Tome 1 - Chapitre 1


C'est quand tout commence !

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Dès mon plus jeune âge, j'ai toujours été scolarisée dans des écoles privées pour jeunes filles où, bien évidemment, les garçons n'étaient pas admis. Je n'étais là que pour étudier, avoir, bien entendu, les meilleures notes, la meilleure éducation qu'il soit donnée et tout cela passait aussi par apprendre la danse classique, le piano, le dessin, la peinture, c'est-à-dire bien me tenir en société pour ensuite devenir une femme digne de ce nom pour mon futur mari.

J'étais très studieuse, je parle couramment plusieurs langues, j'ai toujours fait ce que l'on me demandait, je n'ai jamais pu dire non, je n'ai jamais contrarié mes parents, j'ai toujours accepté toutes leurs décisions. Car on ne discute pas chez moi, nous écoutons, nous approuvons d'un signe de tête, nous exécutons et nous ne rechignons pas, un point c'est tout.

Mon père a toujours tout choisi pour moi depuis ma venue au monde. De ma nounou à mon école privée, à mes cours de latin, de langues étrangères que je devais étudier, à mes prétendus loisirs. Je n'avais même pas mon mot à dire sur mes vêtements. De toute façon, toute la semaine, je portais l'uniforme de l'école, qui se composait d'une jupe plissée bleu marine, d'un chemisier blanc à manches longues, d'un chandail bleu marine lui aussi, d'une cravate pourpre, de hautes chaussettes blanches et petites chaussures à lacets.

J'étais une vraie petite fille modèle avec mes couettes, il n'y avait pas de jalousie vestimentaire avec les autres filles, vu que nous portions toutes l'uniforme réglementaire. Mais cela n'empêchait pas les railleries et autres méchancetés que certaines se faisaient un malin plaisir de faire aux plus faibles ou aux plus discrètes dont je faisais partie. Nous étions toutes logées dans le même dortoir, certaines étaient là en internat, soit au mois, soit à la quinzaine, soit pour les plus chanceuses à la semaine, ce qui était mon cas. Je n'habitais pas loin de l'école donc, j'avais même le droit de rentrer chez moi le mercredi après-midi et bien sûr le week-end.

Ce semblant de liberté, de chance, je le devais à Madeleine qui avait suggéré à mon père que rentrer à la maison régulièrement me permettrait d'être encore plus performante, en ayant des professeurs à domicile plutôt que de rester dans une chambre d'internat. Je ne savais pas comment Madeleine s'y prenait pour faire entendre raison à mon père, mais c'était bien la seule qu'il écoutait. Tout ce qui passait par elle était, en général, approuvé par lui.

Madeleine, c'était ma nounou. Elle était au service de mes parents avant même ma naissance et officiait aux cuisines. Quand ma mère est rentrée de la maternité, Madeleine avait tout de suite été désignée par mon père pour qu'elle s'occupe de moi, car il n'était pas question pour ma mère de s'en charger, elle avait bien mieux à faire.

C'est donc Madeleine, cette femme débordante d'amour qui est toujours là pour moi, qui m'aime comme sa propre fille, qui m'a montré qu'il y a une autre vie que celle que mes parents ont prévue pour moi. C'est elle qui m'a fait aimer la musique, la lecture, elle qui m'a appris à cuisiner ces fameux mercredis après-midi. Grâce à elle et à son amour, je m'évade, je rêve d'une autre vie, j'oublie que je suis seule...

Orphélia... L'unique.

— Orphélia ? me reprend Madeleine.

— Oui ? fais-je, en levant les yeux vers elle.

— C'est comme cela que nous t'avons éduquée ?

— Non, Madeleine, mais...

— Il n'y a pas de « mais », Orphélia. Allons, la moindre des choses serait de te présenter. Tu ne crois pas ?

— Oui, mais je suis occupée à écrire !

— Tu n'as pas d'excuses, jeune fille...

— D'accord, je souffle.

Puisque je manque à tous mes devoirs selon Madeleine en oubliant de me présenter à vous comme je le devrais, je vais me rattraper. Je m'appelle Orphélia de Saint Péone et j'ai vingt-deux ans, oui enfin je les aurai dans une semaine, mais franchement qui, à part mes parents, aurait eu l'idée d'appeler leur fille unique, Orphélia ? Je vous le demande...

Tout cela, parce que c'était le prénom d'une de mes aïeules dans les années vingt, tout cela parce qu'ils voulaient un prénom peu commun pour leur fille unique. À ça, pour ne pas être commun, ils ont fait fort, je ne rencontre jamais d'autre Orphélia dans ma vie. Mais je les reconnais bien là, mes parents, à toujours vouloir en faire trop, à en faire plus que les autres, à toujours vouloir en mettre plein la vue à tout le monde.

Car oui, ce cher Gildas et cette chère Gaia, mes parents, n'ont eu que moi comme héritière, au grand dam de mon père qui, lui, aurait bien voulu qu'un héritier puisse lui succéder, pour reprendre l'entreprise familiale de scierie. C'est une entreprise créée en mille neuf cent trente par Rodolphe de Saint Péone, mon arrière-grand-père. La scierie est connue dans le pays et reconnue à travers le monde pour ses essences rares.

Donc faute de ne pas avoir d'héritier, mon père a décidé qu'avant mes vingt-cinq ans, je devais me marier. Rien que ça... Et bien sûr avec un jeune homme de bonne famille, capable de reprendre la succession de la scierie. Il va sans dire que mon père sait déjà qui je dois épouser, puisqu'il l'a choisi pour moi. Quoi ? Vous en doutiez ?

Ce n'est donc pas un secret, j'ai toujours entendu dire que Charles, le dernier des fils de son meilleur ami Jean-Hugues de Rocbamon, serait le gendre idéal. Mon père et Jean-Hugues se connaissent depuis toujours, puisque leurs pères travaillaient déjà ensemble. D'un côté, l'un tenait la scierie et de l'autre côté, l'autre s'occupait de la fabrique de meubles. Une association qu'ils pensent bien continuer à faire fructifier en nous unissant, Charles et moi.

Mais ça, c'est ce qu'ils pensent, ce qu'ils ont prévu pour nous, c'est ce que je suis censée accepter, encore une fois, sans rien dire, comme la bonne petite fille que j'ai toujours été. Mais _ car il y a forcément un mais..._ cette fois-ci, je suis bien décidée à leur tenir tête, à dire non et pour cela, j'ai décidé que mon vingt-deuxième anniversaire serait le moment parfait.

Les préparatifs pour celui-ci avancent bien et ma mère est encore aux commandes. Gaia est dans son élément, là. Les réceptions et les galas de charité, sont toute sa vie : les penser, les organiser, les rendre les plus beaux possible pour faire mieux que ses soi-disant amies.

Accoudée à la fenêtre ouverte de ma chambre, je la vois sur la terrasse de notre grande maison familiale, gesticulant et discutant avec le traiteur sur les mets qu'elle désire, sur le nombre de convives présents, sur l'emplacement des tables, sur ceci, sur cela... Bien entendu, je ne suis pas consultée, mon avis ne les intéresse pas.

J'ai juste pu choisir l'endroit qui me tient à cœur grâce à l'appui de Madeleine, qui a convaincu mon père que mon anniversaire devrait se faire à la maison de la plage. Ma mère, au début, a hurlé tout ce qu'elle savait, faisant des pieds et des mains pour que mon père change d'avis. Mais en bonne épouse qu'elle est, elle a accepté, car il n'est pas question de refuser quoi que ce soit à mon père. C'est une petite victoire que je viens de remporter et j'espère que ce ne sera pas la dernière.

J'adore notre maison à la plage, certes bien moins imposante que celle que nous avons en ville, mais cette grande bâtisse en pierre avec ses volets bleus, sa glycine qui parcourt toute la terrasse dès que la chaleur pointe le bout de son nez, ses grandes pièces ouvertes sur les baies vitrées donnant directement sur la mer ont tellement plus de charme.

À chaque fois que nous y venons, je suis saisie par la vue, cette magnifique étendue d'eau, ce bruit si caractéristique des vagues qui s'échouent sur le sable, cette odeur saline amenée par le vent. J'adore me perdre dans cette immensité, cela m'apaise sans que je sache trop pourquoi. J'ai cette sensation, depuis toute petite, d'être libre de pouvoir m'évader en regardant passer les bateaux au loin, pensant qu'un jour, l'un d'eux m'emportera sans doute vers un pays que je ne connais pas.

Cette maison est mon refuge, mon havre de paix, l'endroit où je viens dès que je suis en vacances scolaires ou quand mes parents partent en voyage et me laissent comme toujours aux soins de Madeleine... Eh oui, ils voyagent, mais ne veulent pas s'encombrer d'une enfant. Ils ne veulent pas de moi... Alors, je reste là, dans cette maison, bercée par les flots, avec ma nounou. Je ne suis pas malheureuse, loin de là, car Madeleine m'apporte tout l'amour et toute l'attention dont j'ai besoin.

C'est donc en famille, que nous nous rendons, ce week-end, à la maison de la plage, fait exceptionnel, vous vous en doutez bien. Mais ma mère en a décidé ainsi, elle veut se rendre compte sur place de l'organisation pour peaufiner tous les petits détails qui rendront cet anniversaire le plus beau et le plus merveilleux à ses yeux. Plus que sept jours à tenir et j'aurai vingt-deux ans. Enfin... Cela fait des années que j'attends sagement ce jour-là. À présent, mes études sont terminées, j'ai obtenu mes diplômes avec mention comme le désirait mon cher père, alors il est temps pour moi de leur parler.

Mais plus les jours passent, et plus mon angoisse augmente. Il ne me reste plus que sept petits jours pour le leur annoncer, je dois à tout prix le faire, je dois prendre sur moi, je dois oser leur dire, je dois m'affirmer. Ce week-end sera le bon moment, c'est ce que j'essaye de me dire. Je tente surtout de m'en convaincre. Ils seront tous les deux là, alors je dois le faire, le moment est arrivé. Et je suis terrifiée...

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