Chapitre 12 - Lueurs


Le lendemain matin, le soleil se lève sur Santos dans un ciel clair et limpide. Les premiers rayons de soleil surprennent Adan assoupi dans un fauteuil près du lit où Broot dors toujours profondément. La veille, une fois la mission de Michewa et Alva terminée, le journaliste est venu relever la docteure auprès du gamin. Adan s'est assis pour réfléchir aux événements en attendant le retour de ses amis. Il a dû s'endormir.

Il s'étire doucement puis se penche pour observer le petit : il voit toujours en lui les traits enfantins de leur première rencontre mais il constate, presque choqué, que la physionomie de Broot a pris quasiment cinq ans dans ce foutu cocon. Un temps foutu... Ses yeux se perdent dans le vide et il revoit des images de sa jeunesse. Ses souvenirs le ramènent vers Laurenn et Mikel, vers sa mère et son père. Il n'a plus de famille... Son esprit s'embourbe dans les images. Ses yeux se troublent. Il tente de reprendre le contrôle du tourbillon de son esprit.

Il fixe Broot intensément. Voilà son présent. Avec Jessie. À la pensée de la belle rousse, ses yeux s'éclairent de nouveau. Il doit agir posément pour aider Broot, pour protéger ceux qui l'entourent, ceux qu'il aime, ceux qui l'ont ramené à la surface de cette vie.

Il pose doucement sa main sur le petit front où broussaillent les fins cheveux blancs. La peau est tiède et douce. Dans son sommeil, le petit a toujours la fossette sur la joue gauche près de la commissure de la bouche. Ses petites mains sont encore enfantines, elles aussi ornées de ces petites concavités à chaque jointure des doigts. Il se rappelle de la peur panique et de l'incompréhension de Broot, de son récit de misère avec ses mots d'enfant. Comment peut-on infliger le moindre mal à ce gamin... peu importe la nature de son origine. Personne n'a le droit... Adan réfrène le sentiment de rage qui l'envahit. Il doit la canaliser pour la rendre efficace. Pour se calmer, Adan observe un instant le moniteur auquel le cœur du garçon dicte les chiffres et les courbes. Tout semble normal. Il remonte l'édredon sur le petit corps et dépose affectueusement ses lèvres sur le front.

— Je reviens Bonhomme, murmure Adan. Je ne vais pas loin.

Il s'éloigne sans bruit, ses pieds nus chuintant sur le sol recouvert, comme partout dans cette grande salle, d'un tapis tressé de douces fibres végétales. La veille, ses cent pas l'ont fait visiter quasiment l'ensemble des lieux du rez-de-chaussée de la villa Gan. Outre la piscine, il s'y trouve la cuisine attenante à la salle à manger, ainsi qu'un bureau très bien équipé technologiquement parlant - c'est probablement là que Mark et Jessie ont passé les dernières heures – ainsi qu'un salon spacieux aux fauteuils de cuir très confortables, autant pour discuter que pour dormir, ou tenter de somnoler.

Et puis, il y a cette salle : grande, lumineuse, avec un pan de mur entier qui s'ouvre sur une petite serre où différents oiseaux chanteurs accueillent le lever du jour au fond de leur cage de bambou. Adan quitte l'autre extrémité, qui semble jouer le rôle d'infirmerie avec le lit d'examen, où repose Broot dans ses draps bleus, et tout l'équipement nécessaire à des traitements médicaux plus ou moins poussés. Attenante à cette salle de premiers soins, derrière des cloisons vitrées, un bureau avec classeurs et bibliothèque garnies de livres de référence. Adan a déjà parcouru les rayonnages : médecine sportive, traditionnelle et moderne, sports de combats et techniques des arts martiaux, anatomie et physiologie humaine. Bref, tout ce qu'il faut pour maintenir un corps en santé. Il envie un peu Mich d'avoir su garder cette forme que lui-même a malheureusement oublié dans le fond des bouteilles. À l'époque où il était plus actif...il y a six mois seulement... il se serait senti à l'aise en ces lieux. Mais aujourd'hui, il se sent étranger. Un imposteur.

Son malaise grandit lorsqu'il se dirige vers la pièce centrale de cette salle : un dojo. Avec ses mannequins et sacs de combats, ses fières gravures stylisées et inspirantes, ses armes minimalistes mais imposantes. Il observe un instant un idéogramme chinois qu'il reconnaît - un des seuls d'ailleurs : Dǎn dà ... audacieux. Ce surnom que Mich lui a décerné à leur première rencontre, alors qu'Adan s'était placé en situation plus que dangereuse, avec ses caméras en bandoulière comme seules armes, entre cette foule exultée de manifestants armés et l'escouade anti-émeute. Pourrait-il encore soutenir la pression de reportages dans les fins fonds de l'humanité ? Oserait-il affronter les dangers de situations à l'équilibre incertain ? Autrefois, il allait de l'avant, sans réfléchir, sans crainte. Il en revenait avec pour seul trophée une pellicule qu'il développait ensuite dans sa chambre noire, tel un magicien agitant sa baguette autour de ses bacs de révélateur et de fixateur. Ses clichés avaient cette magie que recherchaient tous les grands quotidiens. Lescaux était alors synonyme de vérité et de qualité. Cette renommée, on la lui a enlevée de force avant que lui-même ne se perdre dans des effluves d'alcool et de mixtures médicinales.

Il pousse un soupir et serre les poings. La rage qu'il ressentait tantôt contre ceux qui ont manipulé Broot s'est muée en une ferme décision. Plus jamais...

Il relève son regard sur l'idéogramme chinois : audacieux. Il joint ses mains en un seul poing et effectue un profond salut du haut du corps.

« Dǎn dà » murmure-t-il.

Le cerveau moins brumeux et le pas plus décidé, il se dirige vers la pièce du fond opposée à l'infirmerie : les douches. Connaissant l'organisation du tibétain, il est certain d'y trouver tout ce dont il aura besoin.

Quelques trente minutes plus tard, il ressort en s'épongeant le visage d'une serviette et en se frottant les joues imberbes. Torse nu, il est seulement vêtu de son jeans, sa chemise sur le bras. Devant une glace sur le mur, il observe le reflet de cet homme : visage glabre, yeux noisette sans effet de substances étrangères, cheveux attachés dans la nuque ; tout cela lui semble étranger et pourtant comme il se sent libéré et vivant !

Il avise une étagère où sont méticuleusement empilés des vêtements asiatiques confortables aux teintes noires, brun ou beige. Jetant un œil circonspect à sa chemise défraîchie, il s'empare d'un haut de vêtement noir puis lance serviette et chemise dans le panier à linge adjacent. Il enfile ce nouveau vêtement dont les fibres l'enveloppent comme une nouvelle armure. Cette tenue fraîche et confortable lui fait penser à Mich. Adan se sent comme un élève de dojo qui est en train de suivre l'enseignement de son maître, son shifù . Qui le guidera dans la tâche qui se présente maintenant devant lui ?

Revenant un instant près du lit de Broot, il vérifie l'état du gamin. Rien d'alarmant, le garçon dort toujours. Le journaliste s'arrache à sa contemplation et se dirige juste à côté de la serre où une petite cuisine lui permet de cueillir un jus et un muffin. Il ouvre la porte vitrée et pénètre dans la mini serre où il est accueilli par des odeurs terreuses et par les chants des pinsons et canaris qui s'y trouvent. Par les fenêtres, il voit le soleil qui inonde les grands jardins où s'activent déjà quelques jardiniers.

Du soleil... après tous ces jours de grisaille sans fin. Il y voit un signe du destin. Il n'a jamais été superstitieux mais...

Ayant terminé son frugal petit déjeuner, il revient à la cuisine porter sa vaisselle et il remarque la cafetière pleine et chaude.... Sûrement qu'il n'est pas le où il sait que sera surement u rnd es demi cloisons que isurespremier éveillé finalement. Il verse deux tasses de café noir et se rend au bureau.

En effet, dans ce coin plus discret, calme et dans la pénombre, la lueur d'une lampe de bureau l'accueille. Il s'avance silencieusement. Le Dr Naisha Npundu est lovée dans la chaise capitonnée, la tête appuyée sur le haut dossier, les bras croisés contre son torse et les jambes repliées sous elle. Devant elle sur la grande table de travail : un ordi portable est en veille ainsi que des tas de papiers et de dossiers qui s'étalent en un ordre inconnu. Des post-it jaunes annotent certains passages d'une écriture vive et directe. Des feuilles blanches sont remplies de notes manuscrites fines, serrées, ordonnées. Adan pose ses cafés puis recouvre le médecin d'un plaid qu'il prend sur un appui pieds. Il jette unune œil sur les dossiers mais craignant de défaire le classement, il n'ose pas trop y toucher.

Il appuie sur une touche de l'ordinateur pour le sortir de sa veille. Un dossier est ouvert, il est à l'en-tête de la SSCC : probablement l'un de ceux rapportés par Alva et Mich. Adan devine, en lisant les premières lignes, qu'il s'agit du journal de bord du Pr Schäfer, celui dont parlait Alva. Le journaliste prend le portable et l'un des cafés puis s'installe en tailleur au côté du bureau, directement sur le sol. Il pose l'ordi sur ses genoux et commence sa lecture.

À chaque jour, le professeur laisse des notes assez abstraites concernant des substances, des quantités, des dosages. Des tests sont notés en abréviations incompréhensibles ainsi que des chiffres ou des pourcentages pour chacun complètent des tableaux de données.

Puis un message vocal, daté d'il y a trois ans. Le nom de Santos est dans l'intitulé. Adan enfile la paire d'écouteurs qui accompagne l'ordi et enclenche la lecture. Le visage blême d'un homme d'âge mur aux yeux clairs et à la chevelure blanchâtre apparaît. Des petites lunettes au contour argenté chaussent le nez droit. Des sourcils plus foncés dénotent de la couleur de sa jeunesse. Il porte un sarrau et sa chemise est ouverte avec une cravate dénouée. En arrière-plan Adan reconnaît une paillasse de laboratoire et sa verrerie habituelle. L'éclairage est dispensé par une lumière sortant d'un appareil sur sa droite. Cet éclat cru sur la silhouette blanche du scientifique, lui donne des traits fatigués et mystérieux. L'homme oriente la caméra puis se penche vers l'écran, sa voix est basse et on voit qu'il tente de se faire discret :

« Je décide de faire un enregistrement vocal car je serai ainsi plus rapide pour consigner mes observations. Aujourd'hui, j'ai réalisé que depuis mon départ de Genève, je suis sous surveillance. Il y a des micros planqués dans la pièce de mon bureau, ainsi qu'une mini caméra. Je n'ai plus l'autonomie qu'ils m'avaient promise dans mes recherches en venant à Santos. »

Il jette un œil autour de lui en soulevant les épaules :

« Me voilà donc réduit à m'enregistrer entre deux cuves d'incubation et un bassin de suspension. Cette pièce cependant est libre de toute écoute. Grâce à l'appareil de tomographie qui jouxte cette pièce, c'est une véritable cage de Faraday, aucune onde ne peut la traverser. Mais j'ai peu de temps. Je suis presque toujours accompagné par un de mes trois assistants. Ils sont bien gentils et très doués, mais je ne les connais que très peu. Je ne sais pas si je peux leur faire confiance et aussi je veux dissimuler mes réticences. Ils pourraient en parler.

Ce matin, après un mois de démarches incessantes auprès de Sciences Santos, nous avons enfin reçu de Codec Center, des cellules originelles de l'ADN de l'individu 6EXT. Avant on ne me donnait que des bouts d'ADN. Avant de travailler dessus et de détruire ainsi le bagage génomique complet, je vais répliquer l'ADN en recourant à la technique de . Je dois faire cela sans que mes adjoints le réalisent car ils pourraient craindre le piratage génomique. Mais tout ce que je veux c'est avoir un peu plus de liberté.

J'aimerais aussi faire le caryotype complet et entamer le séquençage génomique afin de le comparer avec la banque d' de Suisse ou la GenBank du NCBI. Mon instinct et mon expérience à Genève m'orientent vers des déductions que je n'aime pas. Suite à l'épisode des Máo bīng , je croyais... »

Le scientifique enlève ses lunettes et se frotte les yeux. Il pousse un soupir :

« Moi-même je ne suis pas sûr... Tout ce que je saisi c'est que les échantillons qu'on me fournit sont très spéciaux. Ils ne sont pas normaux. Les tests me démontrent qu'il y a un défaut génétique mais je ne le connais pas. Je peux voir qu'il y a anormalité. L'ordre de séquençage est hors normes.... Les brins muets entre les gènes ne sont pas dans la norme... complètement au delà des probabilités de la dérive du spectre génétique. Je dois comprendre de quoi il retourne.

Je sais qu'il y a une autre équipe qui travaille en parallèle à la nôtre. Je ne veux pas encore être mêlé à des manipulations ... »

On voit l'homme qui se retourne vivement et qui ferme la caméra.

Curieux, Adan fait se dérouler le journal. Des notes de scan, de laboratoires, encore des résultats d'analyse. Rien de bien compréhensible pour lui. Il saute des pages et recherche d'autres vidéos. Il en trouve deux sur une page quasi vierge d'annotations. Il enclenche la première vidéo. En vérifiant le calendrier associé avec cette vidéo, il constate que deux mois se sont écoulés depuis celle qu'il a visionnée. L'image est toujours prise au même lieu, le professeur est un peu plus souriant :

« Les essais sont concluants. Le complément entre l'ADN A-4 et celui du sujet de référence s'est effectué avec succès. Nous attendons maintenant le séquençage. Si les analyses se révèlent négatives pour le gène déficient, nous pourrons alors dire que nous avons réussi ! Après trois échecs cuisants. Nous aurons prouvé que l'on peut éliminer une tare génétique. Ce que je n'ai pas pu réussir à Sun Yat-sen ! Les moyens de SSCC sont infinis, il faut dire. Il ne nous refuse rien... Sauf peut-être l'accès à toutes les informations. Pas facile d'en savoir davantage. Dès qu'on s'aventure en dehors de notre champ de recherche... tout se referme. Janet, ma spécialiste en génétique animale et amie, est un peu comme moi : elle croit que nous ne savons pas tout... Mais elle ne désire pas en savoir plus. Moi j'aimerais bien. Mais il y a des chances que nous ayons réussi ! »

La vidéo s'arrête brusquement. Adan démarre la suivante :

« Ça y est ! Nous avons eu les résultats. Nous avons réussi ! L'entrecodage entre deux ADN sur une espèce animale est une réussite. Je n'en reviens pas ! Nous pourrons ainsi prévenir des maladies et enrayer des tares génétiques. Je ne pensais... »

« Professeur ?» fait une voix féminine en arrière-plan.

« J'arrive. »

L'écran redevient noir. Adan parcourt le journal. De nombreuses pages sans vidéos. Il tente de déchiffrer ce que le scientifique a laissé comme renseignements. Ses yeux s'accrochent sur un code « A-1 à A-8 : Alpha. Sujet viable et en développement. Résultats d'analyse : ... »

Suivent des lignes et des lignes de résultats divers. Adan se creuse la tête pour comprendre mais cela ne ressemble à rien de ce qu'il connaît. Il voit bien des symboles chimiques et des concentrations, des ppm, mais rien de commun avec ses connaissances. Peut-être le Docteur Naisha saura mais pour l'heure, elle ronfle profondément au-dessus de la tête du journaliste, Adan poursuit sa lecture du dossier et voit deux autres vidéos. Il enclenche le suivant :

« Les sujets sont en développement. Ils semblent en santé. Le stade de la morula a été atteinte très vite, en seulement deux heures. Il y a eu création de la crête neurale, l'ébauche du cerveau et du cœur embryonnaires beaucoup plus rapidement que normal. Nous avons donc huit embryons d'une semaine qui présentent tous les organes normaux, à première vue d'un fœtus, et l'on perçoit déjà les bourgeons des membres ! C'est un développement si accéléré que l'équipe n'a pas eu le temps d'avoir recours à l'implantation in vivo chez une mère porteuse. Nous avons donc choisi d'oser le bassin expérimental. Il s'avère jusqu'ici adéquat. Étant le seul scientifique ayant un peu d'expérience obstétrical, j'ai été officiellement nommé tuteur médical des Alphas. J'ai soulevé quelques interrogations... disons "d'ordre éthique″ mais on m'a rapidement rassuré par le fait que les bouts d'ADN utilisés sont brevetés et appartiennent au SSCC ! Donc, les clones n'ont aucune identité juridique et aucune législation ne se portera contre nos recherches qui n'ont que le but louable de soigner l'humanité. Je... Je ne sais qu'en penser. La surveillance est accrue. J'ai des craintes mais... Que puis-je faire ? Au fond, je ne suis que le spécialiste du tronçonnage et de l'épiation des ADN, devenu par la force des choses obstétricien de service. Encore heureux qu'il me laisse dans cette équipe restreinte. Mes autres collègues font des miracles de génie ! Les avancées effectuées en si peu de temps sont extraordinaires ! »

On voit le professeur pensif qui arrête lentement la caméra.

Adan reste figé... Un clone ? De l'ADN breveté ? Un développement extra vivo ?

Il enclenche la vidéo suivante :

« C'est une fille ! La seule du groupe qui a survécu jusqu'à ce stade. Elle est le sujet A-6. Mais je préfère l'appeler Alva. Elle se développe très vite. D'un poids inférieur à la normale au bout d'un développement extra utero de trois mois seulement. Elle serait restée dans la cuve plus longtemps. Elle ne semblait pas souffrir de son immersion, mais nous avons déterminé, selon sa physiologie, qu'elle était à terme. C'est Janet et moi qui avons eu l'honneur de la "mettre au monde" si on peut appeler cela comme ça. Son premier regard ! Je n'ai pas d'enfant, mais pour moi c'est tout comme. Je sais que cette expérience est hors normes et probablement très tordue, éthiquement parlant, mais je ne peux que rester pantois devant le résultat incroyable. J'en viens à complètement oublier de quitter le laboratoire... Je dors même ici dans la chambre que nous avons aménagée pour elle. Janet ne me comprend pas. Je ne crois pas qu'elle approuve aussi. J'ai même des craintes qu'elle nous quitte. Elle a sa petite famille et elle ne peut s'empêcher de faire des parallèles. Elle a demandé sa mutation ailleurs. »

L'écran s'obscurcit à nouveau. C'est Alva... Alpha. La première !

Le doigt d'Adan démarre la vidéo suivante :

« Alva a maintenant un mois de vie mais une physiologie d'un enfant d'un an. Tout se déroulait bien mais depuis une semaine, la petite est malade. Une forte fièvre et un ralentissement de ses fonctions vitales. Elle ne bouge presque plus. Je ne sais pas quoi faire. Les directeurs du projet me disent que je me suis trop attaché ! Si Janet était là ! Elle est partie de son plein gré mais aussi très brusquement sous la pression des directeurs du projet. Je n'ai pas réussi à la rejoindre depuis. Je pense que la petite avait un développement incomplet lors de sa sortie de la cuve. Ce sont mes conclusions que j'ai déposées devant les chefs de labo. À la lumière de mes analyses, ils sont d'accord : demain, si les symptômes persistent, nous la remettons dans la cuve... »

On voit le professeur s'essuyer les yeux nerveusement et éteindre. Adan cherche la prochaine vidéo qui vient après des pages entières de données :

« Elle semble guérie. Je ne peux expliquer ce qui s'est passé. La cuve l'a apparemment sauvée... Quoique je pense que c'est surtout ces filaments rougeâtres qui l'ont protégée. Je n'ai pas réussi à en conserver. Ils ont fondu à la fin du processus. Mais voilà, comme le démontre mes examens, Alva a maintenant les caractéristiques d'un enfant de quatre ans. Son développement physique est déficient et elle ne parle pas. Cependant elle est très attentive et réfléchie. Alva réussit facilement des tests cognitifs destinés aux enfants de huit ans. Elle me suit partout dans le labo. Je n'ose plus quitter les lieux... J'aimerais que ce soit elle qui le quitte. Les directeurs de labo m'ont demandé de lui faire une panoplie de tests... Ce n'est pas humain ce qu'ils font ! Ils n'ont pas le droit ! »

Le professeur baisse la tête et dans le bas de l'image on aperçoit le haut d'une petite tête blonde très pâle et une petite main se tend pour tirer sur des poils de la barbe grise et blanche du scientifique qui sourit en retenant la petite main dans la sienne. Puis, la caméra se ferme.

Adan parcourt avec hâte la dernière page de données. Une dernière vidéo datée de huit jours plus tard :

« Voilà, c'est organisé : je vais évacuer Alva et la cacher de mon mieux le temps qu'il me faudra pour lui donner une identité officielle. Elle se développe encore par à-coups. Cependant le labo ne veut plus la garder. Il semblerait que dans une autre bâtisse, les sujets Bêta sont en bonne voie de donner de meilleurs résultats que les Alphas. Ici, nous sommes déjà dépassés. Je crois qu'ils vont détruire toute trace de notre passage ... J'ai peur que cela inclue aussi Alva. Je ne peux pas les laisser faire. Je trouverais un moyen de pallier au rejet de la partie de son ADN que j'ai indexé à celui du sujet extra... 2EXT... Elle est douée, incroyablement douée (il sourit). Je dois lui montrer à parler comme tout le monde... Sinon, une fois dehors... Je ne peux pas croire que je m'apprête à faire ça. Ils doivent la croire éliminée. Je dois être malin. Jamais je n'aurais cru qu'être généticien serait si dangereux ! »

Avec un air décidé, le professeur cesse la vidéo.

Adan ne trouve rien d'autre dans le dossier. Il demeure les yeux sur l'écran. Alva est donc un sujet de clonage. Et Broot ? Bêtas... Aussi probablement. Leurs ressemblances proviendraient des mêmes échantillons d'ADN et leurs développements sont probablement semblables. Les Máo bīng . Finalement, l'homme à la barbe blanche dont parlait le gamin, c'est bien le professeur Schäfer. Il est en quelque sorte leur créateur mais sans en être l'initiateur. Il était attaché à Alva, il l'a fait sortir du labo, il l'a soignée et protégée. Il aura tenté de sauvé aussi Broot. De le faire évader mais n'a pas pu compléter la manœuvre. Le hasad aura conduit le petit jusqu'à Adan. Le hasard ? Le destin...

Il aperçoit alors Naisha qui l'observe par-dessus le bras de son fauteuil. Elle le regarde avec un air entendu en portant le café à ses lèvres et en remontant ses genoux sous son menton :

— Merci pour le café !

Adan reprend le sien, puis lui fait signe de la tête tout en lui demandant :

— Les Vidéos ? Vous les avez vus ?

— Tu peux me tutoyer Adan. Oublie mon titre et tout le toutim. Nous sommes tous embarqués dans la même galère. C'est bien ce nouveau visage !

Adan acquiesce avec un sourire, en passant sa main sur son menton imberbe. La docteure reprend :

— Les vidéos du journal ? Oui, je les ai vues. On comprend mieux. Sans tout comprendre.

— Il y en a d'autre ?

— Non, répond-elle avec une moue. J'aurais bien aimé. Seulement les sept du journal. Ensuite, des tas de données, des tests. Je comprends la plupart mais il y a des notes qui me dépassent. Mais, je n'ai pas fini d'éplucher tous les dossiers. Je crois que je me suis endormie.

— Reposée ? demande Adan en posant l'ordinateur au sol près de lui tout en se retournant pour faire face au docteur.

— Oui, ça va. Et le petit ?

— Il dort, répond Adan en désignant l'autre extrémité de la grande salle où il peut voir la blancheur de la chevelure du petit qui se découpe sur les draps bleus. Je ne vous... t'ai pas remercié pour hier.

— Pourquoi ?

— Ton aide et... cette attitude, disons « flexible», face aux circonstances et surtout pour avoir sauvé Broot.

— Tu sembles très proche du petit.

— Oui, une rencontre du destin on dirait, avoue Adan avec un doux sourire.

- Tu sais, le destin nous place en des lieux... Je le constate avec ma propre expérience. Petite docteure de famille. Mon chemin à croisé Michewa Gan, ou « Monsieur Shen Liang » ! Oui, il vaut mieux être « flexible » avec lui. Il m'a habitué à bien des entourloupes depuis le temps. Tu réalises qu'on s'est croisé par le passé Monsieur Lescaux ! Lorsque Gan t'a ramené ici.

— C'était toi, il y a deux ans ? déduit Adan.

La docteure opine de la tête.

— Et j'ai suivi Mich depuis ce temps-là, avec Mark : Canton, Genève... Et ici.

— Donc tu connais sa femme ?

— Sa femme ? hésite l'indienne... Ah oui, je vois de qui tu parles. Oui, je la connais.

— Elle attend un enfant.

— Il te l'a déjà dit ! Surprenant. Il a exigé de nous le secret absolu. Tu es vraiment spécial Adan. Le « Boy scout » le « Dǎn da ».

Adan sourit à cette appellation.

— Il me traite aussi d'idiot ! laisse-t-il tombé avec une moue.

Báichī ... Oui... Moi aussi j'y ai eu droit quand je les ai rejoints là-bas.

— Pourquoi un secret ? ose demander Adan doucement.

— C'est à lui de t'en parler. Mais, ce n'est pas un caprice. Il en va de sa sécurité. À elle et à l'enfant. Mich m'en voudrait de dévoiler cette histoire....

— En effet.

— Peut-être ne devrions-nous même pas en parler, réplique l'indienne d'un air énigmatique.

— Toi tu le sais ?

— Secret professionnel...

Elle garde ensuite le silence avec un sourire avant de se lever de son fauteuil. En passant devant Adam elle lui déclare :

— Oui, souhaitons que je ne le regrette pas. Ma conscience en a déjà assez lourd. Je m'en voudrais d'être responsable de la souffrance d'un autre innocent.

Elle donne sa tasse à Adan :

— Merci pour cette caféine !

Elle n'en dit pas plus. Adan la regarde s'éloigner vers l'infirmerie. Il reste perdu dans ses réflexions, les yeux fixés sur Broot, endormi dans le lit bleu.


*******

shīfù : maître enseignant (connotation de père avec fù)

Polymerase chain reaction, M.Kary Mullis, usa, Nobel chimie 1993


Ref

(Human génome organisation)

National Center for Biotechnology Information USA

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