Bienvenue chez Commère Land

Je regarde ma montre. Je ne suis pas à la bourre. Bonne nouvelle pour la première rencontre avec mes futurs collègues. Je trouve facilement une place pour me garer. Demain, ce sera une autre paire de manches. Mais bon, une chose à la fois. Affronter d'abord l'équipe. Après la fosse aux lions. J'attrape mon sac à mains – mon Mary Poppins, comme j'aime bien l'appeler – et un cahier, histoire de noter quelques trucs et ne pas être complètement perdue demain.

Arrivée devant le portail, je sonne et attends. Les secondes s'écoulent, faisant place aux minutes. Et là, je suis prise d'un gros doute. Est-ce que je suis au bon endroit ? Après tout, je ne suis encore jamais venue ici. J'ai fait confiance à mon GPS, comme la plupart des gens. Mais je n'ai pas vérifié. Je décide donc de faire le tour des bâtiments pour trouver un panneau indicateur. Enfin, je tombe sur le nom de l'école : Ecole maternelle Arthur Rimbaud. Ouf ! Je ne suis pas totalement stupide. Et c'est là que je vois qu'il y a une autre entrée. Et un parking où plusieurs voitures sont déjà garées. Evidemment, un parking privé. J'étais tellement habituée à me garer où je pouvais là où je travaillais avant que je n'y avais pas pensé.

Je m'aventure donc par l'entrée de service. J'entends alors des éclats de voix. Je hâte le pas pour me rapprocher. Un groupe de femmes papotent tranquillement dans la cour. Je réduis la distance entre nous, en priant de ne pas tomber sur le même nid de vipères dans lequel j'étais avant. Demander ma mutation avait été vital. Autant pour ma vie que pour la leur. Je pense que ça aurait fini par un suicide ou par un triple meurtre, sachant que j'avais un net penchant pour la deuxième option. Imaginez les gros titres de la presse : « Une enseignante étripe ses collègues et les pend la tête en bas. Dépression ou rite satanique ? » J'avoue les scénarios dans lesquels je les mettais à mor étaient particulièrement morbides. Mais, il fallait voir comment elles m'ont poussé à bout.

Les quatre femmes, somme toute différentes, rigolent en sirotant un café. Il y a une grande brune aux allures de hippie, une petite blonde à lunettes, une autre brune au carré impeccable et une métisse dont la coiffure aurait fait pâlir d'envie les Jackson. C'est Miss Carré impeccable qui me repère la première. Elle se tourne vers moi, affichant un sourire Colgate. Punaise ! Comment elle fait ! Moi j'ai beau me brosser les dents trois fois par jour, elles sont toujours jaunes.

« - Bonjour ! Tu dois être la nouvelle ? Moi c'est Ariane. Et voici, Nelly (elle me désigne la grande hippie), Rozenn (la métisse) et Floriane (la blonde intello).

- Enchanté, moi c'est Eilenn. Je ne suis pas en retard, j'espère ?

- Non, pas du tout. Il manque encore Adrien. Notre petit chouchou. C'est le seul homme de l'équipe et il est beau à se damner. Dommage qu'on soit toutes mariées. En attendant, on mate et en fantasme incognito. Et toi tu as quelqu'un dans ta vie ?

Elle a débité ça avec une telle vitesse que j'avais l'impression qu'au passage, elle avait pompé tout l'air de mes poumons.

- Heu...

- Ariane, calme-toi, rétorque alors la hippie. Tu vas lui faire peur ! Ne l'écoute pas, c'est une vraie pipelette et une sacrée commère. Fais gaffe à ce que tu lui dis.

- Non mais tu arrêtes de répandre ce genre de rumeur sur moi ! s'insurge l'intéressée.

- Arrête ton char Ariane. Tout le monde sait que tu ne sais pas tenir ta langue.

Et là, les deux autres acquiescent d'un signe de tête. Je sens venir le malaise. Merde ! Je suis retombée dans un panier de crabes. Tout à coup, elles éclatent toutes de rire, me faisant presque sursauter. Heu.. Comment dire ? Je suis complètement perdue. Je croyais qu'elles étaient en train de s'engueuler, mais il semblerait qu'elles étaient juste en train de se vanner.

- Bienvenue chez les folles, explique la blonde intello. Heureusement, Ingrid est là pour nous temporiser.

- Ingrid ?

- Mme Bourreau, notre directrice. Elle est partie voir l'entrée des élèves. Quelqu'un a sonné. Les parents croient des fois qu'on est à leur disposition 24h sur 24.

Oups ! C'est moi la fautive. Vais-je avouer ma bourde ou la passer sous silence ? Je choisis d'être lâche. J'aimerais que pour une fois, on ne me reproche pas mon étourderie et mon jeûne âge. Je constate d'ailleurs que je dois être encore une fois la plus jeune. Place que je n'apprécie pas. Les collègues, comme les parents, te prennent de haut, considérant que tu n'as pas assez d'expérience, voire même que tu es incompétente. C'est pire encore quand ils apprennent que tu es célibataire sans enfant.

C'est à ce moment-là qu'une femme dans la cinquantaine, aux cheveux blonds et au regard vert acéré, débarque en pestant.

- Je crois que l'année prochaine, je coupe cette sonnette le jour de la pré-rentrée. Le pire, c'est qu'il n'y avait personne quand je suis arrivée là-haut.

Je me raidis aussitôt et regarde le crépi bleuté du mur d'en face, comme si c'était la chose la plus intéressante au monde. Je sens alors le regard de la directrice se poser sur moi. Je tourne ma tête vers elle. J'ai soudain envie de tout lui avouer tellement elle me fait peur, avec ses sourcils froncés et ses yeux qui semblent vous gronder, sans même qu'elle n'ait à ouvrir la bouche. Oui, c'est moi qui ai sonné et qui me suis enfuie. Oui, j'ai mangé un paquet de biscuits au chocolat hier soir au lieu d'un repas équilibré. Oui, je n'ai rien préparé pour la rentrée parce que tout bonnement, je ne sais pas comment faire avec des petits de trois ans. Alors que je m'apprête à me jeter à ses pieds pour faire pénitence, c'est elle qui parle en premier.

- Bonjour, vous devez être Mlle Moineau. Madame Bourreau, on s'est parlé au téléphone en fin d'année scolaire.

Complètement pétrifiée, je subis tant bien que mal sa poignée de main énergique qui semble me secouer de la tête aux pieds. Les mots restent coincés dans ma gorge. Un sourire tente d'apparaître sur mes lèvres, mais je suis sûre que ça doit plus tenir de la grimace que du sourire enjoué.

- Ca va aller, Mlle Moineau ? me demande alors la directrice. Vous êtes blanche comme un linge.

Juste l'impression que l'aigle est sur le point de bouffer le petit moineau, mais sinon ça va.

- Oui, oui. C'est juste que je n'ai pas eu le temps de prendre mon petit déjeuner ce matin.

- Très mauvaise habitude. Le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée.

- Oui, Ma...

Et là, je manque de faire une gaffe monumentale et ravale rapidement le « maman » qui menaçait de sortir.

- Oui, Madame Bourreau.

- Appelez-moi Ingrid. Nous allons travailler ensemble tous les jours. Autant commencer maintenant.

Quand elle sourit, de petites rides se forment dans le coin de ses yeux, ce qui donne une toute autre impression. Elle a presque l'air... gentille.

- Et moi c'est Eilenn.

- Très bien. Il ne reste plus qu'à attendre Adrien et nous pourrons commencer.

La directricefait aussitôt demi-tour vers son bureau, me laissant en plan, un peu hébétée.*

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