Chapitre XIV
En m'appuyant sur un coude, j'aperçois mon smartphone par terre. Il a dû tomber de ma poche quand Vince m'a enlevé mon fut'. Je le ramasse machinalement et consulte ma messagerie. Mon pouce fait défiler pas moins d'une quinzaine de textos : tous d'Aurélien. Qu'est-ce que tu fous, Thalie ? T'es pas rentrée ? Où es-tu ? Je m'inquiète. Rappelle-moi. Ma première pensée est : Pourvu qu'il n'ait pas prévenu Maman ! La seconde : Il m'aime, lui ; il se soucie de moi. Et je l'ai trompé avec ce connard.
Je ne me retiens plus de chialer. Pas le courage de chercher un mouchoir, je me tamponne les joues avec un coin de la couette. Peu à peu, mes remords s'évacuent. Après tout, je suis toujours vierge et je n'ai pas sucé Vince. Bon, je l'ai branlé, mais ça compte pour du beurre. Je prends une grande inspiration et pianote sur mon écran. La voix d'Aurélien me parvient, faible et lointaine, comme s'il se trouvait sur une autre planète. Elle est surtout ensommeillée.
— Pardon, dis-je ; je t'ai tiré du lit.
— J'allais me lever, de toute façon. On ne devait pas se parler hier ?
— Désolée, j'étais au cinéma avec...ma coloc et les employées de son Salon. J'avais éteint mon portable pour le film et j'ai oublié de le rallumer.
Il est facile de mentir quand on a la conscience à demi tranquille. Me laisser tripoter par Vince était une erreur, ça n'arrivera plus.
— Une soirée entre filles, s'amuse Aurélien ; tu as eu raison. C'était quel film ?
— Euh...le dernier James Bond.
— T'as de la veine. Pas encore eu le temps de le voir. Tu me raconteras ?
Je bénis le ciel pour ma réactivité. Sans être le gogol décrit par Vince, Aurélien, a l'esprit un peu lent. En contrepartie, il est mignon, gentil, fiable, respectueux. Le gendre idéal, prétend ma mère, alors que Papa se montre plus réservé.
— On le verra ensemble, à la Toussaint, dis-je. Que vas-tu faire aujourd'hui ?
— J'ai entraînement de hand. Et toi ?
— Shopping avec ma coloc. J'ai besoin de deux ou trois sapes. Paris n'est pas Brive. Ici, les gens se fringuent mode.
J'ai un pincement au cœur. C'était pour Vince que je voulais me super saper. Maintenant, je me fiche pas mal de porter un jean sac à patates et un chemisier carreaux de boucher. Au contraire, j'en rajouterais volontiers dans le moche.
— Tu n'aimes plus le pull que je t'ai offert ? s'inquiète Aurélien.
Vince l'a décrété ringard et je ne suis pas loin de l'approuver. Je réponds, pour ne pas peiner Aurélien :
— Si, si, il est très beau, mais un peu...classique. Les filles dans les rues ont un look plus fun.
— Ah ! bien ! Tu me montreras ce soir sur la cam. Je t'aime, ajoute-t-il avec des inflexions à faire fondre la banquise.
Merde ! Je ne couperai pas à la tournée des centres commerciaux et aux cabines d'essayage dont la glace me renvoie une image éléphantesque. Sans compter l'éclairage verdâtre, à donner mauvaise mine à Adriana Karembeu elle-même.
— Ok, dis-je. Je t'aime.
Mon « Je t'aime » est moins langoureux que le sien, mais il ne s'en rend pas compte. Notre conversation a quand même mis du baume à mon petit cœur meurtri. C'est le moment que choisit Bérénice pour pénétrer dans la chambre. En liquette et pantoufles, les mèches éparses dans son dos et sans maquillage, elle en jette moins.
— Mal dormi, ronchonne-t-elle. Vince et toi avez fait un de ces baroufs ! En plus, cet enfoiré m'a réveillée en partant.
Elle s'assied sur le lit, déjà épuisée et ajoute : Je ne savais pas que vous couchiez ensemble.
Je me dresse, tel un ressort.
— Nous ne couchons pas ensemble. Il a dormi... sur le plancher.
— Ça m'étonnerait, avec tes fringues balancées un peu partout. Tiens, c'est à moi, ça, observe-t-elle en repêchant le tee shirt turquoise. Tu avais bien choisi.
— Tu peux te le reprendre.
Je regrette aussitôt mon ton sec, mais elle m'énerve avec son côté inquisiteur.
— Non, je te le donne, dit-elle. Pour Vince, tu as raison de l'essayer. Il t'apprendra plein de trucs sympas.
Un terrible doute s'insinue en moi. Et si Béré avait niqué avec Vince ?
— Je ne l'ai pas essayé, comme tu dis, et je n'ai pas besoin de leçons. Pour ça, j'ai mon copain.
— Ça ne veut pas dire que tu ne peux pas baiser avec Vince. Bordel ! Thalie, tu as dix-huit ans ! s'exclame-t-elle avec une sorte d'indignation. Trop jeune pour te ranger des voitures.
Son discours se heurte à mes bonnes résolutions :
— J'aime Aurélien, proclamé-je.
— Bon, alors, qu'est-ce que tu fabriques avec l'autre ? Je croyais que tu ne le kiffais pas. D'ailleurs, toi non plus, tu n'es pas son style de meuf.
— Je sais
Je lui raconte comment Vince est venu me relancer à la boucherie Rabah, notre soirée en passant sur les détails les plus intimes – ma virginité, entre autres – et ma tentative matinale. Assise dans la position du lotus, ma coloc hoche la tête :
— Bizarre. Quand Vince dort avec une fille, il la saute ; en général.
— Et toi ? Il t'a sautée ? demandé-je, me payant de culot.
Elle répond, sans l'ombre d'une hésitation :
— Deux ou trois fois au début.
Un absurde sentiment de jalousie me ravage. Pourquoi elle et pas moi ? Si tu voyais ta tête ! ajoute Bérénice. Tu ne serais pas un petit peu amoureuse, par hasard ?
— Non.
— Tant mieux, ce n'est pas un mec pour toi.
Vince m'a jeté les mêmes mots à la face ce matin. En dehors de la baise, bien sûr, précise Béré. Là, il est champion. Tu en as eu un aperçu.
— Oui, et ça me suffit.
Un petit sourire se joue sur ses lèvres.
— On arrête de parler de lui, d'accord ? Une douche, un bon petit déj et une virée d'enfer à Bercy village : rien de tel pour te remettre les idées en place.
Facile à dire. Il faudrait plus qu'une tournée de boutiques pour me sortir Vince de la tête. Tantôt je me félicite de l'avoir viré, tantôt je me flanquerais des baffes. Si tu avais insisté un peu plus, si tu avais été moins gourde...par moment, l'envie me prend d'alpaguer le premier mec venu et de me le farcir. Tiens ! Le vigile d'H$M : pas mal du tout, le beau brun. Je le dévore des yeux comme si c'était une sucrerie tandis que Bérénice farfouille dans les rayons. Il finit par s'en apercevoir, me fixe à son tour, puis esquisse un pas dans ma direction. Morte de honte, je lui tourne le dos et plonge la tête la première dans les fringues.
— Ça t'irait bien, cette robe, observe Bérénice.
Elle a dépendu d'un cintre une espèce de chiffon et me l'agite sous le nez, tel un torero sa muleta.
— Cette horreur ! m'exclamé-je, le tissu n'a aucune tenue. En plus, le noir me tue le teint
— Ce que tu peux être sectaire ! essaie-la, au moins !
Elle entre dans la cabine la plus proche ; moi sur ses talons, résignée. Je risque un œil du côté du vigile qui se tient près de la porte, impassible. Face à mes dessous de coton, ma coloc prend un air affligé : Il va falloir sérieusement réviser ta lingerie, décrète-t-elle.
Ma lingerie. Je repense à cette nuit, quand Vince a découvert mon soutif et ma culotte basiques. Bien que dans le feu de l'action, il a dû les trouver tartes. Si jamais je me déloque devant un autre garçon, j'ai intérêt à investir dans des fanfreluches. D'accord, opiné-je, mais pour la robe...
Bérénice me l'enfile d'autorité. L'étoffe glisse sur mes épaules, sur mes hanches, le long de mes cuisses. J'ai fermé les yeux, de peur de la catastrophe. Bérénice murmure :
— Tu es bête. Regarde-toi, elle était faite pour toi.
J'ouvre un œil et reste stupéfaite. Est-ce bien moi, cette fille sexy qui me contemple d'un air ahuri ? Le décolleté en V met en valeur ma poitrine tout en en réduisant le volume ; l'étoffe fluide épouse mes courbes sans excès, sauf au niveau du ventre. Le rentrer ou faire des abdos. Je commente d'un ton blasé :
— Ouais, pas mal, mais trop moulante. Je n'oserais pas sortir avec.
— Tu rigoles ! Elle est parfaite. Ton Aurélien va se jeter sur toi la prochaine fois qu'il te verra.
Est-ce vraiment ce que je veux ? Aurélien est complètement novice. Un mec d'expérience serait préférable. Vince éliminé, il ne reste pas grand-monde parmi mes connaissances masculines. Cédric ne m'inspire pas, je le considère plutôt comme un frère.
— Emballé, c'est pesé ! déclare Bérénice en descendant la fermeture éclair de ma robe.
Quarante euros foutus en l'air pour une tenue qui squattera le fond de mon placard. Je ne peux même pas la refiler à mes sœurs, Lisa mesure dix centimètres de plus et Joy n'a pas l'âge de porter ce genre de sape.
Au rayon lingerie, maintenant. Difficile detrouver un modèle au-dessus du 95 qui ne fasse pas mémère ou femme enceinte.Coupant court à ma quête infructueuse, Bérénice me traîne à la caisse, puisvers la sortie. À l'instant de franchir le seuil, elle s'immobilise et mechuchote à l'oreille:
— Vise un peu le type ! Il ressemble à Vince.
Oups ! Tu crois ? dis-je d'une voix chevrotante.
Ça ne m'avait pas sauté aux yeux de prime abord. Effectivement, il y a quelque chose : le gabarit, la coupe de cheveux, la couleur changeante des yeux et ce sourire narquois. Tu ne serais pas un petit peu amoureuse, par hasard ? Le mec s'est aperçu de notre intérêt et nous caresse du regard, Bérénice en particulier. Moi, je n'ai pas un physique à déplacer les foules. Avant de connaître Vince, être transparente m'était égal. J'ai bien changé, me dis-je mélancoliquement. Mon achat stupide en témoigne.
Je suis déjà sur le trottoir quand je vois le vigile et Bérénice échanger quelques mots, smartphone en main.
— Son phone est en mémoire, explique ma coloc en me rejoignant.
— Tu vas vraiment le revoir ?
— Oui ; pourquoi pas ? Je n'ai personne en ce moment. Il m'a complimentée sur mes yeux.
C'est vrai, ils sont magnifiques ; pas comme les miens, d'une banalité affligeante. Yeux marron, yeux de cochon, dit ma grand-mère auvergnate. J'aimerais avoir ce genre d'atout dans ma manche.
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