C'était un après-midi d'été, il faisait chaud, mais Bergamote s'en foutait, elle avait ses legos. Elle aimait bien ça, les legos. Elle pouvait tout contrôler avec ses mains de gosse, faire régner son autorité sur tout un peuple de figurines made in China.

Ce jour-là, alors qu'elle jouait une scène de rupture particulièrement émouvante entre deux petits personnages en plastique, on sonna à la porte : c'était Mélisse. Tout d'abord, Bergamote fut surprise. Son antipathique grande sœur avait donc des amis ? Ensuite, elle s'émerveilla.

Melly avait ramené à la maison une petite fille aux longs, très longs cheveux bruns, toute en salopette et en bleus sur les genoux. Avec de grands, très grands yeux comme des amandes, d'un bleu qui lui faisait penser au ciel de juin, qui lui faisait tourner la tête. Tandis que, sur le palier de la maison, l'inconnue défaisait ses chaussures, Bergamote s'appliquait à démembrer la famille Garcia avec soin, essayant tant bien que mal de ne pas fixer la nouvelle arrivante,

troublante.

La maison lui plaisait, à l'inconnue. Elle traversa le salon sur la pointe des pieds, comme pour ne pas abîmer le parquet en bois clair tandis que Bergamote la suivait du regard. Elle inspecta toutes les pièces sans un mot, ébahie par la taille pourtant raisonnable de la salle à manger. Chaque petit mètre carré de la bâtisse avait été sondé par le regard admiratif de Camille, et lui avait procuré une immense joie.

Il faut dire que chez les Larsen, c'était beau : il y avait des photos partout, des plantes vertes, du chocolat bio et des paniers en osier. Et puis, les deux sœurs avaient une chambre chacune, décorée à leur propre goût. Un luxe que peu de gens pouvaient se permettre dans les beaux quartiers de Marseille, près de la mer et des montagnes, près des cigales qui ne chantaient qu'au-dessus des quarante degrés, c'est-à-dire tout au long de la journée.

C'était là tout le charme de la ville de Marcel Pagnol et de son accent jovial et exagéré. C'était là où allaient se dérouler des centaines de vies, parfois misérables, parfois fastes et remplies de bons souvenirs.

C'était là où allait se dérouler l'histoire de deux petites filles qui ont grandi trop vite, se perdant parfois dans les dédales du Panier ou de Castellane.