Chapitre 15 : l'Adrienne

Ils survolent enfin l'Anse de l'épave. Adan dirige Mich vers un cirque rocheux en retrait. Habilement, le pilote y dépose avec douceur son appareil. L'anse n'est pas très achalandée vu sa côte parsemée de dents rocheuses affleurant la surface ainsi que de ses nombreux escarpements où les vagues se brisent furieusement. Il faut bien connaître les petits défilés rocheux où l'on peut accoster avec un petit bateau ou avoir accès à l'eau. Mais encore, aucun sable blanc ici, la mer charrie constamment une multitude de cailloux ou de morceaux de coquillages polis par le ressac, rendant les berges caillouteuses et imbaignables. Le poisson, ce n'est qu'au large qu'il se retrouve, bien à l'abri dans le labyrinthe sous-marin.

Pour sortir du cirque rocheux, ils empruntent un corridor étroit creusé au fil des ans par l'érosion dans une des parois.

— Tu es sûr que l'eau ne montera pas jusqu'à l'hélico pendant notre absence, demande Mich inquiet. C'est tout ce qui me reste... ici.

— T'inquiète. L'eau n'y monte qu'aux grandes marées de printemps. Elles sont passées.

« Enfin je crois. » murmure pour lui-même Adan.

Mich lui jette un regard sombre mais ne relève pas le commentaire. Il n'a pas le choix de se fier à son ami. Ce site était la seule alternative... c'était là ou sur une plage environnante, à la vue de tous, la plus proche étant à plus de cinq kilomètres de marche.

Après le tunnel, ils débouchent sur une mince grève de cailloux usés par les flots. Les vagues qui l'envahissent et se retirent, en un mouvement continuel, font rouler la multitude de petites roches et coquillages, dans un bruit régulier de dents qui claquent. La marée est haute et les oiseaux de mer se disputent dans le ciel quelques poissons alors que de petits chevaliers, nerveux et toujours affairés, vont et viennent, avec leurs minces et longues pattes jaunes, dans le flux incessant des vagues, à la recherche d'une quelconque pitance apportée de la mer.

— Et si quelqu'un venait à refaire le chemin inverse ? demande Mark en sortant le dernier du passage.

— Peu de personnes viennent ici, répond Adan. L'endroit a mauvaise réputation auprès des gens du coin. La mer est agitée, il y a trop de rochers pour naviguer. Seuls ceux qui s'y connaissent peuvent l'aborder ici.

— Rassurant pour nous qui devons y prendre la mer, laisse tomber Alva.

Elle dépose son sac le long d'une paroi rocheuse et se glisse au sol pour s'y assoir et reprendre ses esprits après l'aventure de la Villa. Jessie et Naisha l'imitent. Les trois hommes restent debout. Mich et Mark rengaine leurs armes à leur ceinture, sous les gros yeux d'Alva qui s'empresse de remettre son sabre à Mich.

— Vous avez des permis pour tout ça ? demande Jessie.

— On va dire, répond laconiquement Mark.

Jess pousse un soupir. Pendant ce temps, Broot explore les environs, tentant de trouver un coquillage ou une pierre intéressante. Adan reste ébahi par son calme et sa naïveté vu les circonstances.

— Mais Adan : ceux qui connaissent les lieux peuvent venir ? questionne Mich en lançant un œil vers l'entrée du défilé, qui se perd dans la paroi derrière eux.

— Oui, mais je te l'ai dit, l'Anse de l'épave a mauvaise réputation.

— À ce point ?

— C'est juste une superstition, déclare le journaliste.

— Je ne suis pas superstitieux !

— Ce qu'Adan ne veut pas vous dire, répond Jessie avec un sourire, c'est que l'endroit est réputé pour être hanté. Voilà !

— Hanté, rien que ça ? Et tu crois qu'on va gober cela ?

— Écoute Mark, murmure plus bas Adan. Je les ai vu, d'accord ?  Des lumières vertes au dessus de l'eau, par delà l'herbier sur le haut fond, rajoute-t-il en pointant le large.  On dit que ce sont les esprits de l'avion qui s'est crashée durant la seconde Guerre.

Rileys le regarde avec de gros yeux.

— Mon sang écossais a été fabriqué avec des légendes et abreuvé d'histoires d'épouvantes telles que tu ne pourrais plus fermer l'œil de la nuit.  Alors, ton histoire de lueurs vertes... c'est raté.

— Tu crois que j'essaie de te faire peur ?

— Moi, complète Mich, je crois que c'est toi qui a encore les jetons, Lescaux !

— Adan, tu n'as pas à avoir des craintes, raisonne Naisha. Tout phénomène a une explication réaliste et scientifique.

— Oui, je sais. Mais mes craintes ne viennent pas des lumières vertes. Mais de leur origine. Et de leurs effets. J'ai horreur que Dunkins ait choisi cet endroit pour qu'on se rejoigne. Mais, pour la discrétion c'est gagnant !

— Pourquoi tu dis leurs effets ? demande Alva.

— Bien... La dernière fois où je suis venu pêcher avec Dunkins il y a deux ans, on s'était ancré dans l'herbier pour la nuit. Lui, il apprécie ce lieu pour son abandon. On a essuyé une tempête et on a vu les lueurs vertes au loin. On a pris le phénomène pour des feux de St-Elme, vous savez les phosphorescences que l'on voit dans les gréements en haute mer... Rares cependant durant une tempête. Mais bon, c'était quand même assez impressionnant. Le lendemain, le ciel était dégagé et le vent absent. On a remis nos lignes à l'eau. Il y avait des débris, car un débarcadère avait été emporté par le ressac du mauvais temps vers l'ouest. Parmis les morceaux de quai, de bouées et de plein de trucs, il y avait un petit chalutier. Une vieille carcasse qui flottait au large de l'herbier. Alors qu'on attendait que ça morde, on l'a vu se diriger tout à coup vers le large comme si quelqu'un venait d'enclencher les moteurs. Aucun bruit, aucune fumée ! On l'a vu s'éloigner jusqu'à la limite de perception avec les jumelles, je me rappelle encore de son nom, le « El Salvador » : le nom était un peu effacé mais visible. Puis, d'un coup on l'a vu s'enfoncer ! Comme si un trou s'était ouvert devant lui ! Il a simplement disparu de la surface de la mer.

— Tu as pris des photos ? demande Mich.

— Non, ni Dunkins, ni moi n'avions nos apppareils.

— De bons journalistes quoi ? se moque Mark.

— On était ... en pause disons.

— Vous êtes allés voir ?

— On a voulu mais le temps de ramasser le bateau, le vent s'est levé et la météo s'est gâtée soudainement. On s'est replié vers le port de Santos. Par la suite, j'ai perdu de vue Charles. Je n'y ai plus pensé jusqu'à ce qu'il me mentionne l'endroit « où la pêche est bonne » car c'est ainsi qu'il désignait l'herbier à l'époque.

— À se demander qui est vraiment le poisson dans l'histoire ! ricane Mich.

— J'ai déjà entendu des histoires d'incidents de ce genre, ajoute Jessie. Je n'y croyais pas avant.

— Moi j'y crois depuis, reprend Adan en croisant le regard doré. Je n'ai pas peur.  Mais c'est dangereux. J'aime les énigmes, mais celle-ci me rend mal à l'aise.  Vous savez, j'ai cherché à qui appartenait ce bateau... Et j'ai trouvé. Un pêcheur de profession : Mathias Banks.

— Il a dû être mécontent quand il a appris que son chalutier avait coulé, remarque Jessie.

— Oh ! cela ne peut plus lui faire quoi que ce soit... Il a disparu corps et biens avec le « El Salvador »... voilà dix ans.

Un silence accueille cette révélation.  Des yeux incrédules scrutent Adan, attendant qu'il éclate de rire suite à son récit.  Rien ne vient.   Adan est très sérieux.

— Donc, personne ne vient ici ? conclut Mich. Mon hélico est protégé par ces spectres ?

— En gros : oui.

— Pourquoi ton ami a choisi ce lieu ? demande Alva.

— Car il n'y a personne ou presque... il aime cette anse.

— Je n'aime pas cet endroit, corrige la jeune fille.

— De toute façon, on n'a pas le choix, c'est ici qu'on doit se signaler.

— Tu veux que j'allume un feu, le boy scout ? ricane Mich en le voyant enlever son sac à dos.

— Gan, tu m'énerves parfois.

Sans dire un mot de plus, Adan jette un œil vers Broot, qui continue ses découvertes, puis interroge Jessie du regard. Cette-dernière tend sa main vers lui :

— Je garde un œil sur lui, va.

Adan lui sourit et lui donne son sac. Il entame la grimpe de la paroi rocheuse.  Jessie pose sa tête sur le sac du journaliste et pousse un soupir en louchant vers Alva et Naisha.  Mark et Mich observent la montée du grimpeur, puis, Mich dépose son paquetage et entame à son tour la montée.

Le photographe atteint le sommet assez rapidement. Lorsque Gan le rejoint, il le voit debout avec son cellulaire en main.  Adan tente de placer un signal à l'aide d'une application.  Son appel émis, il recommence plusieurs fois.

— J'espère qu'il n'a pas changé les coordonnées de son poste récepteur, remarque-t-il à mi voix.

— Tu pourrais passer un appel téléphonique simplement...

— Il ne fonctionne que sur ondes courtes... Une obstination bien à lui. Si son récepteur ne reçoit pas les ondes que j'envoie...

— ...on aura plus qu'à faire des signaux de fumée.

Adan lui jette un regard découragé. 

Ils scrutent l'horizon : il est calme, le soleil a passé le zénith et est à mi chemin du couchant vers la ligne plate de l'eau.

— La pêche est vraiment bonne ici ? demande le Tibétain en observant l'eau agitée plus près de la côte rocheuse.  Il me semble qu'il y a bien trop de brisants et de rochers.

— Non, pas si près de la côte mais juste au début de la plaine littorale, des herbiers prolifèrent sur un affleurement surélevé. Il faut le connaître et ne pas avoir un bateau avec une quille trop profonde, sinon on se prend dans les algues qui y poussent. Les prédateurs sont attirés par la présence de bancs de poissons tropicaux, dans un des grands herbiers. Un genre de micro écosystème un peu incongru ici. Un groupe de biologie marine était supposé se pencher sur ce phénomène.

— Ici ? À Santos ? Il ne manquerait plus que des requins !

— On a vu un requin blanc dans la Baie il y a trois ans.

— Impossible !

Soudain au large, semblant surgir d'un groupe de rochers qui émergent des eaux, une étincelle scintille par trois fois.

— Et oui ! que veux-tu, les changements de courants, conclue Adan avant de pointer le petit point lumineux : le voilà... Il sait que nous sommes rendus.  Rejoignons les autres.  Dans quinze minutes environ, Dunkins sera là.

— Il a quoi comme rafiot ?

— Rafiot ? reprend Adan en laissant échapper un petit ricanement. Tu verras.

*******

Quelques vingt minutes plus tard un zodiac accoste sur la grève après d'habiles navigations et force manoeuvres entre les rochers. La marée descendante rend les vagues longues et fortes, aspirant tout vers le large.

Charles Dunkins est accompagné d'un adolescent à la peau très noire et aux yeux émeraude. Dans le bruit des vagues qui fouettent sans cesse le rivage, ils accostent sur la berge, faisant fuir les oiseaux de rivage.  Après de rapides salutations muettes, tandis qu'ils retiennent le bateau en place, les six passagers y grimpent. Dunkins est le dernier à remonter à bord, tout en donnant un élan au bateau pour qu'il soit happé par le courant. Immédiatement, le moteur est enclenché et le garçon d'un mouvement leste prend place à la barre. Son habitude et son talent de navigateur sont évidents.

Adan s'assoit près de Charles pour mieux le saluer et discuter dans le bruit du moteur et le claquement des vagues sur l'embarcation.

— Content de te retrouver Adan, fait Charles en lui assénant une claque monumentale sur l'épaule. Je craignais que tu n'aies plus le code de communication.

— Moi j'ai eu peur que tu l'aies changé.

— Tu me connais, je ne change pas souvent les bonnes choses, sauf si on m'y oblige.

— Euh...nouveau matelot ?

— Jay-Jay ? Une perle de moussaillon. Je l'ai repêché lors de mon voyage plus au sud. Il n'avait que la peau et les os, et plus aucun port d'attache, ni famille.  Il m'a accompagné durant mon «absence» et depuis, il m'a aidé à m'instaurer un semblant d'équilibre après la débandade.

Le bateau passe la ligne des brisants marquant la fin du littoral. La houle devient plus large et ils s'agrippent fortement. Puis, un certain calme reprend possession de la surface des flots alors qu'ils approchent de leur destination.

La profondeur diminue. Ils contournent un îlot d'affleurements de grands rochers. Derrière ceux-ci, l'eau est très calme. Jay-Jay diminue la cadence du moteur. Le bateau avance doucement. La surface de la mer se teinte d'un jade cristallin alors que le zodiac s'engage dans l'herbier sur le haut fond dont parlait Adan.  Dans les rayons obliques du soleil, la silhouette d'un majestueux catamaran blanc et bleu se profile tel un oiseau aux ailes à demi repliés.  Avec ses voiles affalés, il tangue doucement au rythme des vagues du large, semblant piaffer doucement sur place, en équilibre sur ses deux immenses coques allongées. Il donne l'impression de valser avec le rythme de l'océan et la seule pièce brisant cette danse se retrouve au sommet du mat principal où une hélice spiralée tourne en un mouvement infini.  Adan y reconnaît une installation d'énergie éolienne et admire, tout en comparant avec ses souvenirs, toute la beauté métamorphosée de l'embarcation.

— Tu as rénové ?

— Un peu... j'ai bricolé. La vieille dame le méritait bien. Elle aura vingt ans cette année, j'ai décidé de marquer le coup !

— Elle a bonne allure, bravo ! félicite Adan.

— Mes amis, déclare Charles en levant la voix vers les passagers, je vous présente l'Adrienne !

— Joli... rafiot !

— Ne parlez pas trop fort, elle pourrait mal le prendre Monsieur Gan !  Mais elle a du caractère et saura vous montrer tout son savoir faire, vous verrez ...

Lorsqu'ils approchent, Jay-Jay manœuvre habilement pour approcher le zodiac à la poupe du bateau et Dunkins amarre prestement leur embarcation aux jupes des coques. Ils n'ont plus qu'à accéder aux marches du pont arrière. Les passagers montent sur l'Adrienne alors que Dunkins et Jay restent pour consolider l'équipement.

— Jay, dès que le zodiac est bien amarré, file à la timonerie et fait un relevé radar. Je te laisse la vigie pour le premier quart. Je veux que tu m'avertisses de tout mouvement suspect. Au crépuscule, on reste au noir, pas de feu de positionnement, sauf en cas d'urgence, compris ?

Le mousse quitte avec un bref clignement des yeux.

— Pas très bavard le jeune, remarque Mark.

— Il compense en efficacité. Lui et moi, on se complète : je parle et il écoute, il dessine et j'admire, il observe et j'analyse, je cuisine et il mange.

— J'ai faim Adan, intervient Broot.

Charles se tourne vers le gamin.

— Toi, tu dois être... Bert.

— Non, c'est Broot, rigole le petit.

— Ah oui, c'est cela ! Et tu as faim Broot ?

— Oh oui !

— Cela tombe bien, j'ai justement du poisson frais du jour dont je vais vous régaler...

— Du poisson ! grimace Broot

— Non, pas du «poisson»... réplique Dunkins en imitant sa grimace . Du « Délice de Charles, le Cook de l'Adrienne ».

Adan voit le sourire du petit s'élargir encore plus.

— Et où tu fais cuire le poisson Monsieur Charles ?

— Tu es malin Broot. Viens !  Suivez-moi.

Il les précède dans la cabine intérieure, entre les deux coques où une douce chaleur les envahit. Les fenêtres sont camouflées et Dunkins actionne le groupe électrogène et la pièce s'illumine d'une lumière diffusée par les plafonds. Les nouveaux passagers peuvent admirer les lieux : la pièce est vaste et meublée comme un lounge, une large table ronde est entourée de banquettes en demie cercle, les boiseries et les tissus de cuir marron donnent une chaleur et un accueil agréable à cette pièce.

— Nous appelons ce lieu, le carré. Quoique je n'ai pas vraiment suivi cette logique géométrique ! Je l'ai voulu logeable car, durant la période un peu plus tranquille, avant que je me réintroduise dans le milieu journalistique de Santos, j'ai servi de guide touristique dans les hautes mers un peu partout. Cela a mis du beurre sur mon pain et permis certaines améliorations pour l'Adrienne. Maintenant, elle n'est pas que l'un-des-anciens-catamarans-les-plus-rapides-de-l'ex-flotte-de-l'Université-maritime-de-Santos ; elle est LE catamaran le mieux équipé !  Venez, je vous fais visiter le reste du bateau. Vous choisirez vos cabines : il va falloir partager, je vous préviens.

— Les coques sont métalliques, questionne Mark

— Aluminium, titane et carbone, le meilleur des alliage monsieur Rileys.

— Alors, je choisis la cabine qui en est le plus éloignée, si je veux pouvoir communiquer avec les satellites.

— Ah ! il est vrai que les ondes passent mieux dans la cabine de Jay-Jay qui est derrière le carré. Alors soit : vous serez le colocataire de mon mousse.

— Broot restera avec Adan, décide Jessie. Et j'irai avec Alva et Naisha.

Adan n'ose contredire la belle rousse, mais passe devant elle pour se retrouver vis-à-vis de Charles et ainsi pouvoir lui cacher sa déception. Il lui semble qu'elle le fuit depuis le réveil de Broot.

Charles remarque le changement qui s'est opéré chez son ami. Il le suit de près et lui glisse en catimini :

— Crois-en mon expérience : les femmes c'est comme les voiliers, quand elles ont le vent dans les voiles, tout va bien.  Mais dès qu'elles sentent venir un grain, elles se comportent bizarrement, elles valsent sur les flots. Nous, on est là et on s'étonne, on a rien vu venir... Il vaut mieux alors suivre la dame dans sa danse en lui faisant confiance.  Elle te sera fidèle en cas de tempête et suivra ton regard dès le retour du calme.

— Puisses-tu avoir raison Capitaine, murmure sourdement Adan en se retournant vers lui, non sans avoir vérifier que Jessie est hors de portée d'écoute.

— Furet et Fauvette n'est-ce pas ?

— Oui, mais cela remonte à bien loin... Tout en étant assez récent.

— Raison de plus pour lui faire confiance. Tu l'aimes ?

Adan ne répond pas mais glisse un œil vers les trois femmes qui s'engouffrent dans la cale d'une des coques.... Lorsqu'il regarde à nouveau Charles, ce-dernier l'observe en souriant, puis il reprend la visite, en laissant tomber :

— Ah ! les sirènes aux yeux dorés... Quel malheur pour le cœur d'un homme !

Adan le suit sans dire un mot.

***

Après une visite complète des lieux et une rapide toilette, une demi-heure plus tard, ils se retrouvent tous au carré autour de grands plats garnis d'une multitude de morceaux de poissons, servie dans une sauce épicée avec olives et légumes.  Chacun se sert et se régale. Charles prépare une assiette qu'il va porter à Jay-Jay.  Pendant ce temps, la discussion devient plus animée alors que les estomacs se remplissent.   Lorsque Dunkins revient et s'insère allègrement dans la conversation qui tourne autour de Santos, du SSCC et de leurs découvertes communes, Broot, rassasié, ne tient plus en place.  Il se met à explorer la grande pièce commune pendant que les adultes parlent de sujets dont il ne semble pas se préoccuper... enfin, il en donne l'air.

Le gamin contourne le bar où des lumières font des jeux d'ombres et d'étincelles sur la verrerie. Il s'assoit sur un haut tabouret puis observe les lieux du haut de son perchoir.  Un poste de télé orne un pan de mur, une table de pool attend dans un coin et deux grands fauteuils en angle occupent l'autre extrémité du carré, près d'une bibliothèque bien remplie.   Il s'y rend et admire les maquettes de bateaux qui en décore les étagères.  L'une d'elle attire particulièrement son regard, elle est encastrée dans une bouteille et représente un majestueux voilier à trois mats. Broot est fasciné.

Alors que la table du repas est rapidement nettoyée, les restes et la vaisselle emportés et rangés dans la cuisine attenante, Dunkins s'approche de Broot avec, à la main, une pipe blanche, de laquelle s'échappe des filets de fumée odorante.

— Tu aimes ?

— Oh oui. C'est toi qui l'a fait ?

— Non, c'est Jay l'artiste.   Il n'a pas son pareil pour tout transformer en œuvre d'art.  D'un simple caillou, d'un morceau de bois ou d'un coquillage, avec de simples canifs, il sculpte des objets d'une délicatesse hors pair. Comme ce bateau.

— Moi aussi j'ai un coquillage, c'est Adan qui me l'a donné.... On y entend la mer !

— Ah oui ! ce sont les plus précieux. On apporte la mer avec nous.

Broot acquièsce alors que ses yeux sont attirés vers un cadre où sont affichés de petits coquillages de différentes formes et couleurs. Sur chacun d'eux une mini sculpture accentue leur beauté.

— Il pourrait me faire un dessin comme cela sur mon coquillage ?

— Il faudrait le lui demander, répond Charles en se tournant vers Adan qui vient de s'approcher

— Je peux y aller Adan ?  Voir Jay pour lui poser la question ?

— Tu sauras te retrouver ?

— Au pire Adan, réplique le capitaine du bateau, il se retrouvera ici... Le bateau n'est pas si grand que cela. Jay est sur le rouf, près du mat. C'est là qu'il aime veiller avec le radar portatif et la radio, au lieu de rester dans le cockpit.

— D'accord, tu peux y aller, mais sois prudent : la nuit tombe et je ne veux pas te retrouver à l'eau.

— Je n'ai pas peur de l'eau !

— Oui, je le sais !   C'est bien ça le problème. Allez, va !

Broot quitte vers l'arrière pour rejoindre Jay-Jay au pont supérieur.

Charles lance un œil sur la physionomie attendrie d'Adan alors qu'il suit des yeux le départ du gamin.

— Si je ne te connaissais pas aussi bien, Adan Lescaux, je dirais que ce petit a des gènes communs avec toi et que tu nous caches une vieille histoire de cœur...

— Des gènes communs ! Quelle drôle d'idée que tu as là ! Il a ses propres gènes tu sais ! J'en ai long à raconter, mon cher ami. La discussion du souper n'en a pas fait le tour.   Allons nous rassoir avec les autres. Tu dois tout savoir en détails pour connaître dans quoi je t'ai embarqué ! Tu as quelque chose de plus marin pour accompagner une discussion pleine de mystère ?

— Rhum ?

— Cela me semble de circonstance.

Quelques instants plus tard, autour de la table, chacun a un verre de liquide ambré à la main. Charles lève le sien et déclare :

— Je lève mon verre en l'honneur de mes retrouvailles avec mon ami Adan et à ma rencontre avec chacun d'entre vous. Puisse notre entreprise nous épargner les platitudes de la vie commune et nous aider à établir une grande amitié entre nous.

— À l'amitié ! réponds Mark et Naisha en même temps.

Alva les regarde en souriant.

— Merci pour votre accueil, monsieur Dunkins, répond Jessie.

— Appelez-moi Charles... tous. Tutoyons-nous aussi si vous le permettez : sur l'Adrienne, nous sommes une famille et nous veillerons les uns sur les autres. Je sais que c'est cliché, mais c'est ainsi que je conçois mon équipage.

— À la famille, reprend Mark.

Ils trinquent tous avec entrain, sauf Mich qui semble quelque peu perturbé.

Ensuite, les yeux d Adan se tournent vers Jessie qui lui renvoit son regard et pose une main sur sa cuisse. Il se sent plus léger et alors qu'elle pose sa tête sur son épaule, l'homme sourit et ajoute :

— À l'avenir !

— Excusez-moi, fait Mich qui est resté muet jusqu'alors.

Mark et Naisha échangent un regard entendu alors que le Tibétain quitte la table et sort du carré.

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