Chapitre 6 : Cauchemar et Vérité


Les yeux se retirèrent, rentrèrent à l'intérieur des murs, me laissant seul avec ma mémoire torturée. Je levai la tête vers la nouvelle étape de mon voyage : les murs se rejoignaient dans un nouveau couloir, plus obscur que jamais. 

J'y pénétrai, frissonnant de peur à l'idée de ce que je pourrais trouver au bout. Une voix profonde, sombre, caverneuse, s'élevait par pulsations régulières des profondeurs du temple. Elle répétait inlassablement les mêmes mots, dans une langue que nul être humain ne pouvait comprendre.

« Ny'lytah revok septah ... Ny'lytah revok ry'leh... Ny'lytah revok Zetah ! »

Les mots résonnaient dans mon esprit dans un va-et-vient ininterrompu, s'imprimant profondément dans ma tête, jusqu'à ce que je ne puisse plus penser à rien d'autre.

La voix se tut finalement quand je parvins à sortir à tâtons du couloir noir, pour parvenir à un gigantesque espace éclairé par le feu des torches qui brûlaient sur les parois. L'endroit ressemblait à un immense puits creusé pour atteindre les profondeurs de la terre, comportant à ses bords un escalier qui descendait en spirale à perte de vue. Je me penchai pour regarder ce qui pouvait se trouver en bas et en éprouvai immédiatement un terrible vertige.

N'ayant d'autre choix que de continuer à avancer, je me mis à descendre ce chemin sans fin, portant toujours mon sac qui commençait à me peser. Alors que je marchais, j'entendais des voix, humaines celles-ci, à travers le mur à ma droite, et devinais ainsi des prières murmurées d'une voix précipitée, avant qu'elles ne s'interrompent brutalement sans raison apparente.

J'aperçus alors enfin, après quelques minutes de marche, un élément qui vint briser l'unité du décor : une ouverture était pratiquée dans le mur qui me faisait face, à laquelle je pourrais accéder si je continuais ma descente. Je pressai légèrement le pas, peu rassuré de me trouver au bord d'un vide qui semblait infini, et m'engageait dans ce nouveau chemin.

Je pénétrai ainsi dans une grande salle claire et vide, donnant sur un nouveau couloir. Mais mes bruits de pas avaient dû alerter quelqu'un, car j'entendis vite des voix provenant du couloir devant moi. Je me figeai sur place, m'attendant à la venue d'un des curieux hommes qui habitaient le temple, ce qui arriva vite : deux hommes portant une large robe noire, au visage entièrement caché d'une capuche sombre, me barrèrent la route, déclamant d'une voix forte :

« L'accès au Seigneur ne vous est pas permis. Retournez prier avec les autres ! »

Je bégayai une phrase confuse d'excuse tandis que la voix désincarnée, plus réelle que jamais, retentit à nouveau :

« Kyyshrika sesta reja ! »

Mon cœur battait de plus en plus fort. Je m'apprêtais à fuir, pensant que l'ordre avait été donné de m'éliminer. Je fus surpris de voir les deux hommes s'agenouiller aussitôt, murmurant précipitamment :

« Mais maître, il... »

Tout se passa alors très vite. Une protestation, venant d'un dieu, tonna et résonna dans la pièce :

« ZARKA ! »

Des formes allongées d'un brun sombre, se déplacèrent si vite qu'elle me semblèrent floues. Les deux hommes furent agrippés et emmenés de force dans les airs, leurs cris d'effroi déchirant l'air. Ils furent immédiatement traînés hors de ma vue, et je ne pus qu'entendre leurs hurlements s'éteindre après un sinistre bruit de craquement d'os. Je restais muet et immobile, le silence total étouffait l'air. Je ne voulais pas penser à ce qui se passerait ensuite, mais très vite, à ma grande horreur, la voix se fit de nouveau entendre :

« Entre... »

J'étais partagé entre le besoin irrépressible de fuir et ma raison qui me dictait de ne rien faire qui puisse contrarier cette créature. Je serrai mon sac contre moi, comme pour me protéger, j'avançais en tremblant des jambes vers l'ouverture.

Je contournai le mur qui me faisait face par la gauche, et remarquai que des gouttes de sang tombaient du plafond. Je fis un effort de volonté pour ne pas lever les yeux, sachant ce qui se trouvait au-dessus, et pénétrai dans la nouvelle salle qui s'offrait à moi. Je vis alors la chose la plus repoussante qu'il m'ait été donné d'imaginer.

Devant moi, flottant en l'air, se trouvait un immense globe de moisissure, recouvert d'une surface d'un brun sale. D'innombrables insectes s'y mouvaient : des cafards grouillaient par nids entiers, une armée d'araignées muettes couraient autour, parfois même des blattes sortaient par dizaines de cette véritable sphère de pourriture.

Un mugissement profond, d'une puissance indicible, fut émis à partir de la chose, et je fus tenté de hurler, mais j'étais paralysé de terreur. Je ne pus qu'observer Celui-qui-Voit révéler sa véritable forme. D'infimes craquelures parsemaient la surface du globe, et un liquide noir en sortit. Dégoûté, je vis ce que je pris pour du sang couler le long de la surface et noyer une nuée d'insectes affolés. Les minuscules ouvertures s'agrandirent, et se rejoignirent progressivement en une unique ligne le long de la sphère, qui s'écartait doucement, révélant une substance d'un noir profond.

Je compris alors : je voyais l'Oeil s'ouvrir. Après une minute qui m'avait semblé durer une éternité, je pus voir l'orbite remuer pour m'observer en détail. Mais c'était loin d'être terminé... D'autres ouvertures circulaires, plus petites, s'ouvraient petit à petit à la surface de la paupière.

La voix s'élevait de nouveau, haletante de ce qui semblait être de la fureur, mêlée d'une satisfaction sauvage.

« Je... Veux... »

Les ouvertures se précisaient. Unes à unes, elles s'ouvrirent entièrement, laissant entrevoir...une foule d'yeux humains, tous différents, qui s'agitaient dans leurs orbites, comme rendus fous.

« Tes... Yeux... »

Mon cœur manqua un battement. Mon cerveau me fit réagir instinctivement. Je lâchai mon sac, et tout ce qui pouvait me ralentir, et pris immédiatement la fuite, plus rien ne comptant à part ma sauvegarde.

Un nouveau cri de rage de Celui-Qui-Voit retentit derrière moi, mais je n'y prêtais pas attention : je courais, courais pour ma survie. Je retournai immédiatement dans la salle où les deux hommes m'avaient arrêté, et, au centre, un gigantesque tentacule brun perça la surface en pierre du plancher dans un torrent de débris. Me plaquant au mur pour l'esquiver, je vis qu'il fouettait l'air pour me retrouver. Laissant échapper un gémissement de terreur, je remarquai qu'un œil noir surplombait son extrémité : il pouvait me voir...

Esquivant un nouvel assaut, je me précipitai hors de la salle et courus à présent sur le passage en spirale, remontant le plus vite possible vers la sortie. Horrifié, je vis de nombreux hommes émerger du passage en haut, me pointer du doigt et se lancer à ma poursuite. Je fis immédiatement volte-face et descendit dans une infernale course le passage en spirale...Très vite, je vis de nouveaux prêtres face à moi, émergeant d'une ouverture située plus bas et remontant vers moi : j'étais bloqué !

Serrant les dents, j'imaginais une solution alors que les paroles de Sara me revinrent en mémoire : « quand tu te sentiras en danger, lis ce qu'on t'a donné... »

Mes mains se crispèrent sur le papier qu'elles m'avaient confié, mais je n'avais pas le temps de le lire maintenant : les hommes approchaient. Maudissant ce que j'allais faire, je pris une profonde inspiration, plaquai mon dos contre le mur, et me projetai en avant dans un bond désespéré.

Ma chute fut rude : j'atterris comme prévu sur le côté opposé à l'endroit où j'avais sauté, mais mes jambes se plièrent sous le choc. J'avais au moins semé mes poursuivants, et je me mis à la recherche de l'ouverture d'où ils avaient émergé. Je la trouvai bien vite, et m'y engouffrai à toutes jambes, cherchant à les semer pour sortir au plus vite. Je courais donc dans un couloir, qui me semblait sans fin, et sortit, à bout de souffle, les instructions qu'on m'avait confié. Au moment où je posais les yeux dessus, il me fut impossible de les lire : un courant d'air glacial traversa le couloir, éteignant d'un coup toutes les torches, me plongeant dans le noir le plus total.

Je restai un instant surpris par la disparition soudaine de lumière, puis me mis à tâtonner pour retrouver mon chemin, c'est alors qu'un murmure me vint aux oreilles :

« Kashyyk sesta n'orath... »

Je frissonnai de peur, n'osant plus toucher les murs de peur de sentir la substance gluante que j'avais vue tout à l'heure.Il était là, je le sentais.

Je restai aveugle, de plus en plus paniqué, avec mon souffle saccadé comme seule compagnie. Les chuchotements résonnèrent à nouveau dans ma tête :

« Je... Te... Vois... »

Je ne pus en supporter plus : je me mis à courir au hasard, espérant ainsi sortir des ténèbres, mais c'était sans espoir : une force surhumaine s'empara de ma jambe droite, puis la relâcha aussitôt, me faisant trébucher au sol. Aussitôt, à la douleur de ma peau écorchée s'ajouta la sensation d'un léger frisson qui me parcourait tout le bras : quelque chose me montait dessus...

Pressentant que c'étaient des araignées, je les balayai d'un geste, et essayai de ne pas penser à ce qui se passerait si elles étaient aussi nombreuses que tout à l'heure.

Je ne pensais plus qu'à ma survie, et je cherchai quelque chose, n'importe quoi, qui puisse m'aider. Je fouillai mes poches, espérant trouver une arme, ou au moins quelque chose qui puisse faire diversion.

Je fus alors surpris de trouver un objet qui semblait, au toucher, être une sorte de manette à activer. Alors que je pris conscience de l'existence de cet objet, je sus directement que Celui-Qui-Voit l'avait lu dans mon esprit. Un rugissement de fureur fut émis, et je fus plaqué au sol par la force d'un puissant souffle de vent. Inexplicablement, les torches se rallumèrent aussi, et ce que je vis faillit me causer une crise cardiaque : l'Oeil se tenait à nouveau devant moi, accompagné d'une myriade de globes oculaires, incrustés dans lui-même mais aussi dans tous les murs m'entourant. Des tentacules bruns sortaient du plafond, et vinrent chercher l'objet dans ma poche.

Celui-Qui-Voit l'examina un instant, puis déclara :

« Tu ne sais pas ce que c'est... Mais tu ne t'en servira pas ! »

La manette fut violemment projetée contre un mur, hors de ma portée, et un léger « clic » se fit entendre lorsqu'elle le heurta. Une seconde plus tard, le bruit d'une terrible explosion retentit, loin devant moi... Là où j'avais laissé mon sac !

Je compris aussitôt que j'avais transporté sans le savoir des explosifs...et qu'il suffisait de les déclencher, pour que tout soit terminé.

L'Oeil émit un cri de rage, mais il était déjà trop tard : derrière lui, les murs étaient soufflés par la force de la déflagration, et le plafond s'écroulait dans une tempête de débris et de poussière.

Je vint à penser que c'était certainement la seule chose à faire pour venir à bout de la créature... Puis tout devint rouge.

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Ma vision était encombrée d'un voile rouge, brouillant tout mon environnement. Le bourdonnement de mes oreilles avait cessé, j'entendais à nouveau clairement. Toute douleur avait disparu.

Je me sentais faible, si faible...

Je clignais des yeux, lentement, j'entrevoyais une foule de médecins autour de moi. Étaient-ils là pour m'aider ? Étaient-ils la cause même de mon état ?

Je me rendis compte que j'étais entièrement paralysé : je ne pouvais que les entendre.

« Il a eu d'excellents résultats. »

« On est en train de le perdre. »

« On a eu un problème... Un problème avec Celui-Qui-Voit. »

« On ne peut plus examiner les autres. »

« Le système doit être en panne. »

« Appelez Marie !  Elle saura quoi faire»

« Donnez-lui une dernière dose. »

Ma dernière dose... Celle qui me tuera.

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La route défilait devant mes yeux. Mes mains caressaient le volant. Tout était si précis, si clair. Je me détendis, laissant mon pied appuyer sur l'accélérateur, l'impression de vitesse me gagnait peu à peu, et je m'en grisais avec plaisir...Mes yeux fixaient le rétroviseur, qui me servait de miroir.

Tout était si parfait.

Je ne pouvais pas bouger.

J'étais paralysé.

Non, ce n'était plus un rêve. C'était un souvenir. Je ne pourrais pas me sortir de celui-ci.

Prisonnier de mon propre corps, je sentis ma tête se tourner vers la droite, et enfin je la vis. Une immense douleur, mêlée d'un plaisir et d'un soulagement inexplicable, m'envahit le crâne.

Je voyais enfin son visage : Rachel était assise à côté de moi, ses long cheveux bruns descendant en cascade sur ses épaules, je revoyais enfin la profondeur de ses yeux d'un bleu pâle, la beauté de ses traits fins...

« Regarde la route ! », me rappela t-elle à l'ordre.

J'avais envie de me perdre dans sa contemplation, mais je ne pus que suivre ce qui avait été mes mouvements : je lui obéis, me re-concentrant sur la voie qui s'étirait devant moi. Un magnifique coucher de soleil colorait d'un rouge sanguin l'horizon plat. Sa voix me parvint à nouveau :

« Si tu continues à être aussi peu prudent, ils vont finir par te retirer ton permis ! »

« Ça va ! » lançai-je, moitié agacé moitié amusé, « Il n'y a personne sur la route. »

Je lâchai le volant de ma main droite, pour désigner le long de la route de mon index :

« Pas de radar, pas de flic ! » continuai-je, « Je suis pas prêt de perdre mon permis » affirmai-je en le cherchant des yeux pour le montrer à mon aimée.

Elle soupira, précisant d'une voix lasse :

 « Je ne parlais pas de ça, mais tu vas finir par... »

« Où tu l'as mis ? » la coupai-je alors, en parlant de mon permis que j'avais cherché en vain.

« C'est toi qui l'a rangé ! » me répliqua t-elle, « mais regarde la route ! »

Insistant, j'ouvris la boîte à gants pour poursuivre mes recherches, dédaignant ses conseils. Mais cela portait ses fruits : je l'avais enfin retrouvé.

« Ha ! » lançai-je, « le voil... »

« REGARDE LA ROUTE ! »

Sa voix se brisa soudain : je ne pus que revoir avec horreur cette scène qui avait détruit ma vie.

Les roues heurtèrent le bord de la route. La vitesse était trop grande. Elle n'était plus grisante, enivrante, elle était meurtrière.

La voiture se laissa emporter par son poids. Un tonneau. Un deuxième. La glace brisée me lacérait le visage. La folle cascade fut stoppée, brutalement, par un arbre encastré dans le véhicule...à ma droite.

Le monde s'était effondré. Tout n'était plus que souffrance. J'eus un seul réflexe, quasi-vital, qui me semble maintenant égoïste, comme je le revis.

Le rétroviseur n'avait pas été brisé.

Je pus me regarder à nouveau.

Je n'aurais jamais dû : j'avais haï ce visage labouré de cicatrices, ce visage ensanglanté. Il avait causé ma perte. J'étais mon propre ennemi.

La voiture était couchée sur le côté, la portière brisée, du sang coulant sur l'herbe. Au dessus de moi se tenait Rachel.

J'étais paralysé.

J'avais la bouche ouverte, dans un appel au secours muet : je ne pouvais émettre aucun son. Je ne pouvais que voir son sang s'écouler dans ma bouche...

Tout était si rouge...

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Je ne pouvais en voir plus. Mon cerveau s'était déconnecté. Des larmes coulaient de mes yeux, et je ne pouvais les arrêter. Ma vision embrumée put enregistrer le passage dans mon champ de vision d'un homme, que j'avais déjà vu.

Mais il ne pouvait pas se trouver là...c'était impossible.

Des voix confuses me parvinrent, sans que je puisse les comprendre.

« On l'a perdu. »

« Encéphalogramme plat. »

« C'est fini pour lui. »

« Amenez les autres, on peut pas s'arrêter là. »

L'homme se pencha à mes côtés. Le peu de forces qu'il me restait me quittaient lentement. Je disparaissais...j'étais en train de mourir et cette idée me fit paniquer. Que pourrait-il y avoir après ?

Il me murmura quelque chose. Je compris tous les mots qu'il m'adressa.

« Tenez bon, Mr Larre, c'est le docteur Darn. J'ai vu ce qui vous tourmentait. Ne soyez pas trop dur envers vous-même... Vous ne pouviez pas savoir. »

Je voulus répondre, mais cela m'était complètement impossible. La vie me quittait...pourquoi maintenant ?

« Vous souvenez-vous ? Quel est le moyen le plus sûr de sortir d'un rêve ?... »

J'avais enfin compris.

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