Il était minuit et c'était la veille de la rentrée. Enfin, Bergamote n'était plus très sure d'un coup. Tout se mélange et se distord quand elle repense à cette nuit-là ; à la fois blanche, sombre, et rayée de cicatrices, comme sur ses bras basanés. Comme sur son cœur malmené.

Le téléphone à la coque orange vif avait vibré, sonné, l'avait soustrait à son sommeil déjà agité. Il lui hurlait de répondre à son coup de fil désespéré.

Son appel à l'aide, comme une main qu'elle lui aurait tendue avant de tomber dans de profondes abysses dont il était impossible de sortir indemne.

Bergamote avait fait un cauchemar. Collante de sueur et d'effroi, elle décrocha. D'abord, elle avait entendu une respiration sifflante, à peine audible. Puis de la souffrance.

Camille pleurait, criait presque, se déchirait les cordes vocales sur le combiné qu'elle serrait toujours plus fort dans ses mains en sang. Elle ne savait plus ce qu'elle faisait, elle devait lui parler. Car Bergamote était la seule personne qui aurait pu la calmer, la sortir du cœur de la tornade où elle était retenue prisonnière, là où les bouts de miroirs brisés se retrouvaient tous. Elle implorait, se retenait de tomber, de se tuer alors que son amie pouvait tout entendre de sa détresse.

Lucas. C'était la seule chose qu'elle pouvait prononcer, la douleur lui interdisait d'en dire plus. Pas cette douleur qui crachait du sang, celle qui vomissait des larmes par tonnes, qui ne se soignait pas qu'avec des pansements et du désinfectant, celle qui créait des coupures écarlates sur sa peau.

Lucas.

Elle gueulait le nom de son frère à n'en plus pouvoir, à se rendre muette.

Lucas.

Lucas.

Lucas.

Lucas.

Lucas.

Lucas.

Elle gerbait son prénom et de la bile sur le sol, dans le micro de son téléphone, dans les oreilles de Bergamote.

Lucas.