Chapitre 4 : Celui-Qui-Voit

Je volais, libre comme l'air, à travers une foule de nuages d'un blanc laiteux. Je slalomais dans cette étendue bleue, frôlant ces amas de blancheur à l'aspect de coton. Je tournoyais rapidement sur moi-même, formant une vrille traversant le ciel à une vitesse folle.

Grisé par l'adrénaline, je prenais le temps d'observer plus attentivement ce qui m'entourait, et le sourire qui s'étirait sur mon visage s'évanouit lentement : j'étais arrivé. Ralentissant progressivement, je posais mes jambes droites sur un énorme cumulus, marchant sur sa surface rebondie.

Ils m'attendaient.

"Il ne manquait plus que vous." annonça Mr Darn, tandis que Sara et Juliette l'accueillait près d'elles.

"Je suis vraiment indispensable ?" demandai-je alors d'un ton éteint.

L'arpenteur de rêves resta silencieux, et s'adressa plutôt aux deux autres après un instant :

"J'ai appris que vous aviez un plan. C'est bien. Mais je dois vous avertir d'un obstacle concernant sa réalisation."

Un plan ? Pour quoi faire ? Quel était-il ?

Je lançai un regard interrogateur vers les filles, mais elles restaient concentrées sur les paroles de Mr Darn, qui poursuivit :

"L'intégralité de vos rêves est sous contrôle. Ceux qui vous retiennent ont réussi à se servir d'une entité qui leur rapporte le moindre détail de leur contenu."

Horrifiée, Sara porta la main à sa bouche, et lança des regards effrayés sur ses côtés comme si elle s'attendait à voir quelque chose les observer. Juliette resta plus calme, mais elle n'en paraissait pas moins bouleversée.

"Alors, en ce moment-même..." fit-elle.

"Non." les rassura Mr Darn, "Ce rêve là est sous mon contrôle, ils n'en auront pas connaissance."

Elle parurent se détendre un peu à l'annonce de cette nouvelle, et il poursuivit :

"Mais pour réaliser votre plan, vous devrez neutraliser cette entité."

J'intervins, tentant de comprendre ce qui se passait :

"Qu'est-ce que c'est exactement ?"

"Ils l'appellent Celui-Qui-Voit.", répondit-il, "Dans vos rêves, il est l'Innommable. C'est une créature de cauchemar qui hante votre conscience et la pénètre à son niveau le plus profond. Il connait le moindre recoin de vos rêves, se cache à l'intérieur de vos peurs, et se manifeste dans vos plus grands regrets. Ils ont... Réussi à le soumettre à leur volonté. Maintenant, il leur rapporte tout ce qui se passe dans vos rêves partagés... Et rend possible leurs études."

Je frissonnai légèrement, et quelque chose me dit que ce n'était pas à cause des courants d'air qui secouaient les nuages.

"Où est-ce qu'on le trouve ?" demanda Sara.

"L'information est détenue par eux seuls. Mais la bonne nouvelle, c'est que pour prendre contact avec Celui-Qui-Voit, ils sont obligés de s'endormir. Alors, en partageant un rêve avec eux, vous pourrez aller chercher cette information...", leur apprit Mr Darn.

"... Dans leur tête." complétai-je, un sourire confiant se dessinant sur mes lèvres.

"Bonne chance."

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"Harg !" lâchai-je, tout mon corps souffrant de brûlures intenses.

Par chance, je restai lucide : le nuage de fumée devant mon véhicule se dissipa très vite, et je dus affronter des difficultés beaucoup plus inquiétantes : le tableau de bord était couverts de signes lumineux indiquant des défaillances multiples, et les données du radar indiquait que leur agresseur s'apprêtait à tirer une nouvelle salve de missiles.

Fébrile, je pianotai sur les commandes le plus vite que je pus : je lançai en priorité les programmes de réparation d'urgence et activai les armes pour les déployer à l'arrière du bolide.

Un coup d'oeil rapide m'assura que Rachel n'avait pas trop souffert de la collision. Je lui criai alors :

"Il va tirer ! Occupe toi des missiles, j'avance !"

Elle me répondit d'un simple signe de tête, et s'empara des commandes des mitrailleuses à l'arrière. Je m'affairai à reprendre le contrôle de l'engin, qui piquait dangereusement du nez vers le côté droit du tunnel. Je rétablissais avec difficulté la trajectoire, lorsque le signal sonore d'une attaque retentit : une nouvelle vague de missiles fonçait vers leur véhicule, maintenant ralenti.

Stressé, je conseillais à Rachel d'une voix forte :

"Ne tire pas trop tôt !"

"Je sais !" répliqua t-elle, exaspérée.

Le bolide reprenait de la vitesse, mais pas assez pour semer les projectiles qui s'approchaient à une vitesse folle. Pas moins d'une seconde avant la collision, Rachel tirait : les balles ainsi mitraillées traversèrent les missiles, embrasant l'explosif qu'ils contenaient. Le souffle les fit accélérer d'une manière inattendue, et ils profitèrent de la vitesse ainsi gagnée pour semer leur poursuivant.

Ils étaient si rapides qu'avant d'être sortis du tunnel, ils avaient quasiment rattrapés le Treg qui les avaient dépassés au départ. C'est alors que mon tableau de bord clignota : le logiciel espion intégré au bolide avait intercepté un message, qui venait de celui qui avait failli les tuer...et s'adressait au fameux Treg.

"N'ai pas pu finir le travail. Ils sont à vous."

"C'est lui !" m'exclamai-je en pointant un doigt devant moi, "Il nous a fait éliminer !"

La voix de Rachel parvint à mes oreilles :

"Calme-toi, tout le monde veut tuer tout le monde dans cette course".

"Il ne s'en tirera pas comme ça !" répliquai-je alors, et j'enclenchais les dernières réserves des moteurs pour une ultime accélération.

En un éclair, je me retrouvais à quelques dizaines de mètres de ma cible.

"Sois plus prudent" me sermonna Rachel, "La fin du tunnel contient trop de virages pour être abordée à cette vitesse !"

"Il ne ralentit pas, lui !" fis-je remarquer d'un ton égal, et je pris les commandes des mitrailleuses de l'avant.

M'avançant encore un peu, je pus déchaîner ma haine en les enclenchant : une pluie d'étincelle couvrit les propulseurs à l'arrière de son bolide, et il fut apparemment surpris, car sa trajectoire se déstabilisa d'un coup. Il essayait d'esquiver en zigzaguant, mais à cette vitesse les changements de trajectoires étaient imprévisibles, et le côté gauche de son véhicule fut à son tour criblé de balles.

Je m'arrêtais de tirer pour recharger et constatait, satisfait, les dégâts que j'avais commis : il était dans un salle état ! Et je n'allais pas tarder à l'achever...Dans quelques secondes les mitrailleuses seraient de nouveau prêtes.

"Tu n'aurais pas dû le chercher !" m'avertit Rachel, "il va vraiment nous en vouloir, maintenant."

Je ne lui prêtais pas attention, j'étais uniquement concentré sur la recharge de mes armes. Dans trois secondes... deux... une...

Alors que je libérai à nouveau ma puissance de feu, mon adversaire fit une manœuvre étonnante : il fonça sur sa droite, vers la paroi arrondie du tunnel.

"Il va s'écraser !" pensai-je, et la voix de Rachel fit écho à mes pensées.

Puis, ébahi, je constatais que sa vitesse était suffisante pour adhérer au mur : il évoluait à présent en tournoyait du plancher au plafond, décrivant une folle spirale...et empêchant que je le touche avec mes balles. Je jurai, et me concentrai : si j'avais le bon timing...

"Non !", fit Rachel, comme si elle avait lu mes pensées, "C'est du suicide ! Tu n'arriveras jamais à te stabiliser si tu te lances là-dedans !"

Mais ma décision était prise : il y avait là un défi de pilote à relever, et mon égo ne pouvait se résoudre à le rejeter. Je suivis un instant mon adversaire des yeux, puis, inspirant un grand coup, me jetai à sa poursuite.

Conduire l'engin dans ses conditions était atroce : les repères étaient mélangés sans cesse, dans un tourbillon informe de couleurs confuses. Je paniquai, et me raccrochai à la commande des mitrailleuses, que j'activai au hasard.

Il esquiva sans mal les balles, et continua à décrire sa vrille infernale. Je me concentrai, attendant le bon moment, tentant de calmer les protestations de ma tête désorientée, et tirai une nouvelle rafale. Je le touchai, cette fois-ci, et une brusque explosion dans les propulseurs adverses me montrait que j'avais endommagé les moteurs. Je poussai une exclamation de joie, mais dut très vite me retenir : le Treg larguait de lourds objets noirs, surmontés de gigantesques pics rouges. Des mines !

Je fis une embardée pour en esquiver une de justesse, et réussit à stabiliser ma trajectoire horizontalement le long du mur, pour en éviter plusieurs autres. Mais elles s'accrochaient aux parois, et je dus tirer plusieurs salves de mitrailleuse pour m'en débarrasser, obscurcissant mon champ de vision d'écrans rouges et noirs d'explosions soudaines.

Quand je pus enfin discerner quelque chose, je vis que son véhicule était de nouveau collé au sol, et avait brusquement ralenti. Je fonçais à une allure folle vers le premier d'une très longue série de virages extrêmement serrés...

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Se coller au mur. Cette idée simple habitait mes pensées tel un parasite résistant à toute tentative de le déloger : il le fallait pour survivre. Alors, j'aplatis mon dos et le colla avec toute la force de mes muscles sur la paroi derrière moi. Dans l'obscurité du tunnel, je parvins à distinguer à ma gauche Sara, le visage tendu par la concentration.

Un mouvement infime à ma droite me faisait deviner la présence de Juliette. Tendu, je fouillais mes poches à la recherche de mon matériel, et sentit, rassuré, le contact du métal sur ma paume. Il faudrait être rapide.

"Il arrive" annonça Sara.

En effet, un signal sonore venait de retentir, indiquant que le train venait de pénétrer le tunnel. Je saisis ce qui me servirait de grappins, et me tint prêt, accrochant les fils qui sortaient de l'objet rond et fin à ma ceinture. Les rails commencèrent à vibrer lourdement, et une lumière vive perça soudain la pénombre : il se rapprochait de plus en plus vite.

"C'est de la folie" pensais-je en réprimant un cri de terreur, lorsque le premier wagon fut parvenu à leur hauteur.

Le souffle du passage me plaqua plus fort encore sur le mur, et le vacarme du train rugissait à mes oreilles.

"Maintenant !" hurla Juliette pour couvrir le bruit assourdissant.

J'imitai les filles, et lançai mon disque de métal à plat sur le wagon. Il s'y accrocha instantanément, et le fil se déroula : je me préparai aux choc. Il fut extrêmement brutal : la ceinture, reliée aux sangles qui entouraient tout mon corps, fut entraînée par la course du train, et je fus entraîné vers les roues à une vitesse effrayante.

Alors que j'allais les heurter dans un impact mortel, j'activai mon nouvel atout : les puissants aimants de mes gants et ceux accrochés à mes pieds. Je flottais au-dessus du sol, à quelques centimètres des roues, stoppé dans mon élan vers la mort. Un coup d'oeil m'assura que Sara et Juliette avaient elles aussi réussi à réagir à temps, et commençaient leur ascension sur les parois du wagon. Soulagé, je les imitai, attendant d'être sorti du tunnel pour grimper sur le toit, car le train était si haut qu'il rasait le plafond de quelques centimètres seulement.

Après avoir parvenu à me hisser sur le toit, j'eus le souffle coupé par le paysage : le train traversait une immense vallée verdoyante, coincée entre deux montagnes imposantes. Mais je n'avais pas le temps de l'admirer ; je demandai vivement :

"Le prochain tunnel, c'est pour quand ?"

"On a trois minutes" me répondit Sara.

C'était peu. Mais je m'activai rapidement : je m'emparai de nouveaux disques-grappins, légèrement plus larges que le premier, que je fixai sur l'arrière du wagon, aidé des filles. Ils eurent bientôt couvert le toit de ces appareils, placés à des points stratégiques.

"Les câbles tiendront ?" m'inquiétais-je.

"Il n'y a pas plus résistant" m'assura Juliette, qui finit de placer son dernier disque. Ensemble, ils placèrent ensuite des explosifs à l'avant du wagon. Puis, Sara prévint :

 "On doit le faire maintenant ! C'est le dernier virage !" précisa t-elle en pointant du doigt les rails qui s'étalaient devant eux.

Ils reculèrent en courant, puis se couchant sur le toit, s'accrochèrent fermement, et Sara fit le décompte : 

"Trois...deux...un...MAINTENANT !"

Les charges explosives s'embrasèrent dans un vacarme assourdissant. Au même moment, ils déclenchèrent les grappins : chaque disque projeta au sol un autre disque similaire, relié au premier par un câble solide. L'onde de choc brisa le lien entre leur wagon et ceux devant, et déstabilisa ces derniers, au moment même où le virage s'amorçait. Le train dérailla, et termina sa course au fond de la vallée dans une vision apocalyptique.

Juste avant que le wagon sur lequel ils se trouvaient ne connaisse le même sort, une douzaine de câbles reliées au plafond et maintenant fixés au sol le stoppèrent brusquement.Les wagons situés derrière furent forcés de s'arrêter, fonçant dans celui qui les précédaient. Satisfaits, ils cherchaient dans leurs dos les fusils d'assaut, emportés pour prendre sans mal le contrôle du wagon.
Mais le plan ne se déroula pas exactement comme prévu. Les portes des autres wagons s'ouvrirent à la volée, et en descendaient des gardes armés, désorientés mais déterminés.

J'écarquillai les yeux de surprise, mais sus me contrôler : je rampai sur le toit le plus vite possible, me cachant à la vue des gardes, et signalai aux filles de m'imiter d'un geste. Bientôt, nous pûmes atteindre le bout du wagon, et descendre ainsi du toit, cherchant à atteindre l'entrée du wagon le plus vite possible. Je donnais un coup d'œil sur le côté droit, et repéra des gardes qui se rapprochai. Résigné, je tirai une série de balles, qui les tuèrent sur le coup. Le bruit de la fusillade allant attirer les autres, je me dépêchai d'entraîner Sara et Juliette vers le côté du wagon, où se trouvait l'entrée.

Tendus, nous courions vers la double porte d'accès, quand elle aussi s'ouvrit brusquement, laissant paraître une demi-douzaine de gardes, qui pointaient tous leurs armes vers eux. Je sus tout de suite qu'ils allaient tirer d'une seconde à l'autre : par réflexe je lâchai mon arme à terre et présentai mes paumes gantées face à eux, vite imité par les filles. Ils souriaient, apparemment satisfaits que nous nous rendions, et leurs doigts pressèrent les gâchettes. Les balles sifflèrent.

Les aimants des gants s'activèrent tous en même temps, formant un bouclier sphérique de magnétisme, et les balles les esquivèrent tous les trois en les contournant, et se perdirent derrière eux. Avant qu'ils n'aient eu le temps d'exprimer leur surprise, Sara et Juliette avaient brusquement ramassé leurs armes et les mitraillaient sans pitié. Alors que d'autres adversaires se présentaient sur les côtés du wagon, en nombre cette fois-ci, nous nous jetâmes dans le wagon, forçant à l'intérieur une dernière porte, donnant accès à une pièce quasiment vide.

Seule une table l'occupait ; posé dessus, un dossier portant le nom de "Celui-qui-Voit".

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