dix-huit

Nadejda ouvre les yeux dans le noir complet. Un profond soupir s'échappe de ses lèvres comme chaque matin où elle se réveille par pur automatisme. Elle n'a pas besoin de regarder l'heure sur son portable pour savoir qu'il est cinq heure quarante-cinq du matin.

Cette certitude fait partie de ses entrailles. Son corps est réglé comme une horloge sur cet horaire depuis qu'elle a treize ans, il est l'heure de se préparer pour l'entraînement pourtant Nadejda reste à fixer le plafond.

Un goût amer traîne au fond de son palet, un mal-être tord son estomac en sachant qu'aujourd'hui elle ne s'entraînera pas. Elle soupire profondément, elle ne réussira pas à s'endormir alors autant se lever. D'un bond, elle s'extirpe du lit, marchant à l'aveuglette dans cette chambre qu'elle ne connaît pas.

Ses bras tendus heurtent la porte et Nadejda quitte cette chambre d'ami pour marcher dans le couloir de l'appartement du monégasque. Tout est silencieux, l'appartement est encore plongé dans le noir signe que Charles dort encore profondément.

Elle ne fait aucun bruit en regagnant le salon, l'ukrainienne ouvre simplement la baie vitrée menant au balcon et peut-être que la sensation d'étouffer disparaît sous cet air frais, qu'elle respire à plein poumon.

Ici, les forces invisibles n'existent pas. L'iode, le srontium, le césium et tous les isotopes radioactifs ne sont pas présents ou du moins, pas en quantité néfaste, dans ce vaste espace.

Seuls ses bras s'enroulent autour de ses genoux qu'elle replie contre sa poitrine à peine développée, son menton se dépose sur ces derniers. Ses yeux se perdent sur la mer méditerranée, la vue depuis ce balcon est implacable. Nadejda pourrait rester des heures, assise contre ce mur en crépi qui picote la peau de son dos, pour observer le lever du soleil, dévoilant un horizon rosé.

Elle est prise d'une puissante nostalgie comme une forte fièvre, celle des pays slaves, celle de la nation des cosaques qui est en train de se déchirer, par des dirigeants bien trop fiers.

Elle aperçoit du mouvement à l'intérieur de l'appartement, du coin de l'œil. Charles vient d'apparaître dans la cuisine, vêtu simplement d'un short. Il ne l'a pas encore aperçue, bien trop occupé à allumer la cafetière et à disposer une tasse sous cette dernière.

Encore endormi, il se frotte les yeux en s'appuyant sur le plan de travail. Les veines de son bras sont saillantes lorsqu'il effectue ce mouvement et Nadejda ne peut s'empêcher de trouver sa carrure imposante.

Il finit par récupérer sa tasse qu'il approche aussitôt de ses lèvres rosées pour en boire une gorgée. Son regard se perd sur l'extérieur, sans doute pour observer la méditerranée mais ses yeux s'arrêtent sur l'ukrainienne.

La surprise se lisant sur le visage du pilote s'estompe aussitôt lorsqu'il s'approche. Nadejda esquisse un faible sourire quand il la salue en s'installant sur l'appuie de la baie vitrée entrouverte. Le petit rebord n'est pas bien large pourtant il semble y avoir trouvé sa place.

Nadejda l'observe tendre sa tasse de café dans sa direction, il s'agit d'une proposition qu'elle décline d'un geste de la tête. Elle n'a jamais bu ce liquide obscur, elle se doute que le goût est fort en se souvenant de l'haleine de Ivan Boresko lorsqu'il écrivait dans son carnet, avec une tasse de café sur les genoux.

- Je ne t'ai pas entendue de te lever, avoue-t-il. T'es debout depuis longtemps ?

- Cinq heures quarante-cinq.

- Est-ce que tu t'es réveillée à cause d'un cauchemar ?

La patineuse fronce les sourcils face à l'inquiétude qu'elle peut entendre dans la voix grave de Charles, elle secoue la tête en murmurant simplement :

- C'est comme ça depuis longtemps, depuis que je suis rentrée à l'école moscovite.

- Tous les jours ?

- Même quand j'étais à l'hôpital, souffle-t-elle accompagné d'un petit sourire triste. C'était long d'attendre l'heure des visites toute seule.

Charles déglutit, cela paraît évident et il n'imagine pas ce qu'elle a du ressentir. Elle maintient son regard posé sur la ligne d'horizon tandis qu'il boit une autre gorgée brûlante.
Elle l'observe du coin de l'œil en constatant que ses traits sont tirés, il n'a sans doute pas du bien dormir, en ressassant les événements de la course de la veille.

- Je veux retourner à la patinoire, avoue-t-elle après un bref silence.

- Il faut que tu en parles à Brian, il sera content de t'aider.

Le monégasque fait référence à l'entraîneur canadien mais Nadejda se pince les lèvres, retenant l'assaut de ses larmes. Elle ne sait pas vraiment ce qu'elle veut, elle souhaite y retourner mais pas pour s'entraîner, juste pour respirer.

- C'est juste pour y aller, rajoute-t-elle d'une petite voix.

Charles acquiesce, il semble comprendre puisqu'il propose entre deux gorgées brûlantes de la poser chez elle afin qu'elle puisse récupérer ses patins. Nadejda décline cette autre proposition d'un mouvement de la tête et elle murmure embêtée :

- Je ne veux pas qu'ils soient au courant. J'ai peur qu'ils préviennent mes parents et que ces derniers s'imaginent que je vais refaire des compétitions alors que je n'ai même plus mon grand écart.

En disant ses mots, Nadejda refait l'extrémité de sa tresse qu'elle a réalisé avant de se coucher pour ne pas emmêler ses longs cheveux bruns. Charles pose une main sur son avant-bras pour qu'elle puisse l'observer, son regard clair s'ancre dans le sien et il peut y lire toute la détresse du monde.

- Il y a des patins à louer là-bas. Je peux t'accompagner si tu veux, dit-il avec hésitation.

Charles est soulagé de voir l'approbation dans les yeux de la patineuse et c'est le signal de départ, il se lève et tend sa main pour aider Nadejda à se relever. Son corps est tout endoloris à force de rester assise contre ce mur en crépi.

Le monégasque donne quelques vêtements à la brune pour qu'elle puisse s'habiller, elle n'est toujours pas repassée chez elle où se trouve toutes ses affaires depuis sa sortie d'hôpital. Et Charles se doute qu'elle n'a pas envie d'y retourner depuis ses explications attristées, elle ne veut pas donner de faux espoirs à sa famille.

En arrivant devant le centre de la patinoire en ce lundi matin, ce dernier est presque vide au vue du parking. Nadejda ne dit pas grand chose en récupérant une paire de patin auprès du loueur qui murmure surpris :

- Ça fait longtemps qu'on t'a pas vu, toi.

Nadejda ne relève pas en retirant ses chaussures et ses chaussettes par pure habitude. Elle s'apprête à replacer ses éternels pansements avant de chausser ses patins pourtant elle n'en porte aucun. Ses pieds sont intacts pour la première fois de sa vie, elle en est ébahie.

Encore plus quand Charles s'installe à ses côtés sur le banc bancal, pour enfiler à son tour des patins. Elle l'observe du coin de l'œil, un rictus étire ses lèvres mais elle ne se moque pas, elle ne dit rien.

Elle se lève pour passer les portes menant vers l'intérieur de la patinoire. Perchée sur les lames de ses patins, elle avance sans encombres sur la moquette antidérapante au contraire de Charles la suivant, il n'a pas l'air rassuré.

Il l'est encore moins en voyant Nadejda poser un premier pied sur la glace. L'ukrainienne lance un regard encourageant en lui tendant un bras frêle sur lequel il peut s'appuyer pour la suivre.

Il dérape presque et tombe immédiatement sur la glace dure, un petit gémissement s'échappe de ses lèvres déclenchant l'hilarité de la patineuse, elle souffle en l'aidant à se relever :

- Reste souple au niveau des genoux, c'est comme faire du roller ou du skating.

Charles n'est pas très convaincu par cette comparaison, la patineuse lui adresse un petit sourire en avançant avec lui jusqu'au centre de la patinoire, non sans difficultés.

- Je crois que ce n'est pas tout de suite pour un double axel, souligne-t-il.

Il s'accroche toujours aux avant-bras de la patineuse, ne souhaitant pas s'éloigner d'elle par peur de chuter une nouvelle fois, il questionne tout de même face à son immobilité :

- Tu peux m'abandonner et faire ce que tu veux.

Nadejda ne souhaite pas effectuer des combinaisons de pas, encore moins tenter des sauts. Elle ne veut pas connaître un échec cuisant pouvant heurter son égo, elle ne veut pas se faire d'illusions, préfèrent rester dans l'ignorance de ses compétences disparues.

Elle se contente de fixer le monégasque, reconnaissante qu'il soit venu l'accompagner. Ses cheveux sont dissimulés sous un epais bonnet rouge frappé du prestigieux logo jaune et la patineuse comprend qu'il porte ses vêtements en toutes circonstances, peu importe qu'un mauvais résultat soit survenu la veille.

Peut-être que c'est ça l'amour, le vrai, celui qu'elle n'a jamais connu dans toute sa vie sacrifiée.

Celui qu'elle voit luir au fond de ses iris clairs, ses petites fossettes qui se creusent à chaque fois qu'il sourit apportant avec lui une bonne humeur contagieuse, venant effacer son air morose qu'elle garde depuis tant d'années, anesthésiée.

Nadejda prend légèrement appuie sur le monégasque en posant ses mains sur ses épaules. Elle se redresse sur la pointe de ses patins afin de combler les quelques centimètres les séparant, ses lèvres frôlent celles du monégasque et elle ne saurait décrire les sensations qui ébranlent son bas-ventre.

Elle n'a plus froid au milieu de cette patinoire, ce simple contact embrasé suffit à réchauffer son cœur avec ardeur, alors que les mains du monégasques quittent ses avant-bras, pour se poser sur joues. Il approfondit leur échange et Nadejda n'a jamais rien ressenti d'aussi intense.

Soudainement, leur équilibre se fragilise. Charles glisse, il ne peut se rattraper et chute lourdement sur le sol, entraînant la patineuse avec lui. Elle éclate de rire en restant allongée sur la glace, elle tourne la tête vers lui, leurs regards se croisent et Nadejda souffle :

- Tu ne t'es pas fait mal ?

- Non.

Sa voix n'est qu'un murmure, son souffle se répercute sur le visage de l'ukrainienne. Elle sourit immédiatement avant de déposer une nouvelle fois ses lèvres sur les siennes au milieu de cette patinoire.

c'est clairement mon chapitre préféré <3

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