Chapitre 27
April
— Voilà, je te laisse ici.
Je hoche la tête, légèrement hésitante, tandis que le beau brun aux yeux brisés lâche ma main. Ses doigts glissent lentement des miens, comme s'il regrettait de rompre ce contact. Il se penche légèrement près de mon oreille, son souffle chaud chatouillant ma peau, et murmure une dernière instruction.
— À 23h pile, je te rejoins devant le gymnase 1 pour que nous allions déjeuner ensemble.
Sa voix est douce, mais ferme, comme s'il me faisait une promesse qu'il n'envisageait pas de briser. Sans me laisser le temps de répondre, il se redresse d'un bond, me jette un dernier regard furtif, puis fait volte-face. Ses pas résonnent brièvement sur le sol avant qu'il ne parte en courant, disparaissant au détour du couloir.
Je reste plantée là quelques secondes, essayant de calmer le léger flottement dans mon estomac. Devant moi, l'entrée de la salle 101 s'impose, sobre mais intimidante. L'inscription métallique sur la porte brille sous les néons. Je prends une grande inspiration et m'avance, le cœur battant légèrement plus vite que je ne le voudrais.
Mes futurs camarades commencent à arriver, parlant à voix basse entre eux. Certains me lancent des regards curieux, d'autres ignorent complètement ma présence. Un garçon s'approche, un sourire un peu niais aux lèvres, l'air de celui qui n'a pas peur d'aller au-devant des choses.
— Salut, April !
Je sursaute légèrement en l'entendant parler en anglais. Pourtant, tout à l'heure, dans la salle polyvalente, ils s'étaient exprimé dans une autre langue, sa langue, et je m'étais étonnée de tout comprendre instinctivement.
— Bonsoir, murmuré-je dans sa langue, hésitant sur la prononciation mais assez confiante pour ne pas bafouiller.
Il sursaute à son tour, ses yeux s'écarquillant légèrement.
— Comment est-ce que tu comprends ce qu'on te dit ? Comment tu sais parler notre langue ?
Je hausse les épaules avec nonchalance, bien que sa surprise me flatte un peu. Puis je reprends en anglais :
— Je suis plutôt douée pour apprendre les langues. Il me suffit d'entendre quelqu'un parler plusieurs fois et ça ira. Mais pour l'instant, je sais juste dire bonsoir et comprendre quelques trucs...
— Magnifique ! s'exclame-t-il, sincèrement impressionné. En tout cas, moi c'est Ricardo ! Si jamais tu as besoin d'aide pour t'intégrer, n'hésite pas.
Il tend sa main droite vers moi avec enthousiasme, et je la saisis sans hésitation.
— Tu es blessée ?
Son regard s'attarde sur le bandage léger qui entour mon poignet. Instinctivement, je retire la main.
— Oui, mais ça ira, dis-je en hochant légèrement la tête.
Il opine du chef, semblant accepter ma réponse sans insister. Il me guide alors vers le reste du groupe, me présentant à plusieurs camarades. La plupart semblent méfiants, leurs regards scrutant chaque détail de mon apparence comme s'ils cherchaient une faiblesse. L'ambiance est tendue, probablement due à une certaine compétitivité. Pourtant, le simple fait que je sois une fille semble adoucir certains d'entre eux, et l'accueil devient rapidement cordial, même chaleureux pour certains.
Quelques minutes plus tard, un homme en uniforme entre précipitamment dans le couloir. Il doit être le professeur, car il s'excuse brièvement avant d'ouvrir la porte de la salle. Sa voix grave résonne, mais je ne saisis qu'un mot sur deux.
— Allez, on entre !
Ricardo et un autre garçon, plus silencieux, me poussent gentiment vers le premier rang. Leur enthousiasme me fait sourire, bien que je ressente une légère appréhension en sentant les regards du groupe converger vers moi. Une fois installée, je remarque que le professeur, un homme chauve et rigide, écrit son nom au tableau : Silas Renfield. Juste en dessous, il inscrit le titre de la matière : Stratégie et manipulation.
Je sors mon cahier, notant ces informations avec soin. Autour de moi, les murmures se calment rapidement, et l'homme commence à parler. Sa voix est stricte, autoritaire, et... incompréhensible. Je me sens un peu perdue jusqu'à ce que le garçon assis à ma gauche se penche vers moi.
— Il ne parle que le dovlandais, me souffle-t-il en anglais. Ne t'inquiète pas, on te traduira tout.
Je le gratifie d'un sourire timide, murmurant un « merci » à peine audible.
— Moi, c'est Jaylan, ajoute-t-il, me tendant la main.
Je la prends doucement.
— April.
L'instituteur continue ses explications, et je parviens à saisir quelques éléments ici et là, bien que mes pensées soient souvent dispersées, un peu perdues dans le flot d'informations. Le rythme est un peu rapide, mais je fais de mon mieux pour suivre, prenant quelques notes au fur et à mesure. Un peu plus tard, il marque une pause, et je me rends compte qu'il a probablement lancé un exercice.
— On a un devoir noté à faire pendant ces deux heures, me traduit Jaylan, sa voix rassurante brisant la concentration que j'essayais de maintenir.
— Je vais te dicter en anglais l'instruction, d'accord ? Poursuit Ricardo, d'un ton calme mais déterminé.
J'opine du chef, posant mon stylo sur la table, prête à noter les consignes.
Puis, d'une voix plus douce, presque murmurée pour ne pas perturber les autres élèves, il commence à dicter lentement, et je tente de suivre au mieux, écrivant en même temps que lui :
Contexte : Vous êtes chargés de représenter deux royaumes fictifs en conflit depuis des années, Arvonia et Thaloris, lors de négociations diplomatiques. L'objectif est de parvenir à un accord favorable à votre camp tout en limitant les concessions.
Il marque une pause, me laissant le temps de prendre note, et je secoue légèrement ma main, une douleur sourde me rappelant que mon poignet est encore loin d'être complètement rétabli. Écrire n'est pas encore une tâche facile, et l'exercice commence à me sembler un peu plus compliqué que prévu. Je prends une profonde inspiration, décidée à finir ce que j'ai commencé.
Objectifs : Identifier les forces et faiblesses de votre position et de celle de l'adversaire ; Utiliser des techniques de manipulation subtiles pour influencer votre interlocuteur ; Formuler des stratégies d'argumentation et de contre-argumentation efficaces.
Je fronce les sourcils en lisant les objectifs. Cette histoire de manipulation m'intrigue. Je n'avais pas imaginé qu'un simple devoir pourrait comporter des aspects aussi stratégiques, aussi... machiavéliques. Mais je m'efforce de ne pas trop me laisser distraire, et je continue d'écrire, le stylo glissant difficilement sur la feuille.
Consigne : Par groupe de deux ou trois, choisissez un des royaumes soigneusement. Pour Arvonia, vous devez développer une stratégie afin de récupérer une île stratégique, sachant que Thaloris la contrôle. Vous avez une armée affaiblie mais de riches ressources naturelles que Thaloris convoite. Et pour ceux qui choisissent Thaloris, vous devez trouver une méthode pour repousser vos ennemis car vous refusez de céder l'île. Cependant, vos réserves d'or sont presque épuisées, et vous avez besoin des ressources d'Arvonia pour stabiliser votre économie.
Le jeune homme s'arrête enfin de parler, et je relève la tête. Je suis presque soulagée de voir qu'il a terminé. Un petit sourire se dessine sur mes lèvres, bien que je sache que ce devoir va me demander une concentration que je n'avais pas anticipée. J'ai à peine le temps de poser mes yeux sur la feuille que Ricardo se penche vers moi pour me demander si je suis prête à commencer. Je hoche la tête, bien qu'une petite voix dans ma tête me fasse douter de mes capacités à jongler avec les différentes stratégies qui s'offrent à nous. Pourtant, je me sens intriguée par ce défi.
— Comment doit-on procéder ? demandai-je aux jeunes hommes, me tournant à droite puis à gauche. Je vous avoue que je n'ai jamais participé à ce genre de cours...
— Oui, on se doute. Mais on fera tout pour que tu te sentes bien, répond Jaylan avec un sourire rassurant.
Mon cœur se réchauffe petit à petit en entendant ses mots. Pour être honnête, à cause de la nuit où les élèves ont dû nous poursuivre pour essayer de nous tuer, moi et toutes les autres personnes qui ont été achetées et conduites ici, je pensais que tous les élèves étaient des monstres incapables de gentillesse. Mais il semble que je me sois trompée. Ils ont l'air vraiment sympathiques. Peut-être que ce ne sera pas si terrible d'être captive ici, après tout...
Tu recommences à voir tout comme un monde de bisounours, April... C'est ridicule, s'insurge ma voix intérieure, pleine de mépris.
Je la chasse immédiatement. Après tout, il vaut mieux ça que tomber dans une dépression, se laisser engloutir par le désespoir, et finir par me suicider. Loupant ainsi l'opportunité d'un jour revoir ma jumelle, de vivre enfin un peu de liberté et de paix, même si cela paraît impossible dans cet endroit. Je me force à ignorer la voix sombre dans ma tête, la repoussant à l'arrière-plan, et je me concentre sur le moment présent. Peut-être qu'une lueur d'espoir peut encore surgir, si je sais où chercher.
— Déjà, choisis quel royaume tu préfères, dit Ricardo en me lançant un regard sérieux.
Je me sens un peu déstabilisée par la question, mais je leur obéis instinctivement. Mon regard se pose sur les mes notes, les mots flous sous l'impact de ma fatigue. Un soupir m'échappe tandis que je réfléchis. Mon esprit s'emballe en essayant d'analyser les stratégies possibles, mais une petite voix me dit qu'il vaut mieux opter pour la solution la plus simple, celle qui me semble la moins risquée.
— Je dirais... Thaloris, finis-je par dire, un peu incertaine.
Un rire presque inaudible s'échappe de Ricardo.
— Tu as déjà tout faux, soupire-t-il dans un ton qui se veut amusé, mais qui cache une pointe de déception.
— Pourquoi donc ? demandai-je, sur la défensive.
Il me regarde un instant, semblant peser mes mots, puis il se redresse légèrement, comme pour mieux m'expliquer.
— On apprend depuis tout petits ici que nous devons être les premiers à attaquer, m'explique Jaylan, d'un ton calme mais ferme. L'attaque est la clé de tout. Thaloris est trop défensif, trop hésitant à prendre des risques. Nous, on prendra Arvonia, et on trouvera le moyen de dérober l'île de nos ennemis. C'est plus audacieux, et c'est plus d'impact.
Je hoche la tête, mais au fond de moi, je suis sceptique. Pourquoi Arvonia et pas Thaloris ? Pourquoi se lancer dans un terrain si incertain, alors que Thaloris semble avoir tout ce dont ils ont besoin pour gagner ? Oui ils n'ont plus d'or, mais les armes ne sont pas en or... Je ne comprends rien !
Je ne suis pas du même avis, mais je garde ma réflexion pour moi. Je n'ai pas le luxe de discuter ou de remettre en question les idées de mes camarades. D'un côté, je pourrais toujours tenter de leur expliquer ma logique, mais je sais qu'il suffit d'un mot de travers pour me faire remarquer. Si je me fais remarquer, je suis certaine que le proviseur n'hésitera pas une seconde à me tuer, à me faire disparaître sans même cligner des yeux. C'est un risque que je ne peux pas prendre.
Alors, je me contente d'acquiescer, ne montrant ni désaccord ni enthousiasme, essayant de ne pas laisser mon malaise transparaître. Après tout, ici, il vaut mieux se fondre dans la masse, rester discrète. C'est la seule manière de rester en vie.
— D'accord, dis-je finalement, le regard détourné, tout en griffonnant des mots sur mon carnet, sans vraiment y prêter attention.
Nous commençons à travailler, ou plutôt eux, car je ne comprends pas vraiment l'idée d'apprendre ce genre de chose. Pourquoi sommes-nous là, à étudier des stratégies de manipulation, de guerre, et de négociation ? Est-ce que l'objectif est de faire de moi un simple instrument dans les mains de leur dictateur, de me transformer en un de ces marionnettes obéissantes qu'ils s'efforcent de créer ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi m'auraient-ils intégrée à leurs cours ? Qu'est-ce que je suis censée apprendre ici, exactement ? Et puis, surtout, qui a pris cette décision de me faire participer à ce genre de programme ? Qui, parmi eux, a pensé qu'il était judicieux de m'impliquer dans leurs plans, sachant à peine qui j'étais ou ce que j'avais vécu avant d'arriver ici ?
Mes pensées s'embrouillent un peu plus à chaque question sans réponse. Je n'arrive même pas à comprendre pourquoi j'ai été mise dans ce cours, ni quelle est ma place dans cette nouvelle vie. Est-ce que tout cela a un sens ? Est-ce que quelqu'un savait que, pendant des jours, j'ai été enfermée dans le placard de la chambre d'un de leurs étudiants, une situation que j'aurais préférée oublier ?
Je secoue légèrement la tête pour chasser ces pensées. Il est inutile de s'attarder là-dessus. Après tout, ce qui est fait est fait, et je n'ai d'autre choix que d'essayer de survivre ici, d'une manière ou d'une autre.
C'est alors que la voix du professeur me tire de mes réflexions.
— Il dit que nous allons devoir faire un débat sur les deux points de vue, annonce Jaylan, d'un ton calme, sans se détourner du tableau.
Je hoche la tête sans grande conviction, mon esprit encore embourbé dans mes interrogations. Une nouvelle vague de confusion m'envahit. Un débat... sur quoi, exactement ? Les royaumes en guerre, les stratégies de manipulation, ou est-ce quelque chose de plus personnel ? Je peine à saisir l'ampleur de l'exercice, et cette absence de compréhension me met mal à l'aise. Pourquoi ai-je été mise ici, en plein cœur de ce genre de projet ?
— Je ne pense pas pouvoir tout saisir... dis-je à voix basse, à peine consciente de mes propres mots.
Jaylan lève la main sans hésiter, et pose une question à Monsieur Renfield, le professeur, avant de se rassoir tranquillement. Il ne semble pas aussi perturbé que moi, comme si ce genre de situation était tout à fait normal. Peut-être qu'il a l'habitude de ces jeux de pouvoir, de ces manipulations constantes.
— Ils vont tous devoir parler en anglais, m'explique-t-il, d'un ton qu'il cherche à rendre rassurant. Pas de souci, tu t'en sortiras.
Je le regarde, les sourcils légèrement froncés, essayant de comprendre si c'est vraiment aussi simple que ça. Mais dans cette atmosphère tendue, j'ai du mal à voir comment tout ça va se dérouler.
— Merci, murmurai-je en retour, ne sachant pas vraiment si je devrais en dire plus.
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