quarante
Charles est esseulé. Il est désemparé, il s'appuie sur le mur derrière lui pour se maintenir debout. Il ne faut pas flancher tandis que le médecin l'observe avec déconcertance. Le pilote de la Scuderia ne savait pas que son espérance était tombée, des millions de questions embrouillent ses pensées.
Il ne saurait dire quelles sont les émotions qui s'emparent de lui. Il est à la fois triste, en colère mais Charles a surtout peur. Il est terrifié par tout ce qu'explique l'oncologue, appelé par le psychiatre, pour sans doute le rassurer. Mais ce n'est pas le cas, il ne peut s'empêcher de douter, si tout cela va finir par se soigner, par guérir et si toutes ces cellules dégénératives vont finir par crever.
Cancer.
Un mot amer.
Et Charles en veut à la terre entière.
Il est convaincu que le monde est injuste, qu'il en est à sa merci depuis toutes ces années. Peut-être qu'il s'agit de sa sombre destinée, voir tous les êtres aimés le quitter au fur et à mesure qu'il grandit, le laissant de plus en plus seul.
Ces derniers mois, il n'avait que Nadejda. A chaque instant dans ses pensées, à chaque moment dans ses idées. Il n'y avait que Nadejda, sa force de vivre, sa soif de survie et toute cette injustice qu'elle subit le rend colérique. Les larmes sillonnent ses joues et Charles ne fait que les essuyer sans succès, il est terrifié mais il doit se ressaisir.
Charles doit tenir pour deux, il doit prendre ce rôle de pilier autant de temps qu'il faudra pour avancer. Et c'est avec cette idée qu'il regagne la chambre où se trouve l'ukrainienne alitée, branchée sous des perfusions. Nadejda croise son regard clair et elle comprend qu'il sait tout, et que ses arguments ne feront pas le poids face à l'étincelle qu'elle voit briller au fond de ses prunelles.
Elle s'apprête à parler, elle s'apprête à le confronter mais le pilote se contente de secouer la tête pour l'intimider de ne rien dire. Il sait que le moindre mot prononcé par son accent slave, le fera de nouveau exploser en larmes. Il refuse de se plier à cette éventualité alors il s'assoit sur la chaise près du lit. Son regard se perd dans le vide tandis qu'il réfléchit à vive allure, sa voix est pâteuse lorsqu'il avoue :
- Je t'en veux.
Un soupir s'échappe de ses lèvres tandis qu'il se masse le cou, pour ne pas se laisser submergé par les émotions. Il a honte face au regard de Nadejda qu'il évite soigneusement de croiser, il se mord les lèvres avec violence pour ne pas pleurer.
- Je t'en veux parce que tu ne m'as rien dit, continue Charles. Je t'en veux et je me sens coupable de t'en vouloir en sachant que ce n'est pas de ta faute et que c'est du hasard.
- Ce n'est pas du hasard, c'est une maladie radio induite, l'interrompt Nadejda d'une voix étranglée.
Il ne peut plus résister, leurs regards se croisent et son cœur se brise dans ce qu'il lut dans ses sombres iris. Ses yeux sont les témoins d'une nature épuisée qui lutte vainement contre un mal insaisissable depuis toutes ces années. Il ne voit que cette tristesse paralysant son âme, comme si elle savait déjà que ce combat est sans issue, pourtant il est loin de l'être.
- Je ne veux pas commencer de chimiothérapie, déclare-t-elle.
Charles encaisse, ses épaules s'affaissent. Il comprend qu'elle ne souhaitait pas en parler par peur de se confronter au fait d'être malade, d'être atteinte d'un cancer détruisant ses cellules de l'intérieur. Il déglutit, cela fait presque six mois qu'elle garde tout pour elle et Charles n'a jamais rien vu et il est convaincu qu'elle a tout arrêté pour cette raison.
- Ça se soigne, tu vas guérir, tente-t-il de se convaincre. Il suffit de trouver la chimiothérapie la plus adaptée.
- Je ne veux pas, répète-t-elle plus fort.
Son intonation le fait défaillir. Les larmes reviennent à l'assaut, ses paupières se font assaillir de toute parte et il supplie d'une voix basse ce qui l'afflige encore plus :
- Nadia, je t'en prie. Si tu attends plus longtemps... je... je ne supporterai pas de perdre quelqu'un d'autre.
- Ça ne sert à rien, conclut l'ukrainienne en pensant à sa sœur ainée. Regarde Katia.
- C'était une leucémie, souffle le monégasque démuni. Ce n'est pas pareil.
- Ça reste un cancer.
Sa voix est sans appel. Charles comprend qu'elle ne changera pas d'avis sur le sujet pourtant il est loin de se résigner. Il finit par se relever de sa chaise en attrapant son téléphone sous le regard circonspect de l'ukrainienne. Elle l'observe s'éloigner de la chambre, surprise par le fait qu'il ne lui tienne pas tête malgré la colère luisant dans ses yeux clairs.
- Ce n'est pas parce que tu n'es pas d'accord que tu dois partir, lâche-t-elle cruellement.
Il tourne légèrement la tête de manière à l'observer, Nadejda ne comprend pas les émotions se succédant dans son regard. La colère vient de laisser place à une détermination qu'elle ne possède plus concernant cette maladie qu'elle a vu de trop nombreuses fois à Korosten en Ukraine.
- Si je ne parviens pas à te faire changer d'avis, Sacha y arrivera, conclut-il.
Ses mots brûlent sa gorge mais ce n'est rien comparé à la réaction de la brune. Elle se relève instantanément sur son lit, ses yeux deviennent rouges de colère tandis qu'elle s'égosille :
- Je t'interdis de le prévenir ! Je t'interdis d'en parler à ma famille, tu n'as pas le droit sinon je...
- Sinon quoi ? tonne Charles. Dis-moi !
- Je ne veux pas qu'ils revivent ça !
- Ils ont le droit de savoir autant que moi ! Tu sais qu'ils vont être d'un avis différent du tien et qu'ils auront raison en disant de commencer un traitement, tout comme pour Moscou où tu ne leur as jamais rien dit par peur qu'ils te retirent ton rêve, mais tout le monde savait, Nadia. Tout le monde !
Nadejda est bouche-bée devant la colère qui s'échappe de ses lèvres, elle ne l'a jamais vue dans cet état si bien qu'elle ne sait plus comment réagir.
- La première fois où je t'ai vue, j'ai su, reprend Charles. Alors arrête de vouloir protéger tout le monde, bon sang ! Le plus important, c'est toi. Pas les autres, pas moi, arrête de te sacrifier pour les autres en essayant de les protéger de la vérité que tu refuses d'entendre !
Elle reste paralysée sur son lit d'hôpital, incapable de bouger face au monégasque qui semble réellement brisé, tout comme elle, face à la vérité qu'elle vient d'entendre pour la première fois.
Personne n'a essayé de la protéger à Moscou, personne n'a osé s'interposer entre elle et ses rêves destructeurs, personne, pas même elle qui n'a fait que cacher cette vérité à ses proches, pour continuer de gagner des trophées, peu importe le prix à payer.
- Tu ne peux pas comparer une leucémie à un cancer du sein, continue Charles. Tu n'as pas le droit de baisser les bras sous prétexte que tu as peur de ne pas y arriver, ce n'est pas toi et ça ne te ressemble pas.
Il hésite un instant, et Charles retourne sur ses pas pour revenir près du lit. Il dépose son téléphone sur le matelas où se trouve la patineuse qui l'observe avec acrimonie, mais il n'a que faire de la colère qu'elle déploie envers lui. Ses yeux clairs se plantent dans les siens lorsqu'il déclare :
- Si tu n'appelles pas Sacha et tes parents, je m'en chargerai.
Elle acquiesce et Charles fait imme demi-tour pour se diriger vers la porte. Cette dernière claque avec force et Nadejda déglutit. Elle reste impuissante dans son lit, en se questionnant sur ce qu'il vient de se passer. Elle n'a jamais vu le monégasque aussi brisé.
Charles l'est.
Il l'est en rentrant dans le complexe nautique de Monaco où se trouve la patinoire. Il inspire profondément cet air glacial, qui vient brûler ses poumons et il avance inlassablement le long du bord de la surface plane. Ses yeux se portent sur l'entraîneur canadien au milieu de celle-ci, entouré de plusieurs élèves.
Leurs regards se croisent, le canadien comprend immédiatement en voyant l'air penaud de Charles. Ses mains sont enfouis dans ses poches tandis qu'il s'approche du rebord pour échanger quelques mots à voix basse.
L'ukrainienne a prétexté accompagner Charles en Espagne pour son grand-prix. Elle a donné un toute autre version à ce dernier en disant qu'elle devait rester pour aider le canadien lors d'entraînements alors qu'elle a passé son temps à courir.
Charles se sent stupide. Ensevelir par les mensonges il s'est laissé aller. Difficile, il est de s'en extirper, encore plus quand il est coupable de n'avoir rien deviné. Il n'a rien vu, il n'a pas vu la rechute. Il n'a pas vu son état se dégrader en étant bien trop obnubilé par sa saison.
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