quarante-cinq
Nadejda offre un faible sourire à Charles rentrant du grand-prix de Belgique en ce dimanche soir. Elle est allongée dans le canapé du salon, elle observe le pilote s'approcher pour déposer un tendre baiser sur son front. Elle n'hésite pas à attirer le monégasque dans ses bras pour prolonger leur étreinte. Son corps frêle est parcouru de frissons.
L'ukrainienne ressent ce besoin viscéral d'avoir Charles près d'elle. Il semble s'en rendre compte puisqu'il s'allonge à ses côtés dans le canapé. Il n'a pas l'habitude de la voir dans ce dernier, il pouvait compter sur les doigts d'une main les fois où elle est allongée à ne rien faire, mais c'était avant, avant son cancer.
- Tu ne dors pas, remarque-t-il.
- Je t'attendais pour te donner un bisous, lâche Nadia d'une petite voix.
Un sourire étire les lèvres de Charles face à ce rituel qu'ils gardent après les courses auxquelles elle n'assiste pas. Elle encadre le visage du monégasque de ses mains glacées pour l'attirer doucement vers elle. Tendrement ses lèvres se déposent sur les siennes et Charles laisse échapper un soupir de soulagement.
Il est heureux de rentrer, il prend garde à ne pas l'écraser en l'embrassant avec douceur. Ce n'est qu'à cet instant, sous l'effet de ce contact, que s'évapore la douleur de ce week-end décevant où il a enchaîné les erreurs. Il ne termine pas sur le podium.
Nadejda sent qu'il veut la questionner pour savoir si elle a mangé, elle s'empresse de préciser qu'elle a dîné chez Carla, avec son frère et les parents de la blonde. Le monégasque est surpris de cette information mais il ne relève rien. Il n'a pas le temps de s'y attarder que Nadejda glisse déjà ses paumes glacées sous son t-shirt.
Elle frôle la peau de son abdomen, le faisant frissonner sous ce contact. Il n'est pas habitué à un tel engouement de la part de la patineuse si bien qu'il ne la repousse pas. Il ne la brusque pas non plus, il se contente de presser des baisers fiévreux sur son cou, ses lèvres descendent jusqu'à la naissance de sa petite poitrine.
Lorsque Nadejda l'aide à retirer son polo rouge, ils ne peuvent s'empêcher de s'arrêter pour s'observer. Leurs yeux se font face, ils sont miroirs de l'un, comme de l'autre. Nadejda se perd dans ce regard clair dans lequel elle se sent profondément respectée et aimée.
Ses mains retirent, avec précaution, le turban qu'elle avait fixé sur son cuir chevelu. Elle se pince les lèvres, elle se sent évidemment moins belle sans ses cheveux pourtant elle refuse de porter une perruque. Elle ne veut pas, elle trouve que ce n'est pas pareil et que ça ne remplacera jamais les cheveux qu'elle avait.
- Nadia...
Ses mains se posent sur ses joues glacées pour essuyer les quelques larmes venues s'y échouer. La slave ne se rend pas compte qu'elle se met dans tous ces états, elle ne saurait dire s'il s'agit du geste de Charles, de sa douceur, de ses murmures tandis qu'il la rassure comme à chaque fois. Il s'agit d'un tout.
Il la questionne silencieusement du regard, elle s'empresse d'acquiescer pour donner son autorisation, sans lâcher son doux regard. Nadejda ne regrette rien, surtout quand il s'agit du monégasque qui l'aime si bien, dans chacun de ses gestes.
Elle ne saurait dire combien de temps, ils restent à s'enlacer, à s'embrasser après l'apothéose. Elle ne voit pas le temps passé à ses côtés jusqu'au moment où elle est portée vers le lit. Elle se laisse faire tandis que Charles l'enroule dans les draps. La fatigue finit par la rattraper, elle se sentait mieux mais son engourdissement n'est jamais bien loin depuis qu'elle a commencé les chimiothérapies.
- J'ai froid, bredouille-t-elle.
Il ne s'éloigne qu'un instant pour éteindre la lampe de chevet et immédiatement, ses bras étreignent la brune. Son corps vient se coller à son dos et son souffle finit par s'écraser dans son cou.
- T'es une menteuse.
- J'ai peur, avoue-t-elle enfin à haute voix.
Le cœur de Charles s'arrête. Pour la première fois, ses peurs sont dites à haute voix. Elle est honnête.
- T'es courageuse.
Elle répète ses mots dans sa langue natale, dans une intonation slave que le monégasque connaît bien. Il commence à comprendre un peu plus les mots qu'elle utilise chaque jour.
- Un pas à la fois, une chimio à la fois, répète-t-elle tout bas comme à l'habitude de le dire Charles.
Nadejda acquiesce, ses doigts se lient à ceux du pilote pour affronter le lendemain qui sera colossal. Un vide intersidéral les habite, l'appréhension du lendemain est une étape difficile quand il faut affronter une énième chimiothérapie.
La troisième est encore plus difficile que les deux précédentes. Nadejda est éprouvée physiquement, cette sensation nauséeuse est démesurée et son corps est malmené. La fatigue s'accumule et elle ne sait plus où donner de la tête dans cette tempête qui s'abat sur eux.
- La tumeur ne diminue pas autant que ce que nous avions envisagé, déclare le médecin.
Nadejda écoute sans vraiment le faire. Elle a le regard perdu dans le vide, ses paupières contiennent difficilement ses larmes malgré le fait qu'elle sait qu'un traitement n'est pas toujours efficace à cent pour cent.
Elle écoute vaguement son oncologue lorsqu'il déclare que la chimiothérapie néoadjuvante n'a pas les effets escomptés pour l'instant, la tumeur ne réduit pas et l'ablation de cette dernière ne sera pas envisageable. Il prononce le mot maudit.
Une mammectomie.
Nadejda se pince les lèvres avec forces, elle encaisse en étant toujours assise sur le lit d'hôpital. Elle ne fait que opiner de la tête sans grand intérêt, elle est déconnectée de la réalité. Elle ne remarque pas que le médecin finit par s'éclipser de la pièce.
Elle reste dans un silence assourdissant qu'elle ne connaît que trop en la présence de Charles. Il n'est pas un grand bavard, il ne dit rien en restant assis à ses côtés durant une éternité aux yeux de Nadejda.
Puis il finit par se lever, non pas pour pleurer, non pas pour parler. Il se contente de lier sa main à la celle de Nadejda, il retire sa blouse d'hôpital qu'elle avait pour passer la nuit ici afin qu'elle puisse enfiler d'autres vêtements lui appartenant.
- Charles, je dois passer la nuit ici, lâche-t-elle tandis qu'il l'entraîne vers l'extérieur de l'hôpital.
- Nous devons passer la nuit ici, corrige-t-il. Et nous serons revenus.
Son bras soutient sa taille en sachant que sa tête tourne au moindre pas. Ils prennent sa voiture afin de s'arrêter devant le complexe sportif que Nadejda ne connaît que trop bien.
Quelques minutes plus tard, Nadejda se laisse tomber sur un siège de la petite tribune de la patinoire. Le monégasque fait de même à ses côtés, il ne parle pas beaucoup comme à son habitude. Il se contente de nouer les lacets de ses patins de location, elle a mal au cœur dans son affliction.
Il n'y a presque personne au sein du complexe sportif. Quelques amateurs glissent sur la surface plane tandis que Nadejda termine d'enfiler ses patins blancs que Charles lui avait offerts. Elle ne peut s'empêcher de sourire en les observant, encore plus en sentant le regard clair du pilote posé sur elle.
- T'es mignon avec ton bonnet.
Il hausse les épaules comme seule réponse, sa main se tend en direction de la patineuse. Il l'aide à se relever sur ses jambes tremblantes sous l'effet de la chimiothérapie qui paralyse des membres par cette fatigue prépondérante.
Sans un mot, il sert d'appui à Nadejda. Elle s'agrippe fermement à son bras pour effectuer quelques pas timides sur la surface plane. Cette dernière n'a jamais parue aussi glissante aux yeux de l'ukrainienne, elle se sent fragile. Elle se sent faible et insignifiante en avançant jusqu'au milieu de cette étendue blanche.
Elle croise son regard brisé, elle sait que le monégasque a compris les pensées qui ne cessent de parcourir son esprit. Il ne pourra pas les chasser cette fois-ci, elles sont bien trop ancrées dans son crâne, il les a vues dans le fond de ses pupilles au moment même où le médecin a parlé d'une mammectomie.
- Tu sais que ça ne change rien pour moi, lâche-t-il.
- Il faut que tu gagnes.
Il a la gorge nouée, le cœur serré par ce qui est en train de se passer sous ses yeux. Il est incapable de prononcer le moindre mot, il est incapable de parler, il ne sent que son cœur qui se brise en milles morceaux pourtant il contient ses sanglots.
- Il faut que tu gagnes, répète-t-elle.
- J'essaierai.
- Tu le feras comme je le ferai, je te pro...
Le doigt de Charles se dépose sur ses lèvres pour l'empêcher de continuer, il a les yeux larmoyants en l'empêchant de commettre l'irréparable, il a l'impression de se soumettre à cette fatalité alors qu'il refuse de s'y plier.
- C'est égoïste, murmure-t-il d'une voix brisée.
Il ne parle pas que de cette promesse qu'elle a sur le bout de lèvres mais aussi de ce qu'elle est sur le point de faire. Elle n'a pas besoin d'en dire plus, Charles a compris à l'instant même où il a vu son air perdu à l'hôpital.
- Ça ne l'est pas, avoue-t-elle tout bas.
Charles le sait très bien, il sait qu'elle est incapable de ne pas protéger les autres. Elle l'a toujours fait, comme elle est en train de le faire à cet instant précis. Ses mains sont appuyées sur ses avant-bras musclés pour se soutenir et bientôt elle ne pourra plus s'appuyer sur le monégasque.
- Une dernière fois ? questionne-t-elle d'une petit voix.
Et Charles espère que ça ne sera pas la dernière, il espère si fort que ses lèvres se posent sur les siennes avec toute cette ferveur qu'il possède, avec tous les espoirs qu'il garde au plus profond de lui, enfouis. Nadejda fait de même, elle puise au plus profond d'elle-même pour trouver un peu de force afin de se redresser sur la pointe de ses pieds.
Un dernier baiser.
on approche lentement mais sûrement de la fin... j'espère que vous comprendrez la décision de Nadejda...
Je ne sais pas encore s'il reste un chapitre, ou deux chapitres, ou même zéro avant l'épilogue qui arrivera <3<3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top