Chapitre 5 : Le Seigneur de l'esprit

J'étais couché, paralysé par la douleur. La moindre parcelle de mon corps me faisait souffrir, comme si j'étais transpercé de toutes parts par des poignards acérés. Je n'avais pas la force de hurler, mais si j'avais pu, j'aurais poussé la plus terrible plainte d'agonie de ma vie. Je n'entendais plus rien, un bourdonnement sourd occupait mes tympans.

Je ne pouvais qu'attendre, attendre que la torture s'arrête, mais elle ne faisait qu'empirer, et je me rendis compte que mon crâne allait exploser sous la souffrance. Mes yeux écarquillés ne purent que voir passer une main gantée de blanc au-dessus de ma tête, quelques secondes plus tard ma mâchoire s'ouvrait, et je sentis un nouveau comprimé se dissoudre dans mon palais.

Mon cœur fit un dernier bond dans ma poitrine, et je sombrais à nouveau dans le néant.

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Nous étions tous les quatre réunis, debout les uns face aux autres dans une immense plaine verdoyante. Un vent cinglant balayait l'endroit, faisant onduler l'herbe dans des simulacres de vagues successives. Le hurlement des rafales vrillait mes tympans, et Mr Darn dut presque crier quand il annonça :

« Vous avez réussi ! ».

Nous nous tournâmes tous les trois vers lui, attentifs à ses paroles.

« Vous l'avez localisé. Il ne reste plus qu'à le détruire. »

« On a un plan. » annonça Juliette en hochant la tête.

Fronçant les sourcils, Mr Darn précisa :

« Quel que soit votre plan, il le connaîtra. Il connaît le moindre recoin de vos rêves. »

« Pas ceux-ci. » fit Sara, avant d'ajouter, hésitante... « N'est-ce pas ? »

« Non, pas ceux-ci » acquiesça Mr Darn, « mais dès l'instant ou vous pénétrerez dans son Royaume, il apprendra tout sur vos moindres pensées. Vous ne pourrez le prendre par surprise, il saura de quoi sont faites vos intentions. »

La peur commençait à s'insinuer dans mon esprit : comment vaincre un ennemi comme celui-ci ?

« Pas si on ne sait pas ce qu'on fait. » rétorqua Juliette, un vague sourire aux lèvres.

Mr Darn lui lança un regard interrogateur, et elle précisa : 

« Vous pourrez nous faire oublier ce rêve quand on en sortira, pas vrai ? »

Et le visage de Mr Darn s'éclaira soudain quand il comprit : 

« Oh, je vois. Comme vous voudrez... Vous êtes prêts à faire ça ? » demanda t-il brusquement.

Les deux filles acquiescèrent vigoureusement d'un signe de tête, mais je restai silencieux, me demandant ce qu'il voulait dire par là. Répondant à ma question silencieuse, il ajouta :

« Celui-Qui-Voit n'est pas un ennemi que l'on combat en en sortant indemne... C'est peut être la dernière chose que vous ferez dans votre vie. »

« Mais » objecta Sara, « il ne peut pas nous atteindre de toute façon, si ? Il ne vit que dans nos rêves... Dans notre tête ! »

Mr Darn, pour toute réponse, la dévisagea longuement. Puis il se tourna vers moi en affirmant :

« C'est la dernière chose que vous ferez dans votre vie. Vous le savez n'est-ce pas ? »

Je ne répondis rien, baissant silencieusement les yeux. Il ajouta d'une voix douce :

« La prochaine dose vous tuera. »

J'aurais préféré qu'il n'en fit rien. Je déglutis et il me regarda à nouveau dans les yeux.

« Alors. » dit-il simplement, « Ne ratez pas votre coup... »

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Tous les trois se trouvaient à quelques centaines de mètres d'un bâtiment étrange, surplombant la haute colline sur laquelle il avait été érigé.

D'après son aspect, je supposais que c'était un temple : il était pyramidal, haut d'une centaine de mètres, bâti dans une pierre d'un brun sombre. Les blocs élémentaires la composant étaient imposants, même vus de loin, et de nombreux symboles les ornaient, formant une ligne continue le long du mur à la base de la pyramide. Alors que nous nous approchions, je pus voir qu'ils formaient des mots, dans un langage qui m'était toutefois inconnu, car les différents symboles semblables à des runes ne m'évoquaient pas grand-chose. Derrière moi, traînant des sacs de toile, Juliette et Sara me firent signe de m'arrêter, en me montrant du doigt le côté de la pyramide.

Je pus y voir une longue file de personnes, qui portaient eux aussi de lourds sacs, se presser vers une ouverture pratiquée à la base de l'édifice, et devinait que tous y entraient.

Sara fouilla alors ses poches, et en sortit un bout de papier qu'elle lut pour elle-même. Hochant la tête, elle me dit alors :

« Ok, prends les sacs. »

Juliette plongea sa main dans ses propres poches, et me tendit un nouveau papier manuscrit en me précisant vite :

« Ne le lis pas ! Pas tout de suite. »

Je m'exécutai, sans prendre la peine de leur demander pourquoi on me faisait faire tout cela. Puis, avec un regard triste, elles me dévisagèrent longuement.

« Quoi, maintenant ? » fis-je alors, intrigué.

« C'est à toi de le faire. » me dit Sara.

« Suis-les. » fit Juliette en désignant la file des gens qui entraient dans le temple les uns après les autres.

« Quand tu te sentiras en danger, lis ce qu'on t'a donné » ajouta Sara.

« On ne peut pas entrer. On sait déjà. Toi, tu ne sais rien. » conclut Juliette avec un faible sourire.

Je ne comprenais pas grand-chose à ce qui se passait, mais je les vis disparaître, se dispersant dans l'air toutes les deux, comme un mirage, et commençais me demander si elles avaient jamais été réelles.

Mais au fond de moi, je sentais que tout se terminerait dans ce temple.

Alors, j'emportai les sacs et me mis en route. J'arrivais le plus discrètement possible à la suite de la masse de gens se dirigeant vers l'entrée. Étonné, je constatai que la plupart d'entre eux se ressemblaient, comme des jumeaux, mais ce qui me frappait le plus était de voir leurs mines résignées, tristes, presque blafarde pour certains.

Je commençais à éprouver de plus en plus de curiosité pour ce qui se trouverait à l'intérieur du temple, mais je me gardais bien de le demander autour de moi, sentant que tous le savaient et que je devais le plus possible me fondre dans la masse.

Tous gardaient un profond silence, je fis alors de même et marchai d'un pas résolu vers l'entrée. Quand je l'atteignis enfin, je fus surpris de son étroitesse. Maniant les sacs avec précaution, je les amenai devant moi et marchai prudemment, m'enfonçant à l'intérieur de l'édifice, qui devenait de plus en plus sombre... Je pris le temps de distinguer la même série de signes étranges qui se trouvaient à l'extérieur avant de les voir disparaître dans la pénombre au fur et à mesure de mon avancée.

Après quelques instants de marche, j'atteignis un mur, et dut le contourner par une ouverture qui s'offrait à moi, suivant ceux qui me précédaient, je franchis l'obstacle et arrivai dans un nouveau couloir, éclairé par la lueur lugubre de torches disposées tout le long.

Les flammes dansaient devant mes yeux, comme bercées par un souffle continu, et bien que l'air restait lourd et immobile autour de moi, je ressentis moi aussi ce fin bruissement...

La fraîcheur caressait ma peau, et je frissonnais malgré moi. Me ressaisissant, je me concentrais sur mon parcours, alors qu'un chuchotement se glissait à mes oreilles :

« Ny'lytah revok septah ! »

Mon cœur s'accélérant, je vérifiais autour de moi d'où il pouvait provenir, me disant que celui qui me suivait avait sûrement prononcé ces mots. Je me retournai, mais put vérifier qu'il restait aussi parfaitement muet que d'habitude, et le regard qu'il me lança m'incita à reprendre ma progression.

Par trois fois dans ce couloir obscur, j'entendis à nouveau cette voix glaçante me susurrer des mots dans une langue inconnue. Comprenant vite que personne autour de moi ne pouvait le faire, je saisis alors que la voix sortait des murs eux-mêmes... Et mon effroi grandit alors.

Mais la traversée du couloir touchait à sa fin. Un autre mur me barrait la route, que je contournais de la même façon, et je débarquai ainsi dans une immense salle circulaire.

Dix hommes étaient agenouillés, leurs paumes plaquées contre le mur de pierre froid. Les yeux clos et la tête baissée, ils psalmodiaient tous des prières d'une voix saccadée et précipitée. Quand j'eus atteint la moitié de la salle, l'un d'eux s'écroula, roulant à terre dans de violentes convulsions, sa bouche tordue dans un long hurlement muet. Frappé d'horreur, je ne pus que continuer à marcher, et celui qui me suivait me lança un regard sombre, avant de s'agenouiller lui-même à sa place. Derrière, quelqu'un accélérait pour me suivre, et je me demandais si on s'était attendu à ce que je prenne moi même la place de l'homme qui continuait de se tordre de douleur sur le sol.

Refusant cette idée, je continuais à suivre la file qui s'étirait devant moi, avec l'idée que je subirais peut être pire en étant arrivé à destination. Une fois la salle passée, je me trouvais dans un nouveau couloir, qui s'enfonçait plus profondément dans la pyramide, dans une pente qui semblait descendre en enfer. Les chuchotements retentirent de nouveau, me firent frémir, mais cette fois-ci j'en comprenais le contenu :

« Je suis le cauchemar vivant... »

Ça ne pouvait pas être vrai... J'allais me réveiller bientôt.

« Je suis le sondeur de l'âme... »

Je me rendrais vite compte que tout cela n'était pas réel...

« Je suis la torture éternelle... »

Je fus pris de frayeur quand je me surpris à chuchoter moi même ces phrases. J'étais progressivement frappé de folie.

« Je suis Celui-Qui-voit ! »

L'affirmation retentit dans mon crâne, alertant tous mes sens, réveillant plus que jamais mon sentiment d'horreur. Je compris alors que ce que j'affrontais n'avait absolument rien d'humain...

Les chuchotements tournaient en boucle dans ma tête, résonnant chaque fois avec plus de force, et je me retins de hurler qu'on libère mon esprit. J'arrivais au bout de ce couloir, avec la sensation que je marchais depuis une éternité. Mais j'étais loin de me douter que ce que je trouverais ensuite serait pire que tout ce que j'avais déjà vu.

Une deuxième salle circulaire s'étendait devant moi, vide cette fois-ci, à l'exception de l'homme qui me précédait, qui s'avança en silence vers le centre de la pièce. Je voulus le suivre, mais quelqu'un derrière moi m'en empêcha. La salle était couverte de signes semblables à ceux qui couvraient l'entrée et, sur le sol, au centre, était dessiné un œil. Il était si réaliste que j'aurais juré l'avoir vu bouger. Je remarquais alors les autres dessins d'yeux qui couvraient les murs, et c'est alors que l'homme s'agenouilla au milieu de la salle et clama :

« Je suis prêt pour l'inquisition, ô seigneur de l'esprit ! »

Paralysé par un nouvel accès de frayeur, j'observais incrédule un véritable œil, rendu rouge par le sang véhiculé dans les nombreuses veines qui le saillaient, sortir du mur à l'endroit précis du dessin. Un à un, chacun des dessins laissaient sortir un nouveau globe oculaire sans orbite, tous tournés vers l'homme qui venait de parler. Enfin, le dessin central fut surplombé d'un œil rempli de veines noires, qui planta un regard terrifiant dans les yeux de l'arrivant. Il fut secoué d'un léger tremblement, mais supporta les quelques secondes de silence qui suivirent.

 Quelques instants plus tard, il se releva et continua sa route. Je sus alors que c'était mon tour, mais je n'avais aucune envie de le faire. N'ayant pas le choix, je transportais mes sacs sur le côté d'un pas lourd, comme si je me dirigeais vers ma propre fin. Réprimant une envie de vomir, je posais ce que je transportais à terre, et m'agenouillai à mon tour, prononçant la formule que l'autre venait de dire d'une voix tremblante. L'attente fut insupportable. Je fixai sans vouloir le voir le dessin de l'œil à terre, qui attirait mon regard. Je sentais que le moment allait arriver, et il arriva. 

Révulsé, je vis l'œil noir m'observer longuement, puis une vague d'images submergea mon esprit, par flashs successifs. L'instant ne dura que quelques secondes mais sembla durer plusieurs heures à mes yeux. Celui-Qui-Voit fouillait ma mémoire, et s'attardait particulièrement sur les images d'horreur qui habitaient mon cerveau, comme s'il s'en délectait. Je voyais et revoyais cet atroce visage couvert de blessures des centaines de fois.

Puis, satisfait, il me relâcha, et je faillis chanceler sous mon propre poids.

Mais j'avais gagné l'accès au domaine de Celui-Qui-Voit.

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