𝔖𝔦𝔵𝔦𝔢𝔪𝔢 𝔡𝔢𝔲𝔵

«– Pourquoi as-tu choisi aujourd'hui ?»

Nous avions convenu de nous voir ce dimanche. Pour vous dire, je n'ai pas eu besoin de lui en parler longtemps, il a immédiatement accepté. Et moi j'avais besoin d'une bonne excuse pour faire une pause avant de me blesser dans le studio et louper l'audition de demain. Heeseung m'avait dit ne pas rechigner le moins du monde à louper une séance de sport, que ça en valait la peine.

C'est pourquoi je me retrouve à Harlem, dans son petit appartement qu'il occupe depuis quelques mois, m'a-t-il dit, et qu'il trouve agréable au-delà de sa petitesse. J'aurais aimé qu'on se voit en dehors, que je ne me retrouve pas seul avec lui à écouter ses bêtises — je tiens encore à y croire —dans son propre appartement au risque de me faire enfermer. Il m'a clairement fait comprendre qu'il ne valait mieux pas que le grand public connaisse l'existence d'un monde qu'il ne voit pas, comme si moi je ne le prenais pas pour un fou, et qu'on serait beaucoup plus confortable dans un endroit calme. J'ai évidemment refusé qu'il vienne chez moi. Pour des raisons évidentes.

Donc me voici arrivé chez Heeseung, à Harlem où je n'ai jamais mis les pieds, après avoir accepté une journée avec lui contre des informations. Il va me falloir mieux qu'une petite auréole dans la pénombre et l'esprit sans dessus-dessous pour preuve ! Même si le quartier n'est pas aussi dangereux et déplaisant que ma mère le décrit, j'ai quand même eu la boule au ventre tout le long du trajet dans les rues à chercher son adresse avec mon téléphone. Il m'attendait en bas de l'immeuble lorsque je suis arrivé, à savourer la clarté du temps sous les nuages, assis sur un banc, un gros sweat-shirt en guise de vêtement chaud pour contrer le vent.

«– Parce que je suis occupé demain et certainement le reste de la semaine, je réponds en posant ma veste sur une chaise de cuisine.»

Il n'y a qu'un demi mur pour séparer la cuisine du reste de la pièce où il a installé un matelas au sol, un canapé sombre et une pile de livres de toutes tailles et couleurs à même le sol. Il y a une porte dans le fond, menant sans doute à la salle d'eau, auquel il a accroché un cintre soutenant des vêtements.

Heeseung se trouve sur son canapé, affalé comme si le moment n'était pas étrange, en chaussettes blanche et ensemble sombre d'une taille beaucoup trop grande. Il m'observe cacher mes mains dans les poches de ma veste de sport, à regarder son appartement.

«– Tu vas danser ?, demande-t-il en parcourant mon corps de haut en bas.»

Il ne verra rien, je nage presque dans mes fringues.

«– C'est mon métier, oui.

– Et tu danserais pour moi ?»

Je tourne vivement le menton vers lui, les sourcils si haussés qu'ils rejoignent la racine de mes cheveux. Heeseung est sérieux, il me regarde pince sans rire, attendant réellement une réponse.

«– Pourquoi est-ce que je ferais ça ?

– Je me suis pris des coups à cause de toi, justifie-t-il en croisant les jambes, j'ai bien droit à une excuse.

– Si j'avais su que vous vous connaissiez, on n'en serait pas là.»

Il me fait signe de m'approcher et je tire une chaise pour m'asseoir près de la table de cuisine. Heeseung fait une moue qui, je vous promets, est adorable.

«– Je pensais qu'il te l'avait dit. Après tout, vous semblez proche.»

Nous ne nous sommes pas reparlé depuis et je ne compte pas faire le premier pas alors que je ne suis pas en faute. Ça lui prendra le temps qu'il faudra mais il justifiera peut-être plus convenablement ses actions.

«– Et vous, vous semblez vous crêpez le chignon parce que l'autre respire.»

Heeseung sourit en coin avant d'avachir sa tête sur le dossier près du mur.

«– Tu as dit qu'il était immortel, je continue en croisant les bras. Ça veut dire que toi aussi. Vous êtes quoi ? Une race supérieure ?»

Mon sarcasme le fait rire doucement, venant caresser mes oreilles délicatement et pulsant mon sang plus rapidement.

«– Ton innocence est à croquer.»

Il redresse le menton pour venir trouver mes yeux et sourire. Je ne vois pas en quoi cela est drôle et encore moins «à croquer», comme il le dit. Jay vieillit au rythme de n'importe quel humain sur Terre et je l'ai déjà vu blessé et malade. Quand je vous dis que son histoire ne tient pas la route !

«– Disons qu'il est plus à même de penser que oui, il nous est supérieur.

– Nous ?»

Il hoche la tête, aussi convaincu que je respire mal.

«– Alors quoi ?, j'enchaîne puisqu'il ne se décide pas à expliquer. Il est Superman ? Un Alien ? Un robot ?

– Je suis étonné qu'il ne t'en ai jamais parlé.

– Et moi je suis étonné que tu aies autant d'imagination.»

Il plisse les yeux comme si j'étais la personne peu saine d'esprit dans la pièce, cherchant à déceler une part ironique dans mon comportement avant de secouer la tête avec un soupir.

«– J'aurai pensé que tu avais plus de jugeote.»

À mon tour de rire, jaune. Ce mec a plus d'assurance que d'empathie visiblement, et je suis aussi choqué qu'un lapin devant un piège en fer avec une carotte à l'intérieur. À quel instant me suis-je vraiment fait avoir dans l'histoire ? Il reste aussi évasif que les hommes politiques sur leur promesses non tenues, on ne va pas aller très loin si la conversation continue ainsi !

«– Si tu ne me disais pas des choses insensées, peut-être que tu trouverais que je suis intelligent.

– Alors fais fonctionner tes méninges, siffle-t-il, exaspéré.

– Je te signale que tu as promis de répondre à mes questions. Je ne suis pas venu pour jouer aux devinettes.»

Il se lève comme une marionnette dans une boîte à mystère et je sursaute malgré moi. Je parierais que je suis aussi tendu que Jay ces derniers temps, que mes muscles brûleront quand je les détendrais ce soir et que mes poumons crieront à l'aide dans les secondes qui suivent. À chaque pas qu'il fait dans ma direction je me redresse un peu plus, à chaque battement de cils mon cœur suit, et je suis presque certain de détester chaque minute où je ressemble à un animal effrayé face à un prédateur plus imposant que les précédents déjà croisé.

Avec une facilité alarmante, il déplace ma chaise pour me sortir de la table et la plante presque dans l'entrée, où il a aisance à placer ses mains sur les accoudoirs en bois. Je ne saurais vous dire comment je peux encore soutenir son regard profond, son visage presque à hauteur du mien et sa senteur de fraise dont je ne suis pas sûr de me lasser un jour.

«– Fais fonctionner tes méninges, répète-t-il plus bas en bloquant son regard dans le mien. Rappel toi ce que je t'ai demandé la première fois que nous nous sommes rencontrer.

– Comme quoi je te voyais briller ?, je tente d'un sarcasme bancal en essayant de ne pas me décomposer.

– Non, Jungwon, pas ça.»

Une partie de mon assurance a fondu lorsque mon nom est venu caresser mes oreilles et que son souffle à rencontrer mes lèvres. J'en ai oublié la tenue de notre première discussion.

«– Je t'ai parlé d'un dieu.

– Oh, ça, je couine presque tant il fait disjoncter mon cerveau.»

Il hausse les sourcils d'étonnement et d'amusement avant qu'une de ses mains ne glisse vers mon avant-bras.

«– J'aurai bien aimé oublier ce détail, j'admets à voix haute.

– Sauf que c'est le détail que tu cherches.»

Ses doigts remontent lentement la manche de mon sweat-shirt pour venir chercher la peau tiède de mon bras et d'y faire couler sa main jusqu'à presque entièrement l'encercler. Et je perds le fil de la conversation comme je perds le compte de ma respiration pour ne pas avoir à attraper ma ventoline incessamment sous peu.

«– Je ne suis pas croyant, je maintiens en zigzaguant entre ses yeux et sa bouche.»

Cette fois encore, Heeseung se met à briller comme décoré d'une fine lumière argentée et ses yeux se parsèment de fils dorés progressant jusqu'à sa rétine. Et vous pensez que je vais me détourner d'un tel spectacle ? Même pas contre des poumons neufs.

«– Alors ton histoire de dieu, tu peux la changer.

– Oh non, me coupe-t-il presque. Je ne vais pas changer le fait qu'ils t'aient mis sur mon chemin.

– Il joue les cupidons ?, je ricane du nez.»

Heeseung penche légèrement la tête sur le côté comme pour venir étudier mon visage sous un nouvel angle, puis me réponds comme si la question était bête :

«– Cupidon s'en est chargé tout seul mais ce n'est pas lui qu'il faut remercier.

– Parce qu'il y en a plusieurs ?»

Sa bouche s'étire gracieusement dans un sourire et je manque de l'imiter tant je le fixe.

Cupidon existe, heureusement que je suis assis ! Sunoo adorerait apprendrait que ce mythe est réel et qu'en plus, il se moque de lui en plaçant sur sa route des tocards de premières. j'imagine qu'il lui referait bien le portrait. Avec ses boucles blondes et ses yeux bleus, il n'aurait pas beaucoup de pitié.

«– Jay n'en est qu'un parmi les autres.»

Je remonte immédiatement mon attention vers ses yeux, écarquillant les paupières comme si on venait de m'annoncer que finalement je peux respirer sous l'eau et qu'une queue de triton me pousse lorsque ma peau rentre en contact avec l'eau. Sauf que l'information est infiniment plus déstabilisante.

«– Jay est un dieu ?!»

Sa main est descendue jusqu'à mon poignet pour venir trouver ma main, elle-même figée dans le bois comme une sculpture en pierre.

«– Tu plaisantes, je tente d'affirmer avec le peu de prestance qu'il me reste.

– Crois-moi que j'aimerais.»

Ses doigts rencontrent les miens et viennent chercher le contact avec chaque partie froide de ma paume. Et je me laisse faire, je deviens facile, je me laisse hypnotiser par le pseudo ange devant mon nez.

«– Arrête ça, j'ordonne quand les informations rentre dans mon crâne.»

Il relève les yeux vers les miens et son charme insolent semble disparaitre l'espace d'un battement de cils avant qu'il ne se penche un peu plus près.

«– De quoi ?, demande-t-il tout bas. Je réponds à tes questions, ce n'est pas ce que tu réclames.»

Oh que si. Je veux savoir, je veux comprendre, je veux me faire une idée sur l'étrangeté qu'est ma vie en ce moment.

«– Arrête de me distraire.»

Je retire ma main comme si soudainement le courant électrique nous séparait de nouveau et il se recule avec un rictus. Son petit halo disparait aussi vite qu'il s'était mis à briller puis Heeseung s'affale sur la deuxième chaise de sa cuisine que je ne l'ai pas vu tirer.

«– De quoi tu parles ?

– Je me doute que tu as des poumons défectueux mais ta vue..., commence le noiraud en croisant les bras.»

Il me toise comme si je l'avais insulté et je fronce les sourcils. Je ne lui ai pas parlé de mes problèmes de santé, et encore moins de ma précieuse ventoline dans mon sac à l'entrée.

«– Comment tu sais ça ?

– Ta respiration siffle, marque-t-il en me désignant vaguement du menton, et comparé à un humain lambda, tu respires trop vite.»

Personne ne me l'a jamais dit, pas même le médecin précédent Jay. Puis je ne siffle pas, quelqu'un l'aurait entendu sinon. Ni ma mère ni mon père, que j'ai pourtant côtoyé depuis mon enfance, ne l'a remarqué. Je ne siffle pas et je ne suis pas sourd.

Je dois avoir la tête d'un chat effarouché, le genre a graver sur une pierre blanche, puisqu'il me demande, outré :

«– Tu ne pensais tout de même pas être adapté à une air si impure, tout de même ?

– L'air est impure partout, je lui fais remarquer.

– Parce que tu as toujours vécu ici.»

À mon tour de pencher la tête sur le côté pour le dévisager. Il dit de telles sottises à la secondes que je commencer à mal le suivre.

«– Je suis asthmatique, j'explique.

– C'est un terme de mortel ça.

– Je suis mortel.

– Ouais, ouais, comme ton Jay.»

Je claque la langue avant de croiser les bras. Plus la discussion passe, plus les bêtises fusent.

«– N'importe quoi, je cingle en secouant la tête. Tu ne sais pas ce que tu dis.»

Heeseung roule des yeux en soupirant bruyamment puis il balaye son bras vivement avant de croiser les jambes, comme si je ne venais de tomber au sol dans un fracas monstre. Je pense que ma chaise s'est brisée sous mon poids et que mon dos à croquer au choc. Je ne saurais dire puisque mes mains se sont immédiatement placées autour de mon buste, et plus précisément du manche glacé planté dans ma poitrine.

Heeseung vient de me poignarder les yeux dans les yeux. Et il ne semble pas s'en inquiéter.

Au contraire, il se lève lorsque je rampe vers sa porte pour chercher de l'aide, inconscient du torrent de sang que je déverse sur son parquet et encore moins de la douleur lancinante et fulgurante qui brûle mon corps à chaque respirations saccadée. Il me bloque le passage à sa porte d'entrée et me retourne sur le dos comme une torture en fin de vie. Je vous jure que le regard peiné et attendri sur son visage me donne presque la nausée. Comment ose-t-il me regarder ainsi alors qu'il me laisse dépérir sur sa carpette ? Et j'ai embrassé ce gars ? Deux fois ?!

J'aurais bien protesté lorsqu'il approche ses doigts de ma joue pour venir la caresser tendrement, sauf que ma voix manque, mon souffle manque et que ma conscience me fait déjà défaut.

«– On se revoit dans trente minutes.

– Co... nnard, je grogne dans un gargouillement de sang immonde.»

Il esquive aisément l'envoie de sang que je réservais spécialement pour ses lèvres puis retire sans précaution, aucune, son couteau à viande de ma poitrine.

Je ne vous fait pas le dessin de l'interminable minute qui s'en est suivi où la pire douleur s'est propagée dans mon corps avant que mon inconscience ait la décence de me gifler.

Il vient de me tuer. Dans le sens littéral du terme.










[PAS RELU]

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