Chapitre 62

April

Nous avons gagné.

Je me répète cette phrase tel un mantra, encore et encore, comme si elle pouvait me convaincre que tout cela est réel. Mais l'euphorie de la victoire ne vient pas. Je suis exténuée, mon corps entier crie son besoin de repos, et tout ce que je voudrais, c'est m'effondrer dans un lit et dormir pendant des heures. Pourtant, nous sommes toujours là, assis dans les gradins, à attendre que tous les étudiants reviennent.

Le jour s'est déjà levé depuis un moment, baignant le gymnase d'une lumière crue et impersonnelle. Les Novices ainsi que ceux qui n'ont pas participé à l'examen ont été brutalement tirés de leur sommeil, convoqués ici sans explication.

Rahoul et moi avons été attrapés peu après avoir perdu contact avec les autres. Les professeurs, furieux, n'ont pas manqué de nous rappeler que nous serons sévèrement punis pour avoir pénétré dans une salle interdite. Sans nous laisser protester, ils nous ont escortés jusqu'au gymnase 6, où nous avons été contraints de nous asseoir en silence.

Plus tard, Jaylan, Jonas et Konan nous rejoignent. Ils ont récupéré leurs uniformes scolaires, nettoyés et impeccables, comme si rien ne s'était passé. Je les observe, cherchant des indices sur ce qu'ils ont vécu. Jaylan finit par lâcher, d'une voix tendue :

— Quand ils nous ont encerclés, les soldats nous ont conduits à l'intérieur du bunker. Hugue Voss... il n'a pas résisté. Il s'est laissé abattre sans broncher.

Je fronce les sourcils.

— Quoi ? Il a juste... accepté ?

Jaylan hoche la tête, les lèvres serrées.

— Oui. Une mort rapide et totalement stupide.

Je n'arrive pas à comprendre. Pourquoi se rendre sans se battre ? Pourquoi a-t-il abandonné aussi facilement ? Cette question tourne en boucle dans mon esprit, mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage.

Un grésillement résonne dans le gymnase, puis la voix de Monsieur Dumas s'élève :

— Bien le bonjour à tous !

Il se tient sur l'estrade, affichant son éternel sourire professionnel, indifférent à l'état d'épuisement général.

— Pardonnez ce réveil brutal, mais il était impératif de vous rassembler immédiatement.

Des soupirs agacés montent des gradins, mais personne n'ose protester ouvertement. Très vite, le silence retombe, pesant, presque menaçant.

— L'examen s'est terminé plus tôt que prévu, annonce le professeur d'un ton enjoué. Et nous avons une équipe gagnante !

Un frisson me parcourt.

— Félicitations à Konan McAllister, Jonas Arington, Jaylan O'vils, Rahoul Gosselin et April Collins.

Mon nom résonne dans le gymnase, et immédiatement, tous les regards se tournent vers nous. On nous fait signe d'approcher de l'estrade. Je me lève avec difficulté, mes jambes lourdes, tremblantes. Jaylan et Jonas m'aident à escalader les marches sous des applaudissements mous, sans enthousiasme.

— Comme promis, poursuit Dumas, vous recevez chacun cinq Jokdaris, ainsi que le droit d'ajouter une nouvelle loi au futur règlement intérieur.

On nous tend les petits badges métalliques, et je les prends machinalement. Je devrais être soulagée, reconnaissante, mais tout ce que je ressens, c'est une angoisse sourde. Ces récompenses ne sont qu'un piège de plus, une illusion de pouvoir dans un système qui nous broie tous.

Je serre le badge dans ma main. Il pourrait être ma clé pour la liberté. Mais combien de temps avant qu'on essaie de me le voler ?

L'homme reprend la parole, et sa voix se fait plus grave :

— Maintenant, nous allons procéder aux éliminations. Comme prévu, les cinq équipes ayant obtenu les scores les plus bas doivent se présenter.

Un silence de plomb s'abat sur la salle extérieure. Puis, d'un coup, la panique éclate. Des étudiants tentent de fuir, bousculant les rangées de gradins dans un chaos désespéré. Mais c'est inutile. Les mercenaires sont trop nombreux. En quelques minutes, ils rattrapent tous les fuyards et forcent vingt-cinq élèves à se ranger au centre de la piste, sous la menace des mitrailleuses.

Mon cœur bat trop vite. Non, c'est impossible. Ils ne vont pas...

Les premiers tirs claquent, brisant mes espoirs. Une rafale après l'autre, sèche, implacable. Les corps tombent les uns après les autres, s'effondrant dans un bruit sourd sur le sol. Le sang se répand, formant des flaques sombres qui s'étalent sur le béton froid du gymnase.

Un cri m'échappe, étouffé par les hurlements des Novices. Je recule, incapable de détourner le regard. Mes jambes tremblent, mes larmes coulent sans que je puisse les retenir. C'est un cauchemar. Un véritable cauchemar qui se déroule sous nos yeux, et nous sommes impuissants.

Je serre mon badge dans ma main tremblante, le métal froid contre ma paume moite. Tout ici est absurde. Tout est cruel. Rien n'a de sens, et pourtant, c'est moi que l'on regarde comme si j'étais l'étrangeté dans ce monde fou.

— Maintenant que ce problème est réglé, le temps que nous changions de chef d'établissement, vous serez en vacances prolongées.

Un silence plane un instant, comme si l'information avait du mal à se frayer un chemin dans l'esprit de chacun. Puis, comme si aucun camarade, aucun ami à eux ne venait d'être froidement exécuté sous leurs yeux, des cris de joie éclatent. Certains se lèvent d'un bond, d'autres se prennent dans les bras, l'euphorie les emportant sans le moindre égard pour les cadavres encore tièdes sur le sol du terrain.

Je reste figée, incapable de comprendre comment ils peuvent passer d'une horreur absolue à un enthousiasme débordant en une fraction de seconde.

— Dès demain soir, vous serez raccompagnés chez vous, au moins pour trois semaines. Vous pouvez disposer.

Aucune hésitation. Aucun regard en arrière. Personne ne perd de temps, et très vite, les gradins se vident dans un brouhaha de discussions excitées.

Et moi, je reste là, au centre, à réfléchir.

Rentrer chez nous.

Cette autorisation ne me concerne en aucun cas. Je n'ai pas de maison à retrouver, pas de famille qui m'attend de l'autre côté de ces murs. Mais alors... où vais-je aller ? Vont-ils simplement me laisser ici, seule, à errer dans les couloirs vides d'un bâtiment déserté ?

Un frisson me parcourt.

— Aprilou...

Je sursaute légèrement et pivote vers la voix qui vient de me tirer de mes pensées. Jonas me regarde, un sourire pétillant sur les lèvres, comme si rien de tout cela ne l'affectait.

— On te doit une fière chandelle, dit-il en s'approchant. Sans ta maladresse, on n'aurait jamais gagné.

Je rougis malgré moi tandis que les quatre garçons m'assaillent de remerciements, chacun y allant de sa petite phrase, de son sourire, de sa tape sur l'épaule.

— Je dois t'avouer que je jouais la comédie quand je t'ai demandé pardon, avoue l'homme qui, il y a des semaines, avait tenté de m'agresser.

Mon cœur rate un battement. Mes muscles se tendent.

— Mais cette fois, poursuit-il, je suis on ne peut plus sincère. On te doit la vie.

Avant même que je ne puisse reculer, il saisit mes mains, et mes béquilles tombent bruyamment sur le sol.

Je sens la panique monter en moi, mais elle se heurte à quelque chose d'étrange. Une part de moi veut croire en ses paroles. Une part de moi veut croire que tout cela n'est pas qu'un autre mensonge, une autre mascarade.

— Sans toi, on aurait agi exactement comme ils l'auraient prévu, soupire Rahoul. On se serait précipités tête baissée, et on aurait fini à l'infirmerie sous surveillance constante.

Je devrais leur dire d'arrêter cette comédie. Je devrais leur rappeler à quel point ils ont été odieux avec moi. Mais au fond... recevoir ces éloges, ces marques de gratitude, fait du bien.

Un bien immense.

Je n'aurais jamais cru qu'ils dépasseraient un jour leur misogynie, mais il faut croire que je me suis trompée...

— Quand tu le veux, on retravaille avec toi ! s'exclame Konan en tendant la main pour caresser mes cheveux blonds platine, emmêlés et sales.

Je cligne des yeux, déstabilisée par tant de spontanéité.

— D'accord, murmuré-je timidement.

Et là, sans prévenir, les larmes montent. Pas des larmes de tristesse, ni de douleur. Juste un trop-plein d'émotions, une pression qui s'évapore enfin après des heures de tension insoutenable. Cette fois, je n'ai pas honte de pleurer.

— Allons dormir ! s'écrie Jaylan en m'attrapant par la main.

Je hoche la tête, incapable de parler, et Jonas ramasse mes béquilles de son unique main. Ensemble, ils me guident hors du gymnase, me soutenant avec une aisance surprenante. Konan marche à mes côtés, et ce n'est qu'une fois devant mon dortoir que je réalise...

— Attends... Depuis le début, tu dors ici, toi aussi ?

Konan éclate de rire.

— Ça alors, t'as vraiment mis du temps à le remarquer, Collins.

Un petit sourire m'échappe.

Quand je m'allonge enfin sur mon lit, les draps froids contre ma peau fatiguée, mon esprit s'apaise un instant. Mais aussitôt que mes paupières se ferment, une image s'impose à moi.

Malcolm.

Comment ai-je pu ne pas penser à lui pendant aussi longtemps ?

Un poids s'abat sur ma poitrine. Je l'ai abandonné. Ou peut-être que c'est lui qui m'a abandonnée.

Je m'endors sur cette pensée, le cœur lourd et l'esprit en proie au doute.


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