Chapitre 2 : Mr Darn

J'étais assis en tailleur, mes mains posées sur mes jambes, paumes tournées vers le ciel. Je trouvais cette position relaxante ; le décor aussi.

Je flottais, à quelques centimètres au-dessus d'un lac gigantesque, qui étendait sa pâleur bleu nuit à perte de vue, où que je pose mon regard. J'en profitais pour fermer les yeux, faire le vide dans mon esprit. Quand je les ouvris, un homme me faisait face. Il était dans la même position que moi, mais chose amusante, vêtu d'un costume-cravate, élégant mais qui lui donnait un air trop sérieux.

Hébété, j'attendis quelques secondes, avant de lui demander :

"Qui êtes-vous ?"

Il me regarda intensément, avant de répondre d'une voix grave :

"Je suis Mr Darn. Je suis là pour t'entraîner à voyager dans ton esprit."

"Mon esprit ?" demandais-je, curieux.

"Oui, tes rêves. Tes rêves sont les reflets de ton esprit. Ils cachent tes doutes, tes peurs, tes regrets les plus profonds, toujours sous la forme de symboles. Je vais t'apprendre à les apprivoiser, à voir au-delà des symboles."

Je buvais ses paroles, plus intéressé à chaque mot qu'il prononçait. Une question me vint à l'esprit :

"Mais... Comment se fait-il que je vous trouve ici ?"

"Je suis ici parce que tu as besoin de moi. Je voyage dans l'esprit des gens, pour leur apporter mon aide. Je me déplace sans arrêt, de rêve en rêve..."

Je fus alors choqué par une évidence :

"Suis-je en train de rêver ?"

"Trouves-tu logique de flotter en l'air au-dessus d'une eau si calme que pas même une seule minuscule onde ne vienne la troubler ?" demanda Mr. Darn pour seule réponse.

Je me sentis soudain un peu bête, et acquiesçai aussitôt, puis demandai :

"Mais que signifie ce rêve, alors ?"

"Celui-ci ? Rien. Il faut absolument le prendre au premier degré. D'ailleurs, quand tu te réveilleras, tu t'en souviendras."

Rien n'indiquait que je puisse accorder ma confiance à ce Mr. Darn, et pourtant je le croyais, et je m'accrochais à chacune de ses phrases.

"Maintenant, concentre-toi." m'ordonna t-il. "Je veux que tu te remémores le dernier de tes rêves."

Je fermai les yeux dans un effort de mémoire. Peine perdue : rien ne venait.

"Je n'arrive jamais à me rappeler mes rêves." l'informai-je, un peu déçu de moi-même.

Il secoua la tête de droite à gauche, son visage fermé : 

"Non, non, fais un effort. Penses-y, le plus profondément possible : où étais-tu, avant d'arriver ici ?"

J'essayais de me calmer, de faire le vide dans ma tête. J'effaçais mentalement cette conversation, je me revoyais, assis en tailleur sur cette étendue parfaitement plate, seul. Je remontais le temps virtuellement. Je voyais plusieurs éléments, noyés dans le flou de mes souvenirs confus. Je les énumérai à voix haute, comme pour prendre des repères dans ces fragments de mon esprit :

"Une lumière blanche. Une pilule rouge. Des médecins. Un lit. Des sangles. Un moniteur, un rythme cardiaque. D'autres instruments. Une vitre, sans tain."

Mr. Darn acquiesçait lentement de la tête, me regardant avec un air de fierté. J'exultai :

"Je m'en suis rappelé ! J'ai réussi ! C'est la première fois !"

Mais il eut un sourire désolé : "L'explication est simple. Je suis navré mais tu ne te souviens pas de tes rêves. Tu viens de te souvenir de ta réalité. Cette pilule doit avoir un effet sur ton cerveau, et ces médecins sont sans doute là pour l'étudier. Je n'en suis pas certain, mais je crois qu'ils s'en servent pour stimuler tes capacités cérébrales."

Un peu déçu, je me mit à réfléchir : "A quoi cela peut-il bien leur servir, puisque je dors ?"

"Ils doivent être en train d'expérimenter ta capacité à rêver quand ton cerveau est plus actif... En tout cas c'est ma théorie. On pourrait en apprendre plus si tu vis un autre rêve. Nous allons sortir d'ici."

"Sortir ?" fis-je, étonné, "Mais comment...?"


------------------------------------------------------------------------


Je plaquai mon dos sur le mur en bois de la cabane, puis glissai en silence jusqu'à me mettre à genou. Je jetai un rapide coup d'œil sur mes flancs. Je reconnus à ma droite Sara et sa longue chevelure brune. A ma gauche, se tenait une autre femme que je n'avais jamais vue, sa rousseur éclatante jurait avec le gris de notre environnement.

Nous étions tous vêtus en habits sombres d'assassins, une longue lame dans notre dos et un poignard à notre ceinture. Ce fut Sara qui se pencha du côté du mur pour une rapide observation.

"Rien à signaler, à droite." annonça t-elle. "Juliette ?"

L'intéressée imita Sara de l'autre côté, mais nous prévint de complications : "Deux gardes, armés d'arcs, sur le balcon, pour moi."

"On passe à droite." ordonna Sara, "On entre à la deuxième porte. On remonte deux étages, la cible sera dans l'une des pièces. Pas un bruit, même si on tombe sur quelqu'un. Si un seul de nous se fait repérer, on est tous morts."

A ces mots, elle se releva promptement et fila vers l'entrée, sa main sur la poignée de son arme. Tous mes sens en alerte, je la suivis sans un bruit, scrutant le moindre détail de cette bâtisse. Le crépuscule tombant et la discrétion de nos mouvements nous rendaient de toute façon quasiment invisibles à tout observateur. Juliette sur mes talons, je sentis mon cœur battre plus fort quand Sara crocheta la serrure de la porte. Un cliquetis satisfaisant se fit entendre, et avec un signe de tête pour nous avertir, elle pénétra l'entrée en se ruant à l'intérieur, prête à abattre n'importe qui à l'intérieur. Ce ne fut heureusement pas nécessaire, et nous pûmes poursuivre notre progression silencieuse dans le couloir qui s'offrait à nous.

D'autres pièces se présentaient à nous sur le chemin, et vu le bruit qu'elles dégageaient, elles étaient occupées. Je priais intérieurement pour que personne n'aie la mauvaise idée de sortir de ces pièces. Sara atteignit enfin l'escalier après cette interminable traversée. Je montais les marches en couvrant le plus possible le bruit de mes pas. La montée semblait infinie à exécuter, et quand enfin les deux étages furent avalés, je retins un soupir de soulagement.

Mais le plus dur était à venir. Je laissai Sara vérifier que personne ne nous attendait après cette ascension, et à son feu vert je m'engageai dans le dernier couloir, m'agenouillant près d'une porte. J'imitai alors les deux femmes : j'observai à travers la serrure le contenu des pièces. La première était habitée par quelques personnes habillées de curieuses toges blanches. La deuxième était vide. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine quand je découvris qui habitait la troisième : notre cible.

Dans une armure de cuir rouge, ce monstre à la face hideuse, couverte de cicatrice et autres traces sanglantes, était en train d'écrire sur un parchemin. Je prévins mes camarades d'un signe de la main silencieux. Elles me rejoignirent sur la pointe des pieds, et s'agenouillèrent près de moi.

"Il est là." chuchotai-je, "Aucun garde."

Je tendis la main vers la poignée de la porte. Une fois que je la tenais, j'attendis le signal de départ. Ce fut Sara qui le donna : elle nous montra trois de ses doigts, puis deux, un seul...

La porte fut ouverte d'un coup sec, silencieusement. Je fonçai sur la créature, chargeant le plus vite que je pus. En courant, j'attrapai mon épée et fixai ma cible : elle ne m'échapperait pas.

Au moment où il ne restait que quelques mètres entre nous et la créature, elle réagit brusquement : ses bras s'agrippèrent à sa table, et il la souleva d'un coup sec : elle s'envola littéralement vers nous et le choc fut terriblement douloureux. Je fus repoussé dans un vol plané de plusieurs mètres, et je finis ma course dans une armoire, tous mes os criant grâce. Sara et Juliette avait malheureusement toutes deux subi le même sort. Mais le pire était le vacarme provoqué par cette réaction soudaine, le meuble ayant littéralement explosé en pièces. Les gardes n'allaient certainement pas tarder à débarquer.

"Je n'en attendais pas moins de vous" cracha d'une voix caverneuse le monstre hideux, tout en s'emparant de son arme : un fouet terrifiant et muni d'acier tranchant à son extrémité.

La curieuse lueur métallique des pièces conçues pour découper la chair attira mon regard et me retourna l'estomac.

Avec un sourire sadique, il déroula lentement son arme mortelle, profitant de notre incapacité à réagir, terrassés par la douleur. Il se tourna vers moi, et je rassemblai mes dernières forces. La créature balança son bras d'avant en arrière, d'un mouvement ample et rapide. J'eus juste le temps de rouler sur le côté avant que le fouet ne claqua : l'armoire fut littéralement pulvérisée par l'impact dans un nouveau torrent de débris et d'échardes tranchantes dont je ne tardais pas à être percé de toutes part. Tétanisé par la douleur, je ne pus que voir cette affreuse monstruosité préparer un nouveau coup... Avant qu'elle ne tourne subitement son regard : les deux femmes s'étaient relevées et le chargeaient à nouveau.

"Meurs !" cracha t-il en visant Juliette, qui plongea sur le côté pour esquiver la morsure fatale de l'arme. Elle fut touchée au bras droit, ses chairs entamées par les lames meurtrières ajoutées au cuir.

Mais Sara atteint enfin sa cible, portant un coup d'épée transversal au monstre... Qui fut facilement esquivé d'un agile bond en arrière. Frustrée, elle s'approcha à nouveau, enchaînant les attaques, mais elle furent toutes anticipées par la créature, démontrant un don surnaturel pour le combat. Soudain, il attrapa la jeune femme à la gorge, et la projeta sur le mur en face de lui. Il jeta un dernier regard à ses victimes, prêt à refaire usage de son fouet...quand les gardes firent irruption.

Il s'interrompit immédiatement pour leur cracher un ordre :

"Ligotez-les. Amenez-moi ça aux geôles."

Quelqu'un m'empoigna les bras, et je sentis des cordes me les serrer derrière mon dos. J'abandonnais tout espoir, alors que le monstre collait son visage hideux à quelques centimètres du mien. Son haleine fétide manqua de me faire vomir. Je fermai les yeux pour ne plus voir ses immondes blessures, c'est alors qu'il me chuchotait d'une voix terrifiante :

"Vous ne pouvez rien contre moi. Ce n'est pas la mort qui vous attends. C'est la douleur. Une agonie interminable, jamais ne viendra la fin. Jamais ne viendra le soulagement. Je ne vous le permettrais pas."

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top