Conte de fées et papier toilette
Alors que la directrice disparait derrière la porte, la métisse se rapproche de moi.
- Elle fait peur, hein ! On dirait qu'elle va te sortir quelques instruments de torture, histoire de te faire parler.
Je me contente de hocher la tête, tellement j'ai du mal à m'en remettre.
- Elle donne toujours cette impression la première fois, mais quand tu la connaitras, tu verras.... Elle n'en a pas que l'air.
Je me crispe aussitôt.
- Mais non, je plaisante, continue-t-elle, en me balançant une claque dans le dos qui manque de me faire étouffer. Ingrid est adorable, mais elle doit se montrer directive si on veut que l'école tourne. Elle est un peu notre maman à nous tous. Tu verras.
Mon sourire ne doit pas être beaucoup mieux que tout à l'heure, mais Rozenn ne semble pas en tenir compte.
- Bon, il est l'heure, dit alors la blonde intello en regardant sa montre.
- Oui, oui c'est bon, Floriane, se moque la hippie. On n'est pas à la seconde près. De toute manière, Mr Prince charmant n'est pas encore arrivé.
Je tique un peu en entendant ce surnom.
- Pourquoi Mr Prince Charmant ?
- Parce qu'il a tout du prince charmant, même le blanc destrier, reprend Miss carré impeccable. Et puis, tu verras ce qui se passe à la rentrée. Pour une fois, je me tais pour que tu puisses le constater par toi-même. On en reparlera.
Le groupe se dirige alors tranquillement vers une salle annexe au bureau de la directrice. A l'intérieur, une table, quelques chaises et surtout une cafetière. Merci mon dieu ! Du café ! Je me ruerai bien dessus mais personne ne semble prêt à annoncer l'ouverture du buffet. Je décide donc, la mort dans l'âme, de déposer mes affaires et de m'installer. Les filles papotent entre elles de leurs vacances, de leurs enfants. Je me sens soudainement très seule. En jetant un regard vers la porte du bureau et sur ma montre, je me dis qu'il vaut mieux faire la pause pipi maintenant. Sinon dans un quart d'heure, je suis bonne pour détaler comme un lapin.
- Excusez-moi, les toilettes sont où ?
- Remonte le couloir. Ce sera sur ta droite.
Je remercie Floriane pour l'information avant de me précipiter dehors.
Tout en longeant le couloir, je jette un coup d'œil aux classes. Tout y est coloré, bien rangé. Ca me changera de l'élémentaire. Même si je ne sais pas comment je vais affronter cette nouvelle rentrée, je suis persuadée que la pression ne sera pas la même. Pas de course aux programmes. Jusqu'à maintenant, j'avais les parents, les collègues, la hiérarchie qui étaient toujours à me demander où j'en étais. Tout était compétition. C'était à qui avait les meilleurs résultats, avait couvert le plus de programme. On oubliait l'essentiel, le bien-être. Celui des enfants, des parents, des enseignants. L'éducation et l'instruction ne peuvent pas être une compétition permanente. On se met en échec dès le début. Je croise les doigts pour que cette année, je sois moins sur les dents.
Tout en cogitant sur mon avenir, je fais ce que j'ai à faire, me lave les mains et m'apprête à ressortir. Sauf que, quand j'appuie sur la poignée, rien ne se produit. Je réitère la manœuvre. Toujours rien.
- Putain de merde !
Je suis bloquée dans les toilettes !! J'ai vraiment la poisse. Je m'acharne dessus, en jurant deux fois plus.
- Il faut relever la poignée avant de l'abaisser, dit tout à coup une voix masculine.
Je m'exécute et, ô miracle, la porte s'ouvre. Et là, devant moi, le choc. Un putain de mec trop canon vient d'apparaitre comme par magie. Brun, les cheveux ondulés couvrant sa nuque, les yeux bleus océan et une barbe de quelques jours. Je dois avoir la bouche grande ouverte à la Tex Avery, parce qu'il se met à sourire en me voyant. Ressaisis-toi Eilenn ! Tu es en train de passer pour une idiote !
- Merci. Sans vous, je serais encore coincée.
- De rien. Toute l'équipe s'est déjà faite avoir.
L'équipe ? Ca veut dire que c'est le fameux Mr Prince Charmant ! il me tend alors la main.
- Adrien.
- Eilenn. Enchantée.
En guise de réponse, il me sourit une nouvelle fois. Je crois que je vais fondre sur place. Oh mon dieu ! Je ne vais jamais pouvoir me concentrer sur mes réunions avec lui, à côté de moi. Me rendant compte que j'ai une nouvelle fois ouvert la bouche, je la referme aussitôt et reprend ma main qu'il tenait encore.
- Je crois qu'on devrait y aller. Tout le monde est déjà dans la salle de réunion.
- Ne t'inquiète pas. Elles m'attendent. C'est moi qui ramène le goûter, dit-il en me montrant un gros sac venant de la boulangerie.
Malgré moi, mon estomac se met à gronder furieusement. La honte ! Mr Prince Charmant ne relève pas, mais je sais qu'il a entendu, vu que ses sourcils se sont haussés au son absolument pas glamour de mes entrailles.
- Au fait, ça ne te dérange pas qu'on se tutoie ?
- Non, non pas du tout.
Bien au contraire !! J'aimerais que tu fasses tellement plus !
- Parce que nous allons travailler en étroite collaboration cette année, tous les deux.
Là, je manque d'avaler de travers, tellement mon esprit s'est emballé.
- Nous avons le même niveau. Donc si tu es d'accord, on se verra pour se coordonner.
Oh mon dieu ! En plus, je vais devoir le voir régulièrement pour travailler. En tête à tête en plus. Comment vais-je faire pour résister ? Dois-je vraiment résister ? Tandis que mon esprit vagabonde dans des recoins qui sont loin d'être en rapport avec mon travail, nous sommes arrivés à la salle de réunion. Adrien s'efface pour me laisser passer. En plus, il est galant ! Mais pourquoi est-ce qu'il est célibataire ? Il doit y avoir un truc qui cloche chez lui. Ressaisis-toi, Eilenn. Ne tire pas de conclusions hâtives.
- Vous avez déjà fait connaissance alors ? lance Miss Carré impeccable.
- En effet, répond Adrien.
Je me contente de sourire, heureuse qu'on ne parle pas des circonstances de notre rencontre. Mr Prince Charmant fait le tour de la salle et distribue les bises. Et moi, comme une conne, je ne peux m'empêcher de mâter son cul. Il faut dire que ça fait un moment que je n'ai pas eu de mec dans ma vie. Je dirais même que ça fait 63 jours exactement. J'ai largué mon ex en même temps que mes collègues. Le grand ménage de l'été. J'ai viré tout ce qui était toxique dans ma vie. Enfin presque.
Je finis par sortir de ma contemplation fessière et constate qu'un casque de moto est posé à côté de moi. Et là, je percute. Le prince charmant et son destrier ! Adrien a une moto. Ben je comprends mieux pourquoi il les fait fantasmer. Un mec aussi beau et avec une moto, comment ne pas baver d'envie devant lui ! Ayant fait le tour de sa cour d'admiratrices, Mr Prince Charmant vient s'asseoir à côté de moi. Allez, Eilenn ! Ne te laisse pas avoir. C'est sûrement un séducteur fini. Le genre de mec qui ne veut pas se poser et qui a pour philosophie « pourquoi se contenter d'une quand tu peux avoir plusieurs ». Bref, le genre de mecs que tu fuis depuis toujours. Même si tu es sorti pendant 3 ans avec un con de cette espèce. Sans le savoir.
Je décide donc de regarder droit devant moi et de me concentrer sur le discours de la directrice. Et bizarrement, ça marche. Durant deux longues heures, elle nous rappelle les horaires de l'école, le règlement intérieur et toutes ces petites choses qui font que notre travail est parfois lourd, voire chiant. Je déteste ce côté administratif. Toujours plus de papiers à remplir, toujours plus de précautions à prendre. A se demander quand on va parler de notre job, celui pour lequel j'ai fait quatre années de master, et passer un concours. Celui pour lequel je touche un salaire proche du SMIC. Celui qui m'a toujours fait rêver quand j'étais enfant. Celui de maîtresse. Parce que oui, c'est une vocation. J'aime les enfants, même si je n'en ai pas. J'aime voir leurs petites frimousses quand je leur lis une histoire, ou quand enfin ils comprennent ce que j'essaie de leur inculquer depuis des jours. Rien ne vaut le sourire et la reconnaissance d'un enfant à qui on a appris quelque chose, pour qui on prend du temps. J'aime mon travail, même s'il est pourri par toutes ces conneries de paperasse.
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