Evanoui

On raconte que lorsqu'on meurt,on revit ses souvenirs. Évidemment, Camille n'était pas mort, pas dès le second chapitre de son histoire, ce serait, ma foi, fâcheux. Cependant, besoins scénaristique oblige, nous diront que sur cette étrange planète, l'évanouissement provoque la même réaction.

Ainsi, lorsque Camille ouvrit les yeux, il ne les ouvrit pas sur la réalité, mais sur des souvenirs qu'il avait depuis longtemps recalé dans les tréfonds de son esprit. Sa mère, son père, tout tourbillonnait devant ses yeux. Ses amies, amour, temps, honnêteté, encouragements. Son frère, batailles d'oreillers, conflits enfantins, musique, connaissances. Sa mère, travail, règles, mensonges. Son père, politique, pression, culpabilité. Du passé en flot continu. Si bien qu'il était conscient, de loin.

Il assistait à des tonnes de disputes qui servaient le seul but de prouver que l'interlocuteur avait raison. Des centaines d'après-midi en ville, a se faire expliquer des milliers d'histoires. Des dizaines d'après-midi à jouer aux jeux vidéos entre amis. Plusieurs rituels. Il ne se souvenait pas avoir autant apprécié la sorcellerie. Il ne s'y attendait pas quand un de ses rituels avait précédé l'arrivée du portail poussiéreux qui l'avait conduit dans un monde aux règles différentes.

Il savait aujourd'hui que ce n'était pas lié. Mais la fausse magie qu'il avait secrètement exercée en allumant des bougies avait servi ses intérêts plus tard, quand il lui avait fallu apprendre à maîtriser la vraie magie qui s'était permise de couler dans ses veines grâce à l'atmosphère de la planète poussière.

Et puis il y avait les souvenirs qui décrivaient la suite des événements. Comment il avait enfin pu se couper les cheveux, courts, très court, et être respecté pour qui il était. Comment il avait appris à combattre, en rapproché, à l'arc, il avait essayé avec une arme à feu, mais son arc et ses flèches faisaient un bien meilleur travail que ses piètres talent à s'adapter au recul.

Ses premiers cours théoriques d'adaptation à ce monde qu'il détestait, mais qui lui avait permis de rencontrer des personnes qui comptaient beaucoup pour lui, tant en mal qu'en bien. Plusieurs professeurs, plusieurs visions de ce monde qui lui semblait encore brouillé, plusieurs alternatives à la rigidité de la Terre. Ici, c'était tellement mieux que chez lui. Mais la Terre était elle chez lui, pour Camille ? Ou était-il un errant né ?

Apprendre les rudiments d'un monde et de ses coutumes, c'est compliqué quand on a 14 ans et que tout ce qui nous intéresse, c'est de nous battre de toute les façons possible pour ce qui nous semble juste, et que les idéaux nous brûlent comme une fièvre ; non, pas comme une fièvre, comme un deuxième cœur. Il se fichait bien de savoir que sur cette planète, il n'y avait rien d'autre que Lui à combattre, et qu'il n'était pas encore assez armé pour le vaincre. Il se fichait de tout tant qu'il pouvait ressentir qu'il faisait le bien autour de lui. Il savait qu'ici, il avait tout à justifier de son existence. Ce n'était pas sa place, et c'était bien clair. Il ne devait être que de passage. Il avait l'habitude. Pourtant, cette insouciance temporaire lui manquait. Plus qu'aucune autre période de sa vie.

Les cour d'équitation, sur Perséphone, son Équinoxe, lui manquaient aussi horriblement. La première fois qu'il l'avait vu, il aurait pensé à un troupeau de chevaux particulièrement osseux, avec des couleurs extravagantes. Équinoxes, ça sonnait trop bien. Perséphone, ça lui parlait beaucoup. La sienne était bleu marine. Elle comprenait toujours ce qu'il voulait d'elle, sans aucune exception. Il avait reçu plusieurs cours à propos d'eux, il avait appris que c'était un des éléments communs aux planètes du Monde Libre. Mais ça n'avait rien à voir avec la pratique, une communion faite adrénaline. C'était impossible à décrire à quelqu'un qui n'es jamais monté à cheval. Extrêmement étrange pour les cavaliers affirmés.

Devant ses yeux se déroulaient des dizaines de cérémonies à présent. D'abord, celle où il fut officiellement admis sur la planète, ce qui avait été moins facile qu'il ne l'avait d'abord cru. Ensuite, celle qui l'autorisait à entrer dans l'école des soldats, qui avait apparemment cruellement besoin de lui. Après cela, la Ceremonie Annuelle de remise des armes, pendant laquelle il lui avait été offert le Bracelet Indomptable, qui était impropre à l'utilisation, mais dont il avait parvenu à extirper de merveilleuses prestations. Il ne parvenait toujours pas à l'empêcher de faire ce qu'elle voulait, mais il lui suffisait de la conduire à vouloir la même chose que lui. Il savait y faire en manipulation, alors au final, il se retrouvait avec la meilleure arme de sa promotion. Il était le meilleur de sa promotion. C'est un mensonge pour que lui seul aille L'affronter. Une belle tricherie.
La quatrième était celle où il lui avait été attribué Perséphone officiellement. Il avait eu le droit de la nommer lui même, lorsqu'il avait finalement passé son permis de combat sur équidé. Il en était plus que content, car la presque-jument était extrêmement docile, mais très rapide et vive. Même si son ton foncé était un désavantage sur cette planète qui lui avait toujours fait penser à un désert, il savait qu'elle serait une très précieuse alliée dans son combat. Il était cependant triste de savoir qu'à son « départ », elle serait transformée en viande. C'était injuste, mais il était à présent le seul qui pourrait la contrôler.

Des dizaines de galas, pour vanter ses honneurs et accumuler les levées de fonds ; les institutions trop pauvres, ça au moins, ce n'était pas nouveau.

Des centaines de dances, accordées à tout va, à des hommes, des femmes, et d'autres personnes encore.

Des citoyens de milliers de planètes, et d'encore plus de pays différents sur cette planète initialement déserte. Un nombre incalculé de langues à parler. Son anglais lui avait été plus qu'utile. Il n'y avait pas cru, d'ailleurs.

Pourquoi vendre ses danses, son temps, et son énergie comme ça ? Il l'avait très vite appris. Les planètes étaient la base de l'échelle sociale. La Terre était une planète test, un rebut sociétal, où chacune des 200 planètes les plus importantes de l'univers avaient largué leurs plus ignobles prisonniers, les autres planètes du Monde Libre avaient bientôt suivi. 1353 ne faisait pas partie du Monde Libre.

Notre Terre était donc tout en bas. Il était plus ou moins considéré comme une raclure, et les habitants de son monde, étant tous descendants de criminels avaient une réputation de voleurs et de meurtriers. C'est d'ailleurs pour ça qu'on avait choisi un habitant de sa planète. Un meurtrier serait nécessairement un bon guerrier et un voleur serait nécessairement discret. Ils avaient tous été désappointés quand ils s'étaient aperçus que Camille n'avait rien de tout ça en lui. Mais c'était trop tard, amener quelqu'un d'autre était trop cher, et ils étaient convaincus que le jeune homme ne faisait que semblant, et qu'il révélerait sa vraie nature, pour peu qu'on lui laisse le temps, et qu'on l'entraîne bien. Ils avaient tord, mais leurs efforts se révélèrent fructueux. Lui qui était plutôt du genre littéraire, finit un soldat meilleur que la moyenne, quoiqu'un peu rêveur, suite à une multitude d'entrainments supplémentaires qui le levaient à l'aube.

Tiens ça, l'entrainement, il pouvait entendre le sang et la magie se mêler, son souffle se raccourcir, ses côtes lui faire mal, et ses poumons avoir besoin de s'étendre, et être compressés, trop. Ce n'est pas ce qu'il faut faire, s'exclame la raison. Peu importe la raison au corps et à l'esprit. Un coup, le nez blessé, les yeux qui pleurent. C'est normal, physiologique, il a appris à faire avec. Une petite traînée violette sur la blessure et elle devient moins grave. Le combat lors de l'entrainement était plus dur que le combat en temps réel. Il s'était laissé avoir comme un bleu. Il était en colère contre lui même.

La conscience des évènements qui refait surface. Pourquoi avait il été incapable de se battre correctement ? Peut être par ce qu'Il est extrêmement beau. Faux. C'était peut être en lien avec les capacités adverses. Blâmer le matériel pour un échec, c'est la technique des perdants, ça. Vrai. Il devait manquer d'entrainement. On disait que cet homme avait des millénaires, alors cinq petites années d'entrainement, c'était sûrement pas grand-chose. Il avait sûrement fait une erreur en s'estimant plus fort.

Ce n'est pas comme si son discours avait eu un effet sur lui. Absolument pas. Il en faudrait plus pour le déstabiliser dans sa foi inconditionnelle en ceux qui l'avaient accueilli, élevé et soigné pendant cinq ans. Ils avaient pris soin de lui, ils ne pouvaient pas être pire que sa famille, non ? Cet homme devait dire n'importe quoi. C'est ce que tu avais dit à propos de ton frère aussi, non ? Il frissonna mentalement à cette pensée. Oui, c'était possible en effet. Mais eux, ils avaient fait le mieux qu'ils pouvaient. Ils n'étaient associés de manière visible à personne qui lui avait fait du mal.

Si il n'avait pas parlé, le combat aurait été réussi. Malgré tout, il avait cette certitude. Mais il n'était pas prêt à l'admettre. Il l'avait juste distrait, ce n'était qu'un tissus de mensonge. Il n'avait aucun droit de juger son appartenance à cet endroit. Surtout qu'il avait été celui qui lui causait tous ces problèmes.

Ces pouvoirs dont il, avait parlé étaient forcément faux. Sinon, on lui en aurait parlé, il n'était pas le seul terrestre à être venu, ils avaient des archives sur les pouvoirs violets. On ne peux pas se régénérer comme ça, et tous les terrestres n'ont pas les mêmes pouvoirs. Tissus de mensonge. De toute façon, ça ne lui aurait aucune idée, il était fier de tout ce qui ornait son corps, il l'avait choisi li même, depuis qu'il n'avait plus personne pour le retenir. Il était devenu exactement ce qu'il voulait, sa propre perfection, exactement comme il l'avait toujours voulu. Ce petit imbécile devrait vraiment à apprendre à fermer sa bouche. Si il avait pu revenir en arrière il n'aurait absolument rien changé, bien idiot celui qui lui dirait le contraire. La prochaine fois qu'il verrait ce prétentieux, il se jura lui même qu'il lui casserait la bouche dans les règles de l'art. Il s'assurerait personnellement qu'il ne resterait qu'un cadavre de lui, et que jamais, plus jamais, il ne rependrait ses idioties.

Il était tellement en colère qu'on puisse penser qu'il n'était pas parfaitement lui même. Il avait traversé tellement d'épreuves pour en arriver ici, et lui osait penser qu'il n'était pas assez ? Au prochain combat, il allait voir ce qu'il allait voir. Il allait le transformer en chair à pâté, en faire de la terrine, le vendre, très cher, et donner ses bénéfices à Sasha pour qu'ol puisse s'acheter un fauteuil électrique, et rendre plus simple l'idée de voyager sur une autre planète et éventuellement partir en cavale.

Non, pas question. Il devait prendre sa responsabilité, et par conséquent, accepter qu'on le supprime, c'est ce qu'ils lui avaient répété, cinq ans durant. Il n'avait sa place nulle part, et il était supposé partir après. Mais tout de même... Rien n'empêchait d'en rêver, si ? Enfin, à part les responsabilités, le contrôle spirituel qui était potentiellement exercé sur lui et la culpabilité de ne pas être ce qu'on voulait. Il devait retourner dans sa planète prison, après. Un peu comme un suicide squad. Très mauvaise réf ça, très cher. Osmose culturelle, toi même tu sais. Il secoua ses pensées pour qu'elles gardent une organisation droite. Saleté d'incapacité à se concentrer sur une chose.

Il se mordit la lèvre et soupira. Tiens, regain des sens, bien mieux comme ça. Il allait bientôt se réveiller, il le savait, ce n'était pas la première fois qu'on le faisait tomber dans les pommes. Il aurait espéré que ce soit la dernière d'ailleurs, mais visiblement, avec cet échec, il était mal parti. Il aurait voulu le battre, et sauver des centaines de personnes. Mais c'est impossible. Il était trop faible, trop bête.

Ses yeux s'ouvrirent, grand, et il papillonna des yeux pour s'habituer à la lumière qui traversait la toile de jute sur son visage.

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