à une de ses élèves, en si peu de temps. Les évidences sont sous ses yeux, il n'a jamais douté de sa patineuse. Il a toujours su qu'elle était d'une étoffe particulière qu'elle seule possède. Nadejda est toujours brusque dans ses propos, elle ne passe pas des heures à tergiverser sur des sujets. Ce qui doit être fait est fait. Elle n'a pas discuté la mammectomie, elle l'a acceptée sans sourciller.

Durant les deux mois suivants, elle enchaîne les séances de radiothérapies. Elle en a pratiquement une tous les deux jours pour en réaliser près de quarante-trois entre septembre et novembre.

Elle réalise une autre batterie de test, échographie mammaire, prise de sang, imagerie médicale. Elle ne compte plus les fois où elle se trouve devant un appareil en ayant le cœur palpitant, puis elle finit par se trouver devant son oncologue pour déterminer si l'ensemble du traitement a été efficace.

Il ne prononce qu'un seul mot que Nadejda n'a jamais entendu de sa vie si bien qu'elle est obligée de le traduire.

Un seul mot qu'elle aurait aimé entendre des années plus tôt et elle explose en sanglots.

on se retrouve bientôt pour l'épilogue !

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