𝔓𝔯𝔢𝔪𝔦𝔢𝔯 𝔲𝔫
Mon appartement me paraît aussi vide que si je n'y habitais pas.
Les murs beige sont fades malgré les tableaux coûteux et sublimes qui les ornent, mon mobilier est quasiment neuf et mon frigo est certainement vide, dans la cuisine derrière la canapé.
Mon séjour à l'hôpital a duré deux jours, le temps que les autres danseurs fêtent le succès des dates et les performances incroyables qu'ils ont pu faire. J'ai eu une vidéo commune de tous ceux avec qui j'ai travaillé qui me remercie d'avoir tenu jusqu'au bout et qu'ils avaient bu ma part, puisque j'étais coincé à l'hôpital.
Je ne veux plus danser.
Néanmoins j'ai répondu un «à bientôt !» que tous ont vu mais que seul Sunoo a aimé pour manifester son soutien. Je sais que la compétition est rude, que les places sont prisées et que peu réussisse ce que j'ai excellé à entreprendre. Or, je ne pensais pas que mes soi-disant amis m'oublient si facilement de la liste. Aucun ne m'a envoyé personnellement d'appel, de messages ou n'a manifesté son soutien sur ma condition, aucun.
Et je suis vide, je me sens vide.
D'après mon médecin, si je retourne sur les planches je serais condamné à une mort certaine dans l'année à venir. Mes poumons sont trop endommagés, mon cœur peine à suivre la cadence de mon rythme effréné et mon corps manque cruellement de repos. Et je suis pourtant entrain de m'étirer devant les baies vitrées de mon appartement de choix à New York. Mes parents ont utilisé mon argent pour me le payer, c'est donc mon appartement. Sauf que je n'ai pas eu mon mot à dire.
La teinte monotone de l'hiver couvre mon visage terne et je ferme un instant les yeux pour savourer les nuances froide. Je fais distraitement rouler mon mollet sur le blackroll qu'on m'a fraichement offert puis mon regard fixe le vague de la ville à l'horizon. Onze heures passées, elle est bien réveillée et je mettrais ma main à couper que les Klaxons hurlent dehors.
«– Yang Jungwon l'étoile mourante, me gronde la voix grésillante au téléphone, tu m'écoutes ?»
Sunoo m'a appelé pour prendre de mes nouvelles, contrairement à d'autres, et je l'ai posé sur mon canapé gris non loin pour occuper mes oreilles pendant mes étirements quotidien.
«– Non, je réponds, le réseau est mauvais, je t'entends mal.
– Ne me mens pas, tu as un réseau en béton ! Le réseau des Dieux, comme l'appelle ton opérateur.»
Je roule des yeux, réprimant de justesse un grognement peu élégant. La pub passe en boucle ces jours-ci et ce, sur tout type d'écran, même celui du métro. Je ne peux plus me la voir, je sature. Je connais le slogan assez pour me permettre un :
«– Si tu continues, je te fais embaucher comme homme de ménage dans la salle de boxe de monsieur Lee.»
Autant dire que la menace n'est pas passée dans l'oreille d'un sourd.
«– Tu n'oserais pas, tout de même ?
– Dernier avertissement, Sun'.»
C'est un travail respectable et très bien payé, puis monsieur Lee cherche régulièrement du renfort dans son enseigne, puisque peu reste à cause des odeurs puissantes des sportifs et sportives qui ne daignent pas prendre de douche à la salle ou d'aérer. Donc personne ne reste bien longtemps.
Sunoo ronchonne dans sa barbe puis reprend :
«– Bref. Je te disais, étoile-mourante-désagréable, que j'aurais besoin de ton joli p'tit visage pour m'entraîner.
– Je ne suis pas une poupée, je refuse en m'allongeant sur mes jambes tendues, genoux contre poitrine.
– Tu es officiellement au chômage, et je te rémunère en repas ! Alors ramène-toi dans la journée.
– Je suis occupé, je mens. Je dois passé au conservatoire pour rendre mon costume et régler de l'administratif.»
En vérité, ça peut attendre le mois prochain. Sauf que je connais mes parents, ils ne se fieront pas au diagnostic du médecin alors ils m'obligeront à retourner danser pour dorer notre nom et pour que leur retraite soit payée à mes frais, en plus des leurs. De plus, sortir me fera de bien !
«– Laisse tomber le conservatoire, conteste-t-il, on est samedi et tes bureaux seront fermés. Tu me chopes un métro et tu me rejoins au Cloud café. À treize heures.
– Sunoo.»
Il a déjà raccroché. Je laisse retomber mon front contre mes tibias et pousse un long soupire. Petit opportuniste et sale gosse de première ! Il n'en manque pas une pour se servir de notre amitié. Je suis certes habitué à tout ce qui est maquillage de scène et coiffure de compétition, néanmoins je lui ai déjà dis que ce n'était pas une raison pour m'accaparer les seuls jours où je ne danse pas et que je peux me reposer. C'est passé par une oreille puis ressorti par l'autre.
Le silence vrombisse dans l'immense pièce et je suis dépité de n'entendre que le bruit de ma respiration et de mon dos qui s'étend. Ce n'est que lorsque je manque de souffle que je me redresse et fais rouler toutes mes articulations, la quasi totalité craque comme si je ne venais pas de les travailler pendant plus d'une heure. J'attrape mon cellulaire dernier cri, hésitant à rappeler le garçon pour lui assurer que je ne viendrais pas et qu'il peut toujours se toucher, — j'ai même commencé à taper le message dans nos conversations plus longue que toutes les interactions réunies que j'ai eu avec les danseurs du conservatoire — lorsque un «tu es vraiment le meilleur des amis du monde !» arrive. Et je n'ai plus cœur à décliner.
Je râle longuement en balançant l'objet sur mes coussins trop parfaits puis range mon attirail de danse dans le petit placard près du rideau, installé pile sous la cordelette qui les retient. Maman s'est chargée expressément de m'avoir ces petits détails puisqu'elle a trouvé un artisan qui les confectionne avec de l'or. Oui, c'est inutile et oui, je m'en serais passé. Je me serais passé de beaucoup de choses dans cet appartement.
Mollement, je traine jusqu'à la salle de bain en évitant soigneusement de regarder les fleurs qui m'ont été offertes il y a quatre jours, et dont je me rappelle à peine. Je jette mon court short noir et mon débardeur dans la corbeille à linge vide, maman est passé faire une lessive, et m'installe sous le jet d'eau brûlant avec lequel je détends mes muscles encore endoloris. Mes trapèzes hurlent et mes cuisses ne cessent de geindre, puis ne parlons pas de mes doigts de pieds qui se remettent à saigner lorsque la chaleur rouvre les plaies. Je me suis rapidement frotté l'épiderme, recouverte d'une légèrement couche suante, et les cheveux, l'affaire de dix minutes tout au plus. Et pourtant je ne sors que vingt minutes plus tard. L'eau a effacé une partie morose de mes pensées et sa chaleur me manque déjà.
Ma chambre adjacente me fait l'effet d'un hôtel de luxe, ceux dans lesquels j'ai l'habitude de séjourner lors de stage ou d'enseignement inédit. Le lit est à peine défait, les oreilles sont pour la plupart dans la même position que la veille et les rideaux sont tirés d'un demi-bras, le tout dans des teintes chaudes et sombres. C'est le genre d'endroit où le room-service est à n'importe quelle heure et avec des employés triés sur le volet pour leur beauté et leur compétences. L'une d'elle, Laraly, est une fervente admiratrice de notre métier, et nous sommes devenus assez proche pour s'échanger nos numéros de téléphone. C'est elle-même qui m'a avoué que malgré les notes, si le physique ne passe pas pour l'œil expert des hôtels, ils ne seront jamais embauchés. Parfois, le monde peut être cruel.
Je rentre dans mon dressing angoissant, celui si grand que sans les étagères il aurait l'allure et le potentiel d'être une salle de danse digne de ce nom. Aujourd'hui je ne vais pas plus loin que le premier rideau sur la gauche, celui réservé à mes jours de repos tant les fringues derrière scandalisent mes parents. Je tire l'étoffe de soie rougeâtre et fouille immédiatement dans les centaines de cintres. Et dire que la moitié de tous ces achats n'ont été porté qu'une seule fois... J'attrape un jean et un tee-shirt au hasard, ainsi qu'un caleçon et des chaussettes puis les jette sur mon lit.
Les effets de style m'intéressant peu, j'enfile un sweat-shirt aussi sombre que les draps de mon lit, une casquette attrapée à la volée et je sors de ma chambre en oubliant mes pantoufles, celles en satin argenté que je planquerais bien sous le tapis. Je choisi mon sac préféré — le seul que j'ai eu l'occasion d'acheter pour moi, de ma propre initiative et sans avis extérieur —, le grand noir en bandoulière que je passe par dessus mon épaule, détache mes clés de la visse au mur et claque la porte.
Je suis seul sur mon pallier, il n'y a que l'ascenseur et moi à cet étage, c'en est... déprimant. J'enfile mon casque à la pointe de la technologie, cadeau de papa certainement suggéré par maman, puis défile ma playlist de chansons d'amour tristes jusqu'au moment où le monte-charge me descend au rez-de-chaussée. Et oui, chansons déprimantes car je ne suis destiné qu'à la danse et non au plaisir autre de la vie. Rencontrer quelqu'un ? Pas possible, mes parents me surveillent et veillent au grain. Le faire en douce ? Je ne sais pas mentir, je n'irais pas très loin. Alors mon imagination se nourrit des histoires qui se chantent à mes oreilles, c'est déjà mieux que rien.
Bingo, la rue est plus que bruyante. Je plains les appartements vieux-jeu dont les propriétaires dans la misère ne peuvent se permettre de faire isoler leurs propriétés.
Habitant près d'une bouche de métro, je n'ai qu'à regarder à gauche pour estimer mon temps de trajet. Et vu les bouchons, ainsi que les chauffards ayant obtenus leur permis dans un paquet de céréales, au lieu de mettre deux minutes, je vais plutôt miser sur cinq. Et j'habite pourtant dans un quartier respectable et respectée, qui n'est censé être traversé que par les taxis hors de prix et les voitures de sport qu'une grande majorité obtiennent comme des porte-clés.
Le feu piéton est d'une longueur insupportable. Les enfants s'impatientent aux bras de leur parent, les vélos fusillent les véhicules du regard comme s'ils pouvaient les faire disparaître avec la force de leurs pensées, et il y a les chiens au bout des laisses. Un quartier calme, c'est ce que maman m'avait assurée en m'obligeant à acheter mon appartement. Si je n'habitais pas si haut, je jurerais que le soir est un enfer aussi.
Le bonhomme passe au vert et je perds mon regard au ciel, un flocon m'est tombé sur le bout du nez. J'aurais dû vérifier la météo avant de sortir comme un adolescent rebelle qui se fiche de tomber malade — comme si ça ne me serait pas quasiment fatal — et qui prétend ne pas avoir froid. J'ai froid. Mes doigts gèlent dans ma poche centrale et mes joues brûlent à m'en tirailler. Je pari sur un rhume dès ce soir, un de ceux qui me clous au lit pendant une semaine. Cependant, la flegme me pousse à ne pas rebrousser chemin et juste prier pour que mon système ne soit pas si affaibli que cela.
L'aboiement proche d'un gros chien m'oblige à baisser le menton pour m'assurer ne pas lui avoir marché sur la patte. J'aurai pu deviner sa race en un rien de temps si mes yeux n'avaient pas croisé un jeune homme, de ma tranche d'âge, qui traverse l'opposée de ma direction. Si beau que je ne sais plus cligner des yeux, que je me demande si le vent ne m'a pas simplement poussé et que je me suis cogné la tête, qu'il n'est qu'une hallucination.
Il est tout simplement à couper le souffle. Un de ces grands bruns que l'on ne voit que dans les films, qui ont une carrière toute tracée dans le cinéma et le mannequinat. Ses cheveux semblables à de la soie se font caresser par les flocons de la première neige de l'hiver, il est d'une telle grâce que je manque de louper le trottoir et de chuter les dents en premières sur le bitume neuf. Et ses yeux, lorsqu'il se retourne vers moi sur le pavé d'en face, sont divinement beaux. D'un brun chatoyant qui me rappelle les flammes dans les cheminées, celles près desquelles je m'assois pour me réchauffer les mains et que je peux passer des heures à regarder. Ils illuminent son teint mâte et ses lèvres pulpeuses, que même celles de Sunoo ne peuvent pas rivaliser.
Je suis soufflé !
Et fort intimidé que j'en détourne le regard et me fraye un chemin tumultueux parmi les piétons. J'ai le cœur en panique et le ventre éveillé, des sensations que je n'ai pas retrouvé depuis mes premières scènes en tant que professionnel. Je dévale les escaliers avec le feu aux fesses et ne ralenti que lorsque je passe les portiques et que je range ma carte au fond de mon sac.
J'ai fui, et il n'y a pas de doute il m'a vu détalé comme une biche terrifiée. La honte, que je suis pitoyable ! J'aurai pu faire demi-tour, lui demander son numéro, lui sortir un mensonge comme quoi Sunoo cherche des modèles différents pour son examen et qu'il serait parfait ! Ou bien qu'il me rappelle quelqu'un, j'aurai pu demander ses réseaux pour m'assurer ne pas avoir rêvé. J'aurai dû. J'étais bien trop en avance, j'ai le temps.
Je grimpe dans la rame et m'assois à la dernière place disponible des sièges libres, j'allais au terminus de toute façon. Et je fixe pendant deux arrêts le vide, pas encore remis de mes émotions. Les inconnus comme eux, on ne les revoit jamais. Je ne les revois jamais. Argh la boulette !
Je sors mon téléphone de ma poche et tape un :
«Merci de m'avoir fait sortir.»
Auquel Sunoo répond, deux minutes après :
«Tu es déjà en route ?!», «Je ne me suis pas encore douché !», «Puis pourquoi tu me remercies, soudainement ?», «C'est un code rouge ?», «Réponds-moi, saloupiaud !».
Et je passe mon cellulaire sur le mode silencieux avant que les notifications ne m'agacent, nous en parlerons en face, il me grondera peut-être moins.
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