Chapitre 24

Je me réveille le lendemain, reposée, voilà bien longtemps que ce n'était pas arrivé. J'enfile une tenue de sport, retrouve miraculeusement mon chemin jusqu' à la salle de réception. Contrairement à hier soir où la salle était presque vide, ce matin, elle est en effervescence. Des domestiques courent les bras chargés d'assiettes, de plats, de verres. Les conseillers se servent au buffet, débattent sur divers sujets. Je me sers de la salade de fruit et essaye toutes les petites pâtisseries. Quand mon plateau ne peut plus rien supporter, je chercher Anaël ou le grand chef du regard. Malheureusement, je n'arrive pas à les trouver.

- Tu cherches quelqu'un ?

Je me retourne et vois Alexandre. Que fait-il ici ?

- Bonjour Alexandre, sais-tu où est Anaël ?

- Il fait son entrainement matinal.

- Ah.

- Tu veux manger avec moi ? Les conseillers sont ennuyeux, et je préfère manger en ta compagnie.

- Avec plaisir.

Nous nous dirigeons vers une petite table près de la fenêtre. Je déguste chaque pâtisserie, elles sont toutes différentes. Ma préférée reste la première. C'est une pâte à choux, à l'intérieur il y a un coulis de fruit. Entre deux bouchées, je demande :

- Que fais-tu ici ? Je pensais que c'était réservé aux conseillers et au grand chef.

- Tu as raison, cependant, aujourd'hui est un jour très spécial, c'est la remise des diplômes.

- Tu m'en avais parlé, comment ça s'est passé ?

- Très bien, la preuve, je suis ici.

Je fronce les sourcils ne comprenant pas le rapport.

- Seuls les majors de promos peuvent venir ici. Ils ont un entretien avec le grand chef et, s'il le souhaite un entrainement.

- C'est génial ! Félicitation ! m'exclamé-je

- Merci.

Quelqu'un tousse dans mon dos comme pour attirer mon attention. Je me retourne, c'est Anaël.

- Je suis désolé de vous déranger, mais il est l'heure que tu t'entraines.

Je m'essuie la bouche avec le bout de ma serviette, salue Alexandre et suis Anaël dans les couloirs. Après avoir descendu plusieurs dizaines de marches, nous arrivons dans une immense salle. Elle est vide, il n'y a rien à part une immense porte au fond. Je n'y prête guère attention. Quand nous sommes au centre, je me mets en position de combat et attends.

- Nous n'allons pas combattre tout de suite.

- Pourquoi ?! demandé-je déçue

- Parce qu'il faut que je t'explique deux ou trois choses avant de commencer.

- Comme...

- Comme l'utilité de ce bracelet. il désigne mon poignet

- Maintenant que tu en parles, je n'en ai aucune idée. Mais, en quoi est-ce important pour mon entrainement ?

- Ne sois pas aussi impatiente. Ce bracelet sert à deux choses, la première à contrôler les émotions négatives, si tu ne le portais pas, tu serais submergée par tes émotions négatives et perdrait en permanence le contrôle.

- Et la seconde ?

- Il te bloque, en tout cas pendant un certain temps tu ne peux plus utiliser ton pouvoir. C'est pour cela que tu as appris à maitriser l'eau, pour pallier ce manque.

- C'est fort passionnant, mais en quoi est-ce important pour l'entrainement ?

Anaël prend une grande inspiration, comme si je l'exaspérais puis m'explique :

- Pour que tu te rendes compte des conséquences et que tu évites de l'enlever. La prochaine fois que tu perdras le contrôle, je n'hésiterais pas à remettre une perle. Suis-je suffisamment claire ?

J'avale difficilement ma salive et palis, je me souviens de la douleur provoquée par une perle.

- Comme tu sembles avoir compris ma menace, nous pouvons commencer. Premièrement, tu vas apprendre à contrôler tes émotions.

- Comment ?

- Facile, repense aux différents événements dans le bois des cauchemars.

Je m'assois sur le sol, ferme les yeux et essaye de me souvenir. L'effet est immédiat ! La colère, la tristesse, la peur me submergent. Je commence à trembler comme une feuille. Je m'apprête à parler quand Anaël prend la parole :

- Ecoute ma voix, ces émotions sont les tiennes, ne t'inquiète pas. C'est normal de les ressentir, il faut que tu arrives à les exprimer, ne garde pas tous pour toi. Tu peux les contrôler.

Je l'écoute parler, ses mots rentrent par l'une de mes oreilles et sortent par l'autre sans être analysés. Soudain, quand il me dit de m'exprimer et de ne pas tous garder pour moi, je ne sais pas pourquoi, je sens des larmes couler. Pourquoi est-ce que je pleure maintenant ? Je ne sais pas, j'essaye de les retenir, de les faire rentrer, mais, comme pour la mort d'Atalia, je n'y arrive pas. Etrangement, ces larmes ne sont pas désagréables, elles me font du bien. C'est comme si j'oubliais la douleur que les propos de Louis et d'Enoha. La tristesse disparait petit à petit, mais la colère et la peur persistent. J'ouvre quelques minutes plus tard mes yeux rougis. Je prends le mouchoir d'Anaël qui me sourit, me mouche bruyamment et écoute ce qu'il a à me dire :

- Comment te sens-tu maintenant ?

- Mieux, beaucoup mieux. Si je comprends bien, il faut juste pleurer pour contrôler mes émotions négatives ?

- Bien sûr que non, ce serait beaucoup trop facile ! Tu gardais tout pour toi depuis trop longtemps, c'est pourquoi cette méthode a fonctionné. Cependant, cette tristesse va revenir très vite.

- Alors, comment les maitriser ?

- Il existe plusieurs méthodes, chacun à la sienne ...

- Attend, il existe d'autres personnes avec mon pouvoir ? demandé-je tout excitée

- Pas avec ton pouvoir précisément, mais avec les émotions. Est-ce que je peux reprendre mon explication ?

- Oui, vas-y.

- Comme je le disais, je ne peux pas t'enseigner de méthodes, mais certaines techniques que nous utilisons tous.

- Quand tu dis-nous, cela signifie que, toi aussi tu utilises les émotions.

- Oui, toute notre famille, mais arrête de m'interrompre.

- Désolée, je suis juste curieuse.

- Je sais. soupire-t-il, surement exaspéré par mes interruptions. La première technique qu'il faut apprendre est la dissociation.

- La dissociation. Répété-je

- Exact, elle permet de savoir si les émotions sont les tiennes, ou, celles d'une tierce personne. Heureusement pour toi, tu ne peux pas recevoir celles des autres, ou en trop petite quantité pour pouvoir les utiliser seul. Il faudra que tu utilises tes émotions dans tous les cas.

- Pourquoi est-ce que je ne peux pas en recevoir et les utiliser sans avoir besoin d'utiliser mes émotions ?

- C'est normal, la capacité de recevoir les émotions des autres est très rare.

- D'accord, qu'est-ce qu'il y a après la dissociation ?

- Cela étant, il faut l'analyser et comprendre d'où elle vient et pourquoi est-ce que nous la ressentons, ensuite il faut l'évacuer. J'anticipe déjà tes prochaines questions. Non, il n'y a pas de méthodes prédéfinies, on apprend avec le temps, mais, l'évacuation est souvent par le biais de notre pouvoir. Et, oui en combat ça deviens plus facile, plus fluide.

Je le dévisage, comment a-t-il pu deviner ?

- Pourquoi un trou noir s'est matérialisé dans le bois alors que je n'avais rien dit ?

- Tes émotions ont pris le dessus. M'explique-t-il en faisant la même tête qu'hier, il ment. As-tu d'autres questions ou pouvons-nous reprendre l'entrainement ?

- Nous pouvons reprendre. Dis-je tout enjouée

- Parfait, maintenant tu vas essayer de maitriser toutes tes émotions négatives et de t'en servir pour attaquer. Tu utiliseras ROKU pour enfermer ton attaquant.

Je hoche la tête, Anaël chuchote quelque chose, et, quelques secondes plus tard, Atalia se matérialise devant moi. Alors que je la prends dans mes bras, elle me repousse, me regarde avec dégout, et peur. Elle m'insulte et m'accuse de sa mort. J'ai beau savoir qu'elle n'est pas là, que c'est un exercice, ces mots me transpercent le cœur. j'ai l'impression d'entendre la vrai Atalia, qu'elle est en face de moi et me dit ce qu'elle pense depuis l'au-delà.

Je ressens une profonde tristesse et d'autres émotions qui ne m'appartiennent pas. D'où viennent-elles ? Des images du passé d'Atalia arrive dans ma mémoire. Je vois du sang, des boucles temporels et un arrêt total du temps pendant trente secondes. Atalia, comment est-ce possible ? Alors c'est elle ? C'est Atalia qui a provoqué le Chaos ! Le Chaos est survenu il y a 15 ans, le temps à Orryl s'est totalement arrêté. Les conséquences ont été terribles, désastreuses. Beaucoup de personnes sont mortes. Par chance, les intemporels ont réussi à arrêter la personne et à remettre le cours du temps. Voilà donc la faute qu'elle a purgée, elle est responsable de la mort de plusieurs dizaines de personnes. J'ai de la peine pour elle, devoir porter ce fardeau sans pouvoir en parler. Cependant, cette fois, je ne me laisse pas submerger. Comme m'a conseillé Anaël, je canalise mes émotions négatives, enfin, celles d'Atalia. Elles se rassemblent pour ne former plus qu'une masse de colère, peur, haine, douleur, honte...Quand je me sens prête, je les utilise. Je prononce ROKU, une prison de verre se matérialise, enfermant ainsi Atalia. Anaël la fait disparaitre, je relâche donc la barrière. Je tombe presque automatiquement, épuisée et encore sous le choc par ce que je viens de vivre.

- Tu t'en es très bien sortie, et ...

- Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu que je ressentirai les émotions d'Atalia ? Pourquoi ? demandé-je énervée

- Je ne savais pas que tu avais cette capacité. Elle est rare et il y a des signes avant, je ne les ai pas vu et je suis ...

- Désolé, comment peux-tu être désolé ? ajouté-je de plus en plus en colère

- Je le suis, sincèrement. Je ne les ai pas vu et ne tant fais pas, je sais ce que tu ressens, je suis aussi passé par là. Répond Anaël doucement en essayant de me calmer

- Comment peux-tu dire que tu me comprends ? Comment peux-tu dire que tu n'as pas vu les signes ? Tu n'étais pas là ! Tu ne peux pas comprendre ! Pendant les pires moments de ma vie, tu n'as pas été là ! C'est cet inconnu qui me menace qui est venu m'aider alors qu'Enoha me harceler ! Je ne sais pas où tu étais mais en tout cas, pas avec moi. J'ai vu les fautes, le passé et ressentis les émotions d'Atalia. Comment peux-tu dire que tu me comprends ?

Je sens la colère monter en moi, je sais que je dois la contrôler, que c'est le but de l'entrainement, mais je ne veux pas, pas cette fois.

- Tu as raison, je ne peux pas te comprendre. J'ai faillis à ma mission, je n'ai pas su te protéger, t'apprendre. S'excuse Anaël

Je sais qu'il essaye de m'expliquer, mais comme à chaque fois que je suis en colère, les mots rentrent par une oreille et ressortent de l'autre, sans aucun traitement. Cependant, la menace de la perle me revient en mémoire, alors, quand mes émotions vont me submerger, je les rassemble en un seul endroit et analyse. Je comprends rapidement, je suis en colère parce qu'il m'a abandonnée, qu'il me ment et me dissimule des informations. Pourquoi ne peut-il pas simplement me dire la vérité ? Alors que je cherche une raison, une justification à ses mensonges, un mot inconnu me vient alors à l'esprit : Shiniu. Anaël passe alors dans une sorte de transe, son regard devient vide. Instinctivement, je sais qu'il faut que je pose une question, alors je demande :

- Où étais-tu durant les six dernières années ?

- Quand la cité sacrée a brulé, je me suis réfugié chez les anagostes pour reprendre des forces. Quand je me suis totalement rétabli, et que j'étais devenu suffisamment puissant, j'ai construit une cabane près des anigis dragon pour t'avoir à l'œil. Ma famille, enfin, notre famille m'a contacté me demandant de tes nouvelles et diverses informations sur la situation actuelle.

- Merci. chuchoté-je heureuse de connaitre une partie de la vérité

Quelques instants plus tard, Anaël sort de la transe, il semble ne pas se rappeler. Il m'interroge donc pour savoir :

- Que s'est-il passé ?

- J'étais en colère contre toi alors j'ai utilisé mon pouvoir.

- Quel mot as-tu utilisé ?

- Shiniu.

- C'est un très bon mot et difficile à maitriser. Il permet de poser une question et d'avoir une réponse honnête. La personne rentre en transe et est incapable de mentir, après, elle ne souvient de rien. Par simple curiosité, que m'as-tu demandée ? m'explique-t-il comme si de rien était, ne s'était passé

- Où étais-tu durant les six dernières années ?

- Pourquoi avoir choisi cette question ?

- Je ne sais pas vraiment, je voulais surement savoir pourquoi est-ce que tu m'as abandonnée.

- D'accord, faisons une pause, j'ai un rendez-vous avec le grand chef. annonce-t-il avant de quitter la pièce

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