Chapitre 3 : Aller plus loin
Je fus jeté sans ménagement dans une cellule froide et sombre, vite rejoint par Sara et Juliette. Je restais un instant sans réagir, face contre terre, espérant que la douleur se taise enfin. C'est alors qu'une voix familière retentit dans mon dos :
"Vous voilà dans une position bien délicate."
Mr Darn !
Je parvins à me retourner, roulant au sol pour lui faire face. Le contraste entre sa tenue -il était toujours en costume- et l'environnement aurait prêté à rire si la situation n'était pas aussi grave. Les deux femmes avaient également l'air ravies de le voir ici.
"Vous pouvez nous aider ?" demandai-je, reprenant espoir.
"Je n'interviens pas dans les rêves, désolé" déclara t-il, "Je vous aide seulement à les comprendre."
Déçu, je remuais pour trouver une position plus confortable.
"Quels sont les moyens de sortir d'un rêve ?" demanda tranquillement Mr Darn.
Voyant que personne ne répondait, il continua :
"Mourir. Mourir provoque la fin d'un rêve, parce que le cerveau ne peut imaginer ce qu'il y a après la mort. Un rêve n'est qu'un message fabriqué par notre subconscient. Comprendre ce message permet également de stopper le rêve."
Ce fut Juliette qui demanda : "Si on comprend le sens de ce rêve, il s'arrêtera ? Et vous êtes là pour nous l'expliquer ?"
"Je suis là pour vous aider à comprendre" répondit Mr Darn, "Vous seuls pouvez saisir le sens du rêve, car vous en êtes les sujets, mais je peux vous aider à en comprendre les symboles. A votre avis, que vous apprend ce rêve ?"
Sara intervint : "Que... Quelqu'un nous veut du mal, non ?"
"Vous en êtes certaine ?" questionna t-il avec un léger sourire, "Comment a débuté ce rêve, rappelez-vous ?"
Je répondis :
"Nous étions à l'extérieur et nous planifions l'assaut."
"Exactement !", s'exclama t-il, "Vous êtes les organisateurs de cette opération. C'est vous qui voulez du mal à quelqu'un."
"Mais" objectai-je, "Je n'avais aucune raison de le faire... Je veux dire, au départ, je ne faisais que les suivre, elles. Je... Je voulais les aider, je crois."
Mr Darn me dévisagea longuement, en silence, avant de me demander :
"Mais vous saviez, n'est-ce pas ? Ce qui se trouverait, derrière cette porte ? Vous saviez quelle était votre cible, je me trompe ?"
Après un effort de mémoire, je me souvenais que je n'avais en tête que ce visage labouré de cicatrices... Une question subsistait alors :
"Qui ?" demanda Juliette, "Qui est-ce ?"
Mr Darn répondit, par une autre question : "Qui croyez-vous que c'est ?"
"Je ne sais pas." fit-elle, "Cette énorme araignée..."
"Une araignée ?" intervint Sara, "Pas du tout, c'est un homme-scorpion terrifiant !"
Je restai mué d'incompréhension : personne ne voyait la même chose. Comment cela pouvait-il être possible ?
"Et vous, que voyez-vous ?" me demanda Mr Darn, hachant ses mots.
"Un homme." répondis-je d'un ton hésitant, "Défiguré par des... Cicatrices."
"Bien, j'espère que vous pourrez en déduire quelques conclusions. Je vous laisse." fit-il en se dirigeant vers la sortie.
"Attendez, le rêve n'est pas terminé ?" m'exclamai-je.
"Il faut à votre esprit une fin logique. Terminez ce que vous êtes venus faire." dit Mr Darn, posant sa main sur la poignée de la porte, qui pivota toute seule.
"Mais on est encore attachés !" protesta Sara, qui commençait à paniquer et se débattre.
Je la comprenais aisément : si celui que nous avions voulu assassiner rentrait maintenant dans la pièce -c'est ce qui allait se passer, je le sentais- il allait tous nous rendre fous de douleur.
"Votre imagination doit vaincre votre peur. Vous contrôlez votre rêve. Faites ce qu'il vous plaît." déclara Mr Darn, avant de pousser la porte. Quelques secondes s'écoulèrent entre sa sortie, et la venue de la créature au visage déformé.
Je cédai entièrement à la panique, imité par les deux femmes, qui se contorsionnaient violemment pour échapper à leurs liens, en vain.
"Où en étions-nous ?" articula lentement le monstre, déroulant à nouveau son fouet avec lenteur...
L'imagination... A quoi pouvait-elle bien me servir quand j'étais incapable de me mouvoir correctement ? Je m'abandonnai entièrement à la terreur de la douleur à venir, quand il confirmait mes craintes, se tournant vers moi. Il balança son fouet d'avant en arrière... Une idée, vite !
Je me tournai dos à lui, dans un geste désespéré. Le fouet claqua, lacérant ma chair, mais découpant au passage les cordes qui m'entravaient. J'ignorais l'appel déchirant de la douleur, et je me relevais, courageusement, face à mon adversaire.
"Tu n'es rien !" me cracha t-il, prêt à frapper de nouveau.
J'étais prêt, moi aussi. Ayant remarqué que mon poignard était toujours à ma ceinture, je le dégainai vivement, et réagis à la vitesse de l'éclair.
Je fendis l'air de mon arme, juste quand le fouet allait s'abattre sur moi : j'en avais tranché l'extrémité, rendant son fouet inutile.
Il cracha de rage, tandis que je me précipitai sur Sara, tranchant ses liens d'un coup sec. Elle n'eut pas le temps de me remercier, mais juste d'écarquiller les yeux, comme un signal d'alerte. Je ne pus me retourner à temps : je fus percuté de plein fouet par la créature, frappé par sa force surnaturelle. Je fis un vol plané, ne m'arrêtant que lorsque mon dos heurta la paroi opposée de la cellule, dans un nouvel afflux de douleur, cette fois ci insupportable.
Je ne pus que voir Sara empoigner son arme pour tenter de blesser la créature, mais elle n'en eut pas le temps : le monstre lui tordit le poignet d'une main, la désarmant brusquement, et enserra sa gorge de l'autre, pour l'étouffer de ses mains. Elle ne pouvait lutter contre une telle force, mais elle se débattait tout de même, et tenta de frapper au visage son agresseur, qui n'était pas gêné par ces tentatives.
Gêné, il le fut beaucoup plus quand une lame de poignard se planta dans son dos.
J'écarquillai les yeux, surpris de la scène : se servant de l'arme tombée au sol dont avait été privée Sara, Juliette avait tranché ses liens, et s'était silencieusement glissée dans le dos de l'ennemi.
Celui-ci ouvrit la bouche une dernière fois, alors que du sang en coulait abondamment : "La douleur... Ne s'arrêtera pas."
Puis il s'écroula au sol, vaincu définitivement.
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J'étais au milieu d'un lac, assis en lévitation au-dessus de l'eau. Je me souvenais de ce décor. Je savais que Mr Darn m'y retrouverais. Je ne fus pas étonné quand j'entendis sa voix derrière moi :
« Vous avez franchi un pas vers la compréhension. C'est un bon début. »
Je me tournai vers lui, pivotant sur moi-même en flottant dans les airs.
« Je n'ai pas appris grand-chose » fis-je, déçu.
« Il ne tient qu'à vous d'apprendre plus. » annonça t-il, sur un ton encourageant, comme s'il attendait une réponse.
Y avait-il plus à découvrir dans ce rêve ? Avait-il plusieurs significations ?
« Réfléchissez. » m'ordonna t-il, comme s'il lisait mes pensées, « Quelle était la particularité de ce rêve ? »
« Particulièrement réaliste. » répondis-je, ce qui était vrai : le moindre des détails lui avait paru vrai.
« Je ne parle pas de ça. » fit Mr Darn en secouant la tête, « Qu'y avait-il dans ce rêve que vous ne trouvez pas dans les autres ? »
Il me fallut un instant de réflexion, mais la réponse me parut alors évidente :
« Des partenaires. Je n'étais pas seul. »
« Exactement ! » triompha t-il, « Il y avait d'autres personnes dans votre rêve, vous viviez un rêve partagé. »
« Mais... Comment est-ce possible ? » me demandai-je à voix haute.
« Souvenez-vous. Souvenez-vous d'où vous viennent ces rêves. Souvenez-vous de votre réalité. »
J'en avais assez :
« La réalité ne m'intéresse plus. Je n'arrive plus à m'en souvenir, et je m'en moque. »
« Pour progresser dans vos rêves » me confia Mr Darn, « il va vous falloir vous rappeler en permanence d'un repère. Ce repère, ça ne pourra être que le réel. Tous vos rêves prennent racine là-bas. »
Je hochais la tête doucement, prêt à faire un effort : après tout, que me coûtait d'essayer de me souvenir ?
« Un hôpital » déclarai-je, « ils font des études... Des études sur moi. »
« Très bien. Est-ce que maintenant vous pouvez essayer d'en déduire... Quelque chose ? »
L'idée était simple, claire. Je n'étais pas seul dans mes rêves. Alors...
« Je ne suis pas le seul. Dans l'hôpital. Ils testent plusieurs personnes. »
« C'est ce que je pense aussi » affirma t-il. « Vous voulez connaître mon avis ? C'est ça l'intérêt. Que vous soyez plusieurs. Le but, ce sont les rêves partagés. »
« Ça veut dire... Que Sara et Juliette... Elles existent vraiment ? »
« Oui, mais pour vous, cela signifie surtout que le traitement va se poursuivre. »
« Le traitement ? » demandai-je, n'arrivant pas à me souvenir.
« Il est extrêmement douloureux pour vous. Et ce sera pire, à chaque réveil. Vous savez, on dit souvent que la douleur, c'est dans la tête. Cela ne la rend pas pour autant facile à supporter... »
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J'étais en plein milieu d'un désert aride.
"Rachel ! Attends-moi !"
Devant moi se tenait sa silhouette, je ne voyais que son dos. Nous marchions, inlassablement. J'accélérais pour essayer de la rattraper, mais la distance entre nous ne réduisait jamais.
"Rachel, tu m'entends ?"
"Je t'attends" lança t-elle sans se retourner. Et elle s'arrêta immédiatement.
La chaleur me faisait suer abondamment. Le soleil m'éblouissait, et chacun de mes pas rendait mes jambes plus lourdes. Je voyais Rachel, elle n'était qu'à quelques dizaines de mètres. Mais marcher ne suffirait pas pour l'atteindre : quoique je fasse je ne pouvais m'approcher d'elle.
"Tu as vu tout le sable que tu as mis partout ?" me demanda t-elle soudain.
"Quoi ?" demandai-je, sans comprendre.
"Il y avait un village ici, avant. Des vies paisibles, ils n'avaient rien demandé. Tu penses vraiment qu'il fallait transformer tout ça en désert ?"
Elle était toujours dos à moi, et m'assénait ces phrases sans la moindre pitié.
"Je ne vois pas de quoi tu parles" répondis-je, quand soudain je pus m'approcher : enfin je voyais Rachel de plus en plus nettement au milieu de cet océan de sable.
"Tu veux que je te montre ? Tu veux voir ?" me demanda t-elle, amorçant un geste pour se retourner. Enfin, je verrais son visage.
J'arrivais à sa hauteur, exténué.
"Oui." affirmai-je, prêt à la voir.
"C'est ça que tu veux voir ?" me dit-elle, se retournant. Ses longs cheveux se balancèrent, fouettant l'air, et je pus enfin voir son visage.
Un visage terrible, lacéré de cicatrices, marqué de traces sanglantes.
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J'écarquillai les yeux. Comme un flash de lumière aveuglant, les lampes inondèrent mes yeux de lumière. Je voulus passer ma main devant mes yeux, mais elles étaient retenues à mes côtés. C'est à ce moment que je la sentis : la douleur. Plus terrible que jamais, elle envahissait chacun de mes nerfs, et inondait mon cerveau. Je ne pouvais plus penser qu'à ça : comment lutter ?
Je hurlais à la mort, mon corps criant grâce.
"Mr Larre, vos résultats sont surprenants. Vous vous en sortez parfaitement bien." fit le médecin à côté de moi, d'une voix calme que je ne pouvais plus supporter.
Mais maintenant, je savais ce que je voulais. Je savais ce que j'allais chercher.
"Je pense que vous êtes prêt." poursuivit-il, en sortant un autre médicament rouge de sa poche "Augmentons la dose, voulez-vous ?"
Je voulais revoir son visage, une dernière fois. Je voulais... Pouvoir lui dire au revoir.
Quelqu'un me força à ouvrir la bouche, étouffant mes cris d'agonie et de panique, puis je sentis le comprimé qui tombait dans ma gorge. Mais j'en avais besoin : je pourrais enfin aller plus loin.
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