Chapitre 39
April
Et j'ai raison. Environ deux minutes plus tard, mes poignets sont fermement attachés à l'arrière du dossier de la chaise, mes bras tendus et contraints dans une immobilité totale. Je jette un regard furtif autour de moi. Il en est de même pour mes deux amis, leurs visages déformés par la colère, la frustration et la peur. Je déglutis difficilement, mon cœur battant dans ma gorge, tandis que je perçois le bruit de pas lents, mesurée, venant dans ma direction.
Je relève la tête, mes yeux se fixent sur l'homme qui s'approche de moi d'un pas tranquille mais prédateur. Son sourire est froid, presque amusé.
— Je crois que nous avons mal commencé, tous les deux, dit-il d'une voix mielleuse, l'air faussement courtois. Pardonnes-moi. Je me présente : Nicolaï Vladimir Voss. J'ai vingt ans et je suis un ancien élève de Hollowspire. J'étais le premier de cet établissement, et aussi président du conseil des étudiants.
Il tend sa main, une invitation silencieuse, mais je n'ose pas la saisir. Pourtant, il la garde là, dans l'air, avant de la retirer lentement, presque comme un jeu cruel. Ce geste me fait l'effet d'une moquerie. C'est comme tendre une barre chocolatée à une personne sans bras. C'est une blague sinistre, un humour noir qui n'a pas sa place ici. Pourtant, pour moi, c'est encore pire. Mes bras sont simplement attachés, privés de toute liberté. Une humiliation supplémentaire.
— Et toi ? Présente-moi qui tu es, me demande-t-il, le regard pénétrant.
Je me sens piégée. La voix grave de Jaylan, dure et ferme, m'intime de ne pas répondre, de ne pas me livrer. J'aperçois le visage blême de Ricardo, figé, effrayé, et quelque chose dans son regard me fait frissonner. Mais avant que je puisse réagir, un bruit sec résonne. Un baillon est placé sur la bouche du blond aux yeux bleus, le coupant dans son élan, l'empêchant de prononcer le moindre mot, d'émettre la moindre protestation. Tout devient plus lourd, plus sombre. Nos respirations se mêlent, accélérées, dans cet étau de silence et de menace. Mais l'ombre de Nicolaï ne semble jamais s'éloigner, un spectre intangible qui règne sur la scène.
— April Anabelle Collins. J'ai seize ans.
— Joli deuxième prénom, dis-donc, murmure-t-il avec un sourire en coin, comme si cette information avait la moindre importance.
Il marque une pause, son regard se faisant plus perçant, presque scrutateur.
— Tu es donc la petite pute de mon frère ? C'est... fantastique !
L'ignoble sourire qu'il arbore me donne la nausée. Mon estomac se noue, et je manque de vomir sur place. Il croit vraiment que j'ai... fait ça avec Malcolm ?
— Tu te trompes totalement, craché-je, incapable de contenir ma colère.
Son expression change à peine, son sourire persistant comme une cicatrice gravée sur son visage.
— J'ai oublié de te dire, mais il est évident que tu n'as aucun droit de parler si je ne t'en donne pas l'autorisation, lâche-t-il d'un ton qui se veut calme, mais chargé de menace.
— Tu ne peux pas m'en empêcher, rétorqué-je, ma voix tremblante, mais résolue.
Pour la première fois depuis que je suis arrivée dans cette école, je décide de ne pas me laisser faire. Je refuse d'être réduite au silence, surtout pas ici, à Hollowspire, où le moindre signe de faiblesse peut devenir une arme contre soi.
Il lève un sourcil, comme surpris par ma résistance, puis il se met à sourire à nouveau, cette fois avec une étincelle cruelle dans les yeux.
— J'ai tous les pouvoirs ici. Et tu sais pourquoi ?
Je secoue la tête, imperceptiblement, mon souffle suspendu.
— Parce que je vais devenir le nouveau proviseur de cette école, annonce-t-il avec une arrogance glaciale.
Mes yeux s'agrandissent sous le choc, mon cœur ratant un battement.
— C-comment ? P-pourquoi ?! balbutié-je, déconcertée par cette révélation inattendue.
— Chut... souffle-t-il, posant un doigt sur ses lèvres comme pour me réduire au silence.
Il se penche vers moi, son visage beaucoup trop près du mien, et un frisson glacé me parcourt l'échine.
— Ce n'est pas le sujet. Le vrai sujet, c'est toi, April, continue-t-il en détachant ses mots avec une précision chirurgicale.
Je penche légèrement la tête sur le côté, confusément intriguée malgré moi.
— Tu es la seule femme ici. Personne ne t'a encore dérangée parce que, pour eux, c'est encore nouveau, cette situation. Ils ont été habitués à ne voir des figures féminines à Hollowspire que lorsque le Conseil des étudiants organisait des soirées avec... des invitées spéciales, si tu vois ce que je veux dire.
Un frisson de dégoût me traverse, mais je m'efforce de ne pas détourner les yeux.
— Je ne suis pas au courant pour le Conseil, murmuré-je, les sourcils froncés, tentant de comprendre où il veut en venir.
— Bien sûr que non, seuls les élites des élites en connaissent l'existence. Mais dois-je te rappeler que je t'ai demandé de garder le silence ? ajoute-t-il, sa voix se durcissant légèrement.
Je hoche la tête, malgré la boule de colère qui monte dans ma gorge.
— Vous m'avez demandé de vous rejoindre ici, tout ça pour nous ligoter, mes amis et moi. Alors vous me devez bien une explication, articulé-je d'un ton plus ferme que je ne m'y attendais.
Il éclate de rire, un rire froid, presque mécanique.
— Je ne dois rien à des femmes, petite pute, lâche-t-il avec un mépris glaçant. Et fais bien attention à toi, parce qu'il ne me faut qu'un geste pour que ce gentil et protecteur Jaylan se fasse trancher la gorge.
Mon regard se tourne instantanément vers mon ami, la panique montant en moi. Derrière lui, un Prétorien se tient prêt, une lame dangereusement proche de sa gorge. La lumière crue de la pièce se reflète sur le métal, rendant la scène encore plus oppressante. Le blondinet pourtant, ne bouge pas. Il reste immobile, stoïque, mais je vois dans ses yeux une alerte silencieuse, un avertissement que je ne peux pas ignorer.
— Voilà qui est mieux, soupire l'albinos lorsqu'il n'entend plus le son de ma voix. Ses mots sont calmes, mais chargés d'un plaisir pervers à me voir contrainte. Mes sourcils restent froncés, exprimant ma colère muette, même si je n'ose plus parler.
Il sourit à nouveau, satisfait de son contrôle, tandis que je sens le poids de ma position.
Après un nouveau signe de tête de Nicolaï, un autre Adepte est contraint de se mettre à quatre pattes devant moi, son dos tendu comme un banc humain. Je reste figée, tentant de ne pas montrer mon dégoût. Cosy, le mec. Mais surtout pathétique. Comment peut-on accepter un tel traitement sans se rebeller ?
— Comme je le disais, tu es la seule femme ici, et ça signifie plusieurs choses... énormément de choses, commence-t-il avec un sourire carnassier.
Je sens un frisson désagréable remonter le long de ma colonne. Il parle calmement, mais chacun de ses mots est imprégné d'un mépris glaçant. J'aimerais lui répondre, lui cracher à la figure, mais mon regard glisse vers Jaylan, toujours maintenu en joug. Une lame effleure dangereusement la peau de son cou, et le sang-froid apparent de mon ami me terrifie encore plus que la menace. Quant à Ricardo... Il semble ailleurs, comme piégé dans un cauchemar éveillé. Ses yeux, si vivants d'ordinaire, sont devenus vides, éteints. Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? Pourquoi est-il dans cet état ? Une peur sourde m'empêche de poser la question.
Je reste donc silencieuse, serrant les poings pour canaliser ma colère et mon impuissance. L'homme blanc continue, savourant son moment de domination absolue :
— Dans quelques jours, j'ai prévu un petit coup d'éclat. Une révolution personnelle, si tu préfères. Mon père, bien sûr, est au courant. Il m'observe, curieux de savoir si je suis capable de lui arracher son trône. Et crois-moi, quand je réussirai, tout changera à Hollowspire.
Il marque une pause, scrutant mes réactions comme un prédateur qui jauge sa proie. Je soutiens son regard, mais mes mains attachées tremblent légèrement malgré moi.
— Les femmes, poursuit-il avec une lenteur exaspérante, ne seront plus seulement des distractions offertes aux élèves lors de soirées organisées en secret... Non, non. J'ai de bien plus grands projets ! Chaque mois, je ferai venir des prostituées, de tous âges, rien que pour eux. Et elles ne seront pas gratuites. Oh non. Ces plaisirs devront se mériter. Ils se gagneront ou s'achèteront, un système parfait pour motiver les troupes à donner le meilleur d'eux-mêmes.
Mes lèvres s'entrouvrent sous l'effet de la stupéfaction. Je n'en reviens pas. Ce monstre pense vraiment que le corps féminin peut être réduit à un simple outil de récompense, un objet de commerce ? Et il veut inculquer ces pratiques à des enfants ? Tout cela pour en faire des hommes encore plus monstrueux une fois adultes ? Une nausée insupportable me prend à la gorge.
— Oh, ma chère April, ricane-t-il. Je vois que cela te bouleverse. Mais il ne s'agit pas que de plaisirs sexuels, tu sais ? Nous avons bien d'autres... activités ici. Tu ne tarderas pas à les découvrir, puisque je vais t'y emmener faire un petit tour.
Non. Hors de question. Je ne veux pas savoir. Je secoue la tête, tentant de me dégager, mais une poigne ferme s'abat sur mes épaules, m'écrasant contre le dossier de ma chaise. Mon corps est immobilisé, et un sentiment d'impuissance absolue m'envahit.
— N'oublie pas, chuchote Nicolaï avec un sourire sadique, que si tu te débats, si tu cries, ou si tu parles sans ma permission... je tuerai ton précieux Jaylan. Bon, il faut voir le bon côté des choses, au moins je n'arracherais pas la vie de ton autre ami. Il m'est trop précieux. Et toi aussi tu ne mourras pas, ou plutôt pas encore. Et pas sous ma mains, à ma plus grande déception...
Je serre les dents, à deux doigts de hurler.
— Joyeux anniversaire, Ricardo ! ajoute-t-il soudain, se tournant vers mon autre ami.
Le jeune homme reste immobile, comme un pantin désarticulé. Son état me brise le cœur. Que lui a-t-il fait pour qu'il soit réduit à ce point ? Je veux lui tendre la main, mais une voix intérieure me souffle que je ne pourrais rien faire. Comme d'habitude.
Le frère aîné de Malcolm tape dans ses mains, brisant le silence.
— Bon, j'en ai assez ! J'ai des projets à mener, alors passons aux choses sérieuses. Droguez-les et emmenez-les là-bas.
Mon cœur rate un battement. Non. Non, non, non. Je commence à me débattre malgré moi, mais une seringue apparaît dans le champ de vision, et une main agrippe mon bras.
— Malcolm viendra me sauver ! craché-je avec une détermination désespérée.
Nicolaï éclate de rire, un rire glacial et cruel.
— S'il en est capable, ma chère.
— J'en suis s-
Mais je n'ai pas le temps de terminer ma phrase. La piqûre est rapide, et une chaleur insidieuse se répand dans mes veines. Mon corps s'alourdit. Mes paupières se ferment, malgré mes efforts pour les garder ouvertes. Et, avant de sombrer dans l'inconscience, je réalise que je viens de me mentir à moi-même.
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