Chapitre 12

Malcolm, plus tôt dans lanuit

Le jour J est enfin arrivé, et une excitation nerveuse semble envahir l'école tout entière. Mercredi 1er octobre, la première date inscrite au fer rouge dans nos esprits. Aujourd'hui, c'est le premier examen des Prétoriens 3, une épreuve que tout le monde redoute sans réellement savoir à quoi s'attendre.

Je quitte mon cours de Dovlandais avec Monsieur Locke en salle 05. D'un pas vif, je me dirige vers le deuxième étage, là où se trouve la cantine.

Arrivé devant l'entrée, je présente sans un mot mes dix étoiles brodées sur ma poitrine. Ces étoiles, durement gagnées, suffisent à me garantir un passage prioritaire. Sans même un regard pour les autres, je traverse la file d'attente. Des murmures s'élèvent parfois dans mon dos, mais je les balaie de ma conscience. Ces enfants n'ont aucune idée de ce que représente l'effort.

La salle des VIP, vaste et lumineuse, dégage une atmosphère feutrée qui contraste avec le brouhaha incessant de la salle commune. Ici, tout est calme, presque luxueux. Je m'installe dans mon fauteuil habituel, légèrement en retrait. C'est mon endroit préféré, celui où je peux observer sans être dérangé.

Dans cette école, l'égalité entre élèves est une illusion cruelle. Pour mériter des privilèges, il faut se battre, travailler sans relâche et endurer. Mais la plupart des étudiants préfèrent se reposer sur des ruses ou sur leurs relations, s'offrant le plaisir mesquin de rabaisser les autres dès qu'ils en ont l'occasion. Leur hypocrisie m'écœure. Je les laisse s'agiter, perdus dans leurs jeux stupides, et préfère me concentrer sur ce qui compte vraiment.

Alors que je commence à manger, savourant ce moment de répit, une main ferme se pose sur mon épaule. Instinctivement, je saisis le bras et, d'un geste précis, écrase la personne sur la table devant moi. La violence du choc fait taire les rares conversations dans la pièce.

— Du calme ! Ce n'est que moi !

Je reconnais Rahoul, un camarade de longue date. Il est avec moi depuis nos huit ans, une constante agaçante dans ma vie. Malgré cela, je ne le relâche pas immédiatement.

— S'il te plaît, Malcolm, je viens juste te prévenir que nous sommes dans le même groupe pour l'examen de ce soir.

Avec une certaine lenteur, je le libère enfin, puis époussette mon uniforme, comme pour me débarrasser de l'intrusion qu'il représente.

— Tu comptes m'ignorer ? râle-t-il en se redressant, frottant son bras endolori.

— Tu n'es pas intéressant, alors oui. Fiche-moi la paix.

— Mais on va devoir travailler ensemble cette nuit...

Ses paroles m'agacent davantage. Je déteste qu'on essaye de me forcer la main. Je m'enfonce dans mon fauteuil, reprenant mon repas comme si de rien n'était. Pourtant, Rahoul reste planté là, hésitant, comme s'il cherchait le courage de continuer à parler.

— Tu sais quoi ? dis-je finalement, levant les yeux vers lui avec un sourire froid. Je m'en bats les couilles de cet exam ! Je ne vais pas changer mes méthodes pour satisfaire des abrutis comme vous. Je traîne seul, je vis seul, et je bosse seul. Ce ne sont pas les règles de cette école ni les attentes de nos profs qui vont changer ça.

Mon camarade ouvre la bouche, prêt à répliquer, mais il se ravise en croisant mon regard. Peut-être se souvient-il de nos cours de pratique, où j'ai prouvé à tous que ma place ici n'était pas le fruit du hasard. Il reste figé un instant, comme s'il hésitait entre la colère et la résignation, puis tourne les talons et s'éloigne.

Très bon choix de sa part. Aujourd'hui, je suis d'une humeur exécrable, et il n'y a rien ni personne qui puisse me faire changer d'attitude.

Une fois mon repas terminé, je pousse mon plateau vide de côté et jette un coup d'œil rapide à l'horloge murale. Les aiguilles brillantes indiquent qu'il est presque une heure du matin. L'air frais et paisible de la nuit ne fait qu'amplifier la tension dans l'atmosphère. Je me hâte de récupérer mon sac, vérifiant que tout est en ordre, avant de quitter la salle des VIP pour rejoindre la salle polyvalente où notre classe est attendue par le proviseur.

Dans les couloirs silencieux, mes pas résonnent, rapides mais mesurés. Alors que je descends les escaliers, la voix autoritaire du CPE retentit soudain dans les haut-parleurs, brisant le calme apparent avec une force qui fait vibrer les murs :

« Tous les étudiants Adeptes et Prétoriens sont invités à assister au déroulé de l'épreuve des dernières années, sur le terrain du sixième gymnase. Aucun retard ou manquement ne sera toléré. »

Un frisson parcourt l'air. Bien sûr, ce n'est pas une simple invitation. Ici, les règles ne laissent jamais place au choix, et cette convocation sonne davantage comme un ordre.

Sans perdre de temps, je tourne les talons et me joins au flot de mes camarades qui se dirigent déjà vers le sixième gymnase. Le couloir se remplit rapidement, des silhouettes silencieuses et déterminées marchant en masse. Les discussions murmurées se mélangent au bruit sourd des pas, créant une étrange cacophonie.

Lorsque nous atteignons l'entrée du gymnase, les projecteurs illuminent le terrain avec une intensité presque aveuglante. C'est un espace immense, presque irréel, où les gradins montent en cercle tout autour d'une vaste zone centrale. La lumière blanche éclaire chaque détail, des lignes parfaites tracées sur le sol aux moindres gestes des surveillants en uniforme.

Mes camarades montent dans les gradins et s'installent un à un, impatients ou nerveux. Certains chuchotent entre eux, spéculant sur ce qui nous attend. D'autres restent muets, concentrés ou peut-être effrayés.

De loin, je repère les élèves de ma classe, déjà regroupés au centre. Je garde mes distances, observant la scène avec attention. Comme à l'accoutumée, je me contente de rester en arrière, préférant analyser la situation plutôt que de me mêler à l'excitation générale.

Chaque mouvement, chaque détail semble amplifié par l'intensité de l'instant. La nuit est loin d'être terminée, et l'épreuve ne fait que commencer.

Soudain, toutes les lumières s'éteignent. Un silence pesant s'installe, seulement brisé par un grincement sinistre qui résonne dans l'air. Ce bruit métallique, irrégulier et presque douloureux à entendre, ne semble pas venir de loin. Mes yeux, habitués à la pénombre, cherchent instinctivement l'origine de ce son.

À travers l'ombre mouvante, j'aperçois une silhouette massive se déplacer avec lenteur. Quelque chose est transporté avec force, traîné sur le sol avec une détermination brutale. Plus cela se rapproche, plus les contours de cette chose se précisent. Mon souffle se suspend, et un frisson glacé parcourt mon échine lorsque je distingue enfin ce dont il s'agit.

Une immense cage en fer, montée sur de lourdes roulettes, avance péniblement, tirée par des gardes cagoulés. Ces hommes, aux visages dissimulés, me rappellent immédiatement ceux que j'ai aperçus l'autre soir, enveloppés dans la même aura de mystère et de danger. Leurs pas sont lents mais assurés, et l'écho de leurs bottes sur le sol accentue l'ambiance lugubre.

Mais ce n'est pas la cage en elle-même qui me coupe le souffle. Ce qui attise ma curiosité et alimente mon envie, c'est ce que je peux discerner à l'intérieur. Sous les faibles lueurs résiduelles qui percent l'obscurité, je distingue des formes humaines entassées les unes contre les autres. Des tas de personnes.

Un flash me revient : ce sont les mêmes visages que j'ai aperçus, arrachés brutalement de l'arrière des trois camionnettes. Le souvenir vif de leurs cris étouffés et de leurs corps bousculés m'envahit. Ils sont là, comprimés dans cet espace métallique, réduits à des ombres vivantes.

Mon cœur s'emballe, les battements résonnant presque dans mes oreilles. Une vague d'empressement me submerge. L'atmosphère autour de moi semble se charger d'électricité, et chaque seconde qui passe rend l'attente insoutenable.

D'un seul coup, les lumières se rallument, balayant l'obscurité et révélant la scène avec une netteté crue. Tous les regards se tournent vers le chef d'établissement, qui se dresse sur une estrade improvisée, le micro à la main.

— Bien le bonsoir à tous, chers élèves de Hollowspire Academy !

Sa voix résonne, coupant court aux chuchotements dispersés. Il marque une pause, laissant à peine le temps aux Prétoriens de se regrouper par équipe. À contrecœur, je m'approche de Rahoul et Félix, traînant des pieds.

— Voici venu le moment que vous attendiez tous avec impatience ! Les premiers examens des dernières années ! poursuit-il avec emphase, un sourire triomphant aux lèvres.

Je croise les bras, le visage fermé, affichant une indifférence calculée. Mes deux prétendus coéquipiers, échangent un regard nerveux, leurs gestes trahissant une hésitation que je ne partage pas. Je reste immobile, les laissant gérer seuls leur appréhension, mes yeux captés par une scène bien plus intrigante.

Mon regard se fixe sur les êtres déshumanisés et souillés au centre du terrain, leur silhouette projetant des ombres étranges sous l'éclat des lumières. Un intérêt non dissimulé m'envahit, bien malgré moi. Je plisse légèrement les yeux, essayant de discerner chaque détail malgré la distance.

Au milieu de cette masse désolée, une figure se détache nettement : l'adolescente aux cheveux clairs que j'avais remarquée l'autre fois. Elle est là, tout aussi terrifiée que les autres, mais son attitude détonne. Contrairement à ses compagnons, elle ne se débat pas, ne cherche pas à se faire oublier. Non, elle semble afficher un profond désintérêt pour sa propre situation, comme si tout cela ne la concernait pas.

Son attention est rivée sur la foule qui l'entoure, et, en observant son expression concentrée, je devine qu'elle s'adresse à quelqu'un. Ses lèvres esquissent des mouvements presque imperceptibles, comme si elle murmurait des mots aux petits êtres qui l'encerclent. C'est étrange, mais fascinant.

Cette fille me frappe par son absurdité. Elle a l'air aussi idiote que tous ceux qui m'entourent chaque jour, dans cette école où l'arrogance règne en maître. Pourtant, malgré tout, je ne peux détacher mon regard d'elle. C'est comme si, sans même m'en rendre compte, je l'avais choisie pour cible.

— Habituellement, il est vrai que nous organisons les épreuves notées de manière restrictive et sérieuse, mais cette année, j'ai décidé de mettre en place un événement plus... démonstrateur de ce que nous attendons de chacun d'entre vous à la fin de votre scolarité à l'Académie la plus prestigieuse du Dovland.

La voix du directeur s'élève avec une emphase exagérée, traînant sur chaque mot comme s'il s'agissait d'un discours historique. Je ne peux pas supporter ce ton que j'ai beaucoup trop entendu au cours des années passées ici et même en dehors. Ses intonations me rappellent chaque sermon, chaque annonce grandiloquente déversée sur nous comme si nous étions tous pendus à ses lèvres. Malgré tout, je me force à garder mon attention dessus, au cas où une information cruciale viendrait se glisser dans son verbiage.

— Les Novices n'ont pas obtenu la permission d'accéder à ce spectacle en raison de leur âge trop précoce, poursuit-il, comme s'il dévoilait une vérité capitale.

« Spectacle »... vraiment ? Un mot aussi grandiloquent pour décrire une épreuve ? Fascinant. Peut-être que, pour une fois, il s'agira de quelque chose de plus excitant qu'un simple examen écrit ou une démonstration de discipline militaire.

Je me retiens de rouler les yeux et laisse mes pensées dériver un instant sur ce mot, « précoce ». Cela me fait doucement rire. Y a-t-il jamais eu des âges trop précoces dans ma famille ? Certainement pas. Chez les miens, l'idée même d'être jugé inapte à cause de l'âge serait risible, voire insultante. Dès l'enfance, nous sommes façonnés, endurcis, et prêts à affronter ce que les autres appellent des « épreuves ».

Les règles et pratiques de cette école me paraissent tellement clémentes, presque risibles. J'ai déjà essayé d'en parler au Patriarche, suggérant que cette indulgence ne ferait que nous affaiblir. Mais comme toujours, le temps m'a manqué. Cinq minutes, pas une de plus, avant qu'il ne me coupe sèchement et ne me renvoie comme un serviteur fautif.

Peu importe, finalement. Tout cela n'a plus d'importance. Je n'ai plus que quelques mois à tenir dans cet endroit avant de pouvoir m'affranchir de ce système et tracer mon propre chemin. Ҫa va passer vite.

— Les règles sont simples. C'est la chasse. Vous allez devoir mettre en pratique tout ce qu'on vous a appris durant vos dix dernières années de scolarité. Les groupes de trois sont déjà formés. Ils ont été piochés au hasard et validés par tous les professeurs de l'académie.

Exactement ce que je m'imaginais. Trop simple. Beaucoup trop facile. Ce n'est même pas un défi. Ce genre d'activité, je l'ai pratiqué bien trop de fois, et pas seulement pour un simple réveil musculaire. Ce terrain, cette mise en scène... Tout ça, c'est du déjà-vu.

— Maintenant, libérez toutes les cibles !

Le son métallique des verrous qui s'ouvrent résonne, suivi par le grincement lourd des cages. Les prisonniers, hébétés, hésitent un instant avant de s'élancer en désordre. Certains courent, d'autres restent figés, pétrifiés par la peur. Tel un prédateur traquant sa proie, mes yeux plissés se fixent sur celle que j'ai déjà désignée. Une seule cible, pas plus. La jeune fille aux cheveux clairs. Elle attire mon attention d'une manière que je ne m'explique pas encore.

Mais alors que je me concentre, un murmure capté près de moi détourne mon regard.

— Ça vous tente de chopper cette blondinette, là-bas ? propose Jonas Amilton avec un sourire niais et mauvais.

Ses paroles suffisent à m'agacer, mais je reste immobile, écoutant.

— Ouais, répond un autre. On l'attrape, on la baise discrétos, puis on la bute. On a largement le temps.

Des rires étouffés s'élèvent, et je vois les autres hocher la tête avec approbation, déjà occupés à s'échauffer comme si cette infamie allait devenir un sport. Leur insouciance et leur arrogance me donnent envie de vomir.

Mon regard glacial se repose sur la jeune fille qu'ils ont désignée. Elle est déjà en mouvement, différente des autres qui restent paralysés par la peur. Elle a saisi la main d'un enfant au hasard, probablement un des plus jeunes, et court vers la sortie avec détermination. Son but est clair : sauver un maximum de personnes.

Quelle naïveté.

Son courage pourrait presque être admirable, mais il n'est qu'une preuve de son ignorance. Elle n'a aucune chance. Ils n'en ont aucune. Elle mourra, et ceux qu'elle tente de protéger aussi.

Je pivote lentement vers mes deux camarades, laissant planer un silence pesant. Un détail crucial me revient en tête : les groupes ne peuvent pas être brisés sans risquer une punition terrible. Ce genre de menace ne m'effraie pas, loin de là, mais l'idée d'avoir des alliés, même temporaires, pourrait se révéler utile. Peut-être, juste cette fois, je pourrais tenter de manipuler la situation pour avoir quelques personnes dans ma poche.

— On attrape la fille.

Ma voix est ferme, tranchante, et mes mots résonnent comme un ordre irrévocable. Il n'y a pas de place pour la discussion.

— Tu ne peux pas nous obliger ! rétorque Félix en soupirant, l'air exaspéré. On doit travailler ensemble, tu sais, et élaborer une stratégie.

Je me tourne vers lui, mes yeux lançant des éclairs de mépris. La faiblesse de ce genre de raisonnement m'irrite profondément, mettant ma déjà maigre patience à rude épreuve. Je pourrais les convaincre de suivre mes plans sans trop de difficulté, mais je préfère éviter les éclats inutiles. La discrétion est une arme puissante, et je compte bien l'utiliser pour survivre à cette année et en sortir gagnant.

— Alors soit, lâchai-je d'un ton glacé, mais j'ai mon programme.

— On va avoir des problèmes ! râlent-ils en chœur, comme des enfants pris en faute.

Je ne peux m'empêcher de sourire, un sourire qui n'a rien d'agréable.

— Fun fact : je m'en bats les couilles, une fois de plus. Vous n'êtes que des sous-merdes. Nous ne jouons pas dans la même catégorie, vous et moi.

— T'es vraiment un putain de connard, lâche Rahoul avec une frustration visible.

Je hausse un sourcil, feignant une surprise exagérée.

— Vous ne remarquez cela que maintenant ? Bravo pour votre sens de l'observation, les gars. Un véritable exploit !

Je me moque ouvertement, mimant quelques applaudissements sarcastiques avant de tourner les talons. Mes pas sont délibérément lents, calculés, et je me dirige vers la sortie, là où le véritable jeu commence.

Soudain, la voix forte de l'arbitre retentit, annonçant le départ. L'effervescence gagne la foule, et dans le tumulte qui s'ensuit, je prends les devants, le regard fixé sur mon objectif. Peu importe ce que ces idiots décideront de faire, ils ne sont que des pions dans une partie que je maîtrise déjà.


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