Chapitre 17
Malcolm
— Mange, petite conne.
Ma voix claque dans l'air du placard exigu, une pointe d'agacement perçant sous mon ton autoritaire. Je tends un sandwich à la blonde recroquevillée dans un coin, son visage pâle à peine visible dans la lumière vacillante. Elle lève les yeux vers moi, mais ne fait aucun geste pour saisir la nourriture.
— Soit, comme tu veux. Mais ne viens pas réclamer quoi que ce soit plus tard.
Elle acquiesce doucement, presque mécaniquement, comme si cela allait de soi, comme si le simple fait de se nourrir lui semblait futile ou indigne.
Je la fixe une seconde de plus, frustré par son obstination silencieuse, avant de détourner les yeux. Je n'ai pas le temps pour ses caprices. D'un geste brusque, je tire un pantalon noir d'uniforme propre de l'étagère qui déborde de vêtements froissés.
— Ferme les yeux !
Elle obéit sans protester, pivotant lentement pour faire face au mur, ses épaules frémissant à peine sous la lumière crue. Ses cheveux emmêlés tombent en cascade sur son dos, cachant partiellement les ecchymoses qui marquent sa nuque. Je serre les dents en me changeant à la hâte, mes gestes rapides et nerveux, comme si le simple fait de me tenir ici, avec elle, était une perte de temps.
Enfilant mon uniforme, je jette un coup d'œil à ma montre. 18h35. Merde. Je suis déjà en retard pour le rassemblement en salle polyvalente.
Je verrouille la porte derrière moi avec un cliquetis sec, glissant la clé dans ma poche. D'un geste vif, je saisis mon sac d'une main et sors de la pièce, fermant les yeux un instant pour tenter d'évacuer la tension qui me colle à la peau.
Tout ça pour elle.
Il avait fallu que je lui trouve quelque chose à bouffer, que je perde de précieuses minutes à descendre à la cuisine et fouiller dans le frigo pour lui ramener ce putain de sandwich. Et pour quoi ? Pour qu'elle le regarde comme si je lui avais tendu un piège.
Fais chier.
Mes pensées s'emballent alors que je traverse les couloirs déserts de l'Académie, l'écho de mes pas résonnant dans le silence. Je ne sais même pas pourquoi je m'emmerde avec elle.
— Vous n'aviez pas été en retard depuis quatre ans, me fait remarquer Monsieur Dumas dès que je franchis le seuil du grand hémicycle.
Sa voix, neutre mais teintée d'un soupçon d'irritation, résonne dans la vaste salle silencieuse. Je ne prends même pas la peine de répondre, me contentant de hocher la tête avant de me diriger vers mon coin habituel. Toujours le même siège, légèrement en retrait, là où je peux observer sans être trop exposé.
— Bon, je peux noter Malcolm présent. Nous allons pouvoir reprendre.
Monsieur Dumas se racle la gorge avec une emphase théâtrale, puis frappe dans ses mains pour attirer l'attention. Tous les regards se tournent vers lui, et un silence respectueux s'installe immédiatement. Deux hommes en uniforme entrent alors dans la pièce, portant une pile de feuilles qu'ils tendent au professeur avec un professionnalisme glacé.
— Les résultats de l'examen d'hier, clarifie-t-il en brandissant les documents.
Une vague de murmures enthousiastes parcourt la salle, une excitation palpable s'installe. Je reste impassible, les bras croisés, fixant un point imaginaire devant moi.
— Il faut dire qu'ils nous ont plutôt surpris... Mais je ne vais pas m'attarder sur nos réactions et abréger, car les cours commencent bientôt, reprend-il, sa voix légèrement teintée de sarcasme.
Il ajuste ses lunettes et parcourt rapidement la liste qu'il tient entre ses mains.
— En première position : Austin, Normand et Konan, qui ont abattu pas moins de vingt-huit proies en l'espace de quelques minutes. En plus de cela, avec une prestation digne de l'élite.
Des applaudissements nourris éclatent dans la salle polyvalente, certains se tournant pour féliciter les premiers de la classe d'un signe de tête ou d'un sourire. L'éloge est exagéré, mais ici, la compétition est reine, et chacun sait qu'un tel score est rare.
— Par contre, poursuit Monsieur Dumas en baissant légèrement le ton, en dernière position : Félix, Rahoul... et Malcolm.
Le silence se fait brutalement, comme si l'air lui-même avait été aspiré hors de la pièce. Tous les regards se tournent vers moi, certains curieux, d'autres moqueurs. Je sens la pression de leurs yeux, mais je ne bronche pas. Mon attitude désinvolte reste intacte.
— Cher Malcolm, continue-t-il d'un ton plus tranchant, votre comportement a porté préjudice à vos deux camarades à l'instant même où vous avez décidé de faire bande à part.
Sa voix, maintenant plus ferme, laisse transparaître une légère colère contenue.
— Comme si cela ne suffisait pas, il nous a été rapporté que vous avez bastonné l'équipe composée de Jérémya, Jonas et Yonald. Vous n'avez respecté aucune règle, aucune consigne.
Quelques ricanements discrets se font entendre dans le fond de la salle, mais je reste de marbre, les bras toujours croisés. Qu'ils parlent. Ça ne change rien.
— C'est pour cette raison, conclutt-il avec un soupir, que vous écoperez d'une punition. Nous vous contacterons dès qu'elle aura été décidée.
Je hausse les épaules avec indifférence, un geste si nonchalant qu'il semble presque provoquer davantage l'assemblée. Leur système de sanctions est aussi ridicule que leurs règles. Rien ici ne m'impressionne, encore moins leur pseudo-autorité.
— Très bien, reprend le professeur, visiblement agacé par mon absence de réaction. Sur ce, vous pouvez sortir.
Quelques secondes avant la sonnerie de 18h55, il nous fait signe de quitter la salle. Je me lève lentement, attrape mon sac et me dirige vers la large porte par laquelle je suis entré, sans un regard pour les autres. Les murmures reprennent derrière moi, mais je n'y prête aucune attention.
Le couloir est vide, et l'air froid me mord la peau alors que je marche d'un pas lent. Tout ça n'est qu'un jeu. Un jeu où les règles ne sont qu'une illusion de contrôle.
Je jette un coup d'œil rapide à mon emploi du temps.
Salle 23, cours de Langage codé et cryptographie avec Hargrove. Sans doute le professeur le plus simplet de toute l'Académie. Sa manie de bafouiller à chaque question imprévue et de répéter les consignes trois fois le rend presque caricatural. Mais bon, au moins, c'est l'un des rares cours où je peux m'asseoir dans le fond et somnoler en paix sans qu'on me dérange.
Je m'apprête à tourner dans le couloir quand une voix furieuse, suivie d'un bruit de pas précipités, me coupe dans mon élan.
— Tout est de ta faute !
Jonas surgit derrière moi, son visage rouge de colère, et me plaque violemment contre le mur. L'impact résonne dans le couloir désert, mais je reste de marbre, le regard fixé sur un point invisible devant moi. Je pourrais facilement me dégager, il n'est pas bien costaud. Mais à quoi bon ? Encore une scène, encore des ennuis, et sans doute une autre punition à la clé. Pas envie.
— Je te conseillerais de me foutre la paix si tu ne veux pas que je te refasse la même chose que la dernière fois, lâché-je calmement, ma voix presque nonchalante, tandis que mon regard glisse vers lui avec une froideur calculée.
Il serre les poings, tremblant de rage, son souffle saccadé.
— Qu'est-ce que tu nous caches, putain ?! crache-t-il, son ton montant d'un cran. On se connaît depuis toujours, Malcolm ! Depuis qu'on est mômes ! Tu n'as jamais fréquenté personne, tu n'as jamais participé activement en classe, et pourtant tu as toujours surpassé tout le monde !
Sa voix se fait plus aiguë, presque hystérique.
— Et là, on était censés arriver premiers au classement avec notre plan ! Mais non, il a fallu que tu te mêles de ce qui ne te regardait pas !
Je soutiens son regard furibond sans ciller, un sourire ironique se dessinant sur mes lèvres.
— Tout ce que j'ai observé, c'est que vous avez littéralement sorti votre queue devant une jeune fille. Sérieusement, Jonas, vous pensiez quoi ? Que c'était une stratégie de génie ? De toute manière, Konan et sa clique ont tué bien plus de personnes que vous. Vous n'auriez jamais pu les détrôner. Encore moins si j'avais décidé de participer activement.
Son visage se tord de frustration, et je vois sa mâchoire se contracter comme s'il allait exploser.
— On avait un plan imbattable ! hurle-t-il, presque désespéré. On a tué vingt-cinq personnes, en tout et pour tout !
Je hausse un sourcil, un éclat sarcastique dans le regard.
— Ouah, bravo ! murmuré-je avec une ironie si appuyée qu'elle aurait pu couper l'air.
Il serre les dents, la colère toujours visible sur ses traits, mais avant qu'il ne puisse répliquer, l'alarme marquant le début de la nuitée retentit dans l'Académie.
Il me relâche à contrecœur, son regard brûlant toujours posé sur moi.
— Méfie-toi, grince-t-il entre ses dents. Peut-être que tu as la direction dans ta poche, mais je découvrirai ton secret, Malcolm.
Je le fixe une seconde, un sourire moqueur étirant mes lèvres. Puis, sans crier gare, j'éclate de rire. Jonas recule d'un pas, incertain, comme s'il hésitait entre m'attaquer de nouveau ou fuir.
— Mon secret ? Sérieusement ? rétorqué-je en essuyant une larme imaginaire au coin de mon œil. Bonne chance, Jonas. T'as encore beaucoup à apprendre.
Sans attendre sa réaction, je me détourne et reprends mon chemin vers la salle 23. Derrière moi, ses murmures furieux s'estompent alors que je m'éloigne.
Ce mec est définitivement la personne la plus drôle que je connaisse, sans même s'en rendre compte. S'il continu de se croire supérieur, il va vite déchanter. Il ne sait absolument rien de moi, pas la moindre chose sur ce que je suis vraiment. Tant mieux pour lui, d'ailleurs... il ne s'en remettrait pas, j'en suis sûr. Sa petite bulle de suffisance éclaterait en un instant, et il tomberait de haut. Mais ça, ce n'est pas mon problème. Rien n'est mon problème dans la mesure où ça ne me touche pas directement.
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