Chapitre 54
Malcolm
C'était une erreur. C'est la première chose à laquelle je pense en me réveillant, mes bras toujours enroulés autour de la taille fine d'April, sa peau chaude contre la mienne, sa poitrine toujours dénudée sous les draps en désordre. Son souffle régulier caresse mon cou, et malgré moi, un frisson me parcourt. Une erreur. Une putain d'erreur.
Je savais que ça irait trop loin... ça n'a pas loupé. J'aurais dû m'arrêter, j'aurais dû faire demi-tour avant qu'il ne soit trop tard. Mais dire que je n'ai pas aimé ou que je ne la désire pas encore plus serait un mensonge éhonté. Je serre les mâchoires, agacé par moi-même. Je dois vraiment arrêter cette obsession. Rien ne va plus. Elle n'est qu'une distraction, un parasite qui me détourne de l'essentiel. J'ai un putain de projet, et tomber amoureux de cette conne ne ferait que le compromettre.
Avec précaution, je me détache d'elle et me lève, sentant immédiatement le vide glacial laissé par son absence contre ma peau. J'enfile un nouveau caleçon, puis mon uniforme, les gestes mécaniques, la tête ailleurs. Je repousse les draps d'un coup sec, jette un regard vers April, qui remue légèrement dans son sommeil. Elle est belle. Et bonne. C'est ça, le problème. Je secoue la tête et me ressaisis.
Je me saisis de mon short de sport et d'un t-shirt, ainsi que de mon pull, pour les mettre dans mon sac de cours. Chaque mouvement est précis, réfléchi. Ne rien laisser paraître. Quand je suis enfin prêt, je quitte la chambre, mais pas sans un dernier regard. Avant de claquer la porte derrière moi, je veille à laisser un uniforme propre sur le fauteuil à côté du lit. Qu'elle ne vienne pas se plaindre.
Pas question d'aller prendre mon petit-déjeuner, non. Mon estomac est noué, et je n'ai pas le temps pour ça. Il y a plus important. Je vais rejoindre mon cousin et mon frère. Leur demander de partir tout de suite. L'attente me brûle, me ronge. Si on le tue dans la journée, alors l'école sera fermée de force pour un bon moment. Tous les élèves seront réquisitionnés chez eux, et moi, je pourrai revoir le Patriarche. Je pourrai me purger de mes erreurs. De toutes mes erreurs.
Ensuite, il ne me restera plus qu'à enchaîner les coups forts avec la conne. L'anéantir jusqu'au bout. Écraser cette faiblesse ridicule qui commence à me ronger de l'intérieur. Rien de plus simple.
— Je te manquais ? me provoque Nicolaï, à peine ai-je franchi le seuil du bureau de Wyatt. Son sourire en coin m'agace aussitôt.
— Alors toi, ferme bien ta gueule de laiteux si tu veux pas que je t'étripe ! m'énervé-je, mes poings se crispant presque malgré moi.
Il ricane, insupportable. Son arrogance me donne envie de lui enfoncer le crâne dans le mur.
— Oh ça va, détends-toi ! C'est pas ma faute si t'es mal baisé !
Il n'a pas le temps d'esquisser un mouvement que je l'ai déjà plaqué contre le mur le plus proche, mon avant-bras pressé contre sa gorge. Je sens son souffle se bloquer un instant. Futur Patriarche ou non, il n'en reste pas moins faible comparé à moi. Il le sait. Je le vois dans son regard, ce bref éclat de doute avant qu'il ne reprenne son air narquois.
— Allez, petit frère ! Calme-toi. Si tu veux, je t'offre une pute.
Je suis à la limite d'accepter, l'idée me traverse, tentante, presque salvatrice. Mais penser au sexe me fait penser à elle, et c'est exactement ce que je veux éviter.
Ses mains autour de ma queue tendue.
Non. Faux que j'arrête. Je ferme les yeux une seconde, chasse l'image avec rage. Hors de question qu'elle hante mes pensées maintenant. Je relâche brusquement Nicolaï, qui se redresse avec un sourire suffisant, comme si rien ne s'était passé.
Sans lui accorder un regard de plus, je vais m'asseoir en face du maître des lieux, et affiche un sourire froid.
— Je veux qu'on procède aujourd'hui.
Wyatt soupire, lasse habitude chez lui. Il jette un coup d'œil nonchalant à un petit écran posé sur son bureau. L'image y est floue, tremblante, mais on distingue un homme en train d'uriner sur un autre dans une cellule. Un amusement pervers traverse ses traits avant qu'il ne repose son attention sur moi.
— Ne sois pas si pressé, voyons.
— Je veux rentrer au Manoir au plus vite, expliqué-je, ma voix tranchante comme une lame.
— Je comprends, mais nous ne sommes pas prêts. Ton père n'est pas n'importe qui.
Je serre les dents. Je le sais, bien sûr. C'est précisément pour ça que je veux en finir au plus tôt.
Wyatt se tourne vers Nicolaï et l'interpelle :
— Nicolaï, je croyais que tu étais pressé ?
Mon frère acquiesce avant de se rapprocher, prenant appui sur le bureau en bois.
— On aura tout ce qu'il faut ce matin, à priori...
— D'accord. Alors si possible, dès que tous les élèves sont couchés, on attaque.
Mon cousin se lève et serre ma main. Son regard brille d'une excitation contenue. Tout est en place.
Je quitte le bar souterrain sans un mot de plus et me dirige vers la salle polyvalente pour le rassemblement. Mon cœur bat à un rythme lent, méthodique. Cette nuit, pas question d'adresser ne serait-ce qu'une seule fois la parole à cette conne.
***
April
Je me suis réveillée seule dans son lit, l'odeur de sa peau encore imprégnée sur les draps froissés. Pour seul vêtement, je n'avais qu'une culotte et mes attelles, vestiges d'une nuit que j'aurais préféré oublier. L'air était froid, ou peut-être était-ce mon propre corps qui frissonnait sous le poids du souvenir.
Les images de la veille me sont revenues avec une brutalité implacable, me laissant suffoquer sous une vague de honte. Chaque détail, chaque toucher, chaque regard... Je voulais tout effacer.
Me redresser m'a pris un effort immense, comme si mon propre corps refusait de bouger, engourdi par la culpabilité. J'ai rassemblé mes forces, m'habillant difficilement, chaque mouvement me rappelant mon état de faiblesse. Puis, sans un bruit, j'ai attrapé mes béquilles et mon sac à dos, fuyant cette chambre qui me semblait soudainement étrangère.
En arrivant dans la salle polyvalente, j'ai avancé parmi les élèves, cherchant un coin où me poser. Et puis, je l'ai aperçu. Lui. À sa place habituelle. Son dos droit, son attitude impassible, son regard fixé ailleurs... Pas un seul coup d'œil dans ma direction. Pas une once d'attention. Comme si je n'existais pas.
Tu n'as été qu'un coup d'un soir, Apy !
Une douleur sourde s'est installée dans ma poitrine, un mélange amer de colère et de déception. Je n'ai pas cherché à forcer son regard. À quoi bon ? Au lieu de cela, j'ai baissé les yeux et suis allée m'isoler en silence, l'estomac noué, attendant l'entrée de Monsieur Dumas.
— Bonsoir à tous, chers élèves !
La voix du professeur résonne dans l'immense amphithéâtre, imposante et maîtrisée. Il s'avance lentement jusqu'à son pupitre, une liasse de feuilles entre ses mains. Son regard balaye un instant l'assemblée, comme s'il cherchait à capter l'attention de chacun.
Tous répondent en chœur, obéissants, presque mécaniques. Tous, sauf moi. Je garde le silence, les bras croisés, observant la scène avec une lassitude discrète. À quelques rangées de moi, Malcolm adopte sa posture habituelle : avachi sur son siège, un rictus moqueur au coin des lèvres, comme si rien de tout cela ne le concernait. Rien ne le concerne jamais vraiment.
— Je ferai l'appel un peu plus tard, car avant, j'ai une annonce importante à faire.
Il tapote du bout des doigts la surface de son pupitre. Un bruit sec, méthodique, qui semble amplifier la tension dans la salle. Aussitôt, des murmures parcourent les rangs comme une vague souterraine. Ils sont particulièrement audibles du côté des Adeptes et des Prétoriens. Ces groupes d'élite ont beau se croire supérieurs, ils ne sont pas les plus discrets. Ironique, quand on sait qu'ils sont censés donner l'exemple.
— À partir d'aujourd'hui, vous serez tous en examen de fin de trimestre.
Un silence pesant s'abat pendant une seconde, puis l'explosion survient.
— Mais pourtant, il est loin d'être terminé ! s'indigne un Novice, la voix tremblante d'incompréhension.
— Ouais, c'était pas prévu ! renchérit un Adepte, les sourcils froncés.
Le tumulte gagne du terrain. Les protestations fusent de toutes parts, et même les plus studieux échangent des regards inquiets. Il n'y a que Malcolm qui garde son éternel sourire amusé, comme si la situation l'amusait plus qu'autre chose.
— Si-lence !
La voix du professeur claque comme un coup de fouet, suivie d'un violent coup de poing contre le pupitre. Un frisson parcourt l'assemblée et les bavardages s'éteignent aussitôt. Dumas inspire profondément, son regard acéré scrutant les élèves un par un, pesant chaque respiration retenue, chaque muscle tendu par l'appréhension.
— Dans peu de temps, il risque d'y avoir du grabuge dans l'établissement, alors le proviseur a pris ses précautions.
Un murmure plus sourd, plus grave, s'installe. Cette fois, ce ne sont plus des protestations mais des inquiétudes. Du grabuge ? Quel genre de grabuge ?
— À la fin du rassemblement, toutes les classes d'Adeptes et de Prétoriens seront convoquées aux gradins. J'espère que vous avez profité de ce dernier week-end de repos, car désormais, fermer ne serait-ce qu'un seul œil pourrait être fatal.
Une vague de frissons traverse la salle. L'atmosphère s'alourdit, teintée d'une menace à peine voilée. Dumas laisse planer un silence, savourant peut-être l'effet de ses paroles. Il observe la salle avec une satisfaction mesurée, jaugeant les visages crispés, les poings serrés, les respirations contenues.
C'est un événement hors du commun, c'est évident. Même ceux qui feignent l'indifférence sont touchés par cette annonce.
— Pour ce qui est des Novices, vous resterez ici jusqu'à ce que quelqu'un vienne vous donner les instructions.
Les plus jeunes acquiescent sans broncher. Eux, au moins, semblent prendre les ordres avec un calme presque irréel. Ou peut-être n'ont-ils tout simplement pas conscience de ce qui se joue réellement.
Monsieur Dumas reprend enfin ses feuilles et commence l'appel. L'amphithéâtre, après le chaos des annonces, retrouve un silence solennel. Pourtant, ce n'est pas un silence ordinaire. Il est chargé d'attentes, de craintes, de soupçons à peine dissimulés.
Et quelque part, au fond de moi, un mauvais pressentiment commence à germer.
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