Chapitre 17 : Vagues
La nuit...
— Non.. je ne veux pas...
Les mots sont plus ou moins clairement énoncés. La voix est geignarde mais catégorique.
— Nonn, je n'irai pas... Adan ne veut...non. C'est mon ami... Je ne sais pas. Je ne veux pas...ça.
Adan descend de la couchette supérieure et allume la petite lumière de chevet. Dans le lit du bas, Broot est étendu, le corps crispé et les yeux grand ouvert, aveugles. Sur son visage, les larmes coulent, alors qu'il continue son monologue d'un ton implorant. Un air d'effroi habite son visage endormi. Adan sent son coeur s'étreindre.
— Broot ? dit l'homme en appuyant sur l'épaule du gamin.
Le corps est crispé et froid, mais trempé de sueur. L'enfant ne réagit pas mais s'agite faiblement par à coups.
— Broot ! Réveille-toi, ordonne-t-il en agitant plus fort le corps raide.
Aucune réaction. L'homme entend encore l'enfant répondre comme s'il était en conversation avec un personnage que lui seul peut voir.
Adan le recouvre d'une couverture et le prend dans ses bras. Malgré son étreinte, le petit reste prostré et son cops est agité de mouvements incohérents. Il n'émerge pas de son rêve. Il murmure maintenant des mots vides de sens et se débat faiblement entre les bras de son ami.
L'homme ne peut que le tenir contre lui en lui chuchotant que ce n'est qu'un rêve et tenter de le rassurer dans ses agitations en lui faisant sentir qu'il est près de lui. Alors que le photographe sent sa patience et son espoir s'amenuiser, Broot se relaxe enfin : le rêve l'abandonne à son sommeil. Adan voit le corps redevenir souple et léger. Les murmures et les larmes cessent. Broot reprend un repos plus calme. Adan le réinstalle sur la couchette du bas mais s'étend près de lui. Il éponge les joues mouillées et reste un long moment à effleurer de sa main les cheveux fins et humides sous l'effet du cauchemar. Il observe le petit visage dont les yeux creux, sous les paupières closes, sont soulignés de vilains cernes. Que veut dire ce cauchemar ? Est-ce un reflux des événements de l'Auberge , de la Villa ou encore de ce que Broot a pu vivre au SSCC ? Adan n'a pas osé ni eu le temps d'en discuter avec le petit, mais celui-ci ne semble pas non plus être disposé à le faire. Il fuit les occasions de se retrouver seul avec Adan. Comme ce soir, après le repas, où il a profité de l'offe d'aller retrouver Jay-Jay à la vigie. À son retour au carré, assit dans un des grands fauteuils, il s'est abîmé dans la contemplation (ou la lecture ?) d'une encyclopédie sur la mer et les fonds marins. Plus tard, il s'est endormi dans son coin et c'est Adan qui l'a porté jusqu'à leur cabine.
Il devra tenter de lui parler demain pour savoir ce que la gamin sait (et pense) sur lui-même et l'informer au besoin. Il ne sait pas s'il trouvera les mots justes... mais il doit discuter et énoncer clairement au Petit certaines informations qu'ils ont appris. Personne n'en a parlé devant lui. Il doit savoir. Au moins quelques début dle plications. Alors qu'Adan prend cette résolution, Broot se tourne sur le côté. Derrière son oreille, directement dans l'angle de vision du photographe, le tatouage semble le narguer, lui rappelant sans pudeur les véritables origines du gamin.
La main d'Adan reste suspendue dans son geste au dessus de la tête du petit. Puis, l'homme entoure le petit corps de son bras protecteur et doucement, il murmure doucement dans le cou de l'enfant :
— Oui, tu es spécial Bonhomme. Pas parce que ce tatouage t'identifie comme étant le résultat d'une expérience scientifique ; pas parce que tu peux aller sous l'eau et t'entourer de ces algues rouges que je déteste ; pas parce que tu as des yeux hors du commun qui peux voir le très petit ; pas parce que tu connais certaines choses qu'un gosse de ton âge devrait ignorer. Non... Tu es spécial parce que tu es toi et que personne ne peux l'être comme tu l'es. Tu es ce gamin qui a choisi ma porte parmi tant d'autre pour obtenir... de l'aide ? un abri ? un ami ? Mais...
Adan sent sa gorge se nouer à ce souvenir.
— ... sans le savoir, c'est moi que tu as sauvé. Tu es unique Broot et le fait de m'inviter dans ta vie et de me permettre de m'attacher à toi, tu me rends unique. Tu me donnes de l'importance. Peu m'importe tes origines tu sais. Ce que tu es vraiment : c'est Broot... et cela me suffit.
Adan repose sa main sur la poitrine de l'enfant et cale sa tête sur l'oreiller près de celle du gamin. Broot pousse un long soupir.
L'esprit bercé par le roulement discret du bateau et le rythme respiratoire du gamin, il s'endort profondément.
Demain, il lui parlera.
******
Dans le soleil du petit matin, Charles, installé à la proue de l'Adrienne, observe un bateau rouge qui s'approche au loin, à vive allure. Adan et Jessie arrivent au même moment dans le cockpit de pilotage situé sur le pont supérieur. En les entendant arriver, Dunkins leur fait signe de rester derrière lui. L'enceinte de pilotage est vitrée et, en ce moment, amplement ouverte sur l'air marin. Jessie dépose une tasse de café dans les mains du capitaine.
— C'est bien aimable à toi, Jessie, mais je crains ne pas avoir le temps de le savourer, lui fait remarquer le skipper les yeux derrière ses jumelles.
— Que se passe-t-il ? demande Adan.
— Un bateau des Garde-côtes qui s'approche, répond Charles en déposant sa lunette. Rien de grave, une routine. Je sais qu'ils sont pointilleux à cause des remous dans le coin et aussi pour l'écosystème tropical de l'herbier. Mais, n'ayez crainte, j'ai ma couverture.
Il leur tend une tablette où apparaît, bien visible, l'emblème de l'Université Maritime de Santos.
— « Équipe de recherche associée » ? lit Jessie. Bravo pour la couverture : cela donne le champ libre à l'Adrienne !
— Oui, mais il n'y a que deux personnes autorisées sur ce formulaire, pour effectuer des saisies d'échantillons ici : Jay et moi. Je me suis engagé à ne pas y amener de touristes. Donc, il va falloir vous faire disparaître des ponts dans les 5 minutes pour ne pas qu'ils vous voient de loin. Ils vont s'ancrer loin de l'herbier et on aura environ 20 minutes avant qu'un zodiac nous accoste. Vous devez disparaître !
Jessie a un mouvement de recul vers l'escalier du pont inférieur.
— Qu'est-ce qui t'assures qu'ils sont là pour notre bateau ?
— Ils...
« Ici la Garde-côtière de Santos, code Charlie, Fox-trot, cinq, six. Catamaran au large de l'Anse à l'épave, nous vous avons en visuel. Vous êtes dans une zone protégée par un décret de recherches. Vous êtes prié de vous identifier et de donner la raison de votre présence. À vous. »
— Tu vois.
Charles décroche sa radio :
— Bien reçu. Ici l'Adrienne, code Zulu, Tango, deux, quatre. Nous sommes mandatés par l'Université Maritime de Santos pour échantillonner dans le secteur. Avons autorisation. À vous.
Un silence suit cette réponse alors que le bateau des Garde-côtes ralentit et s'approche de la zone des eaux plus claires, idiquant les limites de l'herbier. Charles se tourne vers ses amis :
— Si vous voulez disparaître, c'est maintenant
— Charles c'est un bateau ! proteste Adan.
La radio grésille :
« Adrienne, veuillez vous préparer à l'accostage d'une équipe d'inspection . Assurez-vous du bon ammarage de votre bâtiment. Terminé. »
Charles lance un œil vers ses passagers et répond en prenant un ton dégage :
— Ici L'Adrienne, message bien reçu. Nous vous attendons. Terminé.
Restant bien visible pour les garde-côtes, Dunkins actionne l'intercom du bateau :
— Attention à tous : nous aurons une visite des Garde-côtes. Je vous demande tous de quitter vos cabines et de placer dans les armoires tout ce qui permettrait de deviner la présence d'invités sur le navire. Rendez-vous ensuite au carré. Jay, laisse ton matériel de plongée sur le pont arrière et conduis nos amis au ballast bâbord. Une fois qu'il y sont cachés, tu reviens à ton poste de plongée, comme si nous n'étions que deux à bord. Vous me faites tout cela à la vitesse grand V. Vous devez «disparaître» de mon bateau dans les dix minutes ! Terminé.
Charles se retourne vers Adan et Jessie :
— Allez ! du vent vous deux !
Adan se tourne à son tour vers l'escalier et fais signe à Jessie de descendre.
— ...mais c'est quoi un ballast ? demande Jessie.
— On va au carré Jess ! réplique Adan. On verra.
Jessie lance un dernier coup d'oeil vers Charles qui lui fait un sourire rassurant avant de se retourner et de porter sa tasse à ses lèvres, jouant le jeu pour d'eventuel observateur au loin. Il murmure pour lui même :
— Installons-nous pour la pêche aux petits poissons.
Au carré, les six visiteurs se retrouvent face à Jay qui, vêtu d'un wetsuit noir les attend. Broot tend son sac à Adan, alors que Naisha tend le sien à Jessie. Sans un mot, Jay les conduit vers le fond d'un des flotteurs. Dans une petite pièce ressemblant à une douche, il ouvre une écoutille dans le plancher. On entend un clapotement d'eau. Il leur fait signe de descendre par l'ouverture. Alva étant la plus près de lui, il prend son bras pour l'inciter à y entrer.
— Mais, il y a de l'eau ! proteste la jeune fille, en enfilant son sac à dos.
— Cela ne devrait pas t'ennuyer pourtant ! réplique Mich en passant galamment devant elle.
Il tente de jeter un œil dans le ballast, mais il y fait très noir. Il entre résolument, son katana accrochant un moment le rebord de l'ouverture.
— Ça va ! fait sa voix en écho. On va avoir de l'eau jusqu'au genoux mais sans plus. Allez Alva ! Viens faire trempette.
Pendant que ses compagnons descendent, Mark jette un œil sur les cadrans de jauge sur le mur : ils indiquent un niveau maximal. Il jette un œil vers Jay :
— Mais cette aiguille tape au fond !
Jay sourit et fait un signe en travers de sa gorge puis tend son pouce vers le plancher avec une grimace.
— D'accord, comprend Adan en observant Jessie qui suit Broot dans l'échelle, l'Adrienne a encore besoin de réparation ?
Le jeune homme sourit avec un grand signe de tête.
Mark descend à son tour, puis, alors qu'Adan vient pour le suivre, Jay l'arrête d'un main sur l'épaule. Adan le regarde avec un œil interrogateur. Le mousse le pointe impérativement du doigt tout en couvrant sa propre bouche hermétiquement avec son autre main.
— Je ne dois pas en parler ?
Jay fais non de la tête et pose son doigt au travers de ses lèvres en poussant l'air entre son palais et sa langue. Un « Shht » discret se fait entendre. Au même moment, la forte voix de Mark se fait entendre, se répercutant sur les parois :
— Eh ! On ne serait pas les deux pieds dans l'eau que l'on boit par hasard ? Pas très hygiénique tout ça !
Jay réitère son signe de silence.
— Je crois avoir compris : l'écho... pas de bruit, pas un mot. S'ils montent à bord, ils nous entendront. Entendu Jay.
Le mousse fait acquiesce et Adan lui pose la main sur l'épaule :
— Tu ne nous oublie pas là-dedans d'accord ?
Le mousse le rassure d'un coup d'oeil, puis Adan descend à son tour. L'écoutille se referme derrière lui, plongeant les lieux dans un noir absolu. Il sait qu'il a atteint les derniers échelons lorsque son pied se retrouve dans l'eau. Un bruit d'eau agitée près de lui indique la présence de quelqu'un proche. Alors que ses yeux fouille l'obscurité, une main familière se pose sur son bras.
— Jessie ? Ça va ?
— Oui, oui, répond-elle d'une voix faible en étreignant fortement le bras du journaliste.
Adan se souvient alors de la peur irraisonnée de Jessie face à la noirceur. Une phobie depuis l'enfance.
— Oh ! Jessie ça va aller. Tiens-moi et on demeure près de l'échelle si tu veux.
— Non ! on s'en éloigne au contraire, fait la voix de Mich. Venez vers ici.
Une petite lumière scintille dans la noirceur, comme une étoile dans la nuit. Mich a allumé son portable à sa plus faible intensité. Dans des clapotements d'eau, ils le rejoignent tous. Dans un bout du flotteur, le ballast fait un angle droit vers le système des pompes et les dissimulent ainsi de l'échelle.
— Nous serons invisibles s'ils venaient à jeter un œil par l'écoutille.
— Ils verront le cadran de la jauge pleine, affirme Adan. Ils ne viendront pas.
— Soyons prévoyants, réplique le Tibétain.
— Jay m'a fait comprendre que nous devons être silencieux, car les flotteurs servent de caisse de résonnance.
— Entendu. Alors installons-nous pour une petite baignade nocturne en silence et sans faire bouger l'eau à nos pieds, résume Mark.
— Restons groupés, propose Naisha, notre corps pourrait souffrir d'hypothermie assez vite dans cette humidité.
Ils se rapprochent les uns des autres, tentant de trouver un perchoir pour conserver leurs pieds hors de l'eau. Broot s'approche de Jessie, grimpe sur un tuyau et s'y assoit. Il prend la main libre de la rouquine, l'autre étant toujours accroché au bras d'Adan. Enserrant la paume de la jeune femme entre les siennes, le gamin chuchote de sa petite voix qui souffle dans l'obscurité :
— Tu n'as pas à t'en faire Jessie, même la noirceur peut être ton amie. Il faut juste oublier de regarder avec les yeux uniquement : tu y verras la lumière en regardant bien.
Jessie esquisse un petit sourire. Mich fronce les sourcils et baisse les yeux. Adan reste ébahi encore une fois par les paroles de l'enfant. Mark et Alva s'installent l'un contre l'autre pendant que Naisha vient chercher un peu de chaleur en se lovant contre Mich qui l'entoure de son bras. Elle en profite pour lui murmurer à l'oreille :
— Ta «Lumière» va bien, Michewa, je n'ai pas osé trop t'en parler, comme tu me l'as demandé.
Mich la regarde au reflet de son cellulaire et pousse un grand soupir. Le visage bien-aimé de Tashi flotte un instant dans un coin d'ombre du ballast.
— Et maintenant, on n'a pas le droit de parler, répond-il d'une voix rauque et très basse en plissant les yeux.
— Oui... je voulais juste que tu saches : ils vont bien.
— Fermez la lumière maintenant, demande Jessie, ça va allez.
Mich éteint son appareil.
— Jess ?
— Ça va Dan. Vous êtes avec moi.
****
— Bonjour capitaine ! fait un homme debout à la proue du zodiac qui accoste l'Adrienne par la poupe.
Le physique du Garde-côte expose son uniforme blanc et rouge, qui brille sour les rayons ardents du soleil matinal. Avec un salut que lui rend Charles, il ajoute :
— Permission de monter à bord ?
— Vous êtes les bienvenus sur l'Adrienne, Lieutenant ! répond Charles avec un faux sourire en reconnaissant le grade sur le couvre-chef.
Le zodiac est rapidement ammaré au catamaran par la poupe, et deux hommes en uniforme en descendent et viennent serrer la main de Dunkins. Un autre demeure sur le zodiac, la main sur le gouvernail.
— Je suis le Lieutenant Jacob Trent de la garde côtière, je suis accompagné du Premier maître Lucas Drolet.
— Charles Dunkins, capitaine de l'Adrienne. Heureux de vous rencontrer. Il y a un problème ?
— Simple contrôle de routine, ne vous en faites pas. Aussi, nous vous avisons que vous êtes dans un herbier protégé. Il s'agit d'une lieu de ponte et de préservation pour les poissons tropicaux nordiques. Un site en études. Vous devez libérer les lieux.
— Oui, je suis au courant. J'y participe : voici les papiers.
Il lui tend le dossier plastifié contenant les autorisations pour l'échantillonnage en association avec le département d'océanographie et d'écologie marine de l'Université.
— Ça à l'air en règle, constate le lieutenant en feuilletant d'un œil rapide mais expert les papiers.
Il les tend à son Premier Maître Drolet qui scanne les papiers avec la mini tablette qu'il extirpe de son veston. Puis, les papiers sont rendus à Dunkins. L'assistant pianote sur sa tablette, puis tend celle-ci au Lieutenant qui vérifie les informations, ajoute quelques mots et remet le tout à Drolet.
— Je vous rajoute dans nos relevés. C'est nouveau cette association ?
— Un mois, je dirais. On m'a dit que le dernier associé ne prenait plus son travail au sérieux.
— Le vieux Chad... En effet, il calait plus de bouteilles qu'il ne remplissait celles des échantillons... Il avait un rafiot moins impressionnant... Vous n'avez pas peur de vous prendre dans les viviers, en ancrant si proche ?
— L'Adrienne a un faible tirant d'eau. Elle peut passer partout, croyez-moi.
— Un bien beau bateau que vous avez là, affirme le lieutenant. Vous me montrez les papiers ?
Charles lui tend les enregistrements de son navire d'un geste neutre. Il n'apprécie pas du tout la lueur d'envie qui brille dans les yeux du garde-côte. Une petite sonette retentie dans son cerveau : attention escroc !
— Ah ! c'est votre domicile ! Belle idée ça, rajoute-t-il en tendant les papiers à Drolet qui les scanne à leur tour. J'y pense aussi pour la retraite. Un vieux catamaran cependant... Vingt ans ! La dernière inspection ?
— Au début de l'année, répond calmement Charles, le rapport est en annexe.
Le lieutenant Trent interroge Drolet d'un œil. Ce-dernier vérifie, puis, remet les papiers à son supérieur en laissant tomber, laconique :
— En ordre, Lieutenant. Mais l'inspection s'est fait au sortir d'un chantier. Par des civils.
Le lieutenant reprend les papiers et la tablette avec un soupir à peine dissimulé. Du coin de l'oeil, Charles voit l'intendant qui se dirige vers Jay-Jay, assit sur le bastingage bâbord. L'adolescent termine de s'équiper de sa bouteille, ajuste sa ceinture de poids et son équipement de plongée.
— Vous êtes au prime abord un journaliste à ce que je lis ? reprend Trent les yeux sur les papiers.
— À temps partiel, reprend Charles en reportant son attention sur l'homme en uniforme. Suite à disons, un trois quart de retraite. Je suis plutôt chroniqueur occasionnel pour le Santos One.
— Hum..
Il lui remet les papiers. Un plouf se fait entendre : ils tournent la tête et voient Jay-Jay qui flotte à la surface, une puisette dans une main et un appareil photo dans l'autre. Drolet observe ses manœuvres d'un regard attentif.
— Votre assistant ? C'est lui... Jay-Jay Ligondé ? demande-t-il en consultant son scan.
— Oui, il est avec moi depuis près de deux ans. Ses papiers sont en règle, vous savez.
— Oui, j'ai vu, répond le lieutenant les yeux baissés sur son écran. Belle initiative de votre part. Son pays en a suffisamment bavé ses dernières années. Visa de travailleur. Il est jeune.
— Bientôt 18 ans. Il est petit pour son âge.
— Hum.
Le lieutenant fait signe à son subalterne qui revient vers eux.
— Monsieur Dunkins, Je dois compléter un rapport officiel de bon entretien pour votre navire. Cela vous dérange que l'on regarde autour. La routine quoi ?
— Non, non. Faites, je vous prie.
Il vient pour les accompagner.
— Inutile de nous faire faire la visite, Capitaine. On ne va pas se perdre. Garder un œil sur votre assistant.
***
Dans le ballast, six paires de yeux scrutent en vain la noirceur. Dans ce lourd et noir silence, le temps passe bizarrement. Seul le clapotement lointain des vagues sur la coque du flotteur vient meubler les lieux. Sur les parois du ballast l'écho de leurs respirations oppressées semble hurler leur présence.
Adan, essuie la sueur sur son front et se déplace légèrement pour calmer le fourmillement dans ses pieds qui, ainsi submergés, commencent à perdre de leur sensibilité. Soudain, une discussion lointaine, ainsi que des chocs sur la paroi du flotteur se font entendre. Les six compagnons ont les nerfs à fleur de peau et l'impression d'être prisonniers au centre d'un gong géant. Par la suite, un calme relatif s'installe. Ils se permettent de respirer plus à l'aise. Soudain, un choc sourd les fait sursauter. Ils s'immobilisent avec nervosité. Adan sent la main de Jessie dans la sienne qui devient de plus en plus moite, alors que le rythme cardiaque de son amie pulse et s'emballe. Tendrement, il étend ses bras autour de ses épaules et attire le corps crispé de la rouquine. Celle-ci se laisse faire et cache son visage dans le cou du photographe, en se faisant la plus petite possible.
— Je n'aime pas ça... Je n'aime pas ça, répète-t-elle inlassablement en articulant à peine les mots .
— Ça va aller. Ça va aller, lui répond Adan dans le creux de son oreille.
La jeune femme est prise de frissons irrépressibles, autant de froid que du relent de sa terreur face à la noirceur.
Adan entend un faible gémissement qui lui rappelle un mauvais souvenir.
— Broot ? Ça va ? chuchote Adan.
—...
— Répond-moi Bonhomme.
Adan tend la main vers l'emplacement où se trouve Broot. Il réalise que le petit est roulé en boule sur son perchoir et que son corps est crispé comme cette nuit.
— Naisha ! J'ai besoin de toi ! demande-t-il en murmurant un peu fort.
Un mouvement dans l'eau se fait entendre alors que Naisha quitte les bras de Mich qui l'éclaire avec une faible intensité. Elle arrive près d'Adan et la lumière du portable révèle un Broot au visage livide et en sueur, les yeux creusés grands ouverts mais vide d'expression.
— Il a fait un peu comme cela cette nuit : il gémissait et pleurait.
Naïsha observe le gamin en fronçant les sourcils. Elle le touche, agite son épaule, lui serre la main et le bras : il ne répond à aucun stimuli. Elle secoue la tête d'incompréhension.
— C'est encore plus intense qu'un cauchemar éveillé ou une terreur nocturne, diagnostique-t-elle tout bas. Presque comme une hypnose...
— Silence ! murmure Mark. J'entend des bruits de pas qui viennent d'au-dessus.
À cet instant, Broot commence à s'agiter, malgré les interventions d'Adan et de Naïsha. Alva, en les repoussant fermement, s'approche de Broot. « Laissez-moi faire !» perçoivent-ils dans le silence. « Faites-moi confiance. »
Naisha et Adan, éberlués par cette voix familière qui résonne dans leur esprit, se reculent pour lui laisser la place. La jeune femme prend le gamin par les épaules et fixe avec intensité le regard absent. Dans l'infime luminosité du portable de Michewa, qui est le seul à rester de marbre devant la capacité mentale d'Alva, ils ont la perception d'une phosphorescence qui se communique entre les deux pairs d'yeux aussi pâles que le nacré des coquillages.
« Broot, m'entends-tu ? »
Michewa éteint et range son cellulaire. À pas mesurés, tentant de ne pas trop agiter l'eau dans la ballast, il se retourne vers l'angle de leur habitacle pour avoir une vision partielle vers l'échelle d'accès et l'entrée du plafond. Alors que les murmures de Broot se calment enfin dans les bras d'Alva, ils entendent le grincement de l'écoutille qui s'ouvre. Doucement, dans un bruit de soie, le Ninja tibétain, le regard accéré et dur comme l'acier, dégaine son katana, tous ses sens aux aguets.
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