Chapitre 6 - Symbole

Un silence s'installe dans l'habitacle de la voiture pendant lequel Adan s'efforce de prendre un chemin imprévisible afin de vérifier s'ils sont suivis.  Sa carrière de reporter-journaliste lui apporte l'expérience des filatures et des enquêtes incognito.
Pendant qu'il se promène au hasard des rues, la pluie commence à tomber sur Santos.  Pendant un temps, la danse saccadée des essuie-glace rythme leurs pensées.  
Lorsqu'il est sûr d'être seul, il prend en douceur un chemin détourné qui les mènera vers la côte. 
—  Adan, qu'est-ce qu'on fait ?  Et où on va ?  demande son amie en se penchant vers lui.  Oh mon Dieu !  Mais qu'est-ce que tu t'es fait au visage ?  Ça va ?  On doit aller à la clinique !
— Jessie, ça va, la rassure Adan.  Pas de clinique.
— Mais comment tu ...
— Je t'expliquerai, je vais bien, insiste-t-il.
— ...
— Pour le moment, on roule encore un peu, répond Adan à Jessie d'un ton rassurant et la mâchoire serrée.  Je voudrais qu'Alva nous explique qui elle est, son histoire et, surtout,  comment la photo de Broot se retrouve dans ce dossier ?
— C'est assez large ce que vous me demandez M. Lescaux.
— Ça aussi : comment me connaissez-vous ?
— Vous êtes passé très près de tout découvrir il y a six mois.  Donc, je vous connais... ils vous connaissent.
— Qui ?  Expliquez-moi !
— C'est assez complexe... par où commencer ? soupire la jeune fille.
Adan prend d'une main le dossier qui repose entre leurs deux sièges, pour en lire d'un bref coup d'œil l'identifiant :
— «SSCC. Sujet C-14 ».  Commencez par ça ! ordonne-t-il d'une voix sèche tout en passant le dossier à Jessie.  C'est lui, ajoute-t-il pour son amie, la photo : c'est Broot.

Pendant que Jessie consulte les papiers rapidement, Adan rumine en silence, les yeux sur la route.  Alva, muette, est figée près de lui.

— Mais c'est un gamin !  Si jeune.  Le sigle, Adan ! s'étouffe Jessie, dans le coin du document.  C'est le même que sur les photos !
— Oui, et j'ai vu le même sigle sur le mur de mon appartement... vandalisé !
— Quoi ? On t'a volé ?
— Volé ?  Non, rien je crois.  Mais mon appart est foutu.  Tout ce qui me reste est derrière, ajoute-t-il en désignant le coffre arrière de la voiture.  Ils m'ont aussi laissé ça, rajoute-t-il avec une grimace en pointant son visage.  Je n'en reviens pas !
— Et j'ai vu le même symbole sur le poignet du garde, Monsieur Blair, ajoute Jessie d'une voix blanche.  C'était quand je l'ai croisé dans le vestibule de la Compagnie et qu'il m'a regardé avec un drôle d'air tout en se dépêchant de passer un coup de fil.  Je croyais que je fabulais jusqu'à ce que je vois sur les écrans de sécurité de la réception que des hommes fouillaient mon bureau.  Heureusement que je connais la petite stagiaire et que je suis allé lui dire bonjour.  J'ai paniqué et c'est là que je me suis enfuie et que je t'ai appelé.  Tu es sûr que nous ne sommes pas suivis ? demande-t-elle nerveusement.
— Oui, ne t'en fais pas, répond le jeune homme en lui lançant un regard rassurant via le rétroviseur.  Et de toute façon, on ne se pose pas tant que je ne suis pas sûr de cette demoiselle près de moi.
— Pourquoi ils nous traquent ? demande Jessie en refermant le dossier.
— Monsieur Lescaux, vous avez utilisé les services d'un professionnel de la photo près de chez vous pour le développement de vos clichés, n'est-ce pas ?
— Oui, depuis que j'habite là, je n'ai plus le luxe d'avoir ma propre chambre noire.
— Ce fut votre première erreur.  Le développeur est complice.  Il les a prévenus.  Ils ont déjà un double de vos photos, comme d'habitude.  De là, ils n'avaient plus qu'à vous suivre discrètement. 
Adan songe aux photos qu'il a fait développer chez ce commerçant à deux rues de chez lui. Depuis cinq mois, il a dû trouver qu'il avait grande appétit !  Avec toutes ces photos de nourriture pour Agro.  «Agro !  Mon horaire de travail de la semaine !  Tant pis, qu'il me foute à la porte !  Je n'en veux plus. » pense-t-il. 
— Et vous, Mademoiselle Gramies, vous travaillez, sans le savoir, pour une filiale de SSCC.  Vous avez pu remarquer que vous êtes constamment surveillée lorsque vous êtes au boulot ?
— Oui et ça me rend folle !  Oh ! Ne me dites pas qu'il me suive aussi ? rajoute-t-elle, paniquée.
— Non, pas à notre connaissance, pas encore.  Vous avez su jouer le jeu.
— « Notre » ?
— Oui, mon père et moi. 
— « SSCC », rajoute-la rouquine, c'est pour quoi ?
— Santos Sciences Cybernetic Center, et...
— Non !  C'est pas vrai ! cri soudain Adan en tournant brusquement à un embranchement.

Avec des gestes nerveux, il dirige son véhicule entre deux piétons qui traversent la rue.  Ils lui crient des bêtises, à grands mouvements de parapluie.  Avec des coups de Klaxon, Adan se faufile ensuite entre les voitures tout en accélérant encore, alors que le moteur émet des sons de reproche pour ce traitement furieux.
— Adan ! Que fais-tu ? crie Jessie en se retenant du mieux qu'elle peut après les appui-tête des sièges avant.
— Ils vont aller à l'Auberge !  s'écrie-t-il en faisant un dérapage contrôlé à une intersection.  C'est sûr !  Broot est là-bas !  Laurenn et Mikel aussi !
— Comment ?
— Les photos... bougre d'idiot ! maugrée-t-il en frappant sur le volant et en brûlant un feu de circulation.
Il vient de réaliser qu'il a non seulement fait développer les photos des écrits dans le sable mais aussi deux clichés fort bien réussi de Broot près de la mer.
Alors que les premiers éclairs zigzaguent dans le ciel, la vieille voiture d'Adan se faufile hardiment entre les véhicules et emprunte la Grande Allée qui file droit vers la Côte océanique de Santos.

******

Avant même d'être rendu près de l'auberge, Jessie aperçoit des gyrophares et plein de lumières rougeoyantes et clignotantes devant eux. 
— Attention Adan, il y a un barrage routier devant, prend la ruelle à droite comme pour te rendre vers la maison de mon père.
— Ton père !  s'exclame Adan en tournant à droite.  Il faut le sortir de là !
— Il n'y est pas.  Il m'a appelé ce matin, il rencontre son banquier.  Il va accepter l'offre.
— ...
Adan reste interdit.  La discussion en reste là car ils sont bloqués au prochain coin de rue par un policier, portant un imperméable orangé, qui l'intime de s'arrêter et de baisser sa fenêtre.
— Vous ne pouvez aller plus loin Monsieur, ordonne-t-il en glissant le bord de sa casquette dégoulinante par la fenêtre, le périmètre est bouclé.
— Mais je dois me rendre chez une amie, monsieur l'agent. 
— On évacue les lieux pour laisser les services d'urgence agir.
— Vous ne comprenez pas...
— Désolé, mais je vous demande de faire demi-tour.
— Mon père habite juste là sur votre gauche, plaide Jessie, à deux coins de rue.
— Alors il a dû être évacué mademoiselle.  Je ne me répéterais pas, vous devez vous retirer.
Et le policier, se relève tout en leur faisant signe de reculer leur véhicule.  Adan embraye en marche arrière avec des gestes rageurs et recule jusqu'au coin de rue le plus proche avant de s'engager dans la rue de gauche.
— Adan, le barrage !
Mais Adan tourne brusquement sur la droite pour prendre la ruelle piétonne qui se dirige vers la plage.  Il réussit à se rapprocher des lieux mais une foule, sous des parapluies ou autre protection de fortune, s'agglomère sur l'esplanade qui longe en hauteur la berge.  Adan se stationne en catastrophe dans la petite cour arrière d'une maison dont il emboutit partiellement la clôture. Il enlève les clefs du contact, prend son sac, et quitte en courant le véhicule, suivi de près par Jessie et Alva, qui récupère aussi vite son sac et le dossier de la SSCC.
Ils arrivent à grands pas, en fendant la foule compacte, devant le parapet qui borde l'esplanade.  Jessie suit Adan qui bouscule les gens sans ménagement pour atteindre la bordure.
— Oh mon Dieu ! souffle la jeune femme médusée devant le spectacle qui s'offre à elle.

Devant l'océan gris, agité par d'immense vagues, se trouve ce qui reste des bâtiments de l'Auberge et de ses voisins.  Un trou carbonisé, encadré par deux bouts de mur encore debout, dégage un immense panache de fumée qui tourne vers des tons de noirceur.  Un brasier fait rage tout autour de cet épicentre.  De loin, au travers de l'averse qui ne cesse de s'enrichir, Jessie reconnaît avec peine le site de l'Auberge.  Des pompiers s'approchent pour aider leurs confrères qui tentent de circonscrire les flammes avec leurs lances.  Des ambulances arrivent par l'autre côté de la grève alors que des policiers installent un cordon de sécurité sommaire autour des lieux.
Jessie s'accroche au bras d'Adan mais celui-ci, le regard affolé, lui remet son sac en lui disant :
— Reste ici !
— Tu rêves ! réplique-t-elle en lui rendant son sac. 
Et, remontant sa jupe au dessus des genoux, elle prend les devants en enjambant le parapet pour glisser, comme lorsqu'ils étaient gamins, sur la pente sableuse envahie par les herbes salées.  Ils réussissent à atteindre la plage sans avoir perdu l'équilibre.  Du coin de l'œil, la jeune femme observe qu'Alva les a suivis.  Au pas de course, tous trois déjà détrempés par les flots qui tombent du ciel, ils longent la cassure de la côte et arrivent à un autre barrage qu'un policier baraqué fait respecter de toute sa grandeur.  Il stoppe Adan du regard, mais Alva se précipite vers lui, les yeux humides avec une petite moue de pré-adolescente, jouant de ses charmes, sous la pluie qui colle sa courte tignasse sur son pâle regard innocent :
— Monsieur l'agent, aidez-moi je vous prie, mon petit copain était là bas, près de ce bâtiment avec des amis.
— Mademoiselle, vous ne pouvez pas passer cette barrière, répond l'agent en secouant son couvre-chef qui lui dégouline sur le front.
— Oui, je sais mais si vous regardez bien, rajoute Alva en pointant avec insistance un lieu à droite du sinistre, tout en prenant le bras du garde pour diriger en douceur son regard vers ce côté, vous verrez sa voiture qui ...
Adan et Jessie n'entendent pas la suite de l'histoire de la jeune femme, car, derrière le dos du policier et se faufilant entre les personnes présentes, ils se glissent par-dessus la barrière et s'éloignent des lieux.  Ils filent sous le ciel qui se déverse de plus belle et aboutissent derrière le cadavre de l'Auberge envahi par l'incendie.  Le jeune homme fait une tentative pour s'en approcher, suivi de Jessie, mais un souffle brûlant les oblige à reculer. 
— Adan, on ne réussira pas à entrer ! crie Jessie éplorée, sa silhouette se découpant face au brasier.
— Non ! Ce n'est pas possible ! crie Adan, partiellement étouffé par la fumée.
Puis il hurle vers les ruines de l'Auberge :  « Laurenn ! Mikel ! Broot ! »

Jessie prend son ami désespéré par la main et l'entraîne pour faire le tour de l'Auberge.  Ils se rendent là où se trouve les pompiers et les ambulanciers.  Jessie va vers la périphérie pour éviter de croiser un représentant de l'ordre qui n'hésiterait pas à les repousser.  Elle s'approche ensuite de la première ambulance, mais n'y trouve que deux jeunes filles dont un infirmier panse les brûlures.  En voyant leur peau fumante et noire, Adan semble prendre conscience de la situation et se dirige directement vers un pompier :
— Dites-moi, je cherche les personnes qui habitaient dans l'auberge juste là.  Où sont-elles ?
— Écoutez Monsieur, nous avons évacués tous ceux qu'on a trouvés.  Dans quel bâtiment vous me dites ?  Celui-là ?
— Oui.
— On n'a rien trouvé.  C'était l'épicentre et ...   Vous les connaissiez car...
Adan s'éloigne, d'un air hagard, ses longs cheveux bruns plaqués sur son front et le regard fou.  Il fait le tour des sinistrés, dans les ambulances ou non.  Jessie le suit et s'assure qu'il n'oublie personne.  Elle tombe face à face avec Alva qui l'interroge du regard.  Jessie baisse les yeux avec un signe de négation. 

Rendu à l'extrémité du regroupement des intervenants de premier secours, alors que les premières ambulances quittent les lieux, Adan se retourne vers ce qui reste de l'Auberge, complètement abattu.  Découragé, il se laisse tomber à genoux sur le sable mouillé et il laisse un cri de rage et de désespoir sortir de sa poitrine.  Jessie s'assoit près de son ami en s'accrochant à ses épaules.  Elle laisse éclater un long sanglot qui la laisse vide et engourdie.  Alva les observe un instant, en restant debout près d'eux, attentive aux lieux et aux gens.
Puis, brusquement, elle les abandonne à leur chagrin.  À grands pas, elle va vers les vagues qui meurent sur la plage. 

******

Le temps passe.  Les deux amis demeurent prostrés côte à côte, indifférents à ce qui les entoure.
La pluie a presque cessé.  Son crépitement ne scande plus son rythme lancinant sur leurs têtes penchées l'une contre l'autre.  L'eau ruisselle devant leurs yeux aveugles, les lourdes volutes de suie s'élèvent du brasier qui achève de consumer les débris de l'Auberge et des maisons voisines.  Les nuées funestes vont rejoindre les nuages de plomb, annonciateurs de nouvelles averses.  En cette fin d'après-midi, la lumière est glauque, au diapason des esprits en deuil.  Sur place, les pompiers tentent de contenir le brasier, des policiers ou autres personnages officiels analysent la scène.  Quelques représentants de la Presse commencent à fureter au loin.  Mais personne ne fait attention à ce couple effondré aux limites de l'aire de sécurité.
Adan se relève, le regard perdu devant lui et l'air hagard.  Jessie se redresse aussi et prend doucement ses joues barbues entre ses mains.  Elle cherche son attention, l'observe, inquiète de ce silence pesant qu'il observe depuis un temps trop long.
— Adan... Je ne sais pas quoi te dire. 
— Rien. Plus rien...
C'est un murmure, triste, perdu.  Il porte ses doigts sur la joue mouillée de la jeune femme.  La pluie, les larmes.  Il observe son regard dorée et triste.  Puis il retire sa main et croise ses bras sur son torse.  Il laisse tomber en fermant ses yeux :
— ...encore une fois. 
Jessie reste interdite et tente une approche, mais l'homme lui tourne partiellement le dos, se refermant lui-même.
À cet instant, une silhouette hautaine s'approche.  L'homme qui s'approche est accompagné de deux colosses en complet, portant des parapluies refermés et détrempés.  Jessie l'aperçoit du coin de l'œil et sursaute en le reconnaissant :
— Matty ?
— Ma très chère Jessie, dit-il d'une voix nasillarde et traînante.  Il me semblait bien vous avoir reconnu de loin.  Voilà donc où vos pas vont ont conduits depuis votre rapide départ du bureau : vous sembliez si pressée !
— ...
La jeune femme reste interdite en le regardant, la bouche ouverte.  Adan s'est retourné et le dévisage lourdement.  Le nouveau venu prend, dans les bras de l'un de ses sbires, un plaid au couleurs des services de premiers secours et en enveloppe les épaules de Jessie.  Celle-ci refrène un geste de recul devant ce geste de sollicitude feinte, mais accepte la couverture qui calme un peu ses frissons détrempés.
— Vous allez prendre froid, très chère amie, susurre Matty.

Sa main s'attarde sur l'épaule puis caresse en remontant tout le long de la joue du visage féminin.  Il enlace brièvement dans ses doigts une mèche de cheveux cuivrés qui s'est échappée de la coiffure stricte.  Les yeux de Jessie suivent le mouvement de la main et se fixe sur le poignet de Matty.  Adan, qui observe son amie, voit les yeux dorés tressaillir de stupeur puis se figer davantage.

— J'avoue ne pas comprendre ce que vous faites ici, ma chère Jessie, ajoute l'homme en se reculant pour la toiser de haut en bas.  Voyez dans quel état vous vous êtes mise !
Mentalement, Jessie fait l'inventaire des dégâts : coiffure, maquillage et manucure sont des désastres ; son strict tailleur jupe, choisi ce matin pour son confort dans les déplacements jusqu'au collège de Santos, est fichu ; et que dire de ces souliers plats de cuir brossé ? « Tant pis ! Ce n'est pas moi cette fille guindée ! Je ne suis plus leur petite potiche.  Qu'ils en fassent leur deuil ! »  pense-t-elle en relevant le menton et en soutenant le regard réprobateur de son collègue.  Elle sent une main amicale se porter discrètement à sa taille.  Elle se retourne et croise les yeux bruns d'Adan qui luisent de tendresse, alors qu'il s'est rapproché d'elle.
— Monsieur Lescaux ! remarque Matty avec venin.  Quel malheureux hasard vous amène sur ce sinistre ?  Oh pardon, feint-il d'une moue triste, je crois me rappeler que ces lieux font partis de votre glorieux passé.  De si beaux souvenirs, n'est-ce-pas ?  Quelle horreur. 
Jessie voit Adan frémir.
— Matty, murmure-t-elle d'une voix retenue, qu'est-ce que tout cela veut dire ?
— Oh, vous savez les vieux bâtiments d'une autre époque : désuet et dangereux !  L'air salin, l'humidité, l'oxydation et un manque d'entretien flagrant auront eu raison des vieilles conduites de gaz.  Ensuite : une étincelle et pfiou ...  Quel malheur !
Matty jette un regard pesant qui contraste avec ses paroles d'empathie vers Adam.  Puis, l'homme se retourne vers Jessie avec un air de soulagement affligé :
— Une chance que vous n'étiez pas en ces lieux lors de l'incident, n'est-ce pas ? glisse-t-il en approchant sa main de la jeune femme.
Adan suit le mouvement de cette serre tombant à nouveau sur l'épaule de Jessie qui se raidie à ce contact.  Au poignet qui s'étire hors de la manche, il aperçoit alors un symbole qui lui donne froid dans le dos.  Il relève son regard vers l'homme tout en éloignant légèrement Jessie de la portée de Matty.
— Et vous ?  Comment expliquez-vous votre présence en ces lieux ? grogne le photographe.
— Je représente notre société qui a des intérêts futurs en ces lieux.  Vous ne saviez pas ?  Je viens pour m'assurer de l'aide et du soutien que nous pourrons apporter à ces gens éprouvés par cet incident : les reloger, les soigner, les épauler dans leurs démarches.  Cette explosion a touché pas loin de dix bâtiments environnants.  Plusieurs commerces, heureusement quasiment désert à cette époque de l'année.  Peu de gens restent ici à l'année : qui serait assez fou, n'est-ce pas ?
— Vous êtes... éructe Adan alors que Jessie pose une main apaisante sur son bras.
— Nous sommes ou serons bientôt les propriétaires de tous ces lieux, ajoute Matty en désignant le quartier pris sous les derniers vestiges de fumée.  Détruits par un entretien inadéquat et de la négligence de certains.  Les compagnies d'assurances se feront des gorges chaudes de ce dossier.  Nous serons alors présents pour épauler les survivants qui nous en remercieront.  Ils pourront alors recommencer ailleurs une vie nouvelle en conservant le souvenir de ces lieux.  Car, oui,  seuls les souvenirs demeureront ainsi que notre sollicitude en ces temps si dur.
Puis il ajoute en joignant les mains devant lui :
— Monsieur Lescaux, veuillez recevoir mes sincères sympathies. 
— Comment osez-vous vous présenter ici ?
— Et vous ?  Ne devez-vous pas partir bientôt ? murmure Matty d'un ton sec et menaçant.
Adan voit le graffiti de son appartement s'imprimer derrière ses paupières.  Il serre sa mâchoire pour se contrôler et regarde son vis-à-vis dans les yeux :
— Vous !  Vous n'avez aucun droit d'être ici.  Quittez ces lieux ! ordonne-t-il en pointant son index sur la poitrine de l'homme. 
Matty repousse la main d'Adan d'un air menaçant.  Lorsque le journaliste s'avance d'un pas rageur vers lui, les deux gardes font mine d'intervenir, l'un d'eux a déjà la main sur son arme à son côté gauche.  Mais Jessie arrête le geste d'Adan :
— Dan !  NON !
— Je vous conseille d'écouter votre amie, monsieur Lescaux, réplique sourdement Matty en bloquant le mouvement des gardes d'une main nonchalamment levée. 
Adan se reprend et recule.
— Ça ne s'arrêtera pas là !
— Mais tout est déjà terminé, vous ne voyez pas ?  Tâchez de le réaliser très vite, monsieur Lescaux.
Et l'homme, avec un rictus moqueur, fait mine de les quitter, suivi de ses deux sbires.  Mais, se ravisant, il revient de quelques pas vers Jessie et lui chuchote en se penchant vers elle :
— Au fait, Mademoiselle Gramies, si ceci est votre véritable dégaine habituelle, sachez qu'elle ne correspond plus vraiment à l'étiquette de l'entreprise.
Il se redresse et les toise tous les deux :
— De même que vos fréquentations d'ailleurs.  J'en glisserai un mot à Monsieur Moon.
Il se retourne en faisant virevolter son imperméable noir dans le vent du large et se dirige, toujours encadré de ses deux gardes, vers un véhicule aux vitres teintées, à la limite de la plage.
— Jess, tout... c'est de ma faute... Ton job.
— Si tu parles de m'avoir ouvert les yeux... oui, c'est de ta faute.
Adan la regarde puis lui prend la main avec un mince sourire.

— C'est le même ? demande-il après un silence.

— Oui, le même symbole, le même tatouage

 — Tout est lié.
                                           Un appel se fait entendre derrière eux.

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