Chapitre 14 - Envol


En fin d'après-midi, suite à un copieux repas qui leur permet de reprendre des forces et de discuter, afin de faire encore mieux connaissance, ils se sont tous regroupés dans le bureau. Sans nouvelle de Walton, ils attendent la noirceur pour aller au bateau de Dunkins.

Broot est assis en tailleur sur le tapis près de la bibliothèque et ne cesse de consulter des livres qui s'empilent à ses côtés. Adan le regarde faire un moment. Il constate que les yeux du petit semblent parcourir réellement les lignes de mots. Pourtant, sur la plage, il lui a affirmé qu'il ne savait pas écrire. Encore un mystère qui s'ajoute.

Les six adultes sont en conciliabule autour d'une table basse, leurs sacs à leur pied, prêts au départ vers le bateau de Dunkins.  Ils discutent de la suite des événements et se partagent les renseignements qu'ils ont recueillis. Mis à part le journal du professeur Schäfer, bien peu d'informations ont émergées des clefs USB. Il y a bien des renseignements sur les sujets ayant fournis l'ADN des Máo bīng, 2EXT et 6EXT, mais il faudra que Naisha se penche à tête reposée sur le sujet. Elle voudrait, entre autres expériences, comparer la cartographie de leur ADN avec la banque HUGO, comme voulait le faire le Professeur. Mais pour cela, il lui faut un équipement plus performant qu'ici, et du temps. Les ressources de Ken Walton leur seront d'une aide appréciable pour cette analyse. De l'équipement plus sophistiqué permettra aussi de définir la localisation exacte de Lydia, la fille de Walton, que le logiciel de Mark a malheureusement perdue en début de journée. Sur le disque externe de Schäfer, ils ont aussi trouvé des plans de machines inconnues, que Naisha a qualifié d'incubateurs, et qu'elle a ensuite identifié comme les matrices extra utero pour les clones. Malheureusement, dans tous les documents de Schäfer, aucune information tangible qui prouverait le lien entre le SSCC et les personnages tatoués ou les manipulations légales pour la prise de possession des immeubles de Santos. Pour cela, ils auront besoin des contacts de Dunkins.

Le milliardaire n'a pas encore donné signe de vie. Ils ont joué gros sur ce coup-là, sans savoir si l'homme serait sûr ou non. Par précaution devant l'absence de retour d'appel de Walton, Michewa a placé tous ses employés en congé forcé, avec une belle prime en poche. Il a gardé seulement une dizaine d'hommes et de femmes avec lui, de ceux qui l'accompagnent depuis plusieurs années. Pour la plupart, ils ne sont pas à la Villa mais sur le terrain : un couple s'est introduit dans une filiale de SSCC en tant qu'agents d'immeuble afin de glaner des informations sur le marketing immobilier ; d'autres surveillent Walton et le pistent depuis la visite de Mich et Alva ; en bateau, une dyade repère les déplacements de l'Adrienne de Dunkins sur les eaux de la Baie. Au rez-de-chaussée de la Villa, seulement Chen et quatre autres de ses hommes montent la garde pour la sécurité de leur chef et de ses acolytes.

Michewa regarde son téléphone qui vient de vibrer à la réception d'un message texte.

— Walton ? demande Mark avec anxiété.

— Non, c'est Chen, répond l'Asiatique les yeux réduits à de minces fentes. Ils ont repéré des intrus du côté du garage.

Tous les regards se concentrent sur lui. Adan prend la main de Jessie dans la sienne. Immobile, ils attendent, silencieux.

Un autre texto entre :

— On quitte ! ordonne Gan en se levant et en harnachant son sac. Ils sont armés et prennent la Villa en assaut !

Tous l'imitent. Adan tend la main vers Broot qui se dépêche d'enfiler, par-dessus son vêtement de toile asiatique noire, le manteau de cuir chaud, encore une fois, un peu grand, que Jessie a trouvé dans les vestiaires de la villa.

— Walton ? redemande Mark, en rangeant son précieux matériel électronique.

— Je l'ignore, répond Gan en prenant son katana sur le mur.

— C'est pas un peu voyant ? reproche le geek devant l'arme que Mich accroche en diagonale sur son dos.

— Ce sont tes cheveux qui sont voyants, Rileys mon ami ! laisse tomber Gan en leur emboîtant le pas hors du bureau.

— Non ! proteste faussement le rouquin en regardant Jessie qui grince un sourire en faisant virevolter sa chevelure auburn. Il n'a pas osé !

— C'est ton grand ami, hein ? remarque Adan en lui passant la main sur sa coupe rase, mais franchement rouquine.

Mark pousse un ricanement et les suit en prenant son sac à dos et son précieux ordinateur en bandoulière :

— Nous sommes une force incomprise ! maugrée-t-il à lui-même.

Il rejoint les autres qui suivent à grands pas Mich dans les corridors de la Villa. Les lieux tombent peu à peu dans la pénombre alors que les lumières faiblissent et s'éteignent.

— Hé Mich, attends ! crie Adan. Qu'est-ce qui se passe ?

— Pas si fort ! Écoutez : Chen a dû couper volontairement le groupe électrogène. Cela nous donne un avantage. On peut traverser la villa sans être vu de l'extérieur. La brunante va nous camoufler jusqu'à ce que nous soyons partis.

— Comment sommes-nous supposés quitter si les inconnus sont dans le garage ? murmure Naisha.

— Tu verras bien, nous allons...

Une alarme se déclenche dans le bâtiment lui coupant la parole.

— Et tu nous demande de ne pas faire de bruit ! riposte Adan.

Mich secoue la tête puis les entraîne dans un escalier qui monte à l'étage avant de prendre un couloir menant du côté opposé au garage. Au bout de ce-dernier, il stoppe devant une lourde porte avec une serrure à code. Il pianote rapidement et le portail s'entrouvre. Il les pousse à l'intérieur avant de refermer. Derrière la paroi close, une lumière de secours rougeâtre les éclaire d'une lueur dantesque. Mark, qui semble connaître les lieux, prend les devants et conduit le groupe dans un long corridor étroit. Il s'arrête au pied d'un second escalier, abrupte et fait de métal, qui monte en calimaçon dans une tour. Adan se rappelle ce bâtiment qui surplombe l'arrière de la villa.

L'alarme cesse. Silence.

Ils sursautent tous au téléphone de Mich qui émet un bip court et sec :

— Chen ! répond Gan alors qu'Alva ferme ses yeux et se concentre sur la conversation que les autres ne peuvent entendre.

Mich la regarde et devine son stratagème. Il lui touche le bras et lui sourit en coin.

— N'aie pas peur, je n'ai rien à cacher, lui chuchote-t-il avant de reporter son attention sur son interlocuteur.

« Ils sont nombreux monsieur. »

— Occupez-les encore cinq minutes, c'est tout ce que nous avons besoin...

« Ils vont vous voir. Vous ne voulez pas que nous allions pour vous couvrir ? »

— Vous les auriez dans le dos. Non. Cinq minutes.

« Mais Monsieur... »

— C'est un ordre Chen ! réplique Mich d'un ton sec qui surprend Alva près de lui.

Le Tibétain prend une voix plus calme et ajoute :

— Fermez tout et partez comme prévu : dans cinq minutes. Nous savons ce que cela implique et je l'accepte. Nous nous retrouverons, Chen péngyou.

« Entendu Michewa shīfù. »

Mich raccroche.

— Suivez-moi, ajoute-t-il en prenant la main d'Alva. Mark ! ferme la marche et tiens-toi prêt.

Mark acquiesce et extirpe un pistolet qu'il arme en le pointant en direction de l'étage qu'ils quittent. Jessie le voit faire et se sent pousser des ailes sous les talons alors qu'Adan la dirige vers l'escalier, derrière Broot et les autres. Mich prend aussi un pistolet dans sa main libre tout en lançant mentalement vers Alva :

« Je n'ai absolument rien à dissimuler. Respecte juste mon histoire personnelle, d'accord ? »

Il jette un regard vers la femme qui opine de la tête pour montrer qu'elle a compris.

— Finalement, je me débrouille avec ce truc ! lui lance Mich d'un ton gouailleur.

Il prend les devants.

Au loin, ils entendent une fusillade. Jessie écrase nerveusement la main d'Adan qui la rassure d'un coup d'oeil. Il fait confiance à Mich. Le bruit des coups de feu se répercute à l'extérieur alors qu'ils débouchent sur la toiture de la tour, en plein air. Ils dévalent un court escalier qui vibre sous leurs pas et se retrouvent sur un toit surplombant la piscine. Il s'agit d'un large espace ouvert, mais dissimulé par la tour et des demi-murs.

Et au centre...

— Qu'est-ce que c'est que ça ? demande Broot.

— C'est mon hélicoptère, répond Mich. C'est pour voler.

— Quoi ? On va monter dans le ciel. Mais on va tomber ? C'est drôle.

Et il rit, comme si c'était une bonne blague. Le bruit des armes à feu constitue l'arrière-plan sonore de ce rire enfantin.

Mich le regarde, un peu ébahi par sa naïveté. Il ouvre la porte coulissante à l'arrière de l'appareil, y jette son bagage, tend son katana à Mark et se glisse habilement dans le cockpit :

— Montez et attachez-vous !

Tour à tour, ils s'engouffrent dans l'habitacle.

— On va vraiment voler ? glisse Broot à Adan qui l'installe entre lui et Naisha.

— N'aie pas peur, se contente de lui dire Adan.

— Peur ? s'étonne le gamin avec un grand sourire, nullement effrayé. Pourquoi ?

Adan le regarde : il n'a pas peur ! En observant d'un coup d'oeil Jessie et Alva devant lui, qui se débattent pour réussir à s'attacher, ce n'est pas leur cas. Ni le sien, il l'avoue. Il n'a jamais aimé l'altitude.

— On va voler jusqu'où ? Haut ? interroge Broot.

Le journaliste l'attache avec la ceinture.

— Jusqu'où ? insiste le petit en pointant le ciel.

— Assez haut pour être en sécurité, répond enfin Adan. Mais tu dois rester assis parce...

Leurs voix se perdent dans le bruit du moteur qui démarre, alors que Mark referme la porte arrière, dépose son bagage dans un filet sécuritaire et confie le katana à Alva, qui le regarde comme s'il allait lui sauter au visage. Le rouquin prend ensuite place sur le siège du copilote. Sans un mot, sans se concerter, avec des gestes habitués, Mich et lui font des réglages rapides. Mark de signifier, par un pouce en l'air vers Gan, que tout est paré.

Ils ressentent soudain une forte vibration sous les patins du véhicule.

« On décolle Mich ! » insiste Mark en actionnant ses écouteurs. «Vite !»

Alors que l'hélicoptère commence son ascension abrupte dans les airs, les passagers assistent avec horreur à l'explosion du bâtiment principal de la villa.

— Accrochez-vous ! crie Mich tout en faisant décrocher l'appareil de son ascension pour se diriger vers l'océan.

Jetant un œil vers l'arrière, Adan voit alors, pour une seconde fois en si peu de temps, les flammes et la fumée qui détruisent un lieu considéré sécuritaire. Alva et Jessie, les traits crispés et les yeux hermétiquement clos, ne peuvent voir les dégâts. L'une s'accroche au Katana et l'autre à sa ceinture de sécurité. Il n'y a que Naisha, déjà pleinement initiée aux actions du Tibétain et de son écossais d'ami, qui lui rend un regard triste.

Nulle riposte à leur départ, aucun des assaillants détectés par Chen n'a eu le loisir de les mettre en joue. L'explosion a même pu camoufler leur retraite tellement leur appareil s'est dirigé à plein gaz vers l'océan.

Ils sont déjà haut et loin. Hors de danger.

Il vole depuis une dizaine de minutes et Broot regarde autour d'eux le paysage en se tortillant pour mieux voir. Adan ne cesse de le ramener sur le siège près de lui et de l'attacher. Jessie et Alva observent son manège en souriant, un peu plus détendues. Le garçon en voyant l'océan, sourit et sors de son propre sac à dos le coquillage qu'il porte à son oreille, ce qui semble le calmer, les yeux perdus dans le ciel qui se pare de la douceur des derniers bleus de la journée. À cet instant, Mark tend une paire d'écouteurs à Adan qui les enfile. Il entend alors la voix du pilote :

« Tout le monde va bien ? » demande Gan.

« Oui, c'était moins une... Chen et les autres ? »

« Ils savent ce qu'ils font. »

« Tu as des ressources plus grandes que je ne croyais. »

« Un petit joujou que je me suis offert grâce "aux patrons". Jamais je n'aurais cru m'en servir pour m'échapper de ma propre villa. »

« Désolé. »

« Pourquoi ? »

« La villa... »

« Oh tu sais, de toute façon la sédentarité et moi... »

Adan sourit.

« Et ton ami, Dunkins, on le trouve où son rafiot ? » le questionne Mark.

« L'Anse de l'épave, cela vous dit quelque chose ? » répond Adan.

« Là où l'avion de la deuxième guerre s'est supposément crashé ? »

« On n'a jamais retrouvé ce zinc, c'est ça ? » demande Michewa.

« Exact. L'endroit fait peur aux pêcheurs. Certains le surnomment aussi l'Anse du malheur. » explique Adan.

« Joyeux ... Mich t'es sûr de vouloir laisser ton hélico là ? »

« Dunkins nous y attends, bien au large. » réplique le journaliste. « Je connais un lieu où on pourra cacher ton coucou Mich. »

« La pêche est bonne là-bas ? » demande le copilote.

« À ce qu'il paraît. »

« Ah la pêche en haute mer, j'en ai toujours rêvé. » déclare le Tibétain en corrigeant son cap. 

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