dix-sept
Nadejda pénètre dans l'appartement lumineux du monégasque, elle n'ose pas avancer plus à l'intérieur de ce dernier. Elle se contente de rester dans le hall d'entrée alors que Charles a déjà gagné son salon où il dépose de nombreuses affaires sur son passage.
Nadejda parcourt la pièce des yeux, tout est spacieux.
Une bibliothèque est disposée près d'un piano à la peinture blanche, Nadejda n'en a rarement vu au cours de sa vie mais celui-ci semble particulier. Elle ne comprend pas encore les raisons de sa présence ici, n'ayant pu refuser l'invitation énoncée par le monégasque d'une voix tremblante.
Il s'est arrêté de pleurer et Nadejda en est soulagée, elle n'est pas habituée à recueillir la douleur des autres. Dans les pays de l'ancienne union soviétique, les habitants sont froid. Les larmes sont rares, les émotions sont enfouies derrière la fierté et son barrage imperméable. Pleurer est un signe de faiblesse, Diana Tchaïkovskaïa était intransigeante sur ce point.
Il ne fallait laisser couler aucune larme, il fallait cacher les traces de douleur derrière des faux-semblants. Chaque sourire n'était que mensonge à la réception d'un saut, chaque expression était le contraire d'une autre quand les genoux s'entrechoquaient et que les muscles tétanisaient lors de pirouettes aux rotations infinies.
- Tu peux venir dans le salon, souffle une voix.
Nadejda est tirée de ses pensées par le monégasque, elle relève aussitôt la tête vers lui. Elle avance avec précaution dans le salon après avoir abandonné ses talons. Elle se sent si petite face à lui, elle n'a même pas remarqué qu'il s'est changé, délaissant son éternel polo rouge pour un simple t-shirt noir.
Elle est encore un peu déboussolée par cette journée hors de l'hôpital, encore plus en sachant qu'elle n'y retournera pas cette nuit. Elle est troublée par les larmes qu'elle a vu roulé sur les joues de Charles, elle n'avait jamais vu un garçon pleurer auparavant, pas même son frère.
Est-ce qu'il a pleuré en recevant une balle ?
Nadejda déglutit en s'appuyant contre le dos du canapé, ses yeux se perdent une nouvelle fois dans le vide. Elle pense à Alexandre qu'elle n'a toujours pas appelé depuis qu'elle a appris qu'il avait perdu le fonctionnement de ses deux jambes.
Est-ce qu'elle pourrait s'imaginer ne plus jamais marcher ?
Est-ce qu'elle pourrait s'imaginer ne plus jamais patiner ?
Ses mains deviennent moites sous cette culpabilité écrasante d'avoir éviter de le contacter par honte. Nadia est honteuse d'être tombée si facilement sans réussir à se relever dans l'immédiat. Elle sait qu'elle est loin d'être tirée d'affaires et elle pense sérieusement à en parler à son frère.
Peut-être qu'il se moquera.
Peut-être qu'il la disputera.
Mais Alexandre n'est pas Diana Tchaïkovskaïa.
Il est son frère, il partage son sang, celui où deux origines slaves sont mélangées et diluées en se demandant laquelle sera suffisamment forte pour s'exprimer, et pour opprimer l'autre jusqu'à la rendre muette, inexistante et insignifiante.
Et peut-être que ce n'est pas simplement qu'une simple expression génétique, peut-être que c'est bien plus que ça, peut-être qu'il s'agit juste d'un choix qu'ils ont déjà fait.
En se battant pour l'Ukraine en compétions ou sur le front.
Nadejda se pince l'intérieur de la joue pour chasser toute la confusion régnant dans son esprit, ses yeux s'arrêtent sur le monégasque appuyé contre le mur de son salon en l'observant attentivement.
- Sacha, souffle-t-elle. Est-ce que je devrais l'appeler ?
Les yeux clairs de Charles sont intenses si bien que l'ukrainienne en perd sa contenance. Elle se demande à ce qu'il pense, il observe seulement le déni dans lequel elle est plongée depuis que son frère est tombée à la guerre, celui qui a fait jaillir à la surface le démon qu'elle portait depuis bien longtemps.
- Qu'est-ce que tu veux lui dire ?
La voix du monégasque n'est qu'un murmure. Nadejda n'a pas réfléchi à cette éventualité, elle finit par déclarer :
- Tout, ça ne sert à rien de lui mentir.
Elle en est presque convaincue, en se souvenant de son regard perdu sur ses sachets de nutriments en poudre, qu'il désapprouvait son comportement en silence. Au fond de lui, il se doutait de ce qu'il se passerait et Nadejda est sûre qu'il n'a rien dit par crainte que ses rêves finissent briser.
Charles l'observe attraper son téléphone, il lui désigne le balcon d'un signe de main afin de ne pas la déranger mais elle n'a pas l'air de s'en formaliser. Elle reste plantée au milieu du salon en composant le numéro d'une main tremblante, la peur irradiant dans son bas-ventre.
A l'entente de la voix suave de Sacha dans le combiné, Nadejda se perd. Elle ne bouge plus comme tétanisée lorsqu'elle réalise enfin qu'il est bel et bien vivant. Un premier sanglot s'échappe de ses lèvres et cela suffit à ce qu'elle débite dans sa langue natale :
- Je suis désolée de ne pas t'avoir appelé avant.
Sacha rassure que rien n'est grave, il ne parle presque pas de lui comme à son habitude seulement de sa sœur. Nadejda reçoit, pour la première fois, des félicitations pour son titre mondial mais elle est incapable de le remercier. Sa gorge est nouée consciente qu'elle ne retournera pas sur la glace avant longtemps. Un silence s'installe et elle est sûr que Alexandre comprend instantanément.
- Ce n'est pas une blessure au genou comme ton entraîneur l'a dit dans la presse, murmure-t-il.
- Non, j'étais à l'hôpital parce que... parce que je suis anorexique.
Elle est presque honteuse de l'avouer, elle ne saurait répondre aux interrogations de son frère lorsqu'il questionne le temps restant pour qu'elle puisse être guérie. Elle ne connaît pas la réponse et elle est certaine que les médecins ne l'ont pas non plus, sinon elle ne devrait pas y retourner pour se peser chaque semaine.
- Tu vas t'en sortir Nadia, c'est dans notre nature.
Il ne tarde pas à raccrocher, laissant Nadejda bouche-bée par ce qu'il vient de se passer. Elle est ukrainienne, bien sûr que c'est dans la nature humaine de survivre, encore plus dans la sienne en sachant qu'elle est d'une étoffe particulière.
Lui non-plus n'abandonnera pas.
Nadejda relève le regard vers le monégasque qui n'a pas bougé d'un centimètre, il ouvre simplement ses bras à l'athlète. Elle ne saurait dire la raison qui la pousse à se précipiter dans cette étreinte démesurée. Il est bien plus grand qu'elle pourtant Nadejda se sent en sécurité comme elle ne l'a jamais été.
Elle n'a pas connu un endroit où être à l'aise sur cette vaste terre. A Korosten, il y a avait l'atome. A Moscou, il y avait Diana Tchaïkovskaïa et sa méthode et pour la première fois de son existence, Nadejda se sent comme chez elle dans cet appartement qu'elle ne connaît à peine.
Nadejda est soulagée d'être ici, elle ne souhaitait pas rentrer avec Carla par crainte de voir leurs regards peinés sur son corps amaigri. Il n'y a aucune lueur d'inquiétude dans les iris du pilote, seulement de la bienveillance et Nadejda le remercie de cacher aussi bien ses craintes.
Il ne parle pas beaucoup mais sa présence est apaisante, Nadejda ne se rend pas compte qu'elle produit le même effet sur le jeune homme, amenant beaucoup de tranquillité pour faire diminuer la pression qu'ils s'infligent en étant bien trop exigeants envers eux-mêmes.
Charles sort simplement un yaourt à la vanille pour la brune avant de sortir un plat préparé à son attention qu'il met à réchauffer et quand il s'installe en face de l'ukrainienne, ses traits sont tirés par la fatigue et la déception par cette course.
- Qu'est-ce c'est ?
- C'est ce que mon nutritionniste a préparé, avoue Charles en regardant son assiette.
- C'est bon ?
- C'est mieux que ce que je cuisine moi-même.
Nadejda esquisse un sourire en terminant son yaourt, elle attend patiemment que le monégasque termine son repas. Il lui fait visiter son appartement avant de disparaître quelques instants dans la salle de bain, la laissant à son tour à la brune pour qu'elle puisse se démaquiller.
Ses yeux s'arrêtent sur la balance posée le carrelage, elle déglutit difficilement en évitant de s'attarder dessus plus longtemps. La tentation est immense évidemment, mais Nadejda retire ses vêtements pour attraper ceux que le monégasque a ramené pour qu'elle puisse dormir.
La patineuse ressort et s'avance timidement dans le salon où se trouve Charles. Elle n'a pas l'habitude de se présenter en présence de personne sans les couhes de maquillage qui cachent des imperfections lors de ses représentations ou lors de sa vie quotidienne.
Il a les yeux rivés sur une télévision reportant les informations du jour et sa voiture rouge passe quelques secondes à l'écran pour montrer l'arrêt au stand désastreux de son équipe, qui lui a coûte la première place.
- Charles...
Il se retourne à l'entente de son accent slave, ses yeux sont peinés et Nadejda déglutit en ne sachant comment réagir. Elle se contente de s'installer à ses côtés dans le canapé, elle n'est pas stressée par leur proximité.
- Pourquoi n'as-tu pas cacher la balance ?
Les yeux clairs du monégasque s'ancrent dans les siens surpris par cette question qui le déstabilise, il balbutie en s'excusant :
- J'ai oublié.
Nadejda sent son cœur s'arrêter par l'innocence qu'elle pervoit dans sa voix, elle le rassure d'un faible sourire et Charles comprend ce qu'elle ressent. Elle n'a pas vu son poids lorsque les médecins l'ont pesée la veille au soir avant sa sortie. Le monégasque lui fait suffisamment confiance pour savoir qu'elle ne le fera pas sans être prête, Charles en est convaincu.
- Merci de me faire confiance, souffle-t-elle.
- Merci pour aujourd'hui, répond Charles en souriant.
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