Chapitre 32
April, plusieurs mois plus tôt
Les vacances d'été semblent interminables. Et pourtant, elles viennent à peine de commencer... Nous sommes le 8 juillet. Si encore nous avions de quoi nous occuper, peut-être aurions-nous moins hâte que les cours reprennent. Mais dans les circonstances actuelles, l'attente est un supplice. C'est l'ennui total, un vide pesant, oppressant, que rien ne semble pouvoir combler.
Cela fait des heures que Christale et moi sommes assises dans le salon, silencieuses, à attendre que maman daigne ouvrir les yeux. Elle est là, affalée sur le canapé, immobile comme une statue de cire. Son visage est fermé, creusé par la fatigue ou autre chose, on ne sait plus vraiment. Sa peau, si pâle, semble presque translucide sous la lumière fade qui filtre à travers les rideaux. Ses cernes noirs, profonds, s'étirent comme des ombres menaçantes autour de ses yeux clos.
Mais ce qui me frappe le plus, ce sont ces deux seringues. Toujours plantées dans son bras, comme si elles faisaient partie d'elle. Une vision insoutenable qui me donne la nausée.
J'aimerais tellement nettoyer cette table encombrée, débarrasser toutes ces saletés qui s'y entassent : les sachets, les restes de poudre, les bouteilles vides. Tout ce qui nous rappelle, chaque seconde, à quel point maman a sombré. Mais je n'ose pas. La dernière fois, quand on a tenté de ranger, elle nous a frappées. Sa colère était terrifiante, incontrôlable. "On ne touche pas à ma cocaïne !" avait-elle hurlé. C'était un cri viscéral, presque animal. Pour elle, cette poudre est sacrée, indispensable. Parfois, elle semble la calmer, mais souvent, elle fait surgir le pire : des crises de rage, des paroles tranchantes, et cette violence sourde, toujours prête à exploser.
Je déteste ça. Je déteste qu'elle se drogue. Je déteste qu'elle boive. Tout cela ne fait qu'alimenter sa bipolarité, un monstre insatiable qui grignote ce qu'il reste de notre famille. Avec Christale, nous avons tout essayé pour l'aider. Mais quoi faire ? Cela dure depuis tellement longtemps. Peut-être depuis toujours.
Quand papa était encore là, il tentait de la raisonner, en vain. Mais après sa mort, tout s'est effondré encore plus. Tout. Cette nuit-là, je m'en souviens comme si c'était hier. Il voulait nous emmener loin, loin d'elle, loin de ses crises, de ses excès. Mais elle l'a compris avant qu'il ne puisse agir. Elle lui a préparé un dernier café. Je revois encore son sourire étrange, presque soulagé, quand elle disait que ce serait mieux pour nous de partir. Et puis, il a bu cette boisson. Quelques heures plus tard, il était mort.
Les médecins n'ont jamais pu, ou voulu, nous expliquer les circonstances exactes. Mais Christale et moi, nous savions. Nous savions que ce n'était pas un simple accident.
Après ça, tout a changé. Maman a décidé de fuir, encore. On a quitté l'Allemagne pour l'Italie. Florence, cette ville magnifique, aurait pu être un nouveau départ pour nous. Mais ça n'a rien arrangé. Elle a replongé. Lentement, inexorablement. Chaque jour, elle s'enfonçait un peu plus dans la déchéance. Et nous, ses filles, étions entraînées avec elle, impuissantes.
— Elle ouvre les yeux !
Le cri de ma sœur me tire de mes pensées. Je lève les yeux juste à temps pour voir maman qui commence à bouger. Ses paupières se soulèvent doucement, comme si le simple fait de revenir à la réalité était une épreuve insurmontable.
Christale m'attrape par le bras, m'entraînant un peu plus loin. Nous savons qu'il faut rester prudentes, attendre. Observer. Dans quelle phase sera-t-elle ? Douce et fragile ? Ou furieuse et incontrôlable ?
— Vodka ! hurle-t-elle à mon intention, sa voix brisant le silence pesant de la pièce.
Je reste figée, mon souffle coupé. Ma gorge s'assèche soudainement, comme si les mots s'étranglaient avant de pouvoir franchir mes lèvres. C'est Christale qui finit par répondre, sa voix tremblante :
— I-il y en a plus... désolée...
Un silence glacial s'installe. Amanda Collins, se redresse lentement. Elle s'assied au bord du canapé, ses yeux vides fixant le tapis beige usé qui recouvre le sol. Ses mains viennent frotter son visage, un geste qui pourrait presque sembler humain, comme si elle essayait de reprendre ses esprits.
Christale et moi échangeons un regard et la tension dans nos épaules se relâche un peu. Peut-être, juste peut-être, que cette fois, la tempête est passée. Mais cette lueur d'espoir est rapidement éteinte. Amanda relève la tête, et ses yeux, désormais remplis de rage, se posent sur nous.
— Comment ça, il n'y a plus de vodka ?! rugit-elle en se levant brusquement, les poings serrés.
Sa voix gronde comme un orage prêt à éclater.
Nous reculons instinctivement, nos respirations s'accélérant.
— Je vous ai pourtant demandé d'en racheter ! Ce n'est pas compliqué !
— M-mais, on n'a pas le droit... tente faiblement Christale.
Son hésitation ne fait qu'attiser la colère de notre génitrice.
— Si, puisque je vous l'ai permis, bandes de connes ! crache-t-elle, avançant vers nous d'un pas menaçant.
— On est mineures, maman... réplique ma paire d'une voix à peine audible.
Cette dernière phrase semble la heurter plus que tout. Ses yeux s'enflamment et sa voix éclate, furieuse :
— Je vous interdis de m'appeler comme ça ! Vous n'en êtes pas dignes ! Quand on est des gentilles filles obéissantes, on fait plaisir à sa maman ! Or vous ne l'êtes pas.
Je déglutis difficilement tandis que Christale tente une fois de plus de désamorcer la situation.
— Je t'assure qu'on aimerait vraiment... mais...
Elle n'a pas le temps de finir. La gifle claque dans l'air avant de s'abattre sur sa joue. Le bruit sec résonne dans la pièce, et tout en moi se fige. Je reste sans voix, incapable de réagir, mon esprit chamboulé, comme à chaque fois.
— Petite ingrate de merde ! hurle-t-elle. Je vous ai donné la vie, bordel de merde ! Vous me devez tout ! Tout ce que vous avez, c'est grâce à moi ! Et vous, vous n'êtes même pas capables de me ramener une putain de bouteille d'alcool pour mon réveil !
Christale tente de parler, de calmer les choses, mais sa voix est étouffée par la colère déchaînée de notre mère.
— Ce n'est pas ça... murmure-t-elle, les larmes aux yeux.
Mais Amanda ne veut pas entendre. Elle saisit brutalement les cheveux de ma sœur et la tire sans ménagement jusqu'au canapé. Christale pousse un cri étouffé de douleur, et je recule d'un pas, mon corps tremblant de peur.
— Maman, arrête ! j'ose murmurer, mais ma voix se brise avant qu'elle n'atteigne ses oreilles.
Amanda la pousse violemment sur le canapé, s'assied sur elle et s'empare d'un oreiller. Avant que je puisse comprendre ce qui se passe, elle lui écrase sur le visage, l'empêchant de respirer.
Je suis paralysée. Mes jambes ne répondent plus. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, mais je ne parviens pas à bouger. Tout mon corps est figé par la peur, et mon esprit hurle, impuissant.
Je vois ma jumelle se tortiller, essayer de se dégager, mais elle est trop faible. Elle cherche désespérément de l'air, ses bras battant faiblement. La culpabilité me ronge de l'intérieur. Je suis une mauvaise sœur. Je ne fais rien. Je ne sers à rien.
Mes mains viennent agripper mes cheveux, comme pour tenter de faire sortir la douleur. Je me sens déchirée, incapable de détourner les yeux de ce cauchemar qui se déroule sous mes yeux. Les secondes s'étirent en une éternité. Christale ne bouge presque plus.
Je tombe à genoux, mes jambes cédant sous le poids de mon désespoir. Les larmes coulent sur mes joues, brûlantes.
— Christie... je murmure, incapable de dire autre chose.
Et puis, tout bascule.
Je relève la tête et vois une silhouette se dresser devant moi. Une femme que je ne reconnais pas. Elle attrape Amanda par les épaules et la tire violemment en arrière, la séparant de ma sœur.
— Ça suffit ! tonne-t-elle d'une voix ferme, tranchante.
Ma génitrice vacille, déstabilisée par cette intervention inattendue. Christale tombe sur le côté, son souffle rauque et désespéré me parvient comme un poignard dans le cœur.
Il a fallut que quelqu'un intervienne. Alors qu'il s'agissait de ma sœur. Parce qu'encore une faut, j'ai été incapable.
La seule chose pour laquelle je serre c'est pour elle de tenir psychologiquement. Et pourtant, je suis certaine qu'elle vivrait bien mieux sans le poids de mes faiblesses.
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