dix

Nadejda ne s'arrête plus de pleurer contre le torse du jeune homme. Il est bien plus grand qu'elle, la dépassant de deux têtes. Son étreinte est puissante et l'athlète se sent si petite dans ce monde beaucoup trop vaste.

A des milliers de kilomètres, il y a la guerre. Il y a son frère.

Elle vient de perdre un être cher.

Elle repense à ce que disait son père à propos de Tchernobyl. Le gouvernement soviétique discuter des tâches pour réparer les dégâts de la catastrophe. Pour liquider, il faut mettre une vie. Et pour le sarcophage, des milliers d'autres.

Combien suivront ?

Combien tomberont ?

La patineuse en veut au monde entier. Il n'y aura ni enterrement, ni cérémonie où elle pourrait laisser couler ses larmes. Ces dernières tâchent simplement le polo de Charles, elles rendent la couleur rouge du tissu plus foncée.

Est-ce que Viktor aura une médaille pour être tombé au champ de bataille ?

Cette interrogation retourne ses entrailles.

Nadejda s'éloigne brutalement du monégasque. Son regard brisé s'excuse tandis qu'elle regagne l'intérieur, traversant le salon sous les yeux sidérés de tous. Elle tremble dans son entièreté, ses pieds souffrent tandis qu'elle marche poir quitter cet appartement en un claquement de porte d'entrée.

Elle a mal.

Elle resserre son emprise sur son téléphone craignant de le lâcher dans cette fuite. L'ukrainienne s'en veut de s'apitoyer sur son triste sort, ce n'est pas elle qui combat, ce n'est pas elle qui se bat. D'un revers de main, elle essuie ses larmes en continuant de marcher alors que la nuit est tombée dans les ruelles de la principauté.

- Nadia !

Son prénom raisonne derrière elle, parvenant jusqu'à ses oreilles en dépit du vent soufflant. Elle se retourne pour faire face à Charles qui s'approche en courant, elle crie d'une voix étranglée à son attention :

- Je ne vais pas me perdre !

Son regard est tranchant et Charles défaillit en arrivant à sa hauteur. Il ne saurait dire les raisons qui le poussent à l'accompagner, mais il a l'impression que cette jeune femme est une partie de son reflet quand il l'observe. Il a l'impression de partager une part de son identité face à cette force émanant d'elle.

La force de vivre.

Elle n'a jamais été aussi intense en une personne. Charles peut la voir luir à l'intérieur de ses iris, elle émane de son corps provoquant un rayonnement qu'il ne peut s'empêcher d'approcher. Il est attiré par l'énergie qu'elle libère.

Sa pomme d'adam se soulève lorsqu'il déglutit difficilement en s'arrêtant face à elle. Il baisse les yeux pour observer son visage brouillé par les larmes qu'elle tente de ravaler.

- C'est ton frère ?

Elle secoue la tête en baissant les yeux pour observer ses pieds. Elle n'ose imaginer si ce dernier venait à tomber, il est le dernier de sa fratrie avec elle. Nadejda ne supporterait pas de le perdre comme elle a perdu son aînée.

- C'est ton... père ?

Nadejda relève brutalement la tête pour planter son regard dans ses yeux clairs. La voix du garçon s'est brisée durant sa phrase et elle comprend par un simple regard qu'il a perdu le sien précocement. Elle ne peut qu'imaginer sa douleur sans réellement la mesurer.

- C'est Viktor, murmure-t-elle d'une petite voix. On était amis.

Elle simplifie, tout est bien trop compliqué à expliquer et elle ne souhaite pas s'y attarder. Ses yeux se perdent dans ceux du monégasque qui comprend sans rien ajouter.

Il est un garçon plutôt silencieux et Nadejda commence à marcher à ses côtés. Elle aimerait patiner si seulement la patinoire n'était pas fermée à cette heure-ci. En Russie, elle serait ouverte et Nadejda ravale ses regrets en même temps que sa salive.

- J'étais soulagée que ça ne soit pas mon frère, lâche soudainement l'ukrainienne. C'est...

- Humain, complète Charles. Il y a deux ans, j'étais en train de me préparer pour monter dans ma monoplace, il y avait une course juste avant. J'ai vu l'accident en direct, j'ai vu les voitures impliquées et j'ai juste pensé à mon meilleur ami dans l'une d'elles. Je n'ai pensé qu'à lui, pas aux autres qui auraient pu y rester.

Sa voix est platonique mais Nadejda peut relever l'émotion qu'il a contenu quand il a marqué un arrêt avant d'avouer :

- Il est mort et durant longtemps j'ai pensé que c'était le destin de tous mes proches, que c'était de ma faute.

- Ça ne l'est pas, assure Nadejda.

- Je sais, murmure-t-il. Il y a toujours cette pensée qui reste d'en un coin de ma tête, je ne peux m'en empêcher et je sais que tu l'as aussi. Ce n'est pas la première personne que tu perds, n'est-ce pas ?

Nadejda se tourne vers le monégasque en fronçant les sourcils, déstabilisé par sa question. Elle a l'impression qu'il lit dans ses pensées comme dans un livre ouvert.

- Non, souffle-t-elle. J'ai perdu ma sœur Katia d'une leucémie, c'est d'ailleurs pour ces raisons que je suis venue ici depuis toute petite.

Charles sent son cœur s'arrêter tandis qu'elle continue d'une petite voix pour l'achever un peu plus :

- Ce n'est de la faute de personne, seulement de l'atome.

Elle grimace et finit par s'arrêter pour s'appuyer contre un muret. Elle n'en peut plus, elle a bien trop mal et elle retire enfin sa chaussure sous la lumière d'un lampadaire. Ses yeux s'écarquillent en observant son orteil ensanglanté, l'interrogation de Charles s'échappe de ses lèvres :

- Il est cassé ?

- Oui, je le soignerai après les championnats. Un de plus ou de moins, ça ne changera rien.

- Est-ce que tu réussiras à gagner ?

- Et toi, tu gagneras ? rétorque-t-elle.

- J'essaierai.

- Tu ne vas pas essayer, tu le feras.

Ses yeux se plantent dans les siens et Charles défaillit. Il n'y lit qu'une intense confiance qui le galvanise et le monégasque est persuadé que tous ces espoirs se transforment en conviction à l'intérieur de son cœur.

Il va y arriver.

Et il comprend désormais ce que c'est qu'être ukrainienne. Il comprend désormais la signification du prénom qu'elle porte en se perdant dans l'intensité de son regard où il n'y lit qu'une puissante espérance.

Des jours plus tard, Nadejda commence à prendre tout le nécessaire pour les championnats pour ne rien oublier. Elle range tous ce qu'elle a besoin pour se maquiller et pour se coiffer dans une trousse de toilettes. Elle fourre tout dans un sac de sport sans oublier de prendre des boîtes de pansements.

- Tu prépares déjà tes affaires ?

Nadejda sursaute à l'entente de la voix du monégasque. Elle se tourne pour faire face à Charles, elle s'agace puisqu'il vient d'interrompre le compte de ses sachets de nutriments qu'elle compte emmener. Elle recommence rapidement de rassembler ses sachets et elle les glisse dans sa petite valise en disant :

- Et toi, tu n'es pas encore parti ?

Il hausse les épaules malgré qu'elle ait le dos tourné. Le pilote l'observe plier des tenues pailletées, l'une d'elle est aussi rouge que le sang, et elle les range à leur tour dans son sac.

- Je voulais te souhaiter bonne chance, lâche Charles. On ne se recroisera pas avant ton départ.

Nadejda acquiesce. Les championnats de patinage commenceront le lendemain de la course du monégasque, elle partira probablement avant qu'il ne revienne. Elle continue de plier ses vêtements d'un air détaché que le monégasque commence à comprendre.

- A notre niveau, ce n'est plus de la chance, dit-elle avec son accent slave.

- Peut-être bien, murmure Charles en ayant les lèvres pincées.

Il retient un sourire en la comprenant. Ce n'est pas du hasard, c'est du travail acharné pour y arriver et espérer rester dans les catégories reines de leurs milieux. Charles est convaincu qu'il est arrivé dans le milieu de l'automobile parce qu'il mérite d'avoir sa place parmi les meilleurs.

Nadejda voudrait le questionner, elle aimerait savoir s'il a déjà gagné une fois, pourtant elle se retient de l'importuner avec de telles futilités. Il n'en a pas besoin et elle n'aimerait pas le déconcentrer à l'approche de cette nouvelle saison d'après les rares bribes de phrases qu'elle a pu entendre entre Carla et Arthur.

Elle entend ses pas sur le parquet montrant qu'il s'apprête à disparaître de l'intimité de cette chambre. La patineuse ne peut le laisser partir sans encouragements devant une échéance. Nadejda l'interrompt avant qu'il ne l'entrebaillement de la porte en rajoutant :

- Mais je te souhaite bonne chance même si tu n'en as pas besoin.

Charles s'arrête le cœur battant dans la poitrine. Il se retourne une dernière fois vers l'ukrainienne, elle lui offre un sourire timide et celui qui éclaire les lèvres de Charles ne l'est pas. Des fossettes se creusent sur ses joues, ses yeux se plissent face à ces encouragements et il est persuadé que la chance sera avec lui lors de ce week-end de course.

- Bonne chance Nadia.

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